D'après
une légende, sur le fondement historique de laquelle nous ne
saurions nous prononcer, le Concile de Mâcon de 585 aurait débattu
de l'attribution ou non de l'âme
aux
être humains de sexe féminin1.
En
1550-1551, l'objet de la controverse de Valladolid était
l'attribution ou non de l'âme
aux
sauvages du Nouveau Monde. Plus près de nous, Alphonse de Lamartine,
dans
son poème Milly
ou la Terre Natale,
pose
cette question : "objets
inanimés, avez-vous donc une âme // qui s'attache à notre âme et
la force d'aimer ?".
Aujourd'hui, on n'est plus très loin d'attribuer l'âme
aux
smart
computers ("ordinateurs
intelligents") et aux smart
phones ("téléphones
intelligents"), voire
aux smart
cars ("voitures
intelligentes").
On
peut faire la même analyse avec la notion d'esprit.
Ainsi,
lorsque
le pape Innocent X condamne cinq propositions prétendument
hérétiques de l'Augustinus
de Cornelius Jansen2,
il le fait au nom de l'esprit
du
texte incriminé et non de sa lettre.
De
même, si Montesquieu dit, en préface de son Esprit
des Lois,
ne point écrire "pour
censurer ce qui est établi dans quelque pays que ce soit",
c'est encore pour souligner qu'il ne s'intéresse pas aux
corpus
juridiques
proprement dits mais bien à leur "esprit".
De
manière plus triviale, lorsqu'un champion déclare, pour justifier
une contre-performance, qu'il avait le "physique" mais que
le "mental" n'a pas suivi, il suppose clairement que, même
en sport, le corps
ne
saurait tout expliquer. Enfin,
en français, on dit souvent de quelqu'un qui manque d'esprit
(ou
qu'il n'est pas spirituel)
que c'est une brute, sous-entendu, un corps
brut,
non raffiné. Ce
qui est frappant, dans tous ces exemples, c'est que,
si "x
a
un corps"
semble
évident
pour tout le monde,
en revanche,
"x
a
une âme (ou
un esprit,
ou un mental,
etc.3)"
ne
va
pas de soi. Cela
semble devoir trouver confirmation dans l'affirmation d'un
Jean-Pierre Changeux déclarant que "plusieurs
présupposés idéologiques, qui sont monnaie courante dans les
sciences de l’homme, doivent être déconstruits. Première
opposition réductrice : la dualité corps-esprit [...] distinction archaïque fondée sur une ignorance délibérée des progrès de la
connaissance scientifique"(Changeux,
du
Beau, du Vrai, du Bien : une Nouvelle Approche Neuronale).
Voilà qui jetterait le discrédit sur la remarque "idéologique" du sociologue Émile
Durkheim selon
laquelle
"partout,
l'homme s'est conçu comme formé de deux êtres radicalement
hétérogènes : le corps, d'un côté, l'âme de l'autre"(Durkheim,
le
Dualisme de la Nature Humaine et ses Conditions Sociales),
autrement
dit, selon
laquelle
le dualisme corps-esprit serait
un grand
invariant
anthropologique. Le
but de cet article est de montrer qu'ils ont tort tous les deux :
Changeux parce que nous verrons que, s'agissant
des corps vivants et, tout particulièrement, des corps
humains, le dualisme
corps-esprit est
inéliminable (accessoirement : l'"idéologie" n'est pas du côté qu'on croit) ;
Durkheim parce que la nécessité du dualisme
corps-esprit n'a
aucun fondement ontologique, en d'autres termes, parce que le "corps"
et l'"âme" ne sont pas deux "êtres hétérogènes"
mais deux notions corrélatives l'une de l'autre comme le sont, par
exemple, le haut et le bas ou bien la droite et la gauche.
mercredi 16 janvier 2019
lundi 22 octobre 2018
FREUD, MÉTAPSYCHOLOGIE ET PSYCHANALYSE (I - ÉPISTÉMOLOGIE).
Un
certain Michel Onfray,
dont
on trouve les
ouvrages dans
les rayons "philosophie" des librairies mais qui est, à
l'évidence,
plus
soucieux de renommée médiatique que de rigueur argumentative,
prétend que
"Freud
prend ses désirs pour la réalité et assène que ce qu'il affirme
est vrai pour le monde entier du simple fait qu'il l'affirme. La
méthode n'est guère scientifique, convenons-en ...
[Par ailleurs] la
psychanalyse guérit autant que l'homéopathie, le magnétisme, la
radiesthésie, le massage de la voûte plantaire ou le désenvoûtement
effectué par un prêtre, sinon la prière devant la grotte de
Lourdes. La présence de nombreuses béquilles accrochées à Lourdes
en témoignage du pouvoir de Bernadette Soubirous en apporte la
démonstration : les guérisons psychosomatiques existent, mais
elles ne sont pas la preuve de l'existence de Dieu ni celle que le
Christ est ressuscité des morts le troisième jour, encore moins de
la résurrection de la chair... On sait aujourd'hui que l'effet
placebo constitue 30% des guérisons d'un médicament. Pourquoi la
psychanalyse échapperait-elle à cette logique ?"(interview
donnée au Nouvel
Observateur
le 22 avril 2010)1.
Nous
ne relèverions pas de tels propos dont
l'outrance
inepte
a, par
ailleurs, copieusement été
analysée
et dénoncée
par nombre d'authentiques connaisseurs
de l’œuvre
de
Freud, s'ils ne nous semblaient résumer
un
procès en sorcellerie très
main
stream
qui repose
sur le
préjugé selon lequel la psychanalyse n'étant pas une science, elle
serait
inutile dans le meilleur des cas et, au pire, nuisible.
Aussi
prenons-nous le parti d'ouvrir à nouveaux frais le "dossier"
Freud en en confiant l'instruction à quelques
uns de ses grands prédécesseurs et
de ses lecteurs les plus perspicaces. Ils
nous montreront que, si les thèses freudiennes sont manifestement
plus proches de
classiques assomptions
métaphysiques que d'hypothèses scientifiques, elles sont loin
pourtant d'être dénuées de valeur dans la mesure où, d'une part,
elles ont profondément remanié les fondements de la psychologie
mais
aussi,
d'autre part, elles s'accompagnent d'une katharsis
thérapeutique qui s'inscrit dans une tradition pluri-millénaire.
Dans
cet article, nous analyserons successivement la métapsychologie et
la psychanalyse freudiennes de trois points de vue différents mais
(pensons-nous) complémentaires : épistémologique,
grammatical, esthétique.
jeudi 24 mai 2018
MUSIQUE ET MYSTICISME : LE CAS JANKELEVITCH.
Dans
sa
leçon inaugurale au Collège de France,
le
pianiste et musicologue Karol
Beffa pose cette question : "pourquoi
parler de musique ? Ne se suffit-elle pas à elle-même ? En quoi un
discours sur la musique permettrait-il de mieux la comprendre ou de
mieux l’interpréter ? En quoi permettrait-il de mieux l’entendre
et d’en jouir davantage […].
Nombreux sont les courants de pensée qui, au cours des temps, ont
considéré la musique comme une forme d’art qui, d’une manière
ou d’une autre, excéderait et neutraliserait le langage […]. De
nos jours, ces scrupules à discourir sur la musique relèvent plus
de la singularité que de la règle. Car c’est à une véritable
invasion du commentaire sur l’art que l’on assiste, la musique ne
faisant pas exception"(Beffa,
comment
parler de Musique ?).
Or
Vladimir Jankélévitch relève, précisément, de cette singularité
scrupuleuse qui écrit que
"notre
curiosité sera déçue si nous en demandons la révélation à je ne
sais quelle anatomie du discours musical. Mais si nous convenons
enfin qu'il s'agit d'un mystère […]
alors
nous connaîtrons peut-être ce consentement au charme qui est, en
musique, le seul état de grâce"(Jankélévitch,
la
Musique et l'Ineffable).
Nous
allons essayer de montrer
que, si la
logorrhée à
propos, tout particulièrement, de la musique est, de loin, le
meilleur moyen de décevoir
l'amateur de musique,
en revanche la considérer comme un
mystère
requérant
un "état de grâce"
n'est pas non
plus la meilleure manière d'en goûter et d'en faire goûter le
"charme".
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