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lundi 18 février 2013

L'AFFAIRE DE L'ART.143 OU BROUILLAGE POUR TOUS ET VERBIAGE HOMOSEXUEL.

"Le projet de loi propose d’insérer un article 143 dans le code civil consacrant le mariage pour tous les couples ainsi rédigé : « Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. »" (cf. le site de l'Assemblée Nationale, 3.1.1). Je vais tenter ici de faire à propos de ce projet de loi ce que doit faire le philosophe : montrer que "la rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle ; elle a découvert un procédé qui sert à convaincre ; devant un public d’ignorants, elle a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs."(Platon, Gorgias, 459b). Mon dessein n'est pas ici de défendre une réforme purement formelle dont l'actualité ne me semble pas, qui plus est, dépourvue de toute arrière-pensée idéologique, mais bien plutôt de dénoncer et de pourfendre l'imposture lexicale et sémantique dans laquelle se complaisent manifestement quelques uns de ses adversaires les plus acharnés et les plus bruyants (à défaut d'être brillants !) en faisant passer pour importantes et profondes des difficultés qui ne sont, le plus souvent, que de grossières confusions conceptuelles qui, assurément, nous en apprennent davantage sur leurs auteurs que sur l'objet du débat.

Commençons, justement, par nous insurger contre la manière dont les media (après avoir, comme de bien entendu, enrôlé sous leur bannière un certain nombre de ces "philosophes" qui, en cette occurrence comme en d'autres, ne savent pas résister à la tentation de se comporter en ce que Nizan appelle des "chiens de Garde" de l'ordre établi, cf. Philosophie et Journalisme ainsi que, infra, le cas particulier des psychanalystes) ont pris le parti de présenter ledit objet du débat : pour ou contre le "mariage pour tous" (dans le meilleur des cas : présentation large), pour ou contre le "mariage homosexuel" (dans le cas moyen), pour ou contre le "mariage gay" (dans le pire des cas : présentation étroite). D'abord, nous ferons humblement remarquer à ceux qui colportent de telles formules que la forme des expressions "mariage homosexuel" ou "mariage gay" est aussi grammaticalement incorrecte que celle de "geste citoyen" ou "malaise lycéen" puisque ces soi-disant adjectifs n'existent tout simplement pas mais sont en fait des substantifs : s'il y a un sens à parler du mariage des homosexuels, ou bien pour les homosexuels, en revanche un mariage peut être dit civil ou religieux, discret ou fastueux, réussi ou raté, mais certainement pas "homosexuel" ou "hétérosexuel". Disons que, là comme en bien des circonstances, l'impropriété de la forme du discours laisse mal augurer de la maîtrise du fond de l'affaire et que ceux qui brutalisent sans vergogne cet instrument privilégié de la pensée qu'est le langage ne sont jamais très loin de brutaliser aussi ladite pensée, si ce n'est les être pensants eux-mêmes. Or, précisément, il est clair que, introduit par de telles formules (y compris "mariage pour tous"), il n'y a guère à s'étonner que le projet de loi donne lieu à des réactions quelque peu irrationnelles ("bientôt, on pourra épouser des animaux !" ou bien "maintenant, il n'y en a plus que pour les pédés !") de la part d'une opinion qui ne "connaît" des problèmes évoqués dans les media que les formules lapidaires (et grammaticalement fautives !) par lesquelles on les lui présente. Car le problème, tel qu'il devrait être annoncé par les media si ces derniers avaient réellement le souci d'informer et pas seulement celui de soigner leur audience, le problème tel qu'il devrait donc faire l'objet du débat est tout autre : il s'agit en effet d'un "projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe"(loc. cit. titre). Et qu'on ne vienne pas me dire que "mariage pour tous", "mariage pour les homosexuels", "mariage pour les gays" et "mariage pour les couples de personnes de même sexe", sont des expressions de même sens. À vouloir à tout prix trouver des formules percutantes assimilables par le plus grand nombre afin de "gagner des parts de marché", les media prennent le risque de caricaturer plutôt que de synthétiser. Imaginez qu'au lieu de "Déclaration Universelle des Droits de l'Homme", on dise "Déclaration Universelle des Droits des Êtres Vivants" (présentation large) ou bien "Déclaration Universelle des Droits des Juifs" (présentation étroite) et vous comprendrez sans peine la difficulté. Les "Droits de l'Homme" ne s'étendent pas à tous les êtres vivants et ne se restreignent pas non plus aux seuls Juifs. Or, ce qui semble aller de soi ici, ne saute pas aux yeux là : en parlant de "mariage pour les gays" ou même (avec un terme moins restrictif car incluant les lesbiennes) de "mariage pour les homosexuels", on emploie des termes qui, outre qu'ils modifient la lettre du projet de loi (puisque les expressions "mariage pour tous", "mariage homosexuel", "mariage gay" n'y figurent pas), en pervertissent surtout l'esprit : "mariage pour tous" laisse ouverte la possibilité que n'importe qui épouse n'importe qui, auquel cas, on ne voit pas très bien en quoi on aurait besoin d'une loi pour le réglementer, "mariage pour les homosexuels" et, pire, "mariage pour les gays" laissent entendre, d'une part que deux hétérosexuels de même sexe (par exemple deux excellents amis) ne seraient pas concernés par ces dispositions, d'autre part que celles-ci créeraient de nouveaux droits pour les seuls homosexuels ou, pire, pour les seuls gays, trois interprétations qui sont également fausses : "il ne s’agit pas de réformer l’institution du mariage. [...] Il ne modifie pas le droit existant, applicable aux couples de personnes de sexe différent."(cf. le site de l'Assemblée Nationale). Par ailleurs, et ce n'est pas le moins grave, les formules "mariage homosexuel" et "mariage gay" sont loin d'être dépourvues de connotations dépréciatives dans l'opinion publique et dans les media. De même que, si l'on eût parlé de "Droits des Juifs" en 1948, c'eût été, à juste titre, perçu, au mieux comme une maladresse, au pire comme une malveillance. Et si on ne dit pas aujourd'hui (en tout cas dans l'espace public) "mariage pour les pédés et les gouines", c'est, de même qu'on n'eût pas osé "Droits des Youpins", probablement juste parce que ces propos sont pénalement constitutifs d'un délit d'injure de la part de leurs auteurs. Aussi, parlerai-je désormais de "l'affaire de l'art.143", à la fois pour corriger le détournement médiatique en faisant droit à la réalité objective et, en même temps, pour inclure avec le terme "affaire" l'atmosphère délétère dans laquelle baigne le débat. On verra en tout cas, dans la suite de l'article, à quel point le choix (ou l'occultation) des termes pour en introduire (ou en taire) certains aspects prédétermine ce débat où l'ignorance et la bêtise le disputent souvent à la méchanceté et à la perversité.

L'un des arguments rhétoriques le plus souvent utilisés lorsqu'il s'agit de vouer aux gémonies une innovation sociale1 en en précipitant directement la représentation vers le cerveau reptilien des êtres humains afin de décourager par avance toute tentative de réflexion rationnelle consiste à en invoquer les conséquences en termes catastrophistes. Un site internet qui me semble, à cet égard, tout à fait représentatif de cette tendance est Infoselec.net qui intitule son dossier, d'ailleurs fort abondamment documenté, "contre le mariage gay [sic !] et l'homoparentalité - Pour les droits de l'enfant : des arguments forts portés par des personnalités de toutes tendances". Bien que l'amalgame fasse craindre un inventaire à la Prévert, il y a là cependant, à défaut de cohérence logique, une remarquable unité sémantique, confirmée par l'impressionnante monotonie lexicale du contenu et qui vient du ressassement ad nauseam, en fait d'"arguments forts portés par des personnalités de toutes tendances", d'un argument unique décliné sous des développements (à peine) différents : si la loi est adoptée, nous courons à la catastrophe. Quelle catastrophe ? Le dossier la conclut sans détour : "le risque d'ouvrir la boîte de Pandore ? Une nouvelle revendication émergente : polyamour et trouples"(loc. cit.). Ah, la boîte de Pandore ! Tous les malheurs du monde ! Rien que ça ? Et c'est quoi, pour nos journalistes virtuels, "tous les malheurs du monde" ? "Polyamour [sic !] et trouples [re-sic !]". En gros (d'après ce que j'ai compris, pour "polyamour" du moins, parce que, pour "trouples", si quelqu'un peut m'expliquer ...), si, ce qu'à Dieu ne plaise, ce funeste projet de loi venait à être adopté, eh bien la famille traditionnelle ("Papa, Maman" comme disait Deleuze) serait abolie et (on voit tout de suite le lien de consécution) la débauche sexuelle sans limite serait institutionnalisée, car, qu'on ne s'y trompe pas, c'est "une nouvelle revendication émergente". Revendication qui émerge de qui, demanderez-vous ? Élémentaire, mes chers Watson ! Revendication de la part de toute cette lie de l'humanité qui avance masquée et qui fait du lobbying pour saper le pilier institutionnel et moral de notre belle civilisation, à savoir ... la famille. Sans m'étendre outre mesure sur l'irrationalité d'une défense et illustration de la famille dont les défenseurs devraient, tout au contraire, se réjouir de voir s'y rallier toute une frange de la population jusque là non concernée par, voire hostile à elle, ni sur les aspects clairement hystériques d'une version d'une thèse conspirationniste déjà passablement usée aux épreuves passées de l'institution du divorce, de celle de la PMA, puis de l'IVG, puis du PACS, et à laquelle, à n'en point douter, nous aurons encore droit lorsqu'il s'agira de débattre sur le droit à l'euthanasie, je terminerai l'examen de cet argument en faisant deux brèves remarques :
- d'abord, comme le précise le document mis en ligne sur le site de l'Assemblée Nationale, la France n'est pas le premier État à désirer ouvrir l'institution du mariage aux couples de même sexe : "six pays, en Europe, ont légalisé le mariage entre personnes de même sexe, les Pays-Bas ont été les premiers en 2001, suivis de la Belgique en 2003, de l’Espagne en 2005, de la Norvège et de la Suède en 2009, et du Portugal en 2010. Dans ces six pays, le régime applicable au mariage entre personnes de même sexe est identique à celui appliqué au mariage entre personnes de sexe différent"(loc. cit., 1.3.1.b) ; eh bien, le croirez-vous, aucun de ces pays ne s'est encore, pour autant que nous le sachions, sodome-et-gomorrhisé ; ne fût-ce qu'en raison de la stabilité de la demande de mariage entre personnes de même sexe à un niveau tout à fait marginal (autour de 2% en Espagne, de 5% en Belgique, sources loc. cit.)
- ensuite, il semble aller de soi que toute réforme sociale, quelles que soient son ampleur et sa profondeur, doive obligatoirement tenir compte de ses conséquences prévisibles ; mais rien n'est moins sûr : Max Weber distingue "l'éthique de responsabilité" comme comportement tourné vers le mieux-vivre et accompagné d'un sentiment de responsabilité à l'égard des conséquences de nos actes, et "l'éthique de conviction" qui est un comportement fondé sur l'adhésion de l'agent à un ou plusieurs principes intangibles2 ; or, précisément, s'agissant de l'affaire de l'art.143, je ne vois pas pourquoi l'éthique de conviction ne suffirait pas à motiver les promoteurs et les partisans du projet loi, comme cela est souvent le cas dans l'action révolutionnaire, comme cela l'a été pour la plupart des faits de Résistance, et comme ce le fut aussi probablement lors de l'abolition de l'esclavage ou, beaucoup plus récemment, de la peine de mort ("dans l'Histoire, rien de grand ne s'est jamais fait sans éthique de conviction !" pourrait-on dire, pour parodier Hegel3) ; de même, il est flagrant que c'est de cette dernière démarche, et non d'une éthique de responsabilité conséquentialiste, que procède majoritairement l'opposition à ce projet de loi, et, notamment, tout réquisitoire catastrophiste qui, à des conséquences statistiquement projetables, en préfère d'autres qui sont dogmatiquement fantasmées.

Et si j'insiste sur le caractère dogmatique de la fantasmagorie catastrophiste, c'est que, traditionnellement, et comme par hasard, les clergés s'invitent systématiquement dans tout débat de ce genre qui donnent invariablement à la catastrophe le caractère d'un apocalypse. Le débat sur l'art. 143 n'y aura, évidemment, pas échappé. Ainsi, M. Dalil Boubakeur, Recteur de la Grande Mosquée de Paris, déclare-t-il : "[le mariage entre personnes de même sexe] est un acte volontaire qui met ces deux personnes en marge de la communauté musulmane. C’est un choix qui les écarte des valeurs de l’Islam. En s’affichant ainsi ils font en sorte de ne plus être reconnus par la Oumma, la communauté des musulmans. [...] Parce que l’hétérosexualité est nécessaire pour prolonger l’œuvre de Dieu et entrer dans le projet de vie. Cela relève des principes religieux. [...] Nous n’avons pas à intervenir dans les lois de la nature. L’être est comme il naît."(interview donnée à LGP-Marseille). Pour sa part, M. Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France, rappelle que "la complémentarité homme-femme est un principe structurant dans le judaïsme. [...] Ce principe trouve, pour moi, son fondement dans la Bible [...] : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » (Genèse 1, 27). Le récit biblique fonde la différence sexuelle dans l’acte créateur. [...] L’expérience de la différence sexuelle devient ainsi le modèle de toute expérience de la transcendance qui désigne une relation indissoluble avec une réalité absolument inaccessible. [...] Si ce n’est plus l’identité sexuelle des individus qui prime mais leur orientation sexuelle, [...] pourquoi ne pas institutionnaliser l’union de deux personnes, quelles qu’elles soient ? [...] Face à cette déferlante de revendications, il est légitime de se demander si l’objectif des militants n’est pas finalement la destruction pure et simple du mariage et de la famille."(extrait de son ouvrage Mariage Homosexuel [sic !], Homoparentalité et Adoption). Quant à Sa Sainteté Benoït XVI, Pape de l'Église Romaine Catholique, il dénonce "l'atteinte à l'authentique forme de la famille, constituée d'un père, d'une mère et d'un enfant – une atteinte à laquelle nous nous trouvons exposés aujourd'hui – parvient à une dimension encore plus profonde. [...] Si jusqu'ici nous avons vu comme cause de la crise de la famille un malentendu sur l'essence de la liberté humaine, il devient clair maintenant qu'ici est en jeu la vision de l'être même, de ce que signifie en réalité le fait d'être une personne humaine."(voeux à la Curie Romaine, rapportés par le Monde). Bien entendu, tout le monde a le droit d'avoir des convictions défavorables au projet de loi sur l'art.143, lesquelles convictions peuvent sans doute constituer des principes éthiques intangibles au sens de Weber évoqué supra, principes éthiques dont une certaine pratique religieuse est susceptible, pourquoi pas, de constituer la source d'inspiration4. Rien de tout cela ne me semble vraiment problématique5. En revanche, une fois déconnecté d'une certaine pratique liturgique destinée à magnifier métaphoriquement la beauté sacrée de la vie, ou une fois abstrait d'une réflexion métaphysique approfondie dont nos trois représentants cultuels sont d'ailleurs coutumiers, en quoi l'argument selon lequel Dieu nous aurait créés homme et femme peut-il aider quiconque à y voir plus clair quant à la portée, aux limites et aux enjeux du projet de loi en question ? Certes, on voit mal comment l'idée d'accorder le droit au mariage, à l'adoption ou à la procréation assistée à des personnes de même sexe pourrait s'insérer dans les schèmes conceptuels respectifs de ce Pape, de ce Rabbin ou de cet Imam6. Mais que l'individu Lambda aille répétant que le projet de loi est un scandale au seul motif que Dieu nous a créés homme et femme est à peu près aussi délirant que s'il s'opposait à une transplantation d'organe au seul motif que Dieu a tiré Adam de la terre glaise ! Comme le fait remarquer Wittgenstein, les croyances religieuses, pour respectables, et peut-être même nécessaires qu'elles soient, ne sont pas cependant des connaissances, a fortiori des connaissances vraies7. C'est pourquoi je trouve proprement scandaleux, tout particulièrement dans un pays laïc comme le nôtre, que d'éminentes personnalités cultuelles (et encore, ne se borne-t-on là qu'à des représentants des trois principaux cultes pratiqués dans notre pays) se prévalent, sous couvert de liberté d'expression, de leur autorité spirituelle pour, sinon, créer, du moins entretenir, en tout cas exploiter cette obscurité et cette confusion de la pensée qui est le propre même de l'ignorance, personnalités qui "savent bien, en effet, que l'ignorance une fois disparue ferait disparaître l'admiration, c'est-à-dire l'unique base de tous leurs arguments, l'unique appui de leur autorité"(Spinoza, Éthique, I, app.). Et de la même façon que la gent journalistique instrumentalise l'angoisse des plus fragiles devant l'avenir et l'autorité des media auprès d'eux, de la même façon, la gent cléricale instrumentalise le conformisme religieux des fidèles et l'autorité de la théologie à leur égard.

Cela dit, le débat à propos de l'art.143 nous aura quand même gratifié d'une innovation rhétorique en matière d'instrumentalisation des références. Car, faire appel aux courants réactionnaires que sont massivement les media et les clergés pour faire échec au progrès social est une chose, mais enrégimenter au service de la réaction une force traditionnellement progressiste, voilà qui est beaucoup plus fort. Or, c'est précisément ce que d'aucuns auront, sinon réalisé, du moins tenter de faire, avec la psychanalyse. Disons tout de suite que, le 13 janvier 2013, 560 psychanalystes ont signé une pétition intitulée des Psychanalystes face à l'Égalité des Droits et le "Mariage pour Tous" et qui commence par "nous, psychanalystes (ou en formation psychanalytique), souhaitons par ce communiqué exprimer que « La psychanalyse » ne peut être invoquée pour s’opposer à un projet de loi visant l’égalité des droits. Au contraire, notre rapport à la psychanalyse nous empêche de nous en servir comme une morale ou une religion. En conséquence, nous tenons à inviter le législateur à la plus extrême prudence concernant toute référence à la psychanalyse afin de justifier l’idéalisation d’un seul modèle familial."(loc.cit.). Cette pétition entend, entre autres, réagir contre les prises de position médiatiques (cf. Infoselec.net) d'un certain nombre d'autres psychanalystes qui, sur le même ton apocalyptique que nos prophètes médiatico-cléricaux, martelaient comme un grand invariant anthropologique tout autant qu'une nécessité psychologique inquestionnable le fait que l'identité personnelle, notamment sexuelle, d'un enfant ne puisse se construire en dehors d'un modèle familial unique dans lequel un papa cohabite avec une maman. Passons rapidement sur l'hommage que le vice de la pensée unique véhiculée par les media et qui, il n'y a pas si longtemps, portait aux nues un pamphlet haineux et caricatural intitulé le Livre Noir de la Psychanalyse émanant du lobby cognitivo-comportementaliste, rend à présent à la vertu psychanalytique dont le retour en grâce auprès d'elle est tout à fait miraculeux ! Ne nous intéressons qu'au lien logique qui est censé exister entre des prémisses "psychanalytiques" du raisonnement et la conclusion "donc ce projet de loi doit être rejeté". Il est facile de voir qu'il n'y en a pas puisque ces psychanalystes apportent dans le débat l'autorité que leur confère leur statut et rien d'autre. Pas le moindre argument tiré du corpus psychanalytique. Et pour cause : s'il n'y existe pas d'argument décisif en faveur du projet de loi (d'où l'attitude prudente des signataires de la pétition qui, sans se soustraire au débat, refusent néanmoins de le "psychanalyser"), il n'en existe certainement pas non plus qui puisse pencher en sa défaveur. Tout au contraire, il n'est pas de psychanalyste sérieux qui ignore à quel point le courant freudien, tout autant que le courant lacanien, témoignent du caractère éminemment problématique du fait familial et de ces soi-disant évidences selon lesquelles l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe serait contre nature, l'homosexualité une perversion, le couple hétéro-sexuel une nécessité éducative. Anti-naturel le fait d'avoir deux parents de même sexe ? Oui, et alors ? "La culture désigne la somme totale des réalisations et dispositifs par lesquels notre vie s’éloigne de celle de nos ancêtres animaux et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux. "(Freud, Malaise dans la Culture) : la culture peut s'éloigner de la nature, et même doit, dans certains cas, le faire pour nous en protéger, notamment lorsqu'il s'agit de réglementer les relations sociales. On est plein coeur du débat. Une perversion, l'homosexualité ? Encore une fois : oui et alors ? "La disposition à la perversion n'est pas quelque chose de rare et de particulier, mais est une partie de la constitution dite normale"(Freud, trois Essais sur la Théorie de la Sexualité), voulant dire par là que tout comportement érotique non-conforme à l'instinct naturel de perpétuation de la vie est réputé pervers, ce qui, d'une part, fait de la perversion un concept purement descriptif et non normatif, d'autre part, concerne tous les comportements érotiques (tant homosexuels, qu'hétérosexuels) dont la finalité n'est pas la procréation naturelle8. Nécessité éducative, l'hétéro-parentalité ? Absolument pas. "Toute l’interrogation freudienne se résume à ceci : qu’est-ce qu’être un père ? Ce fut pour Freud le problème central, le point fécond à partir duquel toute sa recherche est, véritablement, orientée. [...] Le père, on peut s’en passer, à condition de s’en servir"(Lacan, au-delà du Principe de Plaisir). Et effectivement, pour Freud, "tout être humain se voit imposer la tâche de maîtriser le complexe d’Œdipe"(trois Essais sur la Théorie de la Sexualité). Le père, c'est celui qu'on désire tuer parce qu'il impose des restrictions à la satisfaction des pulsions, mais qu'on ne tue pas parce qu'on finit par intégrer ces restrictions à un niveau impersonnel et abstrait. D'où l'aphorisme de Lacan : père et mère sont des fonctions symboliques assurées par des structures signifiantes ("à condition de s'en servir") et non pas des fonctions biologiques ("on peut s'en passer"). En d'autres termes, et c'est bien ce qui nous importe ici, il n'est nullement nécessaire que le père, qui signifie la loi, le non aux pulsions, soit le géniteur, ni même un homme. Symétriquement, il n'est pas non plus nécessaire que la mère, qui signifie la caresse, le oui au plaisir, soit la génitrice, ni même une femme.

Enfin, et même si l'homosexualité n'est pas l'objet central du projet de loi, "il n’est pas inutile non plus de faire un retour aux prises de position de Freud [qui] signa une pétition [...] demandant l’abrogation du paragraphe 175 du code pénal allemand réprimant l’homosexualité masculine"(pétition citée supra) et abandonner les enjeux fictifs et fantasmés du projet de loi pour dire un mot de son enjeu explicite et objectif : plus d'égalité, ou, pour être plus exact, moins d'inégalité à l'égard d'une orientation sexuelle traditionnellement stigmatisée dans nos sociétés, et pas seulement en termes de grasses plaisanteries aux comptoirs des cafés. Faut-il rappeler, par exemple, qu'il a fallu attendre, en France, juin 1981 pour que fût officiellement aboli le fichage des homosexuels par les préfectures de police, et la loi du 27 juillet 1982 pour que l'homosexualité n'y fût plus considérée comme un délit passible de sanctions pénales, qu'il faudra patienter jusqu'au 17 mai 1990 pour que l'homosexualité fût officiellement rayée de la liste des maladies mentales par l'OMS ! Aussi, loin des figurations métaphysiquement ou esthétiquement idéalisées de l'homosexualité masculine que l'on trouve, par exemple, chez Platon (le Banquet, Phèdre) ou Homère (l'Iliade), la littérature moderne nous a parfois gratifiés de tableaux poignants de la condition homosexuelle réelle. Faisant, dans les années 1910 une analogie entre la question homosexuelle et la question juive, analogie dont l'auteur ne sait pas encore à quel point la barbarie nazie la justifiera quelques décennies plus tard, Marcel Proust dresse un inventaire terrible des caractères de cette "race maudite" : 
"Race maudite puisque ce qui est pour elle l'idéal de la beauté et l'aliment du désir est aussi l'objet de la honte et la peur du châtiment, et qu'elle est obligée de vivre jusque sur les bancs du tribunal où elle vient comme accusée et devant le Christ dans le mensonge et dans le parjure [...] ; race maudite, persécutée comme Israël et comme lui ayant fini, dans l'opprobre commun d'une abjection imméritée, par prendre des caractères communs, l'air d'une race, ayant tous certains traits caractéristiques, des traits physiques qui souvent répugnent, qui quelquefois sont beaux [...] ; exclus de la famille, avec qui ils ne peuvent être en entière confidence, de la patrie, aux yeux de qui ils sont des criminels non découverts, de leurs semblables eux-mêmes, à qui ils inspirent le dégoût [...], exclus de l'amitié parce que leurs amis pourraient soupçonner autre chose que de l'amitié quand ils n'éprouvent que de la pure amitié pour eux, et ne les comprendraient pas s'ils leur avouaient quand ils éprouvent autre chose [...] ; comme Israël encore recherchant ce qui n'est pas eux, ce qui ne serait pas d'eux, mais éprouvant pourtant les uns pour les autres, sous l'apparence des médisances, des rivalités, des mépris du moins homosexuel pour le plus homosexuel comme du plus déjudaïsé pour le petit Juif, une solidarité profonde dans une sorte de franc-maçonnerie [...] ; mais prouvant alors par sa résistance à la prédication, à l'exemple, au mépris, aux châtiments de la loi, une disposition que le reste des hommes sait si forte et si innée qu'elle leur répugne davantage que des crimes qui nécessitent une lésion de la moralité, car ces crimes peuvent être momentanés et chacun peut comprendre l'acte d'un voleur, d'un assassin, mais non d'un homosexuel [...] ; au théâtre, au bagne, sur le trône, se déchirant et se soutenant, ne voulant pas se connaître mais se reconnaissant, et devinant un semblable dont surtout il ne veut pas s'avouer lui-même -encore moins être su des autres- qu'il est le semblable [...] ; race qui met son orgueil à ne pas être une race, à ne pas différer du reste de l'humanité, pour que son désir ne lui apparaisse pas comme une maladie, leur réalisation même comme une impossibilité, ses plaisirs comme une illusion, ses caractéristiques comme une tare."(Proust, contre Sainte -Beuve, xiii). 
Il faudrait beaucoup de temps et d'espace pour commenter adéquatement la pertinence sociale et la profondeur morale et psychologique de ce texte, pour ne rien dire de sa valeur littéraire9. Qu'il me suffise ici de relever les concepts-clés de l'analyse proustienne de la condition homosexuelle : malédiction, persécution, abjection, exclusion, mais aussi solidarité, résistance, reconnaissance, orgueil. Et de mentionner la réaction de cette grande lectrice de Proust que fut Hannah Arendt au rapprochement opéré entre les conditions respectives des homosexuels et des Juifs : 
"Le faubourg Saint-Germain tel que le décrit Proust [dans à la Recherche du Temps Perdu] admettait les invertis parce qu'il se sentait attiré par ce qu'il considérait comme un vice. Proust montre comment M. de Charlus, auparavant toléré « malgré son vice »[...] est maintenant porté au zénith social. Il n'avait plus besoin de mener une double vie et de cacher ses relations suspectes ; au contraire, on l'encourageait à amener ses amis dans les salons élégants. Certains sujets de conversation qu'il eût auparavant évités de crainte qu'on ne soupçonnât son anomalie -l'amour, la beauté, la jalousie- éveillaient maintenant une curiosité avide [...]. Il arriva aux Juifs une aventure analogue. La société du Second Empire avait toléré et même accueilli avec faveurs certains Juifs anoblis et des exceptions individuelles. Maintenant, les Juifs en tant que tels étaient de plus en plus à la mode. Dans un cas comme dans l'autre, la société ne revenait pas du tout sur un préjugé. Elle ne doutait pas un seul instant que les homosexuels fussent des « criminels » ni les Juifs des « traîtres »"(Arendt, les Origines du Totalitarisme, I, iii). 
Comment tolérer pour mieux mépriser, accueillir pour mieux exclure, faire des exceptions pour mieux établir la règle : voilà le mécanisme cynique d'intégration que se sont vu offrir à la fois les Juifs et les homosexuels. Paradoxe destiné à secouer toutes les bonnes consciences qui, confondant tolérance, accueil et intégration avec respect, dignité et égalité, oublient qu'après tout on a toujours éprouvé pour les monstres exhibés dans les foires ou pour les expositions coloniales du Jardin d'Acclimatation, une trouble sympathie où le dégoût le dispute à la pitié. Paradoxe qui permet, en tout cas, d'objecter que jurer, la main sur le coeur, n'être pas homophobe (ou pas raciste, ou pas sexiste, ou …) n'a jamais prouvé grand-chose !

C'est bien ça, me semble-t-il, le problème central qui émerge derrière le verbiage, le brouillage et l'enfumage rhétoriques tous azimuts. C'est que, dans cette réforme, il soit plus ou moins question d'égalité. Donc d'une menace pour les privilèges de certains, en l'occurrence, les machistes de tout poil, persuadés qu'ils sont qu'"il est à la fois conforme à la nature et avantageux que le corps soit commandé par l’âme, [car] la matière est à la forme ce que la femelle est au mâle dans la génération."(Aristote, Parties des Animaux, 687a). Reconnaissons que, rarement, analogie philosophique aura été aussi longtemps et profondément implantée dans l'inconscient collectif que celle-ci : l'homme est à la femme ce que l'âme est au corps et ce que la forme est à la matière (informe) ! Comment s'étonner que Marx et Engels voient, quelques siècles après Aristote, la famille zoomorphique comme le modèle originel de tout processus d'exploitation au sein d'une infrastructure inégalitaire de division du travail qui dégage une classe dominante sur la base de la domination sexiste10 ? Comment s'étonner que les serviteurs zélés de ladite classe dominante que sont aujourd'hui, notamment, les journalistes et les clercs, défendent avec acharnement un modèle d'organisation sociale dont dépend une bonne partie de leurs privilèges ? En tout cas, à défaut de faire l'éloge d'un texte où il n'est question de rien d'autre, après tout, que d'égalité de droits, c'est-à-dire d'égalité au sens étroit des "droits de l'homme", d'égalité bourgeoise, d'égalité purement abstraite et formelle pour une classe d'êtres humains (les homosexuels) qui est une classe logique sans être une classe sociale11, du moins convient-il de commencer par lire ce qui y est écrit : "dans un objectif d’égalité, le projet de loi prévoit d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe."(cf. le site de l'Assemblée Nationale). 
 

1Oui, je sais. Aujourd'hui, on dit "sociétal" dans la novlangue des media. Le terme "social" étant sans doute trop lourdement connoté socialiste, voire, horresco referens, communiste !
2"Il y a une opposition abyssale entre l’attitude de celui qui agit selon les maximes de l’éthique de conviction [Gesinnungsethisch], par exemple du chrétien qui fait son devoir et s’en remet à Dieu en ce qui concerne le résultat de son action, et l’attitude de ce­lui qui agit selon l’éthique de responsabilité [Verantwortungsethisch] et qui pense que nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes"(Weber, le Savant et le Politique, ii).
3"Rien ne s’est fait sans être soutenu par l’intérêt [...] que nous appelons passion lorsque l’individualité toute entière se projette sur un objectif"(Hegel, la Raison dans l’Histoire, ii, 2).
4 "L’on distingue une croyance religieuse à ce que tout dans la vie d’un individu obéit à la règle que fournit cette croyance"(Wittgenstein, Leçons sur la Croyance Religieuse, i).
5Entendons-nous bien. Je refuse l'amalgame (cf. Actualité de la Phylakocyônie) entre
- la religion comme ensemble de rites et de croyances pratiques destinées à séparer le sacré du profane, selon la définition de Durkheim, et, pourquoi pas, donner un sens, une orientation à la vie, comme le souligne Wittgenstein
- la théologie comme une branche particulière de la métaphysique qui, depuis Aristote, réfléchit sur le concept d'être en tant qu'être et, en particulier, sur le fondement premier, le "premier moteur" de l'être
- le cléricalisme comme forme de manipulation rhétorique de ceux qui se disent les interprètes de "la volonté de Dieu, c'est-à-dire l'asile de l'ignorance"(Spinoza, Éthique, I, app.).
C'est, bien entendu, de dénoncer l'intrusion dans le débat du cléricalisme et non de la religion qu'il est question ici.
6Je dis bien : de ceux-ci. Parce qu'avec des schèmes conceptuels à peine différents, il pourrait en aller tout autrement, comme le montre la position du journal Témoignage Chrétien qui titre : "Mariage pour tous [sic !] : un progrès humain". Inutile d'ajouter qu'on ne voit pas pourquoi ce qui vaut pour des Chrétiens ne devrait pas valoir pour des Musulmans, des Juifs, des Bouddhistes, des Hindouistes, etc.
7"Le discours religieux est une partie intégrante de l’action religieuse et non une théorie"(Wittgenstein, Lettre à Arvid Sjögren, 9 oct.1947).
8D'où la définition par Freud de l'enfance comme "perversité polymorphe". À cet égard, le mythe de l'androgyne primitif rapporté par Aristophane dans le Banquet (189d-193d) de Platon me semble avoir une tout autre valeur que le mythe d'Adam et Ève figurant dans la Genèse.
9Cf., notamment, la première partie de Sodome et Gomorrhe (quatrième livre de à la Recherche du Temps Perdu) où tous ces points sont repris et développés par l'auteur.
10"Se développe la division du travail qui ne se manifestait primitivement que dans les rapports des sexes, puis la division du travail qui résulte automatiquement ou spontanément des dispositions naturelles (vigueur physique, par exemple), des besoins, des hasards, etc. La division du travail n’acquiert son vrai caractère qu’à partir du moment où intervient la division du travail matériel et du travail intellectuel."(Marx et Engels, l'Idéologie Allemande). 
11"Les droits de l’homme distingués des droits du citoyen ne sont autres que les droits du membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la communauté "(Marx, à propos de “la Question Juive”)