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mardi 9 septembre 1997

DANS QUELLE MESURE L'AVENIR S'EXPLIQUE-T-IL PAR LE PASSE ?

Dans de l’Interprétation (19 a7), Aristote écrit la chose suivante : “les choses futures ont leur principe dans la délibération et dans l’action, et [...] d’une manière générale, les choses qui n’existent pas toujours en acte renferment la puissance d’être ou de ne pas être, indifféremment”. Autrement dit, ce qui est à venir doit, par hypothèse, avoir son principe (ou son commencement) dans un certain passé qui, lui-même n’est nullement nécessaire au moment où il se produit, puisqu’il est le fruit d’une délibération. Or nous avons vu précédemment qu’on ne délibérait que sur ce qui pouvait être autrement qu’il n’est, sinon il ne serait pas utile de choisir et il suffirait d’attendre que tout se passe conformément à la nécessité. Et une chose future qui a son principe dans une chose passée non nécessaire, c’est-à-dire contingente, ne saurait elle-même être nécessaire. Donc tous les futurs sont contingents.
D’où le problème qui se pose : peut-on comprendre ce qui est à partir de ce qui a été ? Ou à rebours, peut-on, à partir de ce qui est définitivement accompli, anticiper sur ce qui ne l’est pas encore ?
L’enjeu est double : métaphysique et épistémologique.
L’enjeu métaphysique consiste à se demander si le temps est à ce point discontinu que le futur ne soit en rien lié au passé, ce qui condamnerait semble-t-il par avance tout projet et nous livrerait à un hasard désespérant ; ou au contraire si le temps est continu au point que l’avenir n’est que la conséquence nécessaire du passé, auquel cas nous serions en proie à un déterminisme tout aussi désespérant.
L’enjeu épistémologique consiste à savoir si les sciences en général, qu’elles soient naturelles ou humaines, ont le pouvoir anticipateur qu’on leur prête généralement et qui contribue à fonder leur réputation d’objectivité, ou au contraire si, en tant que produit de l’esprit humain, elles sont tributaires des intentions particulières qui les produisent et donc sont dépendantes de la subjectivité.


I - D’un point de vue idéal tous les événements sont logiquement déductibles.

A - Tout ce qui existe doit avoir une raison d’être.

Il est naturel à l’esprit humain de tenter de trouver des raisons à ce qu’il constate dans un premier temps de manière fortuite : très jeune en effet l’enfant pose la question pourquoi. Or chercher des raisons consiste à essayer de mettre en relation l’apparence d’un phénomène toujours nouveau et particulier avec l’essence d’une nature qui, elle, est par hypothèse toujours la même et universelle.Mais cette tendance à chercher des raisons, autrement dit à vouloir dépasser les apparences, ne peut résulter de l’expérience empirique fournie par les occasions de la vie. Celles-ci en effet ne nous fournissent précisément que des apparences toujours changeantes et rien qui pourrait s’apparenter à des essences immuables.

Peut-on tirer de l’expérience par exemple la théorie explicative suivante : si A alors B ? Admettons que j’aie toujours constaté par expérience que les exemples de A précédaient effectivement les exemples de B. Mais il y a pourtant deux problèmes qu’il faut résoudre pour passer de l’expérience à la théorie. D’abord comment puis-je savoir que tous les exemples de A sont bien tous des A, étant donné que si tous ces exemples étaient véritablement identiques, ils seraient alors indiscernables ? La question est évidemment la même pour B. C’est donc que la relation d’identité n’est pas connue par expérience mais plutôt que toute expérience la présuppose. Ensuite comment puis-je généraliser ce que j’ai constaté être valable pour quelques cas, fussent-ils très nombreux, à la totalité des cas possibles. Car il est bien évident que mon expérience particulière, même confirmée par un très grand nombre d’expériences particulières autres que la mienne, ne saurait jamais être totale. C’est donc là encore que la notion de totalité ne saurait dériver de l’expérience.

Mais alors les conditions nécessaires au principe explicatif que je cherche n’appartiennent pas à l’apparence des choses (le phénomène). Se peut-il qu’elles soient le fruit de mon imagination, de ma fantaisie ? Evidemment pas, sinon ce serait dire à nouveau que les connexions entre phénomènes dépendent des conditions toujours différentes auxquelles ces phénomènes apparaissent à l’un ou à l’autre. On peut donc dire que la raison d’être que je cherche appartient à l’essence des choses (leur nature) : il est nécessaire et non contingent. Mais ce principe est-il suffisant ?

B - cette raison d’être est une explication suffisante.

Nous avons donc montré que le principe d’explication que nous recherchons spontanément lorsque nous sommes confrontés à un phénomène nouveau est une raison d’être, c’est-à-dire, littéralement, un rapport nécessaire entre le phénomène tel qu’il apparaît et l’être (ou essence, ou nature) de cette apparition. Maintenant, se peut-il que cette raison d’être soit insuffisante à expliquer la totalité des différents cas possibles du phénomène considéré ?

Supposons que ce principe d’explication ne soit pas suffisant en reprenant l’exemple précédent : si A alors B. Dire que la raison d’être du conséquent (B) se trouve nécessairement dans l’antécédent (A), cela revient à dire qu’il n’y a qu’une seule substance (A) dont B n’est que la modification nécessaire. Dire par exemple que si l’eau bout (A) elle se transforme nécessairement en vapeur (B), c’est dire en effet que la vapeur n’est qu’une modification de la substance (l’eau qui bout) qui constitue par là-même sa raison d’être : la raison d’être du phénomène vapeur résiderait ainsi dans la modification de l’eau qui bout. Mais se pourrait-il que cette explication ne soit que partielle et donc insuffisante ? Cela voudrait dire que A entraîne nécessairement B (si j’ai A, alors je ne peux pas ne pas avoir B), mais que B n’est pas nécessairement entraîné par A. Apparemment oui : la vapeur n’est pas nécessairement causée par l’eau qui bout. Mais c’est parce que l’eau qui bout n’est justement pas la raison d’être de la vapeur. Celle-ci réside plutôt, nous le savons, dans l’eau dont la pression s’abaisse jusqu’à une valeur critique.

Autrement dit, en disant que dans ma théorie “si A alors B”, la raison d’être de B se trouve nécessairement dans A mais en ajoutant que cette raison n’est pas suffisante, je me contredis puisque je reconnais que A n’est plus la raison d’être de B. Si A est la raison d’être de B, je veux dire que A est la raison nécessaire et suffisante de B. Peut-on dire alors que, connaissant A, B est prévisible ?

C - pour un entendement infini le temps et l’espace n’existent pas.

Nous savons donc que toute chose, tout fait, tout événement a sa raison d’être et que celle-ci est à la fois nécessaire et suffisante. Mais chaque raison d’être a elle-même sa raison d’être nécessaire et suffisante qui a elle-même sa propre raison d’être, etc. Mais comme la notion même de raison d’être suppose toujours une origine nécessaire aux choses réelles, la régression ne saurait aller à l’infini et l’on doit au contraire supposer un principe originel à toutes choses. C’est pourquoi, Leibniz dit dans la Monadologie (§ 38, 39) : “et c’est ainsi que la dernière raison des choses doit être dans une substance nécessaire [...] et c’est ce que nous appelons Dieu. Or cette substance étant une raison suffisante de tout le détail, lequel aussi est lié partout, il n’y a qu’un Dieu et ce Dieu suffit”. Autrement dit, si l’on admet que tout ce qui existe a une raison d’être, on doit admettre aussi un premier principe des choses, une raison d’être fondamentale que Leibniz appelle Dieu. Et cette raison nécessaire et suffisante de l’existence de toute chose, c’est-à-dire en somme du monde, constitue un point de vue absolu et idéal pour considérer la totalité des phénomènes non seulement dans leur coexistence spatiale mais aussi dans leur succession temporelle.

Cela signifie que, d’un certain point de vue absolu et idéal (celui de Dieu), tous les événements physiques, biologiques et sociaux de notre monde peuvent être déduits. En effet, si l’on pose, comme le fait Leibniz, un Dieu nécessaire et suffisant comme raison d’être de toute chose, on doit accepter également que tout dans le monde est lié par cette origine commune. De sorte qu’un entendement infini (celui de Dieu par exemple) serait capable de déduire tous les événements à venir à partir de la seule notion individuelle d’une substance perticulière. Leibniz donne cet exemple dans le Discours de Métaphysique (ch.VIII) : “Dieu, voyant la notion individuelle [...] d’Alexandre, y voit en même temps la raison et le fondement de tous les prédicats qui se peuvent dire de lui véritablement [...] jusqu’à y connaître a priori et non par expérience s’il est mort d’une mort naturelle ou par poison, ce que nous ne pouvons savoir que par l’histoire”.

Ce qui signifie qu’il est possible, pour un entendement divin, de connaître a priori, c’est-à-dire sans le secours de l’expérience, tout ce qui arrivera jamais dans le monde en considérant une seule substance individuelle c’est que, d’une part l’espace n’existe pas puisque toutes les substances sont liées en un tout, d’autre part le temps n’existe pas non plus puisque tous les événements sont déductibles logiquement. C’est dire que si les humains, au contraire, ne possèdent pas cette capacité, c’est que leur entendement est fini c’est-à-dire soumis à des contraintes d’espace et de temps, ce que Leibniz appelle l’histoire. Mais a-t-on le droit de considérer le temps, l’évolution, l’histoire, comme des façons confuses de penser ?


II - La prévision dans le temps constitue une illusion.

A - la prévision temporelle n’est qu’une métaphore spatiale.

Que faisons-nous en effet quand nous essayons de prévoir ce qui sera à partir de ce qui est ? Nous faisons un dessin, un schéma, un graphique. Les exemples abondent dans les sciences sociales : on essaie par exemple de prévoir l’évolution d’un comportement d’achat C à partir d’un facteur déterminant D dont on a constaté par le passé qu’il était statistiquement lié à C. On fait alors un relevé statistique des liaisons C1D1, C2D2, C3D3, etc. Puis on matérialise ces liaisons sur un graphique faisant apparaître un nuage de points auquel on tente d’ajuster une courbe de régression qui est sensée rendre compte des liaisons fonctionnelles entre les deux facteurs C et D. Dès lors, il n’y a plus qu’à anticiper le comportement C en ne prenant en compte que le seul déterminant D.

Cet exemple montre bien que ce que les économistes par exemple appellent des anticipations rationnelles ne sont possibles que dans la seule mesure où les variations temporelles ne sont qu’un cas particulier des variations spatiales. On fait comme si le temps pouvait naturellement se réduire à n’être qu’une dimension de l’espace. Autrement dit, on fait comme si les intervalles de temps n’étaient qu’un cas particulier d’intervalles d’espace, comme si les moments n’étaient que des segments de courbe, comme si les successions temporelles n’étaient qu’un cas particulier des juxtapositions spatiales. Bref, les anticipations ne sont possibles qu’à condition que le temps n’existe pas comme réalité autonome.

On peut donc dire que la prévision temporelle n’est rien d’autre qu’une métaphore, une manière de parler, puisqu’elle consiste précisément en deux actions :
- projeter les successions temporelles sur un espace et les transformer ainsi en juxtapositions spatiales afin d’analyser géométriquement les données
- tirer de cette analyse géométrique des conclusions sur l’avenir en supposant que cet avenir sera symétrique au passé par rapport au présent, de même que la partie droite d’un axe est symétrique à sa partie gauche par rapport à son origine.
Mais quelles sont les raisons de cette réduction du temps à l’espace ?

B - l’intelligence pratique n’aime pas la nouveauté.

A quelle condition en effet pourra-t-on dire d’une action qu’elle a atteint son objectif ? Eh bien on ne pourra le dire que si effectivement cette action s’est matérialisée en des résultats qui sont objectivement perceptibles. C’est dire qu’une action sera dite efficace que si et seulement si elle se sera accompagnée de manifestations que chacun peut appréhender dans l’espace. L’action du boulanger doit pouvoir être rendue manifeste dans le pain que l’on peut voir, toucher, sentir, goûter. L’action de l’homme politique doit se concrétiser par le fait que l’on n’entend plus les doléances des uns et des autres. Bref, ce qu’on attend de l’action, ce sont des résultats perceptibles, c’est-à-dire spatiaux.

Mais pour comprendre que de tels résultats soient perceptibles, il faut supposer que l’intelligence de celui qui agit s’est appliquée à des fragments de matière pour les modifier, pas à pas, jusqu’à l’obtention du résultat final. Or de quelle manière l’intelligence s’y prend-elle pour modifier la matière, sinon en employant d’autres fragments de matière sous forme d’instruments ? Autrement dit, aussi loin que l’on remonte pour reconstituer le processus d’application pratique de l’intelligence, on ne trouvera que de la matière qui oppose plus ou moins de résistance à sa manipulation. L’action suppose donc que l’intelligence doit résoudre des problèmes d’espace géométrique ou physique (y compris d’ailleurs dans le cas où il faut agir vite -par exemple le médecin face à un patient en danger-, les contraintes de temps sont transformées en contraintes d’espace et résolues par des moyens techniques spécifiques).

C’est pourquoi Bergson écrit dans la Pensée et le Mouvant (ch.I) : “notre action ne s’exerce commodément que sur des points fixes, c’est donc la fixité que notre intelligence recherche : elle se demande où le mobile est, où le mobile sera, où le mobile passe”. Il est donc naturel que, puisque l’action en général n’est confrontée, en dernier ressort, qu’à des problèmes d’espace et non de temps, l’intelligence tende à se donner les moyens techniques, d’une part de réduire le temps à n’être qu’un cas particulier de l’espace, d’autre part de calculer sur cet espace des projections qui tiennent lieu de prévisions temporelles. Dès lors, prévoir consiste à anticiper un déroulement spatial et non une évolution temporelle. Et agir n’est alors rien d’autre qu’accommoder ce qui existe déjà, plutôt que de créer de la nouveauté. Mais alors n’est-il pas possible de prévoir une nouveauté radicale ?

C - la prévision de la nouveauté radicale est une illusion.

Que veut-on dire en effet lorsque l’on prétend expliquer quelque chose d’absolument nouveau dans l’avenir à partir de ce qui préexiste dans le présent ? On entend signifier par là que tout ce qui sera réel demain est déjà possible aujourd’hui. Or de deux chose l’une :
- ou bien ce qui sera réel demain existe déjà à l’état de plan techniquement détaillé sous forme d’anticipations rationnelles, de calculs et de schémas, et alors, comme nous le disions précédemment, le réel de demain n’est qu’un réarrangement du réel d’aujourd’hui, simplement différent dans son déroulement
- ou bien ce qui sera réel demain n’existe qu’à l’état de projet dans une conscience qui, littéralement, se projette dans l’avenir sans définir techniquement tous les détails de son évolution pour la simple raison que ceux-ci restent imprévisibles.

On a donc là l’opposition entre, d’une part l’action qui suppose des contraintes spatiales qui peuvent toutes dans l’idéal, comme le supposait Leibniz, être prévues c’est-à-dire calculées, d’autre part la création qui, elle, suppose au contraire de la liberté dans le temps et donc la nécessité d’attendre et non plus de calculer. Autrement dit on est face à deux paradigmes de comportements opposés :
- d’un côté le technicien qui agit c’est-à-dire qui réalise ce qui est déjà réel en le réorganisant de manière prévisible, ce à quoi on s’attend
- de l’autre l’artiste qui crée c’est-à-dire qui invente quelque chose d’entièrement nouveau en ce que le résultat de sa création est imprévisible, ce qu’on attend.

Mais d’où vient alors le sentiment qu’une création artistique semble déjà en germe dans la personnalité, dans l’histoire, dans le contexte culturel d’un artiste ? Ne peut-on pas considérer par exemple que le romantisme est déjà ébauché dans le classicisme de Rousseau ou d’Hugo ? Pas du tout, répond Bergson, car le romantisme “n’existait pas plus dans la littérature classique avant l’apparition du romantisme que n’existe, dans le nuage qui passe, le dessin amusant qu’un artiste y apercevra en organisant la masse amorphe au gré de sa fantaisie : le romantisme a opéré rétroactivement sur le clacissisme, comme le dessin de l’artiste sur ce nuage” (la Pensée et le Mouvant, ch.I).

Autrement dit la prévision temporelle est toujours une illusion :
- dans le cas du déroulement spatial de l’action précisément parce que le temps est réduit et éliminé au profit de l’espace et la prévision remplacée par une projection
- dans le cas de l’évolution temporelle de la création parce que le temps de l’attente est ici irréductible de sorte que la prévision est remplacée par la prévisibilité, qui n’est qu’une illusion rétrospective ou, comme le dit Bergson, qu’un “mouvement rétrograde du vrai”.
Pourtant ne peut-on pas dire que le passé constitue au moins la condition de l’avenir ?


III - Le passé est la condition mais non pas la cause de l’avenir.

A - l’explication scientifique n’est ni intemporelle, ni certaine, ni nécessaire.

Nous avons vu avec Leibniz les conséquences qui découlent du fait de considérer la conscience comme en dehors du monde des faits : c’est que, dans l’idéal elle est capable de contempler le monde des faits comme une totalité constituée et étrangère au monde de la conscience et, partant, d’en déduire logiquement tous les événements. Nous avons vu qu’au contraire, avec Bergson, il faut distinguer la conscience de l’intelligence : seule celle-ci est capable de s’abstraire du monde des faits et donc d’en calculer le déroulement, tandis que la conscience constitue en elle-même un fait créateur toujours nouveau et donc imprévisible. Mais on se rend compte rapidement que cette distinction entre une intelligence en dehors du temps et une conscience temporelle n’est pas satisfaisante.

En effet, s’il est tentant d’opposer le succès absolu des sciences de la nature en matière de prévision des phénomènes naturels, et les échecs relatifs des sciences dites humaines en ce qui concerne la prévision des phénomènes humains, c’est que l’on part du préqupposé que les sciences de la nature se meuvent dans un univers déterministe, et les sciences humaines dans un univers indéterministe. Dans un cas donc on pourrait idéalement tout prévoir parce que l’on se trouverait dans un cadre d’absolue certitude, dans l’autre cela serait impossible parce qu’au contraire on aurait affaire à un cadre d’incertitude relative. Or cette vision manichéenne semble contredite par trois catégories de faits scientifiques.

Premièrement, il est faux de croire que les systèmes physiques peuvent être décrits en faisant abstraction du temps et donc uniquement en termes de contraintes spatiales tel que le supposait Bergson. En effet, comme l’énonce le second principe de la thermodynamique (ou loi de Carnot), l’entropie d’un système physique isolé est en constante augmentation. Ce qui veut dire que, dans un système physique livré à lui-même le désordre moléculaire s’accroît spontanément (ce que montre l’exemple des matériaux radioactifs qui se désintègrent spontanément). Donc tout système physique, même isolé, possède sa temporalité propre.

Deuxièmement, il est faux de croire que les lois de la physique (et donc a fortiori des sciences qui présupposent la physique comme la chimie et la biologie) énoncent nécessairement des certitudes. Comme le fait remarquer en effet le principe d’incertitude (dit principe de Heisenberg), il est impossible de prédire exactement la situation future d’une particule quantique dans la mesure où il est impossible de connaître à la fois la position et la vitesse d’une telle particule. Donc le devenir d’un particule quantique n’est jamais certain, il n’est que probable.

Troisièmement, tout le monde se rend bien compte à présent que les lois scientifiques ne sont nullement nécessaires puisque ces lois évoluent en fonction des découvertes et des échecs expérimentaux. C’est ce que dit la thèse de la réfutabilité des énoncés scientifiques (ou principe de Popper) : tout énoncé scientifique n’est valide que pour autant qu’il n’a pas été réfuté par les faits (par exemple la thèse du géocentrisme réfutée par l’observation des satellites de Jupiter par Galilée). La validité des énoncés scientifiques n’est alors que provisoire et non nécessaire.

Mais alors, si le fondement de l’explication n’est pas dans des faits intemporels, certains et nécessaires, où va-t-on le trouver ?

B - toute explication manifeste la subjectivité intentionnelle de la conscience.

Supposons que je veuille donner une explication scientifique à un phénomène que je vois pour la première fois. C’est donc que je vais vouloir rendre raison de ce phénomène en en dégageant une structure abstraite qui me donnera, du moins je l’espère, l’essence de ce phénomène. Comment vais-je m’y prendre ? Je vais sans doute commencer par prendre des mesures, faire des schémas, écrire des équations, tracer des courbes. Autrement dit, je vais effectivement, comme Bergson l’a justement remarqué, spatialiser le phénomène en faisant abstraction du temps. Mais est-ce nécessairement , comme le prétend Bergson, parce qu’il faut aboutir immédiatement à un résultat pratique ? Dire cela serait confondre la fonction du scientifique avec celle du technicien, car seul ce dernier doit produire une solution pratique au problème posé. Le scientifique se contente le plus souvent d’une solution théorique. Pourquoi donc alors réduire le phénomène observé à des données spatiales ?

Ce que je désire faire, en tentant de donner une explication scientifique à un phénomène pour moi nouveau, consiste à réduire l’inconnu à du déjà connu. Or qu’est-ce qui est pour moi déjà connu, sinon ce qui a déjà été perçu par mon propre corps ? En traçant des courbes, des équations, des schémas ou même simplement en me représentant mentalement ces objets, je ne fais jamais rien d’autre que de réactiver des courbes, des équations ou des schémas que j’ai déjà perçus par le passé : soit que je les ai vus, soit que j’en ai entendu parler, soit encore que je les ai exécutés oralement, mentalement ou par écrit. 
 
Autrement dit, si j’ai tendance à réduire le phénomène à une simple structure spatiale, c’est simplement parce que mon intention consiste à me projeter vers ces perceptions passées qui, pour moi, constituent le connu auquel je tente de réduire l’inconnu. Mais alors, dire que ma conscience se projette intentionnellement vers des perceptions passées, cela entraîne que je ne cherche pas qu’une explication spatiale au phénomène, puisque justement j’essaie d’adapter ce que je perçois maintenant à ce que j’ai perçu jadis.

Toute tentative d’explication du nouveau par l’ancien est ainsi un projet de mouvement. Projet parce que ma conscience sort d’elle-même, manifeste l’intention d’aller à la rencontre du monde qui l’environne au moyen de la perception. Mouvement parce que ma conscience effectue un va-et-vient permanent entre ce qu’elle perçoit au présent de la réalité du phénomène et ce qu’elle en a perçu dans le passé. Ainsi donc toute explication, fût-elle scientifique, est avant tout subjective en ce qu’elle est toujours l’acte d’une conscience particulière qui essaie de réassumer dans le présent des données qui ont autrefois fait l’objet d’une perception.

C’est ce que dit Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la Perception (III, 1) : ”le projet de mouvement est un acte, c’est-à-dire qu’il trace la distance spatio-temporelle en la franchissant”. Autrement dit, si j’ai l’intention d’expliquer l’avenir par le passé ce n’est pas la preuve que l’espace et le temps ne sont que des illusions (Leibniz), ni celle d’une nécessité pratique (Bergson), mais c’est au contraire le fait d’une conscience qui ne peut percevoir ici et maintenant que ce que le corps a déjà institué ailleurs et jadis. Mais dire que toute explication est subjective ne signifie pas qu’elle soit arbitraire. 

En effet, dit Merleau-Ponty, “l’interprétation que je donne de mes sensations doit bien être motivée, et elle ne peut l’être que par la structure même de ces sensations, si bien qu’on peut dire indifféremment qu’il n’y a pas [...] de jugement qui ne jaillisse de la configuration même des phénomènes, et qu’il n’y a pas [...] de domaine où ma conscience soit [...] assurée contre tout risque d’erreur” (idem). En effet, si nous prétendons fournir une explication scientifique à un phénomène nouveau c’est parce que nous supposons la valeur universelle de nos structures perceptives, ce qui, en particulier, nous permet de nous entendre sur le sens des mots. Toutefois il est impossible de garantir la conscience contre tout risque d’erreur perceptive puisqu’il n’y a pas de point de vue idéal et absolu possible. Autrement dit, la prévision scientifique n’est possible que parce que les perceptions spatiales du présent sont conditionnées par celles du passé.


Conclusion.

Nous avons d’abord pu voir que, à condition de postuler une raison d’être nécessaire et suffisante à toute chose, et en adoptant le point de vue idéal et absolu de cette raison d’être, tous les phénomènes sont déductibles logiquement, c’est-à-dire en faisant abstraction de l’espace et du temps. Puis nous avons remarqué qu’à cette déductibilité idéale, correspondait dans le monde réel une projectibilité des phénomènes, ce qui consiste à réarranger techniquement une réalité dont on suppose qu’elle est sans changement donc intemporelle. Enfin, nous avons constaté que la projectibilité du passé sur l’avenir est fondée non pas sur une nécessité technique mais sur l’intentionnalité subjective de la conscience qui, confrontée à de la nouveauté, cherche à y reconnaître ce qui a déjà fait l’objet de perceptions antérieures.


lundi 8 septembre 1997

SUIS-JE LIBRE LORSQUE J'AGIS PAR DEVOIR ?



Nous avons vu dans la deuxième partie du Gorgias que la justice consiste dans une certaine harmonie des différentes parties de l’âme (ou des différentes parties d’un Etat) : l’élément rationnel de l’âme (ou de l’Etat), éclairé par l’idée du bien, sait ce qu’il doit faire et imposer aux autres éléments irascible et concupiscible. Dès lors, le devoir ne peut pas manquer d’être voulu, puisque précisément ce que l’âme (ou l’Etat) veut être n’est rien autre que ce qu’elle sait devoir être. Bref, la volonté d’accomplir le devoir n’est pas libre, puisqu’alors cela signifierait qu’elle a le choix entre plusieurs possibles, donc qu’elle ne sait pas ce qui est bien, donc qu’elle n’est pas une volonté mais un désir. Et d’ailleurs, Platon, au livre VIII de la République, fait de la liberté l’expression du désir irrationnel et de son excès la source de l’injustice.

Nous allons donc nous poser le problème suivant : le fait d’être conscient d’une obligation morale m’autorise-t-il ou au contraire m’interdit-il de choisir ? L’enjeu est éthique et juridique puisqu’il s’agit de savoir dans quelle mesure les deux axes apparemment indépendants, qui sous-tendent les lois humaines, la liberté et le devoir, sont compatibles si ce n’est complémentaires. 

 


I - Je suis libre lorsque j’ai conscience d’agir selon la nécessité naturelle.



A - être contraint consiste à subir l’effet des causes extérieures.



Nous avons vu dans le cours sur les passions que l’état nécessaire de tout être (humain, animal, végétal, minéral) est un certain effort pour être ce qu’il est. Nous dirions aujourd’hui que, dans un système physique isolé, la quantité d’énergie reste constante : tant que rien ne vient perturber l’équilibre interne d’un être, celui-ci tend à rester le même. C’est ce que dit Spinoza dans Ethique III, VII : “L’effort [conatus] par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien en dehors de l’essence actuelle de cette chose”.



Donc, si tout être en général tend à rester le même pourvu qu’il ne soit pas perturbé, cela implique que l’être, en tant qu’il est isolé, existe certes mais reste sous la menace permanente d’une perturbation externe. Cela revient à dire que l’être en général, quel qu’il soit, existe en acte (selon son “essence actuelle”) tant que sa nature n’est pas niée de l’extérieur par l’effet d’une perturbation quelconque. Il s’ensuit donc que tout être qui verra sa nature niée par l’effet d’une cause extérieure, n’existera plus en acte mais seulement à l’état de chose qui subit, qui est à le jouet de forces qui le dépassent. Nous dirons donc que toute chose, en tant qu’elle subit l’effet de causes extérieures à sa nature, est contrainte.



Or dans le cas particulier de l’être humain, nous avons vu que cet état de passivité, de réceptivité à l’égard de ce qui tend à détruire sa nature propre, nous l’appelons passion. Donc cet état proprement humain dans lequel l’être est contraint par des causes extérieures, l’état de passion, est précisément l’état dans lequel l’être humain est contraint à modifier sa nature. La première condition pour ne pas subir est donc de ne pas être isolé, car, dans la mesure où je le suis, je suis extrêmement sensible aux sollicitations venues de l’extérieur, je suis donc le jouet potentiel de causes extérieures qui tendent à modifier ma nature propre. Au contraire, en m’associant de quelque manière à mes semblables, je suis partie intégrante d’un corps moins fragile que mon seul corps biologique, et qui, à ce titre est mieux capable de résister à la contrainte.



Mais suffit-il de résister à la contrainte extérieure pour prétendre agir librement ? Autrement dit quelles sont les conditions pour que ce que je dois faire soit conforme à la nature commune?



B - agir consiste à causer adéquatement un effet.



Il est clair qu’il y a en nous des changements, que ces changements donnent lieu à des représentations mentales et que ces représentations sont des motivations pour nos actes. Nous disons couramment que nous devons faire ceci ou cela, au sens où nous nous représentons un but et que ce but exige d’être atteint, c’est-à-dire que nous supposons que notre motivation cause notre comportement. Est-ce à dire que notre représentation contraint notre comportement, donc que notre représentation nous empêche d’agir librement ? Ce serait condamner la liberté à n’être que l’autre nom du hasard.



En admettant donc que nos motivations causent nos actes, si nous voulons savoir si nous sommes libres ou contraints, nous devons remonter en amont de la représentation et nous demander comment est possible la représentation d’un but. En effet, si en cherchant ce qui cause la représentation nous trouvons une cause qui, d’une manière ou d’une autre, appartient entièrement à notre nature propre, nous pourrons affirmer que nous sommes la cause adéquate de notre motivation à agir, et ainsi nous pourrons dire que nous faisons librement ce que nous devons.



C’est pourquoi Spinoza dit la chose suivante : “Nous sommes actifs lorsque, en nous ou hors de nous, se produit quelque chose dont nous sommes la cause adéquate, c’est-à-dire lorsque, de notre nature, il suit en nous ou hors de nous quelque chose que l’on peut comprendre clairement et distinctement par elle seule” (Ethique, III, déf.2). La condition pour que nous puissions agir et non plus seulement subir est donc que nous soyons nous-mêmes la cause totale de ce que nous devons faire. Si en effet ce que nous devons faire s’ensuit uniquement d’une cause suffisante (Spinoza dit d’une cause “que l’on peut comprendre clairement et distinctement par elle-seule”) qui est située en nous, alors par hypothèse, rien de ce que nous devons faire n’est l’effet d’une cause extérieure, et dans ce cas de figure nous agissons, nous ne subissons pas.



Mais pourquoi Spinoza dit-il que nous sommes actifs mais non pas libres, puisque, apparemment les deux termes doivent être synonymes ? Autrement dit pouvons-nous être en même temps actifs sans être libres ?



C - être libre c’est agir conformément à la nécessité de la nature.



Eh bien supposons que, par ma nature, je sois enclin à être serviable, ouvert, altruiste, secourable, etc. Dans cette hypothèse, en portant secours à une personne en difficulté je ne fais que me comporter selon ma nature, donc j’agis, je ne subis pas. Supposons maintenant que je porte secours aux personnes qui me sont proches et à celles-ci seulement (par exemple je donne mon sang pour sauver quelqu’un de ma famille, ou je donne de l’argent pour aider ceux qui ont la même nationalité que moi). Dira-t-on que je suis libre ? Non parce que mon action est dictée par le hasard : hasard de la naissance, hasard de la rencontre, etc.



On sent qu’il manque ici une condition à la liberté du devoir. Je suis libre si mon comportement n’est pas dicté par une cause extérieure, certes, mais il faudrait aussi qu’il ne soit pas dicté non plus par le hasard. Bref, il faudrait que mon action soit nécessaire. Il faudrait donc que mon action s’effectue en connaissance de causes, c’est-à-dire, littéralement, que moi-même, en tant que cause adéquate de mon action, je sache que j’en suis la cause.



Donc je ne ferai librement mon devoir que si, non seulement je fais ce que je dois, mais encore si je sais ce que je dois. C’est dire que je n’agirai librement qu’à la double condition d’être la cause adéquate, c’est-à-dire suffisante de ce que je fais, mais aussi d’en être la cause rationnelle, autrement dit nécessaire, puisque précisément la raison est la faculté de connaître ce qui doit être, ce qui est nécessaire. On peut donc en conclure que, si être libre c’est faire et être conscient de faire ce qui est naturellement nécessaire, alors le devoir n’est pas un problème puisqu’il se confond avec la liberté.



Mais alors on est devant un curieux paradoxe : en faisant ce que je dois faire, c’est-à-dire ce qui est nécessaire je suis libre certes, mais je ne choisis pas. Donc je ne suis libre que dans le sens, très restrictif, où rien autre que ma nature ne me pousse à agir. D’où la question : existe-t-il une forme de liberté moins restrictive qui soit compatible avec le devoir ?




II - Je suis libre lorsque j’ai conscience d’agir par respect pour la loi morale.



a - être libre consiste à n’être pas soumis à la nécessité naturelle.



Le type de liberté tel que nous l’avons abordé du point de vue de Spinoza est le seul possible si on admet, comme Spinoza, qu’il n’existe qu’une seule substance (Dieu ou la Nature) de laquelle l’être humain participe et dont il ne peut donc pas refuser la loi nécessaire. Mais dans cette perspective on peut évidemment se demander pourquoi les lois nécessaires de la nature ont produit quelque chose comme l’esprit humain. Spinoza répondrait sans doute que cet esprit n’est qu’un attribut de la substance unique, donc n’est qu’un certain point de vue sur la substance. Mais là encore on pourrait en demander la raison.



Si l’on accorde plus simplement que la nature ne fait rien sans raison, on doit aussi admettre que la raison d’être de l’âme n’est pas celle du corps, dans le sens où la destination de l’une n’est pas celle de l’autre. Oui mais alors cela signifierait-il qu’il y a deux natures, une pour l’âme, l’autre pour le corps ? Si tel était le cas, on ne serait pas plus avancé : la nature matérielle déterminerait le corps, la nature intelligible déterminerait l’âme et donc notre action serait toujours déterminée par une nécessité naturelle. Or justement nous essayons de voir s’il existe une forme de liberté qui soit compatible avec une forme de devoir qui ne soit pas une nécessité naturelle.



Or nous observons que tout dans la nature obéit à la loi nécessaire de la cause et de l’effet. C’est parce qu’il existe une telle loi qu’une science de la nature est possible. Et, à cet égard, aucun phénomène naturel n’est considéré comme libre précisément parce qu’il n’est qu’un effet dont les causes régressent à l’infini. On veut dire par là que la condition sine qua non de la liberté est le pouvoir de commencer sans être précédé par une cause dans le temps. C’est pourquoi Kant dit : “J’entends par liberté, au sens cosmologique, la faculté de commencer par soi-même un état dont la causalité ne rentre pas à son tour, suivant la loi naturelle, sous une autre cause qui le détermine dans le temps” ( Critique de la Raison Pure, D.T., L.II, ch.II, 9°sect., III).



Mais, si on accorde que la liberté consiste à échapper à la loi de nécessité naturelle, on remar- que pourtant qu’une telle condition est extrêmement générale (“au sens cosmologique” dit Kant). On doit donc se poser la question de savoir quelle est son utilité pratique, c’est-à-dire se demander si, dans le domaine proprement humain de l’action morale, une telle liberté est compatible avec le devoir moral.



B - agir par devoir c’est agir par nécessité morale.



Demandons-nous d’abord ce que signifie l’expression je dois. Elle indique trois choses :

- elle indique d’abord que quelque chose n’est pas, c’est-à-dire que quelque chose ne suit pas de l’ordre naturel des phénomènes. Si je dois porter secours à autrui, je veux dire que, en laissant faire le cours normal des choses, le secours n’aura pas lieu.

- elle indique ensuite que cette chose, ne dépendant pas d’une loi de nécessité naturelle, ne dépend en réalité que de celui qui la pense. Autrement dit, la chose que je dois accomplir n’est pas un simple effet naturel mais une fin morale.

- elle indique enfin que cette chose n’aura réellement lieu que si et seulement si je l’accomplis effectivement. Je veux dire par là que, en pensant un devoir, je suppose que ma bonne volonté est la condition nécessaire de sa réalisation.



A l’inverse, si j’accomplis une action (par exemple porter secours à une personne dans la difficulté) dans l’intention de me faire remarquer, ou de conforter la bonne image que j’ai de moi-même, ou pour prouver que j’en suis capable, etc. c’est-à-dire dans la mesure où j’aurai un intérêt sensible (un mobile), je ne pourrai prétendre que j’agis par devoir. En effet, dans ces cas de figure, ce n’est pas ma pure volonté qui va s’imposer un but à atteindre, mais mon inclination sensible qui va suivre sa pente naturelle pour satisfaire sa propre nature. Donc je n’agirai par devoir qu’à la condition nécessaire et suffisante que je ne sois pas mobilisé par un intérêt sensible, mais au contraire, motivé pour un intérêt rationnel.



Résumons ces deux aspects du devoir par trois citations de Kant extraites des Fondements de la Métaphysique des Moeurs (1° sect.) :

- “une action accomplie par devoir tire sa valeur morale [...] uniquement du principe de la volonté

- donc une action sera dite morale à la condition “quelle soit faite non par inclination mais par devoir

- donc “le devoir est la nécessité d’accomplir une action par respect pour la loi”.



Arrivés à ce point nous sommes amenés à nous demander en quoi agir par devoir, c’est-à-dire par nécessité morale, nous rend libres, c’est-à-dire nous fait échapper à la nécessité naturelle. 
 


C - agir par devoir moral, c’est donc agir librement.



En effet, nous avions commencé par poser comme condition universelle à l’exercice de la liberté le fait d’échapper à la nécessité naturelle, après quoi nous montrions que la condition universelle à l’exercice du devoir est le fait d’agir par nécessité morale. Quelle relation y a-t-il donc entre la négation de la nécessité naturelle et la réalisation de la nécessité morale ?



On pourrait dire que c’est justement dans la mesure où la nécessité morale n’est pas aussi contraignante que la nécessité naturelle, que le devoir moral nous rend libre. Dans ce cas la liberté consisterait à choisir entre deux nécessités : l’une naturellement absolue, l’autre moralement relative. Bref, la liberté se concilierait avec le devoir dans le relativisme moral : je suis libre dans la mesure où je sais bien que je dois porter secours à cette personne, mais au fond, comme nul n’est au courant que je le dois, j’ai la possibilité d’ignorer totalement ce que mon devoir me prescrit.



Mais une telle solution relativiste n’est pas satisfaisante pour deux raisons :

- d’abord parce que la liberté, comme pouvoir de choisir, c’est-à-dire d’arbitrer entre des possibles, si elle n’est pas motivée absolument, est inopérante. Si ma liberté consiste, comme on le croit souvent, à me représenter plusieurs possibles sans me fournir de jugement de valeur sur ce que je dois choisir, je suis alors dans la position de l’âne de Buridan, et ma liberté n’est que l’autre nom du hasard.

- ensuite parce que le devoir, s’il n’est pas une motivation absolue pour la volonté, n’est plus un devoir. Une nécessité, si elle n’est pas absolue, n’est plus une nécessité. Je ne puis donc parler de devoir qu’à la condition de me représenter une nécessité absolue qui me contraint, autrement dit un impératif catégorique qui est une loi pour ma volonté.



On se rend compte que les concepts de liberté et de devoir sont coextensifs, ils s’appliquent à la même réalité, à savoir la raison humaine. Il n’y a en effet qu’une raison humaine qui soit capable d’être libre, au sens où elle se représente non pas ce qui est mais ce qui doit être, c’est-à-dire se représente une loi morale valable universellement. C’est pourquoi nous dirons avec Kant : “En quoi peut donc bien consister la liberté de la volonté, sinon dans une autonomie, c’est-à-dire dans la propriété qu’elle a d’être à elle-même sa propre loi [...] une volonté libre et une volonté soumise à des lois morales sont par conséquent une seule et même chose” (Fondements de la Métaphysique des Moeurs 3°sect.).



Nous conclurons en disant que, si la liberté est le pouvoir que possède un être de se soustraire à la nécessité naturelle c’est-à-dire à l’enchaînement infini des causes et des effets, alors cela revient au même de dire que ce pouvoir consiste à se détourner de nos préoccupations sensibles pour se tourner vers le domaine de la pure rationalité où rien n’est fait mais tout est à faire.



Mais il y a un problème : si être libre consiste à opter pour la nécessité morale plutôt que pour la nécessité naturelle, c’est qu’il faut déjà faire un choix. N’existe-t-il donc pas une liberté encore plus fondamentale, une liberté d’avant le devoir ? 
 



III - Je suis libre en ce que je choisis de m’imposer des devoirs.



A - les motifs sont dans la conscience et non pour la conscience.



Prenons l’exemple que Sartre donne dans l’Existentialisme est un Humanisme. Supposons un jeune homme qui, lors de l’offensive allemande de 1940 hésite entre deux partis : soit il s’engage dans la Résistance mais il abandonne alors sa mère malade, soit il reste auprès de sa mère mais il trahit ses idéaux. Sartre dit que ce jeune homme est venu lui demander conseil mais il montre que cette démarche est la manifestation d’une angoisse. En effet, au moment du choix il est condamné à être seul : quels que soient les mobiles ou les motifs qui seront invoqués lors de l’entretien (amour, idéal, passé, avenir, morale, amitié, sentiment de honte, etc.), c’est, au bout du compte, au sujet conscient qu’il appartiendra de se choisir. Pourquoi ?



Si en effet un sujet dit : <<Je choisis la solution A à cause du motif B>>, il veut dire en réalité la chose suivante : <<Etant donné l’existence de B, je ne peux pas faire autre chose que A>>. Il veut donc dire que B est objectif, qu’il a une existence réelle dont la conscience est obligée de tenir compte et donc que A se déduit logiquement de B. Ce qui suppose deux choses : d’abord que B est antérieur à A, ensuite que B implique A.



Or, premièrement, B est en réalité postérieur à A. Le motif est ce qui permet de justifier la décision. Ce qui se passe en réalité dans la conscience, c’est qu’une fois la décision prise, on essaie de la faire tenir dans un cadre théorique donné. Concrètement, je choisis A (plutôt que A’ ou A”) parce que il me semble que A s’inscrit mieux dans B que A’ dans B’ ou que A” dans B”. Donc la décision est là avant le motif.



Et, deuxièmement, A ne se déduit pas de B (ni d’ailleurs B de A), car si tel était le cas, on voit mal pourquoi on aurait à choisir. Si une action particulière se déduisait d’une théorie générale, il n’y aurait en effet qu’à s’asseoir à sa table de travail et calculer patiemment tous nos actes jusqu’à la fin de notre vie. Or ce n’est pas possible parce que l’avenir est imprévisible, autrement dit incalculable.



C’est pourquoi Sartre écrit : “Quand je délibère, les jeux sont faits [...] parce qu’il entre dans mon projet originel de me rendre compte des mobiles par la délibération”(l’Etre et le Néant IV,I, 2). L’important c’est qu’il n’y a de motifs ou de mobiles (les deux termes sont synonymes ici) que dans notre propre conscience, et non pas pour elle. Mais qu’est-ce qui donne à la conscience un tel pouvoir de se justifier par des motifs ?



B - liberté et conscience sont synonymes.



Qu’est-ce donc qu’une conscience ? Eh bien ce n’est rien d’autre qu’un ensemble de possibles qui, en définitive, se trouvent réalisés ou manqués. En effet, si l’on admettait comme Spinoza qu’elle n’est qu’un mode de l’entendement infini de Dieu, on verrait mal pourquoi elle devrait échouer, et si, comme Kant qu’elle n’est qu’une idée transcendantale, on comprendrait mal qu’elle pût réaliser quoi que ce soit. En disant qu’elle n’est qu’un ensemble de possibilités, on souligne le fait qu’elle n’est rien, mais qu’elle peut quelque chose.



Autrement dit, la conscience n’a pas de nature (ou d’essence) puisqu’elle n’est rien, mais en même temps elle est un projet (ou existence) puisqu’elle peut quelque chose. La conscience n’ayant donc pas de nature définie (Sartre dit qu’elle est un néant), sa seule valeur réside dans ce qu’elle accomplit effectivement.. Kant dit que le bien et le mal résident dans l’intention moralement bonne ou mauvaise. Mais qui peut donc bien connaître la valeur a priori de l’intention, sinon Dieu ? Et quand bien même, en quoi la conscience humaine serait-elle liée par le jugement de Dieu ? Tout cela pour dire que rien ni personne ne pose de limites aux possibilités de la conscience : celle-ci, avant d’avoir réalisé quelque chose, n’est rien. Autant dire qu’elle est infiniment libre.



Dans l’Etre et le Néant (IV, I, 1), Sartre écrit : “Je suis condamné à exister pour toujours par delà mon essence, par delà les mobiles et les motifs de mon acte, je suis condamné à être libre”. Rien donc ni personne n’a le pouvoir de limiter mon champ de conscience donc ma liberté d’agir dans la mesure même où, avant d’agir je ne suis rien. C’est par le choix permanent que je fais de mes actes, bref, c’est par mon projet que j’existe. Quoi que je fasse, j’ai toujours la faculté de faire ou bien de ne pas faire. Mais alors comment justifier le sentiment du devoir qui semble bien pourtant constituer une restriction à ma liberté ?



C - le devoir n’est qu’une tentative désepérée pour limiter ma liberté.



Si, de fait, ma liberté se confond avec ma conscience, d’où peut bien venir que je sois conscient de quelque entrave à ma liberté sous la forme du devoir qui, de toute évidence, limite les possibilités de mon choix ? D’où vient que j’aie le sentiment confus de ne pas pouvoir faire tout ce que je veux ?



C’est que justement, en tant que ma liberté est la substance de mon existence, je m’aperçois très vite (dès la petite enfance) du caractère absurde de ce que je choisis de faire. Absurde dans le sens où, dans le fond, je suis seul à pouvoir justifier des actes dont je suis entièrement responsable. Je me rends donc bien compte que dans ce que je fais, il n’y a aucune nécessité : mes actes sont absolument contingents (ou factices). Il s’ensuit que, lorsque j’agis, je ne puis jamais être certain du bien-fondé de mes actes. D’où le malaise permanent qui naît de cette incertitude : l’angoisse.



D’où le subterfuge que nous inventons tous afin de tenter d’apaiser notre angoisse devant l’infinité de notre liberté et de notre responsabilité : la mauvaise foi. Celle-ci consiste à me mentir à moi-même en me présentant comme une nécessité pour la conscience ce qui n’est qu’une contingence dans la conscience. Dès lors, invoquer le devoir comme motif de mon choix, cela revient à poser ma décision comme conséquence nécessaire qui se déduit logiquement d’un motif posé comme objectif.



Le devoir apparaît alors comme une auto-limitation de la liberté que la conscience choisit librement afin d’éviter un recours trop fréquent à la volonté réflexive. Car en effet ce sont les actes qui font appel à la volonté, donc à la réflexion, qui sont générateurs d’angoisse. C’est donc ma propre liberté qui, après avoir décidé de l’action à entreprendre, choisit de se justifier en invoquant le devoir, c’est-à-dire l’absence de volonté. Mais ceci n’est qu’une conduite de mauvaise foi :

- foi parce qu’une telle conduite à pour but de provoquer une croyance suffisamment forte pour qu’à l’avenir, je m’abstienne de recourir à la volonté réflxive génératrice d’angoisse

- mais mauvaise parce que je réussis à me tromper moi-même et ainsi à me faire fuir mes responsabilités toujours réelles dans la mesure où le devoir nie la volonté certes, mais non l’intention de se justifier en invoquant le devoir.



Le devoir est donc bien une limitation de la volonté destinée à apaiser l’angoisse de la liberté, mais, en tant que choisi par la conscience, il manifeste la liberté inaliénable de l’intention. Mais l’objet de la liberté est-il réellement l’intention ?




IV - Je suis libre lorsque je recommence ce que d’autres ont déjà fait.



A - devoir et liberté s’opposent comme l’extérieur et l’intérieur.



Peut-on dire en effet que l’intention soit radicalement libre sans tomber dans des contradictions manifestes avec le sens commun ? Car de deux choses l’une :

- ou bien c’est dire que l’intention est libre à la racine, originellement, et qu’ensuite cette liberté est susceptible de se corrompre jusqu’à ne plus du tout se manifester dans l’expérience quotidienne

- ou bien c’est dire que l’intention est, par elle-même, radicale, c’est-à-dire qu’elle est libre en tant qu’elle n’est qu’un pur phénomène de conscience distinct de toute réalisation concrète.

Or, dans ces deux cas le sens commun est choqué de constater que sa principale difficulté, à savoir le passage à l’acte, n’est en rien résolue. Il est évident qu’aucune personne en état de dépendance physique à l’égard d’une substance quelconque ne se prétendra libre d’absorber ou non sa drogue sous le seul prétexte qu’elle est capable de se dire après coup qu’elle aurait pu ne pas l’absorber.



On pourrait dire, comme Spinoza, que la personne physico-dépendante n’est pas libre dans la mesure où elle n’agit pas par la seule nécessité de sa nature, mais qu’elle agit sous l’effet d’une contrainte extérieure. Oui mais alors comment justifier le cas de conscience qui se pose à celui qui agit sous la contrainte et cependant regrette après coup son action ? On pourrait dire avec Kant qu’une telle personne est effectivement libre dans la mesure où elle est dotée d’une bonne volonté, en l’occurrence de la volonté pure de mettre un terme à sa dépendance, mais que son corps obéit à une causalité naturelle qui contrarie la finalité morale qu’elle s’est assignée. Mais là encore, la liberté dont il est question est purement formelle, sans conséquences matérielles.



Toutes ces explications ont en commun le présupposé suivant : pour être libre il faut et il suffit d’être indifférent aux conditions de son existence. Il faut et il suffit d’être fidèle à sa nature pour Spinoza, fidèle à sa destination morale pour Kant, et, s’il n’existe pas de nature humaine, d’assumer l’absurdité de son existence pour Sartre. Ou, si l’on préfère, être libre, c’est refuser de se laisser dominer par son environnement, qu’il soit physique ou humain. Ce qui suppose tout à fait clairement que notre environnement a sur nous des tendances tyranniques. D’où évidemment le conflit entre la liberté d’être soi-même et le devoir qui est la concession faite à l’environnement : être libre signifierait être le même et faire son devoir signifierait être étranger à soi.



D’où la question : suis-je libre lorsque je suis seul, c’est-à-dire lorsque je ne dois rien à mon environnement ?



B - la désolation n’est pas la liberté.



Supposons une situation où un homme ne doit absolument rien à son environnement, c’est-à-dire une situation encore plus radicale que le premier état de nature de Rousseau (où l’homme, on s’en souvient, est soumis au commandement de la nature) : l’état de désolation dans lequel se trouve un homme qu’un pouvoir absolu a privé de toute norme morale. Dans cet état extrême (de dépendance physique, d’emprisonnement, de terreur politique, etc.) l’homme désolé est précisément prêt à tout pour survivre. Autrement dit, dès lors que son unique objectif est la préservation de sa vie biologique dans un environnement qui ne lui donne qu’une seule possibilité, aussitôt tout est permis. En effet, les normes morales de limitation ou d’interdiction n’ont de sens que dans la mesure où elles fournissent des critères d’évaluation entre plusieurs possibilités concurrentes. S’il n’y a pas de concurrence, tout est permis.



Nous avons vu précédemment que le devoir est, d’une manière ou d’une autre, une concession que l’individu fait à son environnement. Or un individu qui n’aura que sa survie biologique pour unique possibilité, ne fera aucune concession. Il va sans dire que le prisonnier torturé qui fait son devoir en n’avouant pas sous la torture est encore quelqu’un qui a au moins deux possibilités réelles, c’est-à-dire dotées de valeurs morales distinctes : vivre dans l’infâmie ou mourir dans la dignité. Mais si le même individu ne se représente que la simple alternative vivre ou ne pas vivre, tout est différent : il aura le comportement de l’animal traqué qui tente par instinct de conservation, de se maintenir en vie. Dans un cas nous avons l’action libre de celui qui choisit une certaine mort plutôt qu’une certaine vie, dans l’autre nous aurons le comportement instinctif de celui à qui tout est permis pour sauver sa peau.



C’est pourquoi nous considérons que celui qui est mû par la seule nécessité de se maintenir en vie n’est pas libre : celui que la terreur maintient dans un état de désolation, c’est-à-dire un état où seule la vie biologique individuelle importe, celui-là n’est pas en mesure de faire des choix, c’est-à-dire d’assigner des valeurs à des possibilités réellement concurrentes. Donc s’il n’est pas libre, c’est précisément parce qu’il n’a aucun devoir puisque ce sont ces devoirs qui lui permettent d’évaluer une situation et partant de choisir. Mais concrètement de quelle manière nos devoirs nous permettent-ils d’être libres ?


C - la liberté est une sorte de virtuosité.



Si l’homme désolé, c’est-à-dire moralement isolé, n’est pas libre, c’est donc que la liberté requiert (contrairement à ce qu’affirme Rousseau) des relations morales entre les individus. Celles-ci vont donc permettre à tout individu d’évaluer toute situation nouvelle à partir des normes qui ont cours dans une communauté donnée. Or cette synthèse entre des normes anciennes et l’évaluation nouvelle d’une situation donnée, c’est cela même qui constitue l’action : “L’action humaine [...] a partie liée avec la pluralité humaine [qui] repose sur le fait de la natalité grâce auquel le monde humain est constamment modifié par des étrangers nouveaux venus dont les actions et réactions ne peuvent être prévues.” (Hannah Arendt - la Crise de la Culture - II, I).



Dès lors, être libre consiste non pas à accomplir un devoir de manière automatique et servile mais plutôt à prendre l’initiative d’actualiser un principe moral ou juridique en fonction de la nouveauté, à la fois de la situation qui se présente, et de la personnalité de l’individu qui agit. Je ne puis donc être libre que parce que la communauté humaine au sein de laquelle je vis m’a transmis ses normes de jugement que je reçois dans un premier temps passivement sous la forme de devoirs (je sais que si S a lieu alors je dois faire T), puis qui sont assumées sous forme d’actions effectives (je suis dans la situation S, je vais donc agir en accomplissant T à ma façon).



C’est pourquoi Hannah Arendt écrit dans la Crise de la Culture (IV, II) : “La liberté comme inhérente à l’action est peut-être illustrée le mieux par le concept machiavélien de virtù, l’excellence avec laquelle l’homme répond aux occasions que le monde lui révèle sous la forme de fortuna. Son sens est rendu de la meilleure façon par <<virtuosité>>.” En effet, le lien entre le devoir et la liberté ne peut pas être mieux représenté que par l’exemple de la partition musicale à laquelle le musicien doit se référer mais à laquelle il va aussi apporter sa libre interprétation. Et lorsque l’on dit que tel musicien est un virtuose, on ne fait rien que reconnaître sa capacité à prendre des initiatives, à innover, à créer quelque chose de toujours nouveau à partir d’une partition immuable. Bref, l’homme libre, c’est celui qui, loin d’être indifférent à son devoir, saisit l’occasion qui lui est fournie d’interpréter ses obligations morales ou juridiques.



Si donc nous admettons que la communauté humaine ne constitue pas pour l’individu une simple partie de son environnement physique auquel la liberté serait la capacité de se rendre indifférent, mais ce par quoi il existe des principes moraux ou juridiques, alors la liberté n’est pas limitée par le devoir mais plutôt rendue possible par celui-ci.





Conclusion.



Nous avons donc vu que si tout mon être est soumis à une causalité naturelle, alors je suis libre en me soumettant consciemment à cette nécessité ; mais que si l’existence de ma pensée manifeste une destination non naturelle, alors je suis libre en posant une fin morale et en m’y assujettissant ; donc que le fait de poursuivre une fin quelconque manifeste la liberté imprescriptible de ma conscience qui se prescrit à elle-même ses devoirs ; de sorte que ma liberté ne s’oppose pas aux devoirs comme à des limitations externes mais se fonde sur la possibilité permanente de les interpréter.