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vendredi 11 juin 2004

PLATON ET LE PRINCIPE ELEATIQUE DE L'IDENTITE ABSOLUE.

Il semble à première vue que si le principe d'identité doit avoir une définition non-contradictoire, alors il est nécessaire de le distinguer absolument de sa négation, l'altérité. C'est ce que tente d'exprimer l'éléatisme :
L'Être est [... ] car seul il est complet, immobile, éternel [... ] donc il est nécessaire qu'il soit absolument ou qu'il ne soit pas du tout [... ]l'Être n'est pas non plus divisible puisqu'il est tout entier identique à lui-même.1
Autrement dit, ce qui fait que l'Être est, et donc qu'il est absolument distinct du non-être, c'est qu'il est absolument identique à lui-même. Car, a contrario, si l'Être n'était pas complet, immobile et éternel, il serait en quelque instant ou en quelque endroit, autre que lui-même. Il serait à la fois affecté de mouvement c'est-à-dire de relations spatio-temporelles avec l'altérité, et composé de parties extérieures les unes aux autres de sorte que l'un et le même devrait, bizarrement, être constitué de multiplicité et d'altérité. Alors, que, au contraire, dire que l'Être est absolument identique à lui-même, semble vouloir dire que :
- l'Être ne peut pas ne pas être (nécessité de l'Être)
-l'Être ne peut pas ne pas être lui-même (ipséité de l'Être)
-l'Être ne peut pas ne pas être un (unité de l'Être).
Il ne nous appartient évidemment pas de faire une analyse détaillée de l'éléatisme et de ses difficultés. Signalons simplement deux conséquences intéressantes que Platon tire du principe d'identité absolue énoncé par Parménide:
Donc l'un, s'il doit être un, ne sera pas un tout et n'aura pas de parties [...] Donc s'il n'a point de parties, il n'aura ni commencement, ni fin, ni milieu […]. L'un est donc illimité [...] est donc aussi sans figure [...] Mais s'il est tel, il ne sera nulle part, car il ne peut être ni en autre chose ni en soi.2[...]. Mais lui-même, n'étant autre en aucune façon, ne sera autre que quoi que ce soit ( ... ] Et il ne sera pas non plus le même que lui-même […]. C'est que, lorsqu'une chose devient la même qu'une autre, elle ne devient pas une.3
Ces deux conséquences du principe d'identité absolue ont pour effet de rendre son usage trivial. Car, en effet, si l'identité de l'Être s'entend comme unité absolue, elle implique l'impossibilité de toute relation spatiale ou temporelle avec quoi que ce soit qui pourrait physiquement limiter l'Être. Ce qui revient à dire que l'identité de l'Être-même-et-un est celle d'une entité absolument sans existence spatio-temporelle et donc sans comparaison possible avec une quelconque altérité, Il s'ensuit qu'il n'y a d'identité absolue qu'absolue, ou idéale, et non pas relationnelle ou réelle car, bien entendu, cette propriété ne nous apprend rien sur son porteur puisqu'elle est telle que l'Être, l'unité, la nécessité et l'ipséité sont des termes interchangeables.
C'est pourquoi la deuxième conséquence n'est qu'une reformulation de la première : s'il y a identité absolue d'un être avec lui-même, cette identité n'est pas un cas limite de la ressemblance puisque cela supposerait une relation externe de l'être à un être autre que lui-même qui servirait de modèle. Or, une telle relation serait nécessairement réelle et non pas idéale. Mais, puisqu'une chose comme unité n'est absolument identique qu'à elle-même, elle ne peut être réellement la même qu'une autre, car alors, elle ne serait pas (une), elle tendrait à devenir (autre). C'est la conséquence directe d'une partition absolue entre, d'une part Être, identité, nécessité, unité et ipséité, d'autre part non-Être (ou devenir), altérité, contingence, multiplicité et extériorité.
Or, comme on peut le voir, la cohérence de cette conception de l'identité absolue suppose elle-même que la pensée de l'Être, et donc la possibilité de tout discours sur l'Être, est tout entière du côté de l'Être. Car de deux choses l'une: où bien la pensée n'est pas identique, une et nécessaire, et alors rien ne la distingue de la simple sensation toujours autre, multiple et contingente ; ou bien la pensée est identique, une et nécessaire et alors elle est consubstantielle à l'Être-toujours-un-et-identique-à-Iui-même. D'où l'émergence de questions qui, d'une certaine manière, traversent toute la philosophie: comment peut-on tenir un discours sur le non-Être ? Comment peut-on énoncer plusieurs prédicats non-synonymes sur l'Être ? Comment peut-on comprendre une multiplicité sous l'unité d'un genre commun ? Comment accéder à l'unité de l'Être par la multiplicité des voies dicursives ?
De plus, si d'un côté l'identité absolue de l'Être avec et seulement avec lui-même conduit à l'impossibilité de penser l'Être avec consistance, d'un autre côté grande est la tentation d'en conclure, comme le souligne Sextus Empiricus à propos du traité de Gorgias sur le Non-Être ou sur la Nature.
Gorgias établit successivement trois principes: le premier, qu'il n'y a rien; le second, que, s'il y a quelque chose, ce quelque chose est inconnaissable à l'homme ; le troisième, que, même s'il est connaissable, ce quelque chose ne peut être ni divulgué, ni communiqué à autrui.4
En effet, si l'Être-toujours-un-et-immuable est la seule manifestation possible d'identité, celle-ci ne nous dit rien de l'Être qui, étant infmi, n'est nulle part et donc n'est pas. D'ailleurs, même à supposer que l'Être soit, il serait impensable pour nous puisqu'il ne serait identique qu'à lui-même et non à notre pensée. Et même à supposer qu'il soit pensable, il serait incommunicable puisque nos paroles ne seraient identiques ni à notre pensée, ni à l'Être. Le rejet du principe d'identité, qui est une fois de plus idéal et absolu, équivaut donc, pour le sophiste, au rejet à la fois de l'Être, de la connaissance et de la communication. Conclusion inacceptable car auto-réfutante.
D'où la solution de Platon qui consiste à admettre, parallèlement à l'identité absolue nécessaire et idéale d'une entité avec elle-même, la possibilité d'une identité relative d'une entité réelle relativement à une autre entité, idéale (ou formelle) celle-là, lui servant de modèle :
Mais voici plutôt, Parménide, ce qu'il en est selon moi : ces formes existent dans la nature comme des modèles; les autres choses leur ressemblent et en sont des imitations, et cette participation des choses aux formes n'est rien d'autre que la ressemblance des unes aux autres.5
La solution de Platon, qui n'est rien d'autre qu'une formulation de sa théorie des Formes (ou des Idées), consiste donc à découpler d'une part ipséité et unité, d'autre part nécessité. En effet, si l'on veut que nous autres humains, entités incomplètes, muables et périssables, nous ayons part à une pensée de l'Être et ne soyons donc pas cantonnés à la sensation caractéristique du non-Être que nous exemplifions, il faut que nos pensées imitent la pensée de l'Être. Autrement dit, ce qui rend possible la science6, c'est que nos discours sont relativement identiques à la pensée de l'Être, ou, ce qui revient au même, à l'Être lui-même : ils ne sont pas cette pensée ou cet Être, mais ils y participent7. Dès lors, l'identité qui est en jeu dans le discours vrai est une identité relative, puisque nos concepts participent, par certaines de leurs qualités logiques, aux Formes immuables et éternelles, mais de manière nécessaire. De sorte qu'ainsi le non-Être réel que constitue l'âme humaine se voit offert la possibilité de tenir un discours relativement identique à l'Être sans pour autant ne faire qu'un avec celui-ci, mais en préservant une nécessité sans laquelle un tel discours ne se distinguerait pas de l'opinion qui dérive de la sensation.
La possibilité de tenir sur l'Être un discours nécessaire qui ne soit pas l'Être lui-même possède l'avantage de rendre opérationnelle la notion d'identité en évitant à la fois les apories auxquelles conduit la conception éléatique de l'identité et les paralogismes sur lesquels débouche la critique sophistique de l'identité. Mais on voit bien que, si l'Être reste le substrat de l'identité absolue, en revanche ce sur quoi va reposer l'identité relative va être le discours vrai qui affirme l'identité de l'Être avec la pensée. Comme le souligne Platon dans ce célèbre passage du Théétète :

Il me paraît que l'âme, quand elle pense, ne fait pas autre chose que s'entretenir avec elle-même, interrogeant et répondant, affirmant et niant [ ... ]. Lors donc qu'on prend une chose pour une autre, on se dit à soi-même, apparemment, que l'un est l'autre.8
Dès lors, il semble que l'identité relative de l'Être et de la pensée soit tout entière imputable à un choix justifié par l'abandon des doutes au sujet de la pertinence de l'identité envisagée. Ainsi, dans le Philèbe9,Socrate prend-il l'exemple de celui qui s'interroge sur ce que peut bien être cette forme, au loin, entre le rocher et l'arbre : on finira bien par affirmer quelque autre chose au sujet de cette forme, par exemple que c'est un homme. Et cette affirmation ne sera définitive que lorsque l'incertitude aura disparu après une succession de questions et de réponses au sujet de ce qu'est cette forme. Or, une fois la conclusion de cet entretien tirée sous forme d'affmnation, celle-ci sera apparemment un énoncé d'identité du style A est B. Mais faute de préciser les conditions de validité d'une telle formule, l'identité relative d'une chose avec une autre expose l' énonciateur au risque de ruiner la consistance du principe d'identité par un usage laxiste de celui-ci :
L'âme a la possibilité d'affirmer et de nier, quoi qu'il puisse en être, ou ne pas être, du contenu de son affirmation et de sa négation. Plus soucieuse de stabilité et de croyance que de vérité, elle affirme ou nie une opinion dont le contenu peut être inexistant10.
Mais qu'est-ce qui peut donc donner la possibilité à l'âme de penser l'identité relative de son objet ? Puisqu'apparemment ce n'est pas l'objet lui-même, lequel ne peut pas en même temps Être-même-et-Un et pâtir d'une relation, fût-elle cognitive, avec une autre entité, il doit y avoir en l'âme un principe d'intelligibilité de l'identité. Or, si ce principe était inscrit dans la nature même de l'âme, cela voudrait dire que l'âme est le modèle, ou la forme, ou l'idée de l'identité. Mais faire de l'âme une forme, a fortiori le modèle idéal de l'identité, est en soi contradictoire. Car si "lorsqu'elle examine quelque chose seule et par elle-même, elle se porte là-bas vers les choses pures, éternelles, immortelles, immuables, et, comme elle est apparentée avec elles [ ... ] elle reste toujours immuablement la même''11, en revanche, chacun sait qu'elle peut tout aussi bien être "véritablement enchaînée et soudée au corps et forcée de considérer les réalités au travers des corps comme au travers des barreaux d'un cachot, au lieu de le faire seule et par elle-même"12. Autrement dit, il est clair que, si l'âme participe aux modèles intelligibles d'éternité et d'immuabilité qui rendent possible la notion d'identité, elle n'est pas en soi éternelle, immuable et identique à elle-même13. Il s'ensuit que ce qui permet à l'âme de penser l'identité, c'est précisément sa nature muable :

L'âme n'a pas de Forme, elle est la puissance de choisir le terme de son mouvement, la qualité de ses changements. Elle n'est pas une Forme, elle est des Formes, l'intelligence, elle est ce qui peut saisir entre les Formes ressemblances et différences.14
On peut donc dire que ce qui fonde la possibilité pour l'âme d'affirmer ou, corrélativement, de nier l'identité de son objet, c'est sa propre puissance élective, qui est en même temps sa propre raison d'être : elle doit être le lien entre le domaine réel des choses toujours différentes, muables et corruptibles, et le domaine idéal des formes identiques, immuables et éternelles15. En ce sens, l'affirmation d'identité est possible de la part de l'âme dans la mesure où celle-ci n'est pas un principe mécanique d'animation et de vie, mais plutôt un principe logique d'unité et d'identité. Tout se passe donc comme si la raison d'être de l'âme était effectivement d'oeuvrer pour séparer ce qui doit l'être et pour unir ce qui doit l'être16. Cela dit, en admettant cette possibilité pour l'âme d'affirmer volontairement l'identité relative d'une chose, encore convient-il de préciser relativement à quoi. Et cela sous peine de faire un usage inconsidéré de l'identité qui abonderait dans le sens des sophistes en favorisant l'opinion irrationnelle et en discréditant la connaissance rationnelle. C'est donc le problème des critères logiques de l'identité que nous devons à présent aborder.


1 Parménide, de la Nature, frag.8, in Penseurs Grecs avant Socrate, p.94-95.
2 Platon, Parménide, 137d-e.
3 Ibid, 139d.
4 Sextus Empiricus, Adyersus Mathematicos, §65, in Penseurs Grecs avant Socrate, p.2I8.
5 Platon, Parménide, 132d.
6 Et principalement, pour Platon, la science politique: "Celui dont la pensée s'applique vraiment à la contemplation des essences [et qui] ayant commerce avec ce qui est divin et soumis à l'ordre, devient lui-même divin et ordonné, [ ... ] penses-tu qu'il serait un mauvais artisan de tempérance, de justice et de toute autre vertu démotique ?" République, liv.VI, 500d.
7 "C'est par l'entremise du raisonnement et au moyen de l'âme que nous entrons en relation avec la réalité véritable, laquelle est identiquement immuable". Platon, Sophiste, 248a.
8 Platon, Théétète, l8ge-190a, souligné par nous. Cf. aussi Sophiste, 263e-264a et Philèbe, 38c-d.
9 Ibid.
10 M. Dixsaut, qu'appelle-t-on Penser chez Platon.
11 Platon, Phédon, 79c-d.
12Op. Cit. 82e.
13 Ce qui impliquera en particulier que "toutes les âmes de tous les vivants seront semblablement bonnes" (Op. Cit. 94a).
14 M. Dixsaut, le Naturel Philosophe, ch.III, §2, p.168.
15 Aristote, dans son de Anima, développera cette conception de l'âme comme puissance en critiquant beaucoup plus nettement que ne le fait Platon la tendance à hypostasier une telle entité. Cette critique aura principalement quatre aspects
-l'âme n'est pas un lieu, et en particulier, n'est pas le réceptacle des formes comme le Timée (50d) l'affirme de manière (probablement) analogique (cf par exemple "on peut justement assimiler le réceptacle à une mère, le modèle à un père")
-l'âme n'est pas nécessairement sujette à modification et, donc ne pâtit pas nécessairement comme sous un effet causal; car l'âme semble aussi pouvoir être elle-même cause d'un mouvement, par exemple dans le cas du 5 souvenir qui va déterminer telle ou telle réponse motrice
- l'âme n'est pas le propre de l'homme mais le commun de tous les vivants, plus précisément, elle est l'actualisation première d'un corps qui n'est vivant qu'en puissance et qui donc possède en soi son principe de mouvement et de repos
- dès lors, l'âme intellective seule caractérise l'homme mais de telle sorte que "ce qui permet à l'âme de réfléchir et de se former des idées n'est effectivement aucune des réalités avant de penser [...]. L'on a donc bien raison de dire que l'âme est le lieu des formes, sauf qu'il ne s'agit pas de l'âme entière mais de l'âme intellective, et que les formes n'y sont pas réellement mais potentiellement" (429a23-30), autrement dit, l'âme intellective n'est qu'une puissance de penser, et en particulier de penser l'identité.