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samedi 2 janvier 2010
LA TECHNIQUE EST-ELLE NECESSAIREMENT LIBERATRICE ?
E1 - La technique est-elle nécessairement libératrice ?
La technique est-elle nécessairement libératrice ? Par nature, la technique n'est-elle pas, avant tout, destinée à ne libérer que ceux dont elle épargne les efforts physiques ? Et pourtant, la technique n'a-t-elle pas montré sa capacité à affranchir tous les hommes d'un certain nombre de leurs limites physiques ? Cela dit, le développement récent de la technique ne fait-elle pas de celle-ci un instrument d'aliénation universelle plutôt que de libération universelle ? Nous allons donc approfondir l'idée que la tekhnè vise la production comme préoccupation dévolue à l'esclave, ce qui permet à l'homme prudent, c'est-à-dire libre, de se consacrer à l'action politique qui est le mode de vie authentiquement humain. Et pourtant, le fait de considérer les corps biologiques comme des machines a conduit les avancées technologiques à se mettre au service de la médecine en épargnant toujours plus aux hommes de soucis liés à leur santé. Cela dit, il est manifeste que les innovations technologiques caractéristiques du système de production capitaliste ont contribué, non seulement à aliéner les travailleurs au profit des capitalistes, mais aussi à aliéner l'ensemble de l'humanité à la nécessité de consommer.
I - La tekhnè vise la production comme préoccupation dévolue à l'esclave, ce qui permet à l'homme prudent, c'est-à-dire libre, de se consacrer à l'action politique qui est le mode de vie authentiquement humain.
La publicité présente toujours une innovation technique comme une solution définitive à un problème qui, de toute éternité, à toujours hanté le genre humain : par exemple, le dernier téléphone portable, dit de nième génération, va enfin permettre à ses heureux possesseurs de vivre une vie pleinement humaine, libre, heureuse et épanouie.
(E111) Nous avons vu qu'Aristote distingue deux sortes d'existence parmi les êtres qui ont apparence humaine : les uns, dont le mode d'existence est l'existence humaine (bios), sont des hommes libres et agissent, c'est-à-dire délibèrent de ce qui est bon pour la Cité ; tandis que les autres, dont le mode d'existence est l'existence animale (zôè), sont des esclaves et produisent (D116). C'est pourquoi, nous dit là Aristote, « il faut distinguer la production [poïèsis] et l’action [praxis] »(Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 1140a-b). Chacune se reconnaît à un type d'activité approprié : les esclaves qui existent dans la zôè et dont la nature est la production (poïèsis), sont destinés à avoir l'art (tekhnè) comme activité ; tandis que les hommes libres qui vivent dans la bios et dont la nature est l'action (praxis), ils sont destinés à avoir la prudence (phronèsis) comme activité. On ne peut donc dissocier la production (poïèsis) de l'art (tekhnè), car « tout art [tekhnè], quel qu’il soit, tend à produire. Ses efforts, sa recherche des principes n’ont jamais qu’un seul but : c’est de faire naître quelque chose […] dont le principe est uniquement dans celui qui produit et non point dans la chose qui est produite […]. L’art [tekhnè] est donc un certain mode d’existence orienté vers une production [poïèsis] dirigée par des règles »(Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 1140a-b). Autrement dit, si nous avons besoin de l'art (tekhnè), c'est parce que nous devons produire, c'est-à-dire faire naître quelque chose qui, sans cela, ne viendrait pas spontanément à l'existence. E.g. comme il n'appartient pas à la nature des épis de blé de pousser en quatité suffisante et dans un lieu facile d'accès pour satisfaire les besoins alimentaires d'une population donnée, c'est l'art (tekhnè) agricole qui y pourvoit en imitant la nature (phusis), en quelque sorte. Or, comme les objets de l'art (tekhnè) ne doivent leur existence qualitative et quantitative qu'aux hommes, il faut bien que ce soient eux qui fixent l'objectif de les produire et qui délibèrent sur les moyens de les produire. Plus exactement, c'est la nature des hommes hommes libres (bios) que de vouloir fabriquer des objets dont le principe est en eux-mêmes et non dans la la chose produite. Aristote appelle prudence (phronèsis) une telle activité pour laquelle on comprend que le langage est indispensable (DMA) : « quant à la prudence [phronèsis], elle tend à faire agir. On peut en avoir une idée en considérant […] le trait distinctif de l’homme prudent [phronimos] : être capable de juger et de vouloir comme il convient les choses qui peuvent être bonnes et utiles […] c’est-à-dire contribuer à sa vertu et à son bonheur […]. Le but de la production est toujours différent de la chose produite, tandis que le but de l’action n’est toujours que l’action elle-même, puisque la fin qu’elle se propose ne peut être que de bien agir »(Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 1140a-b). On voit donc qu'il existe une division sociale des tâches entre ceux qui agissent avec prudence (phronèsis) et ceux qui produisent avec art (tekhnè).
(E112) S'agissant donc du mode d'existence ressemblant à l'existence animale (zôè) et qu'Aristote qualifie de production (poïèsis) en ce qu'elle consiste dans l'utilisation de l'art (tekhnè), il va de soi qu'il nécessite la présence d'outils. En effet, il suit de ce que nous avons dit précédemment que, pour imiter la nature (phusis), l'art (tekhnè) a besoin d'instruments, c'est-à-dire de moyens pour faire venir à l'existence ce qui a été délibéré par l'intelligence. Or, « de même que les arts [tekhnai] doivent recourir à des instruments appropriés si l’on veut que la production soit menée à bonne fin, de même en est-il en ce qui concerne l’administration familiale [oïkonomia]. Les instruments sont soit inanimés, soit animés : pour le pilote, le gouvernail est un instrument inanimé, alors que le timonier est un instrument animé, puisque l’exécutant dans les différents métiers entre dans la catégorie de l’instrument »(Aristote, Politique, I, 1253b-1254a). Donc, on peut dire que l'utilisateur final de la technique (ce mot vient évidemment de tekhnè1), celui qui tient l'outil, est lui-même un instrument animé dans la mesure où la seule partie de son être qui importe, c'est sa main, par extension, ses bras, ses muscles (d'où l'expression très significative de "main d'oeuvre"). En tout cas la main, qu'elle soit biologique ou sociale (main-d'oeuvre), est toujours au service d'une intelligence : « c'est parce qu’il est le plus intelligent des êtres que l'homme a des mains »(Aristote, Parties des Animaux, 687a) (D223). Et, dès lors que la main et l'intelligence n'appartiennent pas au même homme mais découlent d'une division sociale des tâches, alors on peut dire que la main d'oeuvre (l'esclave) est l'instrument de l'homme prudent (phronimos) qui agit en lui fixant les objectifs de production économique2, objectifs qui participent de la finalité générale de l'existence humaine, à savoir bien vivre. Il apparaît donc que, pour Aristote, la technique, c'est-à-dire l'activité de production rendant possible la meilleure vie pour la Cité, ne peut être libératrice que pour les hommes prudents (phronimoï), c'est-à-dire les citoyens qui se voient, par là, libérés du souci d'avoir à pourvoir à leur propre subsistance par le travail (D224). En d'autres termes, la technique n'est libératrice que pour ceux qui peuvent jouir du loisir (skholè) (D315).
(E113) On pourrait croire que l'analyse d'Aristote est historiquement datée et ne vaut que pour le passé. Or, fait remarquer Arendt, qui est une philosophe du XX° siècle, la technique, en tant que tekhnè, c'est-à-dire, comme nous l'avons vu, l'activité qui doit se doter d'instruments pour produire et donc créer les conditions de la vie bonne, est une activité essentiellement asservissante (du latin servus, "l'esclave") en ce sens que la technique est indissociable du travail. Et, pour Arendt, le travail, contrairement à la parole, à l'oeuvre et à l'action, est l'activité dévolue à l'esclave (D122) : « l’esclavage [...] fut une tentative pour éliminer le travail, que les hommes partagent avec les animaux, de la condition humaine : ce que les hommes ont de commun avec les animaux, on ne le considérait pas comme humain »(Arendt, Condition de l’Homme Moderne, i-iii). Arendt va même jusqu'à remarquer que la technique moderne est, en un sens, encore moins libératrice, encore plus asservissante que la technique rudimentaire de nos ancêtres. En effet, « l'outil le plus raffiné reste au service de la main qu'il ne peut ni guider ni remplacer. La machine la plus primitive guide le travail corporel et, éventuellement, le remplace tout à fait. [...] Ce n'est plus le mouvement du corps qui détermine le mouvement de l'instrument, ce sont les mouvements de la machine qui règlent ceux du corps »(Arendt, Condition de l’Homme Moderne, iv). Paradoxalement, l'esclave antique ou le serf médiéval était, en un sens, plus libre que le travailleur moderne dans la mesure où il avait la maîtrise de ses outils auxquels il communiquait le mouvement de son corps conformément à une qualification, une compétence, bien déterminées. Alors que le travailleur moderne a, au contraire, tendance à être déqualifié dans la mesure où il est de moins en moins nécessaire de maîtriser des machines de plus en plus souvent automatisées, et, de surcroît, c'est lui qui doit s'adapter au rythme de la machine pour répondre aux objectifs de productivité fixés par le patron (cf. le film les Temps Modernes avec C. Chaplin). Bref, pour Arendt, Aristote est trop optimiste de penser que « si les navettes tissaient d’elles-mêmes et si les plectres jouaient tout seuls de la cithare, les patrons n’auraient pas besoin d’ouvriers ni les maîtres d’esclaves »(Aristote, Politique, I, 1253b-1254a) (E112). Car la technique, en s'automatisant, n'est pas devenue plus libératrice. Au contraire.
Donc, à première vue, la technique n'est pas nécessairement libératrice puisque nous avons vu qu'elle ne libère en réalité que celui qui ne s'en sert pas. Or nous n'avons, jusque là, examiné la technique que du point de vue du travail. Mais si, de ce seul point de vue, la technique n'est pas libératrice, sauf pour ceux à qui elle évite d'avoir à travailler, ne peut-on pas dire qu'il existe des progrès techniques qui ont libéré tous les hommes d'un certain nombre de soucis liés à leur santé ?
II - Et pourtant, le fait de considérer les corps biologiques comme des machines a conduit les avancées technologiques à se mettre au service de la médecine en épargnant toujours plus aux hommes de soucis liés à leur santé.
(E121) Descartes est un métaphysicien. Pourtant, ce serait une erreur, nous dit-il lui-même, de réduire la philosophie à la seule métaphysique, voire à la métaphysique et à la physique qui s'en déduit. Car, ajoute-t-il, si la véritable philosophie commence effectivement dans la métaphysique et se poursuit dans la physique (A213), elle s'achève néanmoins dans la mécanique, la médecine et la morale, autrement dit dans des connaissances hors de doute qui se déduisent de la physique de la même façon que la physique se déduit de la métaphysique. D'où sa très célèbre analogie de la philosophie et de l'arbre : « toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines font la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont [...] la médecine, la mécanique et la morale »(Descartes, Principes de la Philosophie, préf.). Descartes reste donc fidèle à la conception grecque de la philosophie comme ensemble de connaissances tournées vers la meilleure vie possible. Aussi pourrait-on continuer l'analogie en disant que, de même que ce sont les branches qui portent les fruits, de même sont-ce la mécanique, la morale et la médecine qui vont porter la vie bonne. Bref, pour Descartes, la philosophie ne se borne pas à envisager le seul Souverain Bien de l'âme, mais il lui importe au plus haut point d'envisager aussi les rapports qui peuvent et doivent exister entre le Souverain Bien de l'âme que nous sommes et le Souverain Bien du corps que nous possédons. En ce sens, Descartes se rapproche d'Aristote en considérant qu'il appartient à la nature de l'homme d'envisager toujours la meilleure vie possible.
(E122) Le fait de dire « je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose »(Descartes, Principes de la Philosophie, IV, art.203) revient évidemment à admettre que « toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles »(Descartes, Principes de la Philosophie, IV, art.203) (B211), ou encore que « [les passions suivent [...] de la seule disposition des organes ni plus ni moins que font les mouvements d’une horloge ou autre automate] »(Descartes, Traité des Passions, art.13-17) (A312). Or, le fait de considérer les corps biologiques comme des machines, cela procure à Descartes un double avantage. Avantage théorique d'abord en ce que, si les principes de la mécanique se déduisent avec certitude des principes de la physique, on pourra en dire autant des principes de la morale et de ceux de la médecine. Autrement dit, il va s'agir pour Descartes de considérer le corps humain comme une machine particulière et les divers mouvements de ce corps comme des cas particuliers de mouvements mécaniques (c'est ce qu'il fait, e.g., dans le Traité des Passions où il traite nos passions, nos sentiments, nos émotions comme des résultats de la circulation de ce qu'il appelle les "esprits animaux", et qui correspond à ce que nous appelons aujourd'hui l'influx nerveux, entre notre cerveau et les autres parties de notre corps). On peut donc dire que l'avantage théorique qu'il y a à considérer les corps biologiques comme des machines, c'est de simplifier (de "désenchanter", comme dirait Weber) le monde biologique : il n'y a rien de mystérieux dans le biologique. La vie n'est que le fonctionnement correct de la machine, la maladie son dysfonctionnement et la mort son arrêt définitif ! Il va même jusqu'à expliquer l'origine de tout le mystère qui entoure les phénomènes biologiques : « les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens »(Descartes, Principes de la Philosophie, IV, art.203). Bref, si l'on ne s'est pas encore rendu compte que les corps sont de simples machines, c'est parce que les "tuyaux et ressorts" dont ils sont faits sont trop petits pour être aperçus (les sens sont si trompeurs !), et, si tel est le cas, c'est que l'artisan qui les a confectionnés (Dieu) est d'une habileté infinie. Voilà tout. Cet avantage théorique débouche sur un avantage pratique : Descartes espère bien que l'application des principes mécaniques de la médecine permettra de prévenir et de guérir les corps biologiques, de la même façon que l'on peut entretenir et réparer les machines. Pour lui, la technique appliquée à la médecine doit donc clairement être une sorte d'ingéniérie biologique qui doit porter remède aux dysfonctionnements des corps, tout comme on corrige les dysfonctionnements des machines. Ce qui, il faut le reconnaître, est quand même révolutionnaire au XVII° siècle !
(E123) La philosophie, dit Descartes, est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique, et les branches la médecine, la mécanique et la morale. Donc la philosophie englobe la technique, elle débouche sur elle, elle ne l'exclut pas comme chez Aristote. Or, comme la philosophie est l'activité de l'homme libre par excellence, l'activité de recherche de la vérité au-delà des apparences sensibles, la technique, qui se déduit de la physique, elle-même déduite de la métaphysique, est nécessairement libératrice. Au point, nous dit Descartes, que « sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique [...], j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire [...] et j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées, sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes »(Descartes, Discours de la Méthode, VI). Par où on voit que la médecine, la mécanique et la morale sont liées (analogiquement, les branches partent toutes du même tronc), puisque la mécanique et la médecine, comme on l'a déjà dit, partagent les mêmes principes physiques. Descartes ajoute ici que c'est un impératif moral que de faire profiter à tous les hommes des avancées de la mécanique et de la médecine, donc que la technique doit clairement avoir pour effet de réaliser le bien général de tous les hommes. En effet, pour Descartes, ce sont, à terme, tous les hommes qui, notamment à travers les progrès de la médecine, vont se voir libérer d'une partie des soucis de santé liés à l'usure normale (vieillissement) ou accidentelle (maladies, lésions) des pièces de leur mécanique biologique. Cependant, Descartes ne va pas jusqu'à dire que la médecine est en mesure de nous libérer du souci de la mort : en effet, si le corps est une sorte de machine, on peut, jusqu'à un certain point, en remplacer les rouages, mais il n'existe pas de machine éternelle. Sauf à être des Dieux et à concevoir des machines parfaites. Mais, précise Descartes, nous ne serons jamais des Dieux, tout au plus deviendrons-nous "comme" des Dieux (B124) ! En tout cas, le désaccord avec Aristote et Arendt porte sur ce qu'il convient de qualifier de bien premier : pour Descartes, « la conservation de la santé [...] est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie »(Descartes, Discours de la Méthode, VI), "de cette vie", c'est-à-dire de la vie biologique, de celle du corps. On peut donc dire que la santé est au corps ce que la vérité est à l'âme, à savoir le Souverain Bien. Tandis que pour Arendt et Aristote, le Souverain Bien, c'est la liberté, ce qu'Aristote et les Grecs appellent "le loisir". Or, pour Descartes, il est exclu que le "loisir" puisse constituer "le bien général de tous les hommes", car « parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie [...] n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent »(Descartes, Discours de la Méthode, VI). Pour Descartes, la finalité du progrès technique n'est donc pas seulement d'épargner des fatigues aux hommes, fût-ce à quelques-uns comme pour Aristote et Arendt.
Donc, considérée sous l'angle d'une discipline pratique qui se déduit de principes théoriques nécessairement vrais, la technique doit nécessairement procurer "le bien général à tous les hommes", en l'occurrence les libérer d'un certain nombre de préoccupations liées à la santé de leur corps. On doit maintenant se demander, à la lumière du développement de la société moderne capitaliste, lequel de ces deux aspects est le plus pertinent : est-ce l'aspect libérateur des soucis de santé pour tous ou bien l'aspect asservissant aux nécessités de la production pour certains ?
III - Cela dit, il est manifeste que les innovations technologiques caractéristiques du système de production capitaliste ont contribué, non seulement à aliéner les travailleurs au profit des capitalistes, mais aussi à aliéner l'ensemble de l'humanité à la nécessité de consommer.
(E131) À première vue, il pourrait sembler que le point de vue de Marx se rapproche plutôt de celui d'Aristote ou d'Arendt dans la mesure où l'activité qui a directement bénéficié de la première Révolution Industrielle (révolution dans le mode de production économique qui a vu, vers le milieu du XVIII° siècle, la force de la machine à vapeur remplacer progressivement la force humaine ou animale comme source d'énergie primaire3), ce fut le travail tourné vers la production. Ce qui n'a rien d'étonnant chez Marx pour qui « les hommes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils se mettent à produire leurs moyens d’existence »(Marx-Engels, l’Idéologie Allemande) (B314). Les progrès techniques vont donc principalement concerner la production de ces moyens d'existence, c'est-à-dire des biens et des services nécessaires à leur existence sociale. Par conséquent, comme chez Aristote ou Arendt, les progrès techniques vont être, au premier chef, des progrès dans le mode de production et donc impliquer un asservissement de la classe des travailleurs à la classe dominante (i.e., en système capitaliste, la bourgeoisie), puisque, en effet, « la division du travail [...] n’acquiert son caractère définitif que lorsqu’intervient une division du travail matériel et du travail intellectuel […] impliquant une répartition du travail et de ses produits, inégale en quantité comme en qualité […]. D'où l’existence de classes sociales dont l’une domine l’autre »(Marx-Engels, l’Idéologie Allemande) (B314). Mais Marx ajoute aussitôt que « la machine, point de départ de la révolution industrielle, remplace donc le travailleur qui manie un outil par un mécanisme qui opère à la fois avec plusieurs outils semblables, et reçoit son impulsion d'une force unique, quelle qu'en soit la forme » (Marx, le Capital, I, xv, 1). Cette conséquence objective du progrès technique rapproche indiscutablement Marx d'Aristote dans la mesure où Marx constate que la Révolution Industrielle permet à des instruments de production automatisés, d'épargner un certain nombre de tâches serviles (de servus, "esclave") au travailleur (E112). Le problème étant maintenant de savoir si l'avénement de la machine à vapeur va, dans une certaine mesure, avoir un impact positif sur la santé des utilisateurs de la technique en leur épargnant certains efforts physiques pénibles (Marx rejoindrait alors Descartes), ou si l'automatisation des tâches va au contraire dégrader leurs conditions d'existence en les rendant esclaves de la machine (Marx rejoindrait alors Arendt).
(E132) Pour Marx, la réponse au problème ne fait aucun doute. En effet, d'une part, dans la mesure où le travail à la machine est plus facile, le patron capitaliste aura désormais à sa disposition une main-d'oeuvre plus abondante et meilleur marché puisqu'elle ne nécessitera plus ni qualité physique exceptionnelle, ni formation professionnelle approfondie. D'autre part, dans la mesure où, comme nous l'avons vu en E131, la machine unique remplace avantageusement de nombreux travailleurs, la demande de travail va augmenter de la part d'individus chassés de leurs campagnes par l'exode rural et réduits à la misère par le chômage. Le recours à une main-d'oeuvre sous qualifiée (les femmes, les enfants, les travailleurs immigrés, les clandestins, les handicapés, etc.) et miséreuse servira alors de prétexte au capitaliste pour diminuer les salaires versés aux travailleurs embauchés et donc, à terme, pour augmenter ses profits. Bref, « une passion l'anime [le capitaliste] : il veut tendre l’élasticité humaine et broyer toutes ses résistances. La facilité apparente du travail à la machine et l’élément plus maniable et plus docile des femmes et des enfants l’aident dans cette œuvre d’asservissement »(Marx, le Capital, I, xv, 3). En conséquence, "travail plus facile" et "moins de travail à fournir" signifient, pour le travailleur en système capitaliste, "travail moins payé" et "plus de chômage". La Révolution Industrielle, révolution technologique concernant les moyens de production, a donc accentué, et non pas réduit, l'asservissement du travailleur. Ce qui se comprend aisément par le fait que « la machine est le moyen le plus puissant d’accroître la productivité du travail, c’est-à-dire de raccourcir le temps nécessaire à la production des marchandises »(Marx, le Capital, I, xv, 3). Certes, l'augmentation infinie de la productivité du travail (c'est-à-dire la quantité produite divisé par le temps nécessaire à la production) aurait pu, effectivement, être un facteur de libération pour le travailleur : puisqu'il faut moins de temps pour produire une quantité déterminée de marchandise, le progrès technique aurait pu libérer du temps pour le travailleur. Mais en réalité, « la machine est le moyen le plus puissant de prolonger la journée de travail au-delà de toute limite naturelle »(Marx, le Capital, I, xv, 3). Le progrès technique a, en système capitaliste, clairement pour fonction, non pas d'accorder du temps libre au travailleur, mais d'abolir les limites naturelles à l'enrichissement dues au fait qu'un travailleur n'est plus productif au-delà d'une certaine durée de travail. Donc, apparemment, l'augmentation de la productivité consiste à produire la même quantité en moins de temps avec moins de fatigue, ce qui confirmerait l'impact positif du progrès technique sur la santé des travailleurs qui, non seulement auront moins de temps à consacrer au travail, mais encore auront un travail plus facile. Mais, en réalité, l'augmentation de la productivité consiste plutôt à produire plus de quantité dans le même temps. Ce qui implique, de la part du travailleur, non seulement une tâche déqualifiée, c'est-à-dire moins intéressante et moins bien payée, mais aussi nerveusement plus fatigante. C'est en ce sens que « le mouvement et l’activité du moyen de travail devenu machine se dressent indépendants devant le travailleur »(Marx, le Capital, I, xv, 3). Pour Marx, comme pour Arendt, là où l'esclave antique ou le serf médiéval étaient des "instruments animés" qui maîtrisaient néanmoins leurs "instruments inanimés", le travailleur moderne est asservi à la fois à son patron, mais aussi aux machines dont il devient l'auxiliaire et au rythme desquelles il doit s'adapter pour augmenter la productivité de son travail. Bref, le soi-disant impact positif du progrès technique sur la santé du travailleur est une complète mystification (D224).
(E133) Marcuse (1898-1979) est encore plus pessimiste que Marx et Arendt dans la mesure où la technique n'est pas seulement, en système capitaliste, un facteur d'asservissement pour les travailleurs, mais, d'une manière générale, pour toute l'humanité. On sait que Marcuse est extrêmement critique à l'égard de la soi-disant neutralité du progrès scientifique : « la méthode scientifique, qui a permis une domination de la nature de plus en plus efficace, a fourni les concepts purs, mais aussi l’ensemble des instruments qui ont favorisé une domination de l’homme par l’homme de plus en plus efficace, à travers la domination de la nature. La raison théorique, en restant pure et neutre, est entrée au service de l’instrumentalisation des hommes »(Marcuse, l’Homme Unidimensionnel, VI) (B127). La raison en est que, pour Marcuse comme pour Descartes, les progrès théoriques dans la connaissance débouchent toujours sur des applications techniques. Sauf qu'il ne s'agit pas, pour Marcuse, de faire "le bien général de tous les hommes" comme chez Descartes, mais le bien de la seule classe dominante comme chez Marx et Aristote. Or, la classe bourgeoise ne doit sa domination, en système capitaliste, qu'à sa capacité à maximiser ses profits. Et comme la maximisation des profits suppose que les biens et services produits soient achetés par des consommateurs, « l’innovation technologique concerne non seulement le travail, mais aussi le moyen de se procurer des biens de consommation et les augmenter [...]. Le progrès, c’est avant tout le progrès dans le travail, mais surtout le travail pour se procurer les biens de consommation et les augmenter »(Marcuse, l’Homme Unidimensionnel, IV). Marcuse s'est en effet rendu compte que la survie du système capitaliste implique la nécessité de vendre toujours plus de biens et de services à un nombre toujours plus grand de consommateurs. Autrement dit, l'accroissement des moyens techniques mis au service de la production implique un asservissement généralisé de l'humanité toute entière à la nécessité de consommer. Bref, « l’originalité de notre société réside dans l’utilisation de la technologie pour obtenir la cohésion des forces sociales : les gains de productivité deviennent un instrument de domination universelle »(Marcuse, l’Homme Unidimensionnel, IV). En ce sens, s'il est exact, comme le souligne Descartes, que les progrès technologiques n'ont pas concerné que la seule activité de production, mais également les autres sphères de l'existence humaine, à commencer par la santé des gens, le fait pour la technique de rendre la vie plus longue et moins pénible, n'est, en système capitaliste, qu'un moyen d'optimiser la production et, surtout, de maximiser la consommation, donc les profits de la classe bourgeoise. Autrement dit, s'il est nécessaire que le progrès technique s'accompagne de progrès sanitaires, c'est parce qu'être en bonne santé est nécessaire à la fois à la productivité du travail et à l'accroissement de la consommation. Pour Marcuse, être en bonne santé est une nécessité économique et non morale comme pour Descartes.
Donc, à première vue, la technique n'est libératrice que pour ceux qui n'ont pas à travailler, tandis qu'elle est au contraire asservissante pour ceux qui travaillent à l'édification d'une société authentiquement humaine. Et pourtant, les applications médicales des progrès techniques ont, nolens volens, concerné la totalité des hommes qu'elles ont libérés d'un certain nombre de soucis liés aux dysfonctionnements de leur mécanique biologique. Sauf que ce n'est pas par souci d'un bien-être général que la technique améliore la santé du genre humain, mais plutôt parce que l'économie capitaliste se préoccupe exclusivement d'accroître la productivité du travail et le désir de consommer,et ce, pour le seul profit de quelques-uns.
1Avant la fin du XVIII°, voire le début du XIX° siècle, le terme art, dans la langue française, a le sens que lui donne Aristote, c'est-à-dire qu'il désigne indistinctement n'importe quelle activité de production. Ce n'est qu'à la suite de la première Révolution Industrielle qu'on va progressivement prendre l'habitude de nommer techniques les activités de production artisanale ou industrielle, et arts les activités de production esthétique. En effet, à la suite de la première Révolution Industrielle, on s'est rendu compte que, pour fabriquer des objets artisanaux ou industriels, il suffisait d'appliquer rigoureusement des règles de production, tandis que cela n'était plus vrai lorsqu'il s'agissait de créer des oeuvres d'art au sens esthétique. On s'est donc rendu compte que l'art au sens esthétique (cf. cours C3), contrairement à l'art au sens artisanal ou industriel, n'avait que faire des progrès concernant les règles de production, progrès qui ont caractérisé toutes les révolutions industrielles. D'où la distinction entre, d'une part, la technique qui évolue vite et qui permet de produire toujours plus en un temps toujours moindre, d'autre part l'art qui évolue peu ou pas (encore aujourd'hui, on considère que les meilleurs violons ont été construits par Stradivarius au ... XVI° siècle et ... à Crémone !), et qui, même après la Révolution Industrielle, continue à ne se préoccuper que de la qualité (le Beau) et non de la quantité (un seul exemplaire suffit).
2"Économie" vient de oïkonomia qui désigne chez les grecs le mode de production des biens nécessaires à la survie de la Cité et dont la cellule de base est, non pas l'entreprise, comme dans le mode de production capitaliste, mais la famille au sens large (oïkos en grec).
3La Révolution Industrielle va entraîner la disparition des institutions féodales tournées vers la subsistance collective à travers une agriculture fondée sur le servage (quasi-esclavage), et l'émergence des institutions bourgeoises ou capitalistes tournées vers le profit individuel à travers une industrie fondée sur le salariat.
RECUEIL DE TEXTES POUR LES SERIES TECHNOLOGIQUES.
A – VÉRITÉ – RAISON –
CROYANCE
A1 – La vérité
a-t-elle assez de force pour persuader par elle-même ?
GORGIAS1
: Il m’est arrivé maintes fois d’accompagner mon frère ou
d’autres médecins chez quelque malade qui refusait une drogue ou
ne voulait pas se laisser opérer par le fer ou le feu, et là où
les exhortations du médecin restaient vaines, moi je persuadais le
malade, par le seul art de la rhétorique. Qu’un orateur et un
médecin aillent ensemble dans la ville que tu voudras : si une
discussion doit s’engager à l’assemblée du peuple ou dans une
réunion quelconque pour décider lequel des deux sera élu comme
médecin, j’affirme que le médecin n’existera pas et que
l’orateur lui sera préféré si cela lui plaît. Il en serait de
même en face de tout autre artisan : c’est l’orateur qui se
ferait choisir plutôt que n’importe quel compétiteur ; car il
n’est point de sujet sur lequel un homme qui sait la rhétorique ne
puisse parler devant la foule d’une manière plus persuasive que
l’homme de métier, quel qu’il soit. Voilà ce qu’est la
rhétorique et ce qu’elle peut. [...] L’orateur n’est pas
l’homme qui fait connaître aux tribunaux ou à toute autre
assemblée ce qui est juste et ce qui est injuste [...] de toute
façon il ne pourrait pas, dans le peu de temps qu’il a, informer
pareille foule et l’amener à connaître des questions si
fondamentales. [...] La rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce
que sont les choses dont elle parle ; elle a découvert un
procédé qui sert à persuader ; devant un public d’ignorants,
elle a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs.
Platon
– Gorgias
A2 – La raison
est-elle la seule source de vérité ?
Nous
connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par
le cœur ; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les
premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y
a point de part, essaye de les combattre. Les pyrrhoniens2,
qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous
savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous
soyons de le prouver par la raison, cette impuissance ne conclut
autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas
l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent.
Car la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace,
temps, mouvement, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que
nos raisonnements nous donnent. Et c’est sur ces connaissances du
cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et
qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois
dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis ; et
la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés
dont l’un soit le double de l’autre. Les principes se sentent,
les propositions se concluent et le tout avec certitude, quoique
par différentes voies.
Pascal
– Pensées
A3 – Les croyances
religieuses sont-elles déraisonnables ?
Quand
on parle de religion, on emploie des expressions telles que "je
crois que telle ou telle chose va arriver",
mais cet emploi est différent de celui que nous en faisons dans les
sciences. Toutefois, la tentation est grande de penser que nous
employons ces expressions de cette dernière façon. Parce que nous
parlons de preuves, parce que nous parlons de preuves par expérience.
Nous pourrions même parler d’événements historiques. On a dit
que le christianisme repose sur une base historique. Des milliers de
fois des gens intelligents ont dit que dans ce cas il ne suffit pas
que la base soit indubitable. Quand bien même il y aurait autant de
preuves que pour Napoléon. Parce que ce caractère indubitable ne
suffirait pas pour me faire changer ma vie tout entière. Le
christianisme ne repose pas sur une base historique au sens où ce
serait la croyance normale aux faits historiques qui pourrait lui
servir de fondement [...]. Dirais-je que [les croyants] sont
déraisonnables ? Non je ne les appellerais pas ainsi. Je ne dirais
pas pour autant qu’ils sont raisonnables, c’est évident. Car
pour tout le monde "déraisonnable"
implique blâme [...]. Vous diriez qu’ils raisonnent faux dans le
cas où ils raisonneraient d’une manière semblable à la nôtre et
feraient ce qui pour nous correspondrait à une faute [...] : tel
coup est une faute dans un jeu particulier et non dans un autre.
Wittgenstein
– Leçons
et Conversation
B – VÉRITÉ –
EXPÉRIENCE
B1 – Y a-t-il une
vérité de l'expérience sensible ?
Voici
le recensement de tous les actes de notre entendement qui nous
permettent de parvenir à la connaissance des choses, sans
aucune crainte de nous tromper. Il n’y en a que deux à admettre,
savoir l’intuition et la déduction. Par intuition,
j’entends non la confiance flottante que donnent les sens ou le
jugement trompeur d’une imagination aux constructions
mauvaises3,
mais le concept que l’intelligence pure et attentive forme avec
tant de facilité et de distinction qu’il ne reste absolument
aucun doute sur ce que nous comprenons. Ou bien, ce qui est la même
chose, le concept que forme l’intelligence pure et attentive, sans
doute possible, concept qui naît de la seule lumière de la raison
et dont la certitude est plus grande, à cause de sa plus grande
simplicité, que celle de la déduction elle-même […]. Maintenant,
on peut se demander pourquoi nous avons ajouté ici à l’intuition
un autre mode de connaissance consistant dans la déduction,
par laquelle nous entendons toute conclusion nécessaire tirée
d’autres choses connues avec certitude. Il a fallu le faire parce
qu’on sait la plupart des choses sans qu’elles soient évidentes,
pourvu seulement qu’on les déduise de principes vrais et connus,
et au moyen d’un mouvement continu et sans aucune interruption de
la pensée qui voit nettement par intuition chaque chose en
particulier.
Descartes
– Règles
pour la Direction de l’Esprit
B2 – Les propositions
mathématiques sont-elles vraies ?
Dire
qu’une proposition est vraie ou fausse, à proprement parler, cela
veut dire seulement qu’il faut qu’il y ait possibilité de
décider en sa faveur ou contre elle. [Or, par exemple], je ne peux
pas me tromper au sujet de la proposition "12.12=144".
Mais on ne peut pas opposer la certitude des mathématiques au manque
de certitude des propositions empiriques. En effet, la proposition
mathématique a été obtenue par une série d’actions qui ne se
différencient d’aucune façon du reste des actions de la vie
et qui sont tout aussi sujettes à l’oubli, l’inadvertance et
l’illusion. [Plutôt], le tampon de l’incontestabilité est en
quelque sorte officiellement apposé sur la proposition
mathématique. C’est comme si on disait : "Disputez
d’autre chose, quant à ceci, c’est intangible, c’est un point
fixe sur lequel votre dispute peut tourner."
[…] Cette proposition, je ne peux pas la mettre en doute sans
renoncer à tout jugement. [Elle fait partie] de cette image du monde
que je possède, non pas parce que je suis convaincu de sa rectitude,
mais plutôt parce qu’elle constitue l’arrière-plan dont j’ai
hérité et sur le fond duquel je peux distinguer le vrai du faux.
Les propositions qui décrivent cette image du monde [...], leur rôle
est semblable à celui des règles d’un jeu. [Aussi, si je me
trompe], ce ne sera pas une erreur qui a pour ainsi dire sa place
dans le jeu, mais une infraction complète aux règles, ce qui ne
peut apparaître qu’exceptionnellement.
Wittgenstein
– de
la Certitude
B3 – Quel est le rôle
des mathématiques dans la connaissance scientifique ?
Une
science proprement dite [...] exige une partie pure sur laquelle se
fonde la partie empirique et qui repose sur la connaissance a
priori
des choses de la nature. Or, connaître une chose a
priori
signifie la connaître d’après sa simple possibilité4.
[...] Ainsi, connaître la possibilité de choses naturelles
déterminées [...] a
priori,
exige que l’intuition sensible correspondant au concept soit
donnée a
priori,
c’est-à-dire que leur concept5
soit construit. Or la connaissance rationnelle par la construction
des concepts, c’est la mathématique. En conséquence [...] une
pure théorie de la nature concernant des choses déterminées de la
nature n’est possible qu’au moyen de la mathématique. [...]
Par suite, tant qu’on n’aura pas trouvé de concept se rapportant
aux actions chimiques6
des matières les unes sur les autres, qui puisse se construire,
[...] la chimie ne saurait être qu’une pratique systématique ou
une théorie empirique, mais jamais une science à proprement parler.
Kant
– Premiers
Principes Métaphysiques de la Science de la Nature
C – CULTURE – ÉCHANGES
C1 – Quelles sont les
parts du naturel et du culturel dans notre personnalité ?
Le
ça est
la partie obscure de notre personnalité, et le peu que nous en
savons, nous l’avons appris en étudiant l’élaboration du
rêve et la formation du symptôme névrotique […]. Le ça
tend seulement à satisfaire les besoins pulsionnels, en se
conformant au principe de plaisir. Les processus qui s’y déroulent
n’obéissent pas aux lois logiques de la pensée : pour eux,
le principe de contradiction n’existe pas, [aussi] le ça
ignore-t-il
les jugements de valeur, le bien, le mal, la morale […]. Le moi
a pour
mission d’être le représentant du monde extérieur aux yeux du
ça,
et pour le plus grand bien de ce dernier. En effet, sans le moi,
le ça,
aspirant aveuglément aux satisfactions des pulsions, viendrait
imprudemment se briser contre cette force extérieure plus puissante
que lui […]. Ainsi, le principe de plaisir, qui domine de façon
absolue dans le ça,
est-il détrôné par le principe de réalité, plus propre à
assurer sa sécurité et sa réussite […]. Donc le moi
n’est qu’une partie du ça
opportunément modifiée par la pression d’un monde extérieur
menaçant. En somme, le moi
doit réaliser les intentions du ça
en parvenant à découvrir les circonstances favorables à leur
réalisation. [Dans cette tâche, le moi
est puissamment aidé par] le surmoi
qui est le dépositaire de la conscience morale et qui dérive de
l’influence exercée par les parents et les éducateurs.
Freud
– Nouvelles
Conférences sur la Psychanalyse
C2 – Qu’échange-t-on
lorsque l’on parle ?
Il
est évident que la Cité est du nombre des choses qui sont dans la
nature, que l’homme est naturellement un animal politique
destiné à vivre en société et que celui qui, par sa nature7
et non par l’effet de quelque circonstance, ne fait partie
d’aucune Cité, est une créature dégradée ou supérieure à
l’homme. Il mérite, comme dit Homère, le reproche sanglant d’être
sans famille, sans lois, sans foyer ; car celui qui a une telle
nature est avide de combats et, comme les oiseaux de proie, incapable
de se soumettre à aucun joug. On voit d’une manière évidente
pourquoi l’homme est un animal sociable à un plus haut degré que
les abeilles et tous les animaux qui vivent réunis. La nature, comme
nous disons, ne fait rien en vain. Seul, entre les animaux, l’homme
a l’usage de la parole ; le cri est le signe de la douleur et du
plaisir et c’est pour cela qu’il a été donné à tous les
animaux. Leur organisation va jusqu’à éprouver des
sensations de douleur et de plaisir et à se le faire comprendre les
uns aux autres ; mais la parole8
a pour fonction de faire comprendre ce qui est utile ou nuisible et,
par conséquent aussi, ce qui est juste ou injuste9.
Or, avoir de telles notions en commun, c’est ce qui fait une
famille et une Cité.
Aristote
– Politique
C3 – L'échange
marchand tourné vers le profit est-il naturel ?
Les
économistes ont une singulière manière de procéder. Il n’y a
pour eux que deux sortes d’institutions : celles de l’artifice
et celles de la nature. Par exemple, les institutions féodales sont
artificielles, mais les institutions bourgeoises10
sont naturelles. Ils ressemblent en ceci aux théologiens pour qui
toute religion qui n’est pas la leur est une invention des hommes,
tandis que leur propre religion est une religion naturelle
puisqu’elle émane de Dieu. En disant que les rapports sociaux
actuels, ceux de la production capitaliste, sont naturels, les
économistes font entendre que ce sont là des rapports dans lesquels
se crée la richesse et se développent les forces productives
conformément aux lois de la nature, selon des lois indépendantes de
l’influence du temps. [Or] l’histoire montre qu’un mode de
production, les rapports dans lesquels les forces productives se
développent, ne sont pas des lois éternelles, mais qu’ils
correspondent à un développement déterminé des hommes et de leurs
forces productives, et qu’un changement survenu dans les forces
productives des hommes amène nécessairement un changement dans
leurs rapports de production [dans leurs rapports sociaux]. Mais
comme il importe avant tout de ne pas être privé des fruits de la
production, [la classe dominante] devient nécessairement
conservatrice.
Marx
– Misère
de la Philosophie
D – CULTURE – ART –
TECHNIQUE
D1 – L’art n’est-il
qu’une affaire d’habileté technique ?
Il
est facile maintenant de comprendre ce qui suit. 1° Le génie est le
talent de produire ce dont on ne peut donner de règle déterminée,
et non pas l’habileté qu’on peut montrer en faisant ce qu’on
peut apprendre en suivant une règle ; par conséquent l’originalité
est sa première qualité. 2° Comme il peut y avoir des
extravagances originales, ses productions doivent être des
modèles, elles doivent être exemplaires et par conséquent
originales elles-mêmes ; elles doivent pouvoir être proposées à
l’imitation, c’est-à-dire servir de mesure ou de règle
d’appréciation. 3° Il ne peut lui-même décrire ou montrer
scientifiquement comment il accomplit ses productions, mais il donne
la règle par une inspiration de la nature et ainsi l’auteur d’une
production, en étant redevable de son génie, ne sait pas lui-même
comment les idées se trouvent en lui ; il n’est pas en son pouvoir
d’en former de semblables à son gré et méthodiquement, et de
communiquer aux autres des préceptes qui les mettent en état
d’accomplir de semblables productions.
Kant
– Critique
de la Faculté de Juger
D2 – L’artiste
doit-il raconter ou imiter ?
SOCRATE
: ne sais-tu pas que les premiers vers de l’Iliade dans lesquels le
poète [Homère] raconte que Chrysès pria Agamemnon de lui
rendre sa fille, que celui-ci s’emporta, et que le prêtre, n’ayant
pas obtenu l’objet de sa demande, invoqua le dieu contre les
Achéens ? [...] Tu sais donc que, jusqu’à ces vers, "il
implorait tous les Achéens et surtout les deux Atrides, chefs
des peuples",
le poète parle en son nom11
et ne cherche pas à tourner notre pensée dans un autre sens, comme
si l’auteur de ces paroles était un autre que lui-même. Mais,
pour ce qui suit, il s’exprime comme s’il était Chrysès12,
et s’efforce de nous donner autant que possible l’illusion que ce
n’est pas Homère qui parle, mais le vieillard, prêtre d’Apollon
; et il a composé à peu près de la même manière tout le récit
des événements qui se sont passés à Ilion [Troie], à Ithaque et
dans toute l’Odyssée. [...] Si donc un homme en apparence capable,
par son habileté, de prendre toutes les formes et de tout imiter,
venait dans notre Cité pour s’y produire, lui et ses poèmes, nous
le saluerions bien bas comme un être sacré, étonnant, agréable.
Mais nous lui dirions qu’il n’y a point d’homme comme lui dans
la Cité et qu’il ne peut y en avoir. Puis nous l’enverrions dans
une autre Cité après avoir versé la myrrhe sur sa tête et l’avoir
couronné de bandelettes13.
Platon
– la
République
D3 – L’oeuvre d’art
est-elle le fruit d’une intention consciente ?
Le
royaume de l’imagination est une réserve organisée lors du
passage douloureusement ressenti du principe de plaisir au principe
de réalité, afin de permettre un substitut à la satisfaction des
instincts à laquelle il faut renoncer dans la vie réelle.
L’artiste, comme le névrosé14,
s’est retiré loin de la réalité insatisfaisante dans ce monde
imaginaire ; mais, à l’inverse du névrosé, il s’entend à
trouver le chemin du retour et à reprendre pied dans la réalité.
Ses créations, les œuvres d’art, sont des satisfactions
imaginatives de désirs inconscients, tout comme les rêves avec
lesquels elles ont d’ailleurs en commun le caractère d’être un
compromis destiné à éviter un conflit ouvert avec les puissances
de refoulement. Mais, à l’inverse des productions asociales
et narcissiques du rêve, elles peuvent compter sur la sympathie des
autres hommes, étant capables d’éveiller et de satisfaire chez
eux les mêmes aspirations à sublimer15
des désirs inconscients.
Freud
– ma
Vie et la Psychanalyse
E – LIBERTÉ – BONHEUR
E1 – Le progrès
entraîne-t-il liberté et bonheur pour tous ?
Si
la machine est le moyen le plus puissant d’accroître la
productivité du travail, c’est-à-dire de raccourcir le temps
nécessaire à la production des marchandises, elle devient, comme
support du capital, dans les branches d’industries dont elle
s’empare d’abord, le moyen le plus puissant de prolonger la
journée de travail au-delà de toute limite naturelle. Et tout
d’abord le mouvement et l’activité du moyen de travail devenu
machine se dressent indépendants devant le travailleur. Le moyen de
travail est dès lors un perpetuum
mobile
industriel qui produirait indéfiniment, s’il ne rencontrait une
barrière naturelle dans ses auxiliaires humains, dans la faiblesse
de leurs corps et la force de leurs volontés. L’automate, en sa
qualité de capital, est fait homme dans la personne du capitaliste.
Une passion l’anime : il veut tendre l’élasticité humaine et
broyer toutes ses résistances. La facilité apparente du travail à
la machine et l’élément plus maniable et plus docile des femmes
et des enfants l’aident dans cette œuvre d’asservissement.
[D’autre part] la machine produit une survaleur relative, non
seulement en dépréciant directement la force de travail et en
la rendant indirectement meilleur marché par la baisse de prix
qu’elle occasionne dans les marchandises d’usage commun, mais en
ce sens qu’elle transforme le travail employé par le possesseur de
machines en travail plus efficace. [...] Ainsi se vérifie la
loi selon laquelle la survaleur provient non des forces de travail
que le capitaliste remplace par la machine, mais au contraire de
celles qu’il y emploie.
Marx
– le
Capital
E2 – Peut-on être
heureux sans être libre ?
Les
hommes se croient libres parce qu'ils ont conscience de leurs désirs
et qu'ils ne pensent pas aux causes qui les disposent à désirer,
parce qu'ils les ignorent [...]. Le corps humain est affecté d'un
très grand nombre de façons par les corps extérieurs, et lui-même
est disposé à affecter les corps extérieurs d'un très grand
nombre de façons16.
Or [...] l'esprit et le corps sont une seule et même chose conçue
tantôt sous l'attribut de la pensée, tantôt sous l'attribut de
l'étendue. Ni le corps ne peut déterminer l'esprit à penser ni
l'esprit ne peut déterminer le corps au mouvement ou au repos. Donc
l'esprit humain est apte à percevoir un très grand nombre de choses
et d'autant plus apte que son corps est disposé d'un plus grand
nombre de façons. [Cependant] de ce qui augmente ou diminue, aide ou
contrarie la puissance d'agir de notre corps, l'idée augmente ou
diminue, aide ou contrarie la puissance de penser de notre esprit.
[De sorte que] plus nous sommes affectés d'une plus grande joie,
plus nous passons à une perfection plus grande, c'est-à-dire plus
nous participons de la nature divine : [...] plus nous comprenons de
choses singulières, plus nous comprenons [...] cet être éternel et
infini que nous appelons Dieu ou la Nature.
Spinoza
–
Éthique
E3 – La liberté
suffit-elle au bonheur ?
Si
l’on recherche en quoi précisément consiste le plus grand bien de
tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on
trouvera qu’il se réduit à deux objets principaux, la liberté et
l’égalité : la liberté parce que toute dépendance particulière
est autant de force ôtée au corps de l’État ; l’égalité
parce que la liberté ne peut subsister sans elle. J’ai déjà dit
ce que c’est que la liberté civile17
: à l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre par ce mot
que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les
mêmes ; mais que, quant à la puissance, elle soit au-dessus de
toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des
lois, et, quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent
pour en pouvoir acheter un autre et nul assez pauvre pour être
contraint de se vendre. Ce qui suppose, du côté des grands,
modérations de biens et de crédit, et, du côté des petits,
modération d’avarice et de convoitise. Cette égalité,
disent-ils, est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans
la pratique. Mais si l’abus est inévitable, s’ensuit-il
qu’il ne faille pas au moins le régler ? C’est précisément
parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité,
que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir.
Rousseau
– du
Contrat Social
F – LIBERTÉ – JUSTICE –
LOI
F1 – Est-ce l'injustice
des hommes qui fait l'inefficacité des lois ou le contraire ?
Le
meilleur État [...] est celui où les hommes vivent dans la concorde
et où la législation nationale est protégée contre toute
atteinte. En effet, il est certain que les séditions, les guerres,
l’indifférence systématique ou les infractions effectives
aux lois sont bien plus imputables aux défauts d’un État donné
qu’à la méchanceté des hommes. Car les hommes ne naissent point
membres de la société mais s’éduquent à ce rôle ; d’autre
part les sentiments humains naturels sont toujours les mêmes18.
Au cas donc où la méchanceté régnerait davantage et où le nombre
de fautes commises serait plus considérable dans une certaine nation
que dans une autre, une conclusion évidente ressortirait d’une
telle suite d’événements : cette nation n’aurait pas pris de
dispositions suffisantes en vue de la concorde et sa législation
n’aurait pas été instituée dans un esprit suffisant de sagesse19.
Spinoza
– Traité
Politique
F2 – Une justice
universelle est-elle envisageable ?
Sur quoi [le souverain] la fondera-t-il l’économie du monde20
qu’il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier
? Quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? Il l’ignore.
Certainement, s’il la connaissait, il n’aurait pas établi
cette maxime21,
la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que
chacun suive les mœurs de son pays. L’éclat de la véritable
équité aurait assujetti22
tous les peuples et les législateurs n’auraient pas pris pour
modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les
caprices des Perses et des Allemands. On la verrait plantée par tous
les États du monde et dans tous les temps, au lieu qu’on ne voit
rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant
de climat [...]. Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité
au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. De cette confusion
arrive que l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité
du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la
coutume présente. Et c’est le plus sûr : rien selon la seule
raison n’est juste de soi ; tout branle avec le temps. La coutume
fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue
; c’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramène à
son principe l’anéantit.
Pascal
– Pensées
F3 – Une décision
légale est-elle toujours juste ?
La
loi est toujours quelque chose de général et il y a des cas
d’espèce pour lesquels il n’est pas possible de poser un énoncé
général qui s’y applique avec rectitude. Dans les matières,
donc, où on doit nécessairement se borner à des généralités,
et où il est impossible de le faire correctement, la loi ne prend en
considération que les cas les plus fréquents, sans ignorer
d’ailleurs les erreurs que cela peut entraîner. La loi n’en est
pas moins sans reproche, car la faute n’est pas à la loi, ni au
législateur, mais tient à la nature des choses, puisque par leur
essence même, la matière des choses de l’ordre pratique revêt ce
caractère d’irrégularité. Quand, par la suite, la loi pose une
règle générale et que là-dessus survient un cas en dehors
de la règle générale, [le juge] est alors en droit, là où le
législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de
simplification, de corriger l’omission et de se refaire
l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il
avait été présent à ce moment et de ce qu’il aurait porté dans
sa loi s’il avait connu le cas en question. Ce qui fait que tout ne
peut s'exécuter dans la Cité par le seul moyen de la loi. [Car] la
nature de la justice équitable est en effet de compléter ou de
rectifier la justice légale là où la loi est insuffisante à cause
de la forme générale qu'elle doit toujours prendre.
Aristote
– Éthique
à Nicomaque
1
Célèbre rhéteur (orateur) de la Grèce du IV° siècle av.J-C.,
connu pour la qualité de ses discours et pour l'efficacité de son
enseignement.
2
Courant philosophique (aussi appelé sceptique)
fondé par Pyrrhon d’Elis qui soutient qu’on doit suspendre son
jugement car on ne peut jamais rien savoir avec certitude.
3
"Combien
de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce
lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu,
quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? […] Il n’y a
point d’indices concluants ni de marques assez certaines par où
on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, j’en
suis tout étonné, et mon étonnement est tel qu’il est presque
capable de me persuader que je dors."(Descartes
- Méditations
Métaphysiques)
4
"Ce
qui possible est déterminé a
priori
comme objet d’une expérience possible en général."(Kant
- Critique
de la Raison Pure)
5
On dirait aujourd'hui "leur
hypothèse".
6
Au moment de la rédaction de ce texte (fin du XVIII° siècle), la
chimie comme discipline scientifique autonome n’existe pas encore.
7
"La
nature d'un être, ce vers quoi il tend [...], c'est la forme qui
est tirée de sa matière."(Aristote
- Physique)
8
En grec, logos,
qui signifie à la fois "parole" et "raison".
9
"La
vie se divise en labeur et loisir [...] en ce qui est indispensable
et en ce qui est bon."(Aristote
- Politique)
10
Les
institutions féodales
correspondent au système économique qui s'est développé au
Moyen-Âge et qui était fondé sur le servage
(esclavage).
En revanche, les institutions bourgeoises
ou capitalistes
sont
celles du système
économique né de la révolution industrielle, fondé sur l'échange
marchand et tourné vers le profit individuel.
11
Il fait une diègèsis,
une narration.
12
Il fait une mimèsis,
une imitation.
13
Honneurs réservés aux hôtes
prestigieux dans la civilisation grecque.
14
"Le
névrosé est attaché à un moment de son passé où son désir
n’était pas privé de satisfaction [et il] reproduit
inconsciemment cette satisfaction de la première enfance ;
mais sous l’effet du conflit avec le moi, cette satisfaction est à
la fois déformée et douloureuse."(Freud
- Introduction
à la Psychanalyse)
15
"Dans
la sublimation, entre en considération notre évaluation sociale :
les forces psychiques des pulsions agressives et sexuelles refoulées
sont détournées vers d’autres buts."(Freud
- Culture
et Morale Sexuelle)
16
"La
puissance qui permet aux choses singulières de conserver leur être,
est la puissance même de Dieu, c’est-à-dire de la
Nature."(Spinoza
- Éthique)
17
"Je
ne connais de liberté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a
le droit d’opposer de la résistance [...]. Ainsi la liberté sans
la justice est une véritable contradiction [...]. Il n’y a donc
point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des
lois."(Rousseau
- Lettres
écrites de la Montagne).
18
"Donc,
pour que les hommes puissent vivre dans la concorde et se venir en
aide, il est nécessaire qu’ils renoncent à leur droit de Nature
et s’assurent réciproquement qu’ils ne feront rien qui puisse
faire du mal à autrui. [Et comme] nul sentiment ne peut être
contrarié que par un sentiment plus fort et opposé au sentiment à
contrarier, chacun s’abstiendra de faire un mal par crainte d’un
mal plus grand et accomplira un bien par espoir d’un bien plus
grand."(Spinoza
- Éthique)
19
"La
raison ne demande dont rien contre la Nature, elle demande que
chacun s'aime soi-même, qu'il cherche ce qui lui est réellement
utile et qu'il désire ce qui conduit réellement l'homme à une
plus grande perfection."(Spinoza
- Éthique)
20
L'organisation de la société.
21
Le principe.
22
L'éclat de la véritable
justice se serait imposé à tous les peuples.
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