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mercredi 7 octobre 2009

Y A-T-IL UNE VERITE DE L'EXPERIENCE SENSIBLE ?

B1 - Y A-T-IL UNE VÉRITÉ DE L'EXPÉRIENCE SENSIBLE ?





Voici le recensement de tous les actes de notre entendement qui nous permettent de parvenir à la connais­sance des choses, sans aucune crainte de nous tromper. Il n’y en a que deux à admettre, savoir l’intuition et la dé­duction. Par intuition, j’entends non la confiance flottante que donnent les sens ou le jugement trompeur d’une ima­gination aux constructions mauvaises1, mais le concept que l’intelligence pure et attentive forme avec tant de facili­té et de distinction qu’il ne reste absolument aucun doute sur ce que nous comprenons. Ou bien, ce qui est la même chose, le concept que forme l’intelligence pure et attentive, sans doute possible, concept qui naît de la seule lumière de la raison et dont la certitude est plus grande, à cause de sa plus grande simplicité, que celle de la déduction elle-même […]. Maintenant, on peut se demander pourquoi nous avons ajouté ici à l’intuition un autre mode de connaissance consistant dans la déduction, par laquelle nous entendons toute conclusion nécessaire tirée d’autres choses connues avec certitude. Il a fallu le faire parce qu’on sait la plupart des choses sans qu’elles soient évi­dentes, pourvu seulement qu’on les déduise de principes vrais et connus, et au moyen d’un mouvement continu et sans aucune interruption de la pensée qui voit nettement par intuition chaque chose en particulier.

Descartes – Règles pour la Direction de l’Esprit



Contexte : Descartes est un philosophe français du XVII° siècle (1596-1650), contemporain de Pascal (1623-1662). Comme lui, Descartes est non seulement philosophe mais encore mathématicien et scientifique.





Dans ce texte Descartes s'oppose à l'idée qu'il pourrait exister une vérité dont l'origine serait notre expérience sensible. En revanche, il défend l'idée que toute vérité ne peut provenir que de notre raison (ou intelligence, ou entendement), que ce soit sous forme d'intuition ou sous forme de déduction.





"Voici le recensement de tous les actes de notre entendement qui nous permettent de parvenir à la connais­sance des choses, sans aucune crainte de nous tromper"

Descartes annonce qu'il va faire l'inventaire ("le recensement") de toutes les situations au cours desquelles notre intelligence ou notre raison ("notre entendement") est en position active ("tous les actes") et non passive. Et il ajoute que de telles situations sont de nature à nous conduire à une connaissance certaine, hors de doute ("sans crainte de nous tromper"). Au terme de cette première phrase, on peut donc constater que Descartes, comme Pascal, va s'opposer aux pyrrhoniens (cf. A2).



"Il n’y en a que deux à admettre, savoir l’intuition et la dé­duction"

L'inventaire de ces situations où notre intelligence est en position active est vite fait. Il n'y en a que deux : "l'intuition et la déduction". On comprend que, pour Descartes tout comme pour Pascal il y a deux sources de vérités hors de doute (le coeur et la raison chez Pascal, l'intuition et la déduction pour Descartes). Mais on voit aussi que, contrairement à Pascal, ces deux sources de vérité concernent exclusivement la raison pour Descartes.



"Par intuition, j’entends non la confiance flottante que donnent les sens ou le jugement trompeur d’une ima­gination aux constructions mauvaises, mais le concept que l’intelligence pure et attentive forme avec tant de facili­té et de distinction qu’il ne reste absolument aucun doute sur ce que nous comprenons"

Dans cette très longue phrase, Descartes va donner une double définition de l'intuition : une définition négative d'abord (ce que l'intuition n'est pas), une définition positive ensuite (ce que l'intuition est).

Dans la définition négative, Descartes commence par confirmer que l'intuition ne concerne que la raison ou l'entendement en soulignant qu'elle est incompatible avec "les sens" et "l'imagination". En effet (cf. note 1), il est impossible de faire une distinction claire entre les perceptions sensibles (de la vue, l'ouïe, le toucher, le goût, l'odorat) que nous éprouvons lorsque nous sommes éveillés et celles que nous éprouvons lorsque nous rêvons : "il n'y a point d'indices concluants ni de marques assez certaines par où on puisse distinguer nettement la veille d'avec le sommeil"(Descartes, Méditations Métaphysiques). Lorsque nous rêvons, nous rêvons que nous sommes dans le réel et non pas que nous sommes dans un rêve. Les impressions visuelles, auditives, tactiles, olfactives, gustatives que nous éprouvons lorsque nous croyons être éveillés ne sont donc peut-être qu'un rêve. D'ailleurs, même lorsque nous prétendons être éveillés, nous reconnaissons parfois être victimes d'illusions. Par exemple un bâton rectiligne paraît rompu dès lors qu'on le plonge dans un liquide. C'est une sorte de mirage. Bref, nos sens (synonyme : notre "imagination", c'est-à-dire notre faculté à former des images) sont potentiellement trompeurs. On remarque là que Descartes s'oppose à Pascal : là où ce dernier proclame que "nous sentons que nous ne rêvons point", Descartes reprend l'argument du rêve tel que l'utilisent les pyrrhoniens.

Oui mais Descartes n'est pas un pyrrhonien puisqu'il annonce, dans la partie positive de la définition, que l'intuition est telle que "il ne reste absolument aucun doute sur ce que nous comprenons". Or on se souvient que les pyrrhoniens sont ceux qui doutent de tout, tout le temps et ne tout lieu. Le doute est donc pour Descartes, non pas une fin en soi, une conclusion, mais n'est qu'une méthode : il faut douter, dit-il, pour voir ce qui résiste au doute. Le doute est ainsi une sorte de filtre qui est destiné à retenir les vérités pures. Mais alors, s'il faut douter de ses sens, qu'est-ce qui va résister au doute ? En quoi va consister cette fameuse "intuition" ? Première vérité absolument hors de doute : j'existe comme être pensant. Parce que, même si tout n'est qu'illusion ou que rêve autour de moi, dans la mesure où je doute, c'est que je pense. Deuxième vérité hors de doute : Dieu existe. Parce que, si je doute, c'est que je suis imparfait, et si je suis imparfait, c'est qu'il existe de la perfection (au XVII° siècle on appelle Dieu cette perfection). Troisième vérité hors de doute : mon entendement ou ma raison doit pourvoir me conduire à la vérité. Parce que, si Dieu existe et bien que je sois imparfait, Dieu ne peut pas avoir créé mon intelligence pour que je me trompe tout le temps ; je dois donc moi-même posséder des traces de la perfection divine. Ces trois vérités absolument hors de doute, Descartes les appelle "vérités intuitives" ou encore "vérités métaphysiques". Voilà donc en quoi consiste "l'intuition".



"Ou bien, ce qui est la même chose, le concept que forme l’intelligence pure et attentive, sans doute possible, concept qui naît de la seule lumière de la raison et dont la certitude est plus grande, à cause de sa plus grande simplicité, que celle de la déduction elle-même"

Descartes rappelle dans cette phrase que, pour parvenir aux trois "vérités métaphysiques" ou "vérités intuitives", il importe au plus haut point que l'intelligence (ou entendement ou raison) soit "pure et attentive". Pure, c'est-à-dire sans être mélangée à des informations sensibles toujours potentiellement trompeuses. Attentive, c'est-à-dire sans être distraite par des informations qui viendraient d'une autre source qu'elle-même. Descartes fait alors une analogie pour montrer que la raison est vraiment la source de vérité la plus éminente qui soit : il parle de "la seule lumière de la raison". Ce qui veut dire que la vérité est à la raison et au monde de l'esprit ce que la lumière est au soleil et au monde matériel. Ou encore : de même que la lumière du soleil guide notre corps, de même la vérité de la raison guide notre esprit. Il est remarquable que les philosophes des Lumières, au XVIII° siècle, reprendront cette analogie à leur compte.



"Maintenant, on peut se demander pourquoi nous avons ajouté ici à l’intuition un autre mode de connaissance consistant dans la déduction, par laquelle nous entendons toute conclusion nécessaire tirée d’autres choses connues avec certitude"

On peut se demander effectivement pourquoi on aurait besoin de la déduction", c'est-à-dire d'une autre source de vérité que "l'intuition", puisque celle-ci nous conduit déjà à des vérités hors de doute (nos trois "vérités intuitives" ou "vérités métaphysiques"). La réponse de Descartes tient dans la définition de "la déduction" comme "toute conclusion nécessaire tirée d'autres choses connues avec certitude". L'exemple le plus significatif de ce que Descartes appelle "déduction" concerne ce qu'on a l'habitude d'appeler la "loi de Descartes" : de ce que deux droites x'x et y'y sécantes en O déterminent deux angles xÔy et x'Ôy' opposés par le sommet et donc égaux, angles qui peuvent être subdivisés en quatre sections égales par une bissectrice m'm, je déduis que xÔm=y'Ôm'. D'où, si xO et y'O sont des rayons de lumière, la loi optique que l'angle d'incidence est égal à l'angle de réflexion. Et on remarquera, en effet, que pour arriver à cette conclusion, nous ne faisons intervenir que le raisonnement et jamais l'expérience sensible (comparer avec Pascal, texte A2, questions 4 et 6).



"Il a fallu le faire parce qu’on sait la plupart des choses sans qu’elles soient évi­dentes, pourvu seulement qu’on les déduise de principes vrais et connus, et au moyen d’un mouvement continu et sans aucune interruption de la pensée qui voit nettement par intuition chaque chose en particulier"

En effet, on se souvient d'une part que Descartes est un mathématicien et un scientifique. De ce fait, comme Pascal, il lui importe au plus haut point de justifier la vérité de ses connaissances et de ses découvertes et de les immuniser contre les attaques pyrrhoniennes. Et on se souvient d'autre part que la troisième vérité métaphysique consiste, pour Descartes, à accorder sa confiance à la raison ou entendement. En conséquence, toutes les vérités mathématiques et/ou scientifiques qui ne proviendront que de l'exercice de notre intelligence pure et attentive ("sans aucune interruption de la pensée") seront elles aussi hors de doute. Voilà pourquoi on ne peut se contenter des trois "vérités intuitives" ou "vérités métaphysiques", mais qu'on a besoin aussi de "vérités déductives" ou encore "vérités physiques". Car la physique, au XVII° siècle, ce n'est rien d'autre que l'autre nom de la science.


1 "Combien de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? […] Il n’y a point d’indices concluants ni de marques assez certaines par où on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, j’en suis tout étonné, et mon étonnement est tel qu’il est presque capable de me persuader que je dors."(Descartes - Méditations Métaphysiques)