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mercredi 13 novembre 2013

LIRE III : FEYERABEND ET L'APPRENTISSAGE ANARCHIQUE DE LA LECTURE.

(suite de
LIRE I : PROUST ET LA LECTURE ROMANESQUE
LIRE II : ''VOILE ISLAMIQUE'', DELIRE COGNITIVISTE ET APPROCHE CONATIVISTE.)

Si être cartésien consiste à attendre d'une méthode appropriée une sorte de providence divine capable de résoudre un problème que l'on trouvait, jusque là, insoluble, alors on peut dire que l'on n'a jamais été aussi cartésien qu'aujourd'hui tant les notions de méthode et de méthodologie ont le vent en poupe. Ce qui ne manque pas de paradoxe à une époque où l'idée qu'un certain nombre de problèmes pourraient être, sinon résolus, du moins posés avec un peu plus de rationalité méthodique apparaît de plus en plus incongrue. Or, si on admet avec ce grand lecteur de Descartes qu'est Pascal qu'il y a "deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison"(Pascal, Pensées, B253), on sera tenté aussi d'admettre qu'il y a deux excès : croire que tout pratique humaine gagne à être enseignée méthodiquement et penser qu'aucune ne gagne à l'être. S'il ne viendrait à personne l'idée de contester sérieusement, les avantages d'un apprentissage méthodique des gestes chirurgicaux ou de la conduite automobile, il en va différemment pour d'autres pour lesquelles on finit par se demander si le méthodisme systématique de l'apprentissage n'est pas, in fine, contre productif. L'exemple à ce jour à la fois le plus connu et le plus paradoxal de telles activités est, depuis l'ouvrage fameux de Paul Feyerabend1 against Method, celui de l'activité scientifique elle-même, c'est-à-dire de l'activité qui, depuis Descartes2 et les Lumières, est, par excellence, indissolublement liée à l'idée de méthode. Mais du coup, si ce pilier historique de la rationalité méthodique chancelle, on est en droit de se demander si ce n'est pas, a fortiori, l'efficacité des méthodes d'apprentissage des disciplines cognitives en général qui doit être remise en question. Avec une ambition nettement plus modeste, ce que je voudrais néanmoins tenter d'établir dans cet article, c'est que l'apprentissage de la lecture est, typiquement, le genre d'activité pour laquelle, comme le dit Feyerabend, everything goes, "tout est bon", voulant dire par là, non seulement que toutes les méthodes se valent, mais surtout que l'apprentissage des règles n'y nécessite pas du tout de méthode.

Puisqu'il est question de méthode, quelques mots, pour commencer, sur celle que je suivrai ici et qui se résume en trois règles. Premièrement, je m'interdis délibérément de faire référence à quelque "spécialiste", à quelque "expert" que ce soit de la psycho-pédagogie, de la socio-pédagogie ou de la techno-pédagogie prétendument scientifiques tant la connivence des uns et des autres avec les lobbies (économiques, politiques ou même associatifs militants) qui les stipendient est manifeste au point d'en faire "des ingénieurs sociaux qui ont pour fonction de fournir aux membres de la classe dominante la connaissance pratique ou demi-savante dont ils ont besoin pour rationaliser leur domination, c’est-à-dire à la fois de renforcer et de légitimer les mécanismes qui l’assurent"(Bourdieu, Questions de Sociologie, ii). En d'autres termes, je ne convoquerai pas à la barre des témoins des personnages sur lesquels pèse, à tort ou à raison, un fort soupçon d'inobjectivité et de parti-pris. Comme le dit Descartes, "il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompé"(Descartes, Méditations Métaphysiques, I, 3)3. Je m'interdis aussi, deuxièmement, de faire appel au témoignage des praticiens de base, des pédagogues de terrain que sont les instituteurs ou les professeurs des écoles quant à la manière dont, selon eux, leurs élèves apprennent à lire4, tout autant qu'à celui du quidam en général relatant ses propres souvenirs de l'apprentissage de la lecture. Tout en ayant quelques raisons de redouter une contamination idéologique des "experts", c'est cependant pour une tout autre raison que je récuserai ces témoignages : c'est qu'on ne se souvient pas comment soi-même ou autrui avons appris à lire. En effet, apprendre à lire est une activité qui me semble davantage apparentée à apprendre à marcher ou à apprendre à parler qu'à apprendre à jouer du piano ou apprendre à piloter un avion. Je veux dire que, si ces apprentissages-ci, qui ont tout à gagner à être méthodiquement planifiés, laissent effectivement des souvenirs précis dans la mémoire de ceux qui en ont été l'objet, ceux-là, en revanche, étant diffus dans le temps et multiformes dans la manière, n'en laissent aucun. Aussi, prévenu de "l'extrême différence qu'il y a entre l'impression vraie que nous avons eue d'une chose et l'impression factice que nous nous en donnons quand volontairement nous essayons de nous la représenter"(Proust, le Temps Retrouvé, 2264), au point que, ainsi que nous le verrons plus loin, ceux qui prétendent se souvenir de leur apprentissage de la lecture se souviennent, en réalité, de tout autre chose, n'accorderai-je pas plus d'intérêt à ce genre de témoignages. Enfin, troisième règle que je m'assigne : n'accordant, en l'occurrence, et pour les raisons évoquées supra, aucune validité aux arguments expérimentaux, ma recherche sera conceptuelle et non empirique. Comme le dit Kant, "bien que toute notre connaissance commence avec l’expérience, elle ne résulte pas pour autant de l’expérience"(Kant, Critique de la Raison Pure, III, 12), voire, pire que cela, "la façon physiologique de considérer les choses ne fait qu'embrouiller les choses. Parce qu'elle nous détourne du problème logique, conceptuel"(Wittgenstein, Leçons sur la Philosophie de la Psychologie, §1038). Aussi, mon problème ne sera-t-il pas un problème physiologique du genre "comment lisons-nous ?" (ou "comment apprenons-nous à lire ?") mais plutôt un problème logique, conceptuel du style "qu'est-ce que lire ?" ("qu'est-ce qu'apprendre à lire ?"). En d'autres termes, mon ambition ne sera pas technique ou scientifique mais purement philosophique dans le sens où la spécificité de la philosophie5 n'est justement pas de résoudre les problèmes en leur donnant une réponse externe mais de les dissoudre de l'intérieur en analysant les conditions d'utilisation des termes dans lesquels nous les posons. En l'occurrence, il s'agira, non pas de répondre à la question "quelle est la bonne (la meilleure) méthode pour apprendre à lire ?", mais de montrer qu'elle n'a strictement aucun sens.

Nul ne peut douter de la sincérité de l'ambition pédagogique de Descartes lorsqu'il commence son Discours de la Méthode par ces lignes fameuses : 
 "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent : mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s'en éloignent"(Descartes, Discours de la Méthode, I). 
Un peu plus loin, Descartes détaille les règles de sa méthode. Nous nous intéresserons ici particulièrement à la troisième6, celle de la nécessité de la synthèse : 
 "conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres"(Descartes, Discours de la Méthode, II). 
Le contenu normatif de cette règle n'est pas sans poser quelques difficultés. Chercher la vérité, chercher à savoir, chercher à connaître consiste-t-il toujours à "penser"7 ? Et puis le bon ordre des pensées est-il nécessairement celui qui va du simple au complexe ? Dans quelle mesure les objets de pensée les plus simples sont-ils les plus aisés à connaître ? Constater que a précède b doit-il nous faire supposer que a doit être traité avant b ? La rationalité d'une pratique doit-elle être confondue avec sa méthodicité ? Etc. Aussi doit-on questionner l'évidence pédagogique revêtue par l'application de ce troisième principe cartésien au fait qu'un enfant ne saurait, à l'instant t, "lire" le mot "papa" avant d'avoir compris, à l'instant t' antérieur à t, que "p+a=pa", puis, à l'instant t'' antérieur à t mais postérieur à t', que "pa+pa=papa". On peut risquer quelques hypothèses.

La première, de loin la plus hardie, consiste à dire qu'il se pourrait bien, après tout, que le tout-venant pédagogique partageât l'arrière-plan métaphysique qui sous-tend et justifie le méthodisme systématique de Descartes en matière d'apprentissage. À commencer par la conception cartésienne du sujet conscient comme un cogito, indestructible roc de certitude qui résiste même au doute sceptique8, "substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui, pour être, n'a besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle. De sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps"(Descartes, Discours de la Méthode, IV). S'il en est ainsi, le sujet pensant a effectivement un contrôle potentiellement absolu sur sa pensée dont il peut, en quelque sorte, maîtriser les acquisitions intellectuelles avec la précision et la subtilité d'un pilote d'avion, et ce, d'autant plus assurément qu'il n'a aucune influence à craindre de l'extérieur puisque toutes ses facultés intellectuelles se trouvent déjà, in statu nascendi, en lui même sous forme d'"idées innées [qui] sont des semences de vérité [que] la nature a déposées dans les esprits humains, [en vertu de quoi] l’intelligence humaine a je ne sais quoi de divin"(Descartes, Règles pour la Direction de l’Esprit, IV). Le premier problème, concernant la validité de cette hypothèse, très charitable à l'égard du monde enseignant, c'est que, même si c'était le cas, même si les "boschériens"9 fanatiques étaient métaphysiquement cartésiens, il resterait que, pour Descartes lui-même, sa méthode ne vaut précisément pas pour des enfants d'âge scolaire, car, si, précisément, nous avons besoin d'une méthode, c'est que "nous avons été enfants avant que d’être hommes et que nous avons jugé tantôt bien et tantôt mal des choses qui se sont présentées à nos sens lorsque nous n’avions pas encore l’usage entier de notre raison"(Descartes, Principes de la Philosophie, I, art.1). Le second problème, c'est que, selon toute probabilité, lesdits enseignants ne sont certainement pas "cartésiens" au sens qui vient d'être explicité. Comme le dit Feyerabend, il est à peu près couramment admis aujourd'hui que 
"l'homme est un centre d'échanges d'influences plutôt qu'une source unique d'actions, c'est-à-dire un "je" (le cogito de Descartes n'a pas de point d'attaque dans ce monde-là et le raisonnement cartésien ne peut même pas démarrer)" (Feyerabend, contre la Méthode, §17).

Une autre hypothèse, sans doute plus plausible, du méthodisme dogmatique du monde enseignant à l'égard, notamment, de l'apprentissage de la lecture est que 
"ce qui semble être produit par la raison [...] est dû en partie à un endoctrinement et en partie à un processus de croissance qui s'accomplit avec la force d'une loi naturelle. Et lorsque les mots semblent effectivement avoir un effet, c'est plus souvent en raison de leur répétition physique que de leur contenu sémantique"(Feyerabend, contre la Méthode, §1). 
Auquel cas, l'obsession pédagogique de la (bonne) méthode de lecture, loin d'être une exigence rationnelle, serait au contraire une vulgaire superstition résultant d'un endoctrinement systématique. Lorsqu'on sait à quel point le matraquage idéologique est puissant et efficace au sein de la grande institution enseignante, surtout lorsqu'il est complaisamment relayé par des media qui, sous prétexte de maximiser l'audimat, alimentent cette "bêtise à front de taureau" dont parlait Baudelaire10, on ne s'étonne plus du succès de ce que la bien-pensance pédagogique considère désormais comme un pons asinorum : l'échec scolaire ne peut être dû qu'à un défaut, quantitatif et/ou qualitatif, de méthode et, s'agissant de l'apprentissage de la lecture, de la méthode dite "syllabique"11. La méthode et rien d'autre. Voilà le nouveau bouc émissaire. Le terme "méthode" possède, en tout cas, du point de vue de cette hypothèse, des propriétés orwelliennes : "le véritable but du Novlangue [Newspeak] est de restreindre les limites de la pensée [...]. Toutes les significations subsidiaires s[ont] supprimées et oubliées. [...] Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint"(Orwell, 1984), voire barthésiennes, tant il est vrai que, dans certains cas au moins, "la langue [...] est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n'est pas d'empêcher de dire, c'est d'obliger à dire. Dès qu'elle est proférée, fût-ce dans l'intimité la plus profonde du sujet, la langue entre au service d'un pouvoir"(Barthes, Leçon Inaugurale au Collège de France, 7 janv. 1977).

J'évoquerai une troisième hypothèse, celle qui, en l'occurrence, a ma faveur : l'adhésion aveugle à un méthodisme de type cartésien provient sans doute, au moins pour partie, d'un usage laxiste de ce que Wittgenstein appelle des analogies trompeuses qui créent ce que Bachelard nomme des obstacles épistémologiques à une remise en question critique. Feyerabend souligne, à juste titre, que "l'idée d'une méthode fixe, ou d'une théorie fixe de la rationalité, repose sur une conception naïve de l'homme et de son environnement social"(Feyerabend, contre la Méthode, §1). À juste titre parce qu'on ne peut s'empêcher de voir dans la préconisation cartésienne de "commen[cer] par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés"(Descartes, Discours de la Méthode, II) un constructionnisme naïf : celui dans lequel l'assemblage des éléments du savoir humain, à tout âge de la vie, se laisserait réduire à un assemblage d'atomes en molécules, de cellules vivantes en tissus, de signes monétaires et capital financier ou de briques en mur, bref serait confusément pensé comme un processus d'accumulation plus ou moins linéaire. Malgré son background métaphysique dont il a été question supra, Descartes lui-même semble avoir été victime de cette analogie, dans la mesure où on ne peut expliquer autrement la contradiction qui existe entre ce qu'il dit : "je compris de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui, pour être, n'a besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle. De sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connaître que lui, et qu'encore qu'il ne soit point, elle ne cesserait pas d'être tout ce qu'elle est"(Descartes, Discours de la Méthode, IV) et ce qu'il montre : 
"l’image trompeuse d’un mécanisme monté pour réagir d’une certaine manière : nous croyons que si nous voyions la machinerie, nous saurions ce que c’est que [penser]"(Wittgenstein, Cours de Cambridge 1932-1935). 
Il est clair que, si les soupçons de Wittgenstein sont fondés, nous sommes alors en présence d'
"un obstacle épistémologique [qui] s'incruste sur la connaissance non questionnée. [...] L'idée gagne ainsi une clarté intrinsèque abusive. [...] C'est un facteur d'inertie pour l'esprit. Parfois une idée dominante polarise un esprit dans sa totalité"(Bachelard, la Formation de l'Esprit Scientifique, i). 
La naïveté de ce qui relève, en apparence, du simple bon sens, à savoir qu'il faut toujours commencer par le "b, a, ba", notamment s'agissant de l'apprentissage de la lecture, ne procéderait alors pas nécessairement d'un endoctrinement délibéré mais plus probablement de ce que nous finissons par "être obsédés par notre symbolisme : nous sommes plongés dans la perplexité par une analogie qui nous entraîne irrésistiblement"(Wittgenstein, le Cahier Brun, 107-108), obsession physicaliste-mécaniste qui, ayant même séduit le grand Descartes, ne peut manquer d'abuser le simple quidam, fût-il tout frais émoulu d'un I.U.F.M.

Quoi qu'il en soit des raisons pour lesquelles l'apprentissage méthodique de la lecture fascine à ce point les pédagogues, il n'aura échappé à aucun d'entre eux cependant qu'il ne suffit pas qu'un enfant maîtrise l'une quelconque desdites méthodes pour être dit "lire", en quelque sens que ce soit. C'est que, composer méthodiquement de la parole à partir de l'algorithme fourni par la méthode, c'est ânonner ou déchiffrer ou épeler et ânonner ou déchiffrer ou épeler n'est pas lire. Pour peu que l'on admette avec Bergson que 
"ce qu'il y a de risible [...], c'est une certaine rigueur mécanique là où l'on voudrait trouver la souplesse attentive et la vivante flexibilité d'une personne"(Bergson, le Rire, ii), 
alors, on comprend vite l'effet comique que ne manque jamais de produire la description de l'ânonnement : 
"MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : [...] La consonne D, par exemple, se prononce en donnant du bout de la langue au-dessus des dents d'en haut : da. MONSIEUR JOURDAIN : Da, da. Oui. Ah ! les belles choses ! les belles choses ! MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : L'F en appuyant les dents d'en haut sur la lèvre de dessous : fa. MONSIEUR JOURDAIN : Fa, fa. C'est la vérité. Ah ! mon père et ma mère, que je vous veux de mal ! MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Et l'R, en portant le bout de la langue jusqu'au haut du palais, de sorte qu'étant frôlée par l'air qui sort avec force, elle lui cède, et revient toujours au même endroit, faisant une manière de tremblement : rra. MONSIEUR JOURDAIN : R, r, ra ; r, r, r, r, r, ra. Cela est vrai. Ah! l'habile homme que vous êtes ! et que j'ai perdu de temps ! R, r, r, ra"(Molière, le Bourgeois Gentilhomme, II, 4). 
Ou celle du déchiffrement : 
"[Pétrouchka] aspirait noblement à l'instruction ; je veux dire par là qu'il aimait beaucoup la lecture des livres mais se souciait fort peu de leur contenu : aventures d'amour, alphabets, livres de prières, il absorbait tout avec une attention égale [...]. Il était pris non point par ce qu'il lisait mais par la lecture même, ou plutôt le processus de la lecture : « Voilà, des lettres s'ajoutent et ce sont des mots ; et quant à ceux-ci, le diable seul sait ce qu'ils veulent dire ! »"(Gogol, les Âmes Mortes, ii). 
Ou celle de l'épèlement : 
"j'ai connu un illettré d'âge militaire qui avait l'ambition d'apprendre à lire et qui parvint péniblement à épeler. Comme un de ses camarades lui demandait : « Que dit ton journal ? », il répondit : « Je n'en sais rien. Je lis !»"(Alain, Propos sur l'Éducation, xlii). 
On objectera que ce sont des personnes adultes et non de jeunes enfants qui y sont grotesques. Certes, mais n'y a-t-il pas justement quelque incongruité à donner aux enfants l'illusion de l'importance d'un comportement qui, plus tard, sera jugé ridicule ? Or le ridicule est plus fort que le comique. Il ne surgit pas simplement de la raideur toute mécanique d'une activité qui n'a rien à voir avec la fluidité intelligente exigée par la lecture. Le pire est bien que, au moins dans nos deux derniers exemples, c'est cette activité-là qui se donne pour de la lecture ! Car que faisons-nous, au fond, lorsque nous ânonnons, déchiffrons ou épelons12 ? Eh bien de deux choses l'une. Ou bien nous pratiquons une activité effectivement synthétique et, alors, nous nous préparons à écrire. Ou bien nous pratiquons une activité analytique et, dans ce cas, nous faisons de la linguistique. Mais en aucun cas nous ne lisons. Si les méthodes dites "syllabiques" de lecture sont souvent qualifiées de synthétiques, c'est parce que leurs algorithmes sont des règles de composition : le "b" immédiatement suivi du "a" donne effectivement "ba". Mais uniquement lorsqu'on écrit, qu'on assemble des caractères d'imprimerie, qu'on tape sur un clavier. Lorsque l'on oralise, le phonème [b] ne précède pas le phonème [a] pour produire [ba]. Ce dernier est produit d'une seule émission de voix13. Et lorsqu'on lit mentalement, le système visuel ne scanne pas "b" avant de scanner "a" : il saisit d'emblée "ba". Ce travail de synthèse mécanique des syllabes est de la plus haute importance, puisqu'il conditionne l'accès à l'écriture. Mais en quoi un petit francophone qui a admis que le "o" immédiatement suivi de "u" donne "ou" est-il préparé à oraliser le phonème [u:] ou à lire mentalement la conjonction "ou" ? Les pédagogues, à juste titre embarrassés par ce problème, prennent alors comme règle imaginaire14 l'existence d'une correspondance entre graphèmes et phonèmes, règle qui admet toutefois de (très) nombreuses exceptions. Ce qui rend bientôt la "règle" inintelligible et, partant, inapplicable15. Par ailleurs, le fait que de telles méthodes soient, souvent, dites aussi "analytiques" en dit long sur la confusion qui préside à leur enseignement : lorsqu'on analyse un mot en syllabes puis en lettres, on amorce une réflexion critique sur un fait linguistique. Encore une fois, loin de moi l'idée de déconsidérer une telle activité qui est au contraire de la plus haute importance puisqu'elle prépare rien moins qu'à l'intelligence de l'orthographe et à celle de la grammaire de la langue. Toutefois, pas plus qu'en synthétisant des syllabes, l'enfant n'apprend à lire en analysant des faits de langue. Car enfin 
"savoir lire, ce n'est pas seulement connaître les lettres et faire sonner les assemblages de lettres. C'est aller vite, c'est explorer d'un coup d'oeil la phrase entière ; c'est reconnaître les mots à leur gréement, comme le matelot reconnaît les navires. C'est négliger ce qui va de soi et sauter à la difficulté principale, comme le font si bien ceux qui savent lire la musique"(Alain, Propos sur l'Éducation, xxxix). 
D'où la question, évidemment centrale, de savoir en quoi consiste justement cette "difficulté principale".

S'il y a, selon nous incompatibilité absolue et définitive entre la notion de lecture et l'idée de méthode d'apprentissage, c'est que la lecture est un acte et non un processus. L'obsession de la méthodicité pédagogique, notamment en matière d'enseignement de la lecture, est un sous-produit de l'obsession de la productivité immédiate de ce qui est enseigné16. Tandis que l'éducation humaine, nous dit Hannah Arendt, par essence n'est pas (donc ne devrait pas être) un dressage. Ce n'est pas un conditionnement répondant de type pavolvien consistant à produire une réaction en présence d'un stimulus. En particulier, les signes écrits ne sont pas, comme le souligne Wittgenstein, des causes qui nous font lire comme ceci ou comme cela : "les lettres sont la raison pour laquelle je lis de telle ou telle façon. Car si l'on me demande : « Pourquoi lisez-vous de telle façon ? » je justifie ma lecture par les lettres qui sont là"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §169). La raison justificative et non la cause17 mécanique. L'éducation humaine n'est pas non plus un conditionnement opérant de type skinnerien consistant à acquérir des aptitudes pertinentes. En particulier, l'apprentissage de la lecture n'est pas un complexe béhavioriste de renforcement ou d'inhibition des formes de lecture statistiquement prévisibles
 "quelqu'un sait lire lorsqu'il fait dériver la reproduction à partir de l'original. Et par ''original'', j'entends le texte qu'on lit ou copie, la dictée sous laquelle on écrit, la partition que l'on joue, etc."(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §162)
Lire, c'est dériver de manière lâche et imprévisible et non pas induire statistiquement18. Bref, éduquer un enfant, c'est lui apprendre non pas à réagir mais à agir. Et à parler. Car "c'est par le verbe et l'acte que nous nous insérons dans le monde humain, et cette insertion est comme une seconde naissance dans laquelle nous confirmons et assumons le fait brut de notre apparition physique originelle. Cette insertion ne nous est pas imposée, comme le travail, par la nécessité, nous n'y somme pas engagés par l'utilité comme à l'oeuvre. [...] Agir, au sens le plus général, signifie prendre une initiative, entreprendre (comme l'indique le grec arkheïn, commencer, guider, et éventuellement, gouverner) mettre en mouvement (ce qui est le sens original du latin agere)"(Arendt, Condition de l’Homme Moderne, v, 1). L'éducation est une "seconde naissance", une naissance à la vie politique (du grec polis, "Cité") consistant à donner à l'élève des raisons de prendre des initiatives personnelles sur la base de ce qui lui a été transmis par la tradition (du latin trado, "je transmets"). Donc, lui apprendre à lire, en particulier, c'est lui apprendre l'acte de lire, c'est-à-dire tout le contraire d'un ensemble de mécanismes répondants ou opérants. En d'autres termes, c'est lui apprendre une certaine forme de liberté : 
 "la liberté comme inhérente à l'action est peut-être illustrée le mieux par le concept machiavélien de virtù, l'excellence avec laquelle un homme répond aux occasions que le monde lui révèle sous la forme de la fortuna. Son sens est rendu de la meilleure façon par "virtuosité", c'est-à-dire la perfection que nous attribuons aux arts d'exécution (différents des arts créateurs de fabrication) où l'accomplissement consiste dans l'exécution-même et non dans un produit fini qui survit à l'activité qu'elle a amené à l'existence"(Arendt, la Crise de la Culture, IV, ii). 
Je me suis toujours demandé pourquoi on n'enseignait pas la lecture des textes comme on enseigne à lire les partitions musicales, je veux dire dans le secret espoir que l'élève devienne, plus tard, un virtuose19. Pourquoi ce qui vaut pour l'accès à quelque aspect particulier de la culture ne vaudrait-il pas, a fortiori, pour l'accès à la culture toute entière ? Comme le dit admirablement Alain, 
"si les enfants lisaient au lieu d'écouter, toute leçon serait en même temps une leçon de lecture ; et l'on sait que la lecture est ce qu'il y a de plus difficile, et la condition de toute culture, si humble qu'on la suppose. Mais les pédagogues veillent : il leur faut la leçon éloquente, émouvante, vivante"(Alain, Propos sur l'Éducation, xxxvi). 
C'est cela être actif au sens pédagogique du terme : faire l'effort, entreprendre de lire, c'est-à-dire de lier (en latin c'est le même mot legere) ce qui peut ou doit être mis en relation. Et relier, mettre en relation, cela se dit en latin intellegere (contraction de inter-legere, "lier ensemble") qui se traduit en français par "comprendre" et qui a donné "intelligence".

En effet, dans notre culture, la lecture est un acte social d'intelligence qui constitue la condition de possibilité de toute acquisition ultérieure. En ce sens, la lecture est transcendantale, au sens kantien du terme20. Sauf dans les cas limites de rééducation post-pathologique, elle n'est, pas plus que le langage en général dont elle n'est qu'une modalité, justiciable d'un enseignement systématique en termes de méthode. Pour la bonne raison que tout enseignement et toute méthode présuppose justement l'acte de lecture21 ! Et si la lecture est bien cet acte social par lequel ce qu'Arendt appelle un "nouveau venu" (enfant ou étranger ou enfant étranger) s'insère dans une culture écrite donnée, on saisit mieux l'origine des difficultés, bien réelles, que rencontrent de nombreux enfants, à accéder à un niveau de maîtrise de la lecture qui soit à la fois valorisant et valorisé. Ce que dit Bourdieu de la valorisation sociale de l'apprentissage scolaire du langage en général me semble, a fortiori, valoir aussi pour celui de la lecture en particulier : 
"toute situation linguistique fonctionne comme un marché dans lequel quelque chose s'échange. Ces choses sont, bien sûr, des mots, mais ces mots ne sont pas faits seulement pour être compris. Le rapport de communication n'est pas un simple rapport de communication, c'est aussi un rapport économique où se joue la valeur de celui qui parle"(Bourdieu, Questions de Sociologie, viii).  
Si, comme le préconise Arendt, fidèle en cela à l'idéal antique de l'aeï aristeueïn ("être le meilleur possible") l'éducation doit toujours viser l'excellence, la virtuosité, "tout sacré a son complémentaire profane, toute distinction produit sa vulgarité"(Bourdieu, Leçon sur la Leçon), et toute virtuosité sa balourdise. En d'autres termes, l'apprentissage de la lecture, comme cas particulier de l'apprentissage de la parole est, en raison de son éminente fonction socialisante, dans le même temps, un puissant discriminant social : 
"les discours ne sont pas seulement des signes destinés à être compris, mais aussi des signes de richesses destinés à être évalués, appréciés, et des signes d’autorité destinés à être crus et obéis"(Bourdieu, Langage et Pouvoir Symbolique, i, 2). 
Non seulement dans le sens où il est, d'emblée, l'enjeu d'une compétition entre les familles, toujours impatientes de constater et de proclamer que l'enfant sait lire, tout comme elles sont fières d'annoncer qu'il sait parler ou marcher. Mais aussi, et surtout, dans celui où, de facto, comme le montrent Bourdieu et Passeron dans la Reproduction, il existe toujours une troublante corrélation entre la "bonne" maîtrise du langage et, en particulier, de la lecture, et la réussite sociale de la famille d'origine. Ce qui est, évidemment, un argument décisif en faveur de la non-méthodicité de l'apprentissage de la lecture. Car enfin, si les méthodes de lecture avaient, dans la réussite ou l'échec de cet apprentissage, le poids qu'on se plaît à leur accorder, la corrélation se ferait avec la nature de la méthode employée par le maître, et non avec l'origine sociale des élèves. Or, en dépit du déni de réalité qui caractérise les discours officiels, l'école, loin de fournir à tous les élèves les mêmes éléments d'une culture commune, se comporte, a contrario, comme une instance de certification22 qui maintient l'ordre social en constatant et entérinant les inégalités sociales en règle générale23 : 
"les écarts initiaux sont notamment reproduits du fait que la durée de l’inculcation scolaire du langage tend à varier comme son rendement, les moins enclins et les moins aptes à accepter et à adopter le langage scolaire étant aussi les moins longtemps exposés à ce langage, ainsi qu’aux contrôles, aux corrections et aux sanctions scolaires"(Bourdieu, Langage et Pouvoir Symbolique, i, 1). 
Ce qui suppose que l'apprentissage de la lecture, apprentissage capital, avons-nous dit, pour l'intégration culturelle et sociale de chacun, s'est fait, globalement et spontanément, dans le milieu socio-familial au sens large, et qu'il y a délivré le degré suffisant d'accès à la culture auquel prédisposait ledit milieu. Globalement et spontanément, c'est-à-dire de façon mimétique24 et non pas méthodique. Du coup, selon que l'apprentissage mimétique de la lecture se sera fait dans la bibliothèque familiale, ou bien dans la médiathèque municipale, ou dans le coin lecture du centre aéré, ou encore, dans l'atelier de lecture de l'école maternelle ou au cours des fastidieuses leçons de lecture de l'école élémentaire, selon que la relation à la lecture à laquelle l'enfant a été confronté aura été celle d'un rituel ou au contraire celle d'un simple d'un passe-temps faute de mieux, selon que l'enfant aura corrélé ou non l'acte de lecture avec le bien-être et la réussite de ses proches, selon que l'on n'aura lu, autour de lui, que pour quérir une information immédiate ou de manière plus libérale, plus désintéressée, selon qu'il aura vu ses parents lire des livres de la Pléïade ou des romans à l'eau de rose, la presse quotidienne régionale ou la presse nationale et internationale, des magazines grand public ou des magazines historiques, scientifiques ou littéraires, alors l'enfant se distinguera, à l'école, par sa plus ou moins bonne maîtrise de la lecture. Car, contrairement aux dispositions mécaniques induites par les méthodes, celles-ci sont des habitus25 et, en tant que telles, sont facultatives. Or "seul le facultatif peut donner lieu à des effets de distinction"(Bourdieu, Langage et Pouvoir Symbolique, i, 1), "les habitus permettent de se distinguer en dehors même de toute recherche de distinction"(Bourdieu, Raisons Pratiques, iii).

"Si l'on apprenait à penser comme on apprend à souder, nous connaîtrions le peuple roi"(Alain, Propos sur l'Éducation, v). Or, justement, on n'apprend pas à penser comme on apprend à souder. L'erreur principale des "méthodistes" est là. Car relier des mots et des idées dans un acte de lecture, c'est penser et non souder. 
"D'abord nous aurions une idée ou un problème, ensuite nous agirions, c'est-à-dire que nous parlerions ou construirions ou détruirions. Cependant, ce n'est certainement pas ainsi que se développent les enfants. Ils font usage de mots, ils les combinent, ils jouent avec eux jusqu'au moment où ils en saisissent le sens qui jusqu'alors leur avait échappé. Et l'activité ludique initiale est une condition essentielle de l'acte final de compréhension. Il n'y a pas de raison que ce mécanisme cesse de fonctionner chez les adultes"(Feyerabend, contre la Méthode, §1). 
Il n'y a jamais urgence à penser (alors qu'il peut y avoir urgence à souder !). Penser est toujours facultatif. L'apprentissage de la lecture, comme le fait remarquer très justement Feyerabend, consiste toujours (et pas seulement chez les enfants débutants) par le jeu. Le jeu au sens d'exercice facultatif, au sens de "il y a du jeu entre ces pièces", c'est-à-dire "les relations entre ces pièces sont telles qu'on pourrait tout aussi bien les assembler que ne pas les assembler". "Faire jouer" signifie ici : tenter d'assembler des éléments disparates en un tout signifiant et le plus signifiant possible. Regardez un enfant assembler un puzzle : il n'assemble pas deux pièces parce que le tenon de l'une s'emboîte dans la mortaise de l'autre, mais parce que l'ensemble des deux forme un tout plus signifiant que chacune des deux prises séparément. En d'autres termes, ce ne sont pas les propriétés syntaxiques (comment cela se combine-t-il ?) des éléments qui l'intéressent, mais leurs propriétés sémantiques (quel sens cela a-t-il ?). Bref, il assemble un puzzle comme il lit une phrase. Et, comme le dit Wittgenstein, "comprendre une proposition, c’est savoir ce qui a lieu quand elle est vraie, mais on peut comprendre une phrase sans savoir si elle est vraie"(Wittgenstein, Tractatus, 4.024), voulant dire par là que, pour être dit comprendre (intelligere) une tâche, on doit faire jouer son imagination, se faire une représentation globale préalable de l'assemblage à quoi conduit cette tâche, sans savoir bien entendu si cet assemblage est le bon (sans savoir, par exemple, si la phrase lue est vraie telle qu'elle est lue). Or, comme l'a montré Pascal dans ses Pensées26, l'ennui est toujours la sanction du manque de sens de ce que vit l'être pensant, et le divertissement (c'est-à-dire, pour l'enfant, l'amusement) sa contrepartie. Comment s'étonner, dès lors, que les enfants "n'accrochent pas", comme on dit, à la combinatoire fastidieuse imposée par les méthodes, notamment syllabiques ? C'est le contraire qui serait surprenant, car 
"il s'agit d'apprendre à lire, et aussi d'apprendre à penser, sans séparer jamais l'un de l'autre. Or une syllabe n'a point de sens, et même un mot n'en a guère. C'est la phrase qui explique le mot"(Alain, Propos sur l'Éducation, xxxix). 
Et on pourrait même dire que c'est le texte qui explique la phrase et le contexte qui explique le texte. Métaphysiquement, l'erreur des "méthodistes" s'explique de la manière suivante : ils adoptent une posture atomiste (le tout procède de ses parties) là où, tout au contraire, il faudrait être holiste27 (la partie émane du tout). Étant probablement, comme nous l'avons suggéré supra, abusés par l'analogie de la construction mécanique, ils ne voient pas que, dans certains cas, en prétendant, à l'instar de Descartes, que le simple précède et constitue nécessairement le complexe, ils confondent le simple avec le facile et le complexe avec le difficile. Or, en matière de compréhension du sens des choses, le très simple est toujours au moins aussi difficile que le très complexe28. S'agissant de l'apprentissage de la lecture,  
"j'épelle, mais je n'ai jamais cette perception instantanée, si facile, à laquelle personne ne fait attention, qui me permet de reconnaître un mot comme je reconnais un visage. Et si j'avais coutume d'examiner un visage par parties, le menton, le nez, les yeux, jamais je ne reconnaîtrais un visage"(Alain, Propos sur l'Éducation, xxxix). 
 Et, en effet, "la plupart des mots se répètent constamment et nous sont aussi familiers que des visages bien connus. Songez au malaise que nous éprouvons quand l'orthographe d'un mot est altérée"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §167). Le facile, ici, c'est le complexe, c'est le tout. Or, "percevoir un complexe signifie percevoir que ses parties constitutives sont dans telle ou telle relation"(Wittgenstein, Tractatus, 5.5423). Il est naïf de croire que, lorsque nous lisons, notre système visuel perçoit, dans un premier temps des lettres, puis des syllabes, puis des mots, enfin des phrases. Nous percevons, d'emblée, des complexes sémantiques signifiants, lesquels sont, tantôt des phrases, tantôt des morceaux de phrases, tantôt des mots, voire des morceaux de mots29, selon la nature du texte et la qualité de sa mise en page. Et aussi en fonction de notre vécu, de notre histoire personnelle : 
"tout mot familier, par exemple dans un livre, se présente à notre esprit enveloppé d'une atmosphère, d'une sorte de ''halo'' d'emplois à peine suggérés. Tout comme si, dans un tableau, chaque personnage était entouré de scènes délicatement et comme nébuleusement dessinées, qui se trouveraient pour ainsi dire dans une autre dimension, et comme si nous voyions ici les personnages dans différents contextes"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, II, vi).

Du coup, l'acte de lecture n'est pas seulement un acte social et un acte sémantique, mais aussi un acte éthique. Car, quelles que soient les circonstances sociales qui ont présidé à notre apprentissage précoce de la lecture et quelles que soient, conséquemment, nos dispositions à l'intelligence sémantique d'un texte écrit en général, il n'en reste pas moins qu'
"il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Tout ce qui, semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous écartions comme un obstacle vulgaire à un plaisir divin"(Proust, sur la Lecture). 
J'ai toujours été frappé par la fascination qu'exerce le livre sur tous les enfants, notamment les plus jeunes, au point que, quel que soit leur aisance de lecteur, ils sont toujours avides du sens que ces livres recèlent, fût-ce en demandant de l'aide, fût-ce en tortillant l'objet dans toutes les directions comme on tordrait une serpillière pour en exprimer le liquide. Ils sentent confusément que le livre est de nature à leur apporter, comme le dit Proust, "un plaisir divin". C'est en ce sens que l'acte de lecture est, in fine, un acte éthique. Éthique au sens d'Aristote, au sens de la recherche d'un "bonheur [qui] ne doit avoir besoin de rien, [qui] doit se suffire parfaitement ; les actes désirables en soi sont ceux où on n’a rien à rechercher au-delà de l’acte lui-même"(Aristote, Éthique à Nicomaque, X, 1176b). Ou au sens de Spinoza : " plus nous sommes affectés d'une plus grande joie, plus nous passons à une perfection plus grande, c'est-à-dire qu'il est d'autant plus nécessaire que nous participions de la nature divine"(Spinoza, Éthique, IV, 45). Ou encore au sens de Wittgenstein : "[l'éthique] est la recherche de ce qui a une valeur, ou de ce qui compte réellement, ou j'aurais pu encore dire que l'éthique est l'investigation du sens de la vie, ou de ce qui rend la vie digne d'être vécue, ou de la façon correcte de vivre"(Wittgenstein, Conférence sur l'Éthique)30. Bref, pour Proust, nous lisons, nous aimons lire (quoi que nous aimions lire, peu importe ici), nous prenons plaisir à lire dans l'exacte mesure où la lecture donne de la valeur à notre vie. Pas uniquement une valeur sociale au sens de Bourdieu, c'est-à-dire une valeur relative. Mais une valeur éthique, autrement dit une valeur absolue. Car, s'il est vrai que la lecture nous rend heureux, tout au moins dans le laps de temps pendant lequel nous lisons, alors, "si, maintenant, je me demande pourquoi je devrais vouloir être heureux, la question apparaît de soi-même être tautologique : il semble que la vie heureuse se justifie par elle-même, qu'elle est l'unique vie correcte"(Wittgenstein, Carnets 1914-1916, 147-148). Or, ce qui nous rend si heureux dans la lecture, c'est que nous y découvrons ... nous-mêmes ! Laissons parler Proust :  
"la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature. Cette vie qui en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d'innombrables clichés qui restent inutiles parce que l'intelligence ne les a pas "développés""(Proust, le Temps Retrouvé, 2284). 
La lecture est un révélateur. Proust fait cette analogie avec la photographie (du moins avec la photographie argentique de grand-papa) : la lecture est à notre vie individuelle ce que le bain de révélateur est au papier photographique. Dans les deux cas, on passe du virtuel (image photographique virtuelle, conscience virtuelle) à l'actuel (image actuelle, conscience actuelle). Sans cette "révélation" apportée par la lecture, nous ne nous (re)connaîtrions pas, nous dit Proust, car nos expériences sensibles sont des faits mémorisés pour les seuls besoins adaptatifs de notre corps. Notre conscience n'en sait rien tant que de tels faits, ou, du moins, une partie d'entre eux, n'ont pas été valorisés. Et c'est à cela que "sert" la littérature. Si l'enfant aime à s'identifier au héros de l'histoire, s'il aime à avoir peur de la sorcière, s'il aime à rire des mésaventures du méchant, etc., c'est parce que, comme le remarque Bettelheim, les livres "lui parlent de ses graves pressions intérieures d'une façon qu'il enregistre inconsciemment, et [...] lui font comprendre par l'exemple qu'il existe des solutions momentanées ou permanentes aux difficultés psychologiques les plus pressantes"(Bettelheim, Psychanalyse des Contes de Fées, intro.). Ce qui est loin de n'être qu'un simple culte narcissique du moi, puisque, toujours31, le moi actuel est représenté dans un réseau de relations aux hommes et aux choses qui reflète un monde possible, c'est-à-dire un monde qui a toutes les propriétés du monde réel, sauf qu'on ne se pose pas la question de savoir s'il existe ou pas. Du coup, la lecture nous révèle 
"notre vie ; et aussi la vie des autres. [...] Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune. Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition"(Proust, le Temps Retrouvé, 2285). 
On voit que Proust généralise l'acte littéraire à la relation à l'oeuvre d'art quelle qu'en soit la nature. Je ne suis pas sûr que la généralisation ne se puisse faire à tous les écrits, sans exception. Je veux dire par là que je ne suis pas sûr que le lecteur d'un magazine scientifique, d'un récit historique, d'un traité philosophique, d'un texte sacré religieux n'ait pas, lui aussi, la secrète intention de se voir révéler sa propre existence au sein d'un monde possible, ce monde possible fût-il réputé réel (comme pour la science ou l'histoire). Mais cela exigerait un tout autre développement, aussi me contenté-je ici de conjecturer. Toujours est-il que le traitement de la lecture comme un cas particulier de réception d'une oeuvre d'art a le mérite de montrer que lire exige ce que Wittgenstein appelle une übersichtliche Darstellung, c'est-à-dire une représentation synoptique de son objet textuel, musical ou pictural : "ce que nous appelons “comprendre une phrase”, ressemble bien plus à la compréhension d’un thème musical qu’on ne l’imagine"(Wittgenstein, le Cahier Brun, 167).

Finalement, lire ne consiste pas, comme nous espérons l'avoir montré, à répondre à un stimulus qui aurait la forme d'une séquence de lettres de l'alphabet. Lire n'est pas réagir mais agir. Lire est un acte. Plus précisément, un acte social global et complexe à travers lequel le lecteur va se manifester et se distinguer par l'intelligence sémantique plus ou moins approfondie des textes qui lui parlent, comme on dit, c'est-à-dire qui le révèlent à lui-même en lui faisant prendre conscience de ses propriétés et de ses relations au(x) monde(s), réel comme possibles. Alors, bien entendu, agir s'apprend. Mais tout apprentissage ne doit pas nécessairement être méthodique. Il y a aussi des apprentissages mimétiques : on apprend par imitation, on apprend en "faisant comme". Et c'est nécessairement le cas lorsque l'activité en question est, comme nous l'avons dit plus haut, transcendentale, c'est-à-dire qu'elle est présupposée par d'autres activités : il n'y a pas plus de méthode d'apprentissage de la lecture qu'il n'y en a pour l'apprentissage de la logique. Seul un autiste devrait apprendre méthodiquement que "si p alors non (non p)" (principe de contradiction). De même, étrange serait le "lecteur" qui prétendrait "lire" l'Ulysse de James Joyce en appliquant la méthode Boscher. Croire le contraire, croire notamment qu'un enfant ne peut apprendre à lire que par et dans une méthode, si possible "syllabique", c'est, au mieux, être victime d'une confusion conceptuelle, au pire, être manipulé idéologiquement. À la base de ces deux travers, il y a 
"ces philosophies strictement utilitaires [qui] ont tout pensé en termes de fins et de moyens, c'est-à-dire de catégories dont la validité avait sa source et sa justification dans l'expérience constituée par la production d'objets d'usage. Le mal réside dans la nature du cadre conceptuel moyens-fins qui partout où il est appliqué change immédiatement tout but atteint en moyen d'une fin nouvelle et, pour ainsi dire, en détruit le sens"(Arendt, la Crise de la Culture, II, iii). 
Or, avons-nous dit, la lecture possède une dimension éthique, est donc une fin en soi. Il en va exactement de même pour la science : l'idée qu'elle doit se mettre au service de la technique est relativement récente32. Et comme 
 "l'idée que la science peut et doit être organisée selon des règles fixes et universelles est à la fois utopique et pernicieuse. Elle est utopique car elle implique une conception trop simple des aptitudes de l'homme et des circonstances qui encouragent ou causent leur développement. Et elle est pernicieuse en ce que la tentative d'imposer de telles règles ne peut manquer de n'augmenter nos qualifications professionnelles qu'aux dépens de notre humanité"(Feyerabend, contre la Méthode, §18), 
de même, s'il s'agit de rompre les esprits et les corps, et dès le plus jeune âge, à la chaîne infinie des fins et des moyens afin de maximiser l'employabilité et la flexibilité individuelles, bref, s'il s'agit d' "augmenter nos qualifications professionnelles qu'aux dépens de notre humanité", alors la "méthode Boscher" apparaîtra, effectivement, comme le paradigme de l'efficacité scolaire efficace. Sauf que tout cela n'est qu'un mythe : on n'apprend pas à penser, à raisonner scientifiquement, non plus qu'à lire, comme on apprend à souder. Dans tous ces cas
"pour ceux qui considèrent la richesse des éléments fournis par l'histoire et qui ne s'efforcent pas de l'appauvrir pour satisfaire leurs bas instincts [...], il devient clair qu'il y a un seul principe à défendre en toutes circonstances et à tous les stades du développement humain. C'est le principe : tout est bon [...]. Ma thèse est que l'anarchisme contribue au progrès, quel que soit le sens qu'on lui donne"(Feyerabend, contre la Méthode, §1). 
 En d'autres termes, on apprend toujours à lire "sur le tas" et personne n'a jamais appris à lire avec la "méthode Boscher". Celle-ci, comme d'ailleurs toutes les méthodes dites "de lecture", n'est pas une méthode de lecture, mais une méthode d'apprentissage de l'écriture et de l'orthographe. Ce qui est loin d'être négligeable, nous n'en disconvenons pas. Mais il n'y a pas de méthode d'apprentissage de la lecture. Et celle que Freinet appelle, sans doute par antiphrase, la "méthode naturelle" est tout sauf une méthode
 "par la méthode naturelle, l'enfant lit et écrit bien avant d'être en possession des mécanismes de base, parce qu'il accède à la lecture par d'autres voies complexes, qui sont celles de la sensation, de l'intuition et de l'affectivité dans le milieu social... L'élève de l'École Moderne33 cherchera d'abord à comprendre ce que signifient les signes, parce que, pour lui, pour la construction de sa vie, seul le sens importe. Nous le verrons alors scruter le texte globalement et ajuster les connaissances techniques qu'il a pu acquérir par ses précédentes expériences et qui joueront le rôle de poteaux indicateurs qui l'aideront à s'orienter"(Freinet, la Méthode Naturelle de Lecture). 
L'apprentissage de la lecture est, et ne peut être qu'anarchique. Et, de même que l'anarchie politique n'est pas l'absence de lois mais l'absence d'État pour les appliquer, l'anarchie pédagogique n'est pas l'absence de règles, mais l'absence de méthode pour les inculquer.

2Rappelons au passage que le titre complet de l'ouvrage de Descartes est Discours de la Méthode pour bien conduire sa Raison et chercher la Vérité dans les Sciences.
3Certes, il doit exister des "spécialistes" honnêtes. Mais, comme le fait dire Audiard à Jean Gabin dans le film de Verneuil intitulé le Président, "il y a aussi des poissons volants, mais ils ne sont pas la majorité de l'espèce !"
4Y compris au propre témoignage de l'auteur du présent article, autrefois maître de CP. Je ferai cependant une exception pour Célestin Freinet que je citerai in fine.
6La première étant celle du doute, la seconde celle de l'analyse et la quatrième celle du dénombrement.
7Au sens que Descartes accorde à ce verbe lorsqu'il dit, par exemple : "je ne suis donc précisément parlant qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison"(Descartes, Méditations Métaphysiques, II, 7). "Une chose qui pense" (res cogitans) par opposition à "une chose étendue" (res extensa), c'est-à-dire un corps.
9Adjectif dérivé de la Méthode Boscher, célèbre méthode d'apprentissage syllabique de la lecture.
10L'Examen de Minuit (in les Fleurs du Mal, 151)
11Aussi dénommée "méthode analytique", ce qui, d'un point de vue strictement cartésien, est un contre-sens complet, puisque, comme nous l'avons dit supra, (cf. note 6), la troisième règle est celle de la synthèse. Comme nous le verrons plus loin, une telle confusion lexicale est riche d'enseignements.
12Je dis "nous" car, bien entendu, nous faisons tous ainsi, à un moment ou à un autre : nous ânonnons un message illisible, déchiffrons la notice d'un médicament, épelons un mot nouveau, etc.
13J'ai toujours éprouvé une admiration mêlée de compassion pour les orthophonistes qui tentent de faire "prendre conscience" aux enfants en difficulté qu'une émission [b] précède une émission [a] !
14Règle qui n'existe dans aucune langue au monde et dans la langue française moins que dans aucune autre (et encore, pour ne rien dire des langues sémitiques -hébreu, arabe- dans lesquelles les phonèmes vocaliques n'ont pas de correspondant graphématique, ni, a fortiori, des langues idéographiques comme les langues chinoises). En tout cas, même dans les langues dites "transparentes" (c'est-à-dire celles pour lesquelles le rapport nombre de graphèmes/nombre de phonèmes tend vers 1), les aspects prosodiques (non phonologiques, au premier rang desquels, l'accent régional) d'un même phonème ne sont jamais codifiés, rendant la variation phonématique potentiellement infinie. Il en va de même, mutatis mutandis, des variations non codables des graphèmes (à travers, par exemple, le style manuscrit).
15Inapplicable car "une infraction complète aux règles d'un jeu ne peut apparaître que rarement" (Wittgenstein, de la Certitude, § 647).
16On en revient à la responsabilité de l'institution dans l'endoctrinement pédagogique : on exige, de plus en plus, de la part des enseignants, des résultats immédiats, visibles et quantifiables (on dit "évaluables" dans la novlangue de la pédagogie officielle). Auquel cas, il n'y a pas à s'étonner du succès croissant des méthodes les plus mécanistes et les plus répétitives qui, concevant l'éducation comme un dressage, requièrent peu d'efforts et garantissent des résultats, tant pour les maîtres que pour les élèves (et leurs parents !).
18Le verbe "dériver" (ableiten) signifie aussi, en allemand, "déduire", "justifier", "détourner", "évacuer", c'est-à-dire connote une opération qui s'oppose à "induire", "généraliser".
19L'enseignement méthodique du solfège se prête exactement à la même analyse que celle que nous avons faite supra pour l'enseignement méthodique de la lecture, sauf que je ne connais pas de professeur de solfège qui qualifie de "musicien" celui ou celle qui se contente de déchiffrer une partition, fût-ce à la perfection.
20"J'appelle transcendantale toute connaissance qui s'occupe en général non pas tant d'objets que de notre mode de connaissance des objets"(Kant, Critique de la Raison Pure, III, 43). La novlangue officielle préfère parler de "compétence transversale".
21Mettez un enfant en présence de la "méthode Boscher" : il n'en tirera profit que si et seulement s'il lit son contenu, seul ou avec l'aide d'une tierce personne, peu importe. De là l'illusion qu'ont nombre de personnes d'avoir "appris à lire" avec ladite méthode. Sauf que ce n'est pas la méthode syllabique qui y est distillée qui leur a appris à lire. Car, de deux choses l'une : ou bien elles savaient déjà lire, ou bien elles ont effectivement commencé à lire avec le livre qui l'expose, auquel cas ce sont les mots, les phrases et les petits textes de ce livre qui ont été leurs premières expériences de lecteur. Dans tous les cas, elles auront appris à lire, non pas grâce à la méthode Boscher, mais malgré la méthode Boscher (c'est-à-dire la combinatoire syllabique qui y est incorporée).
22Bourdieu parle souvent de "démon de Maxwell" (du nom de l'être fictif, imaginé par J.C. Maxwell, qui mettrait en échec la loi de l'augmentation irréversible de l'entropie -seconde loi de la thermodynamique- en fournissant de l'énergie à un système afin de diminuer son entropie ! -cf. Information, Conatus et Entropie-) pour qualifier le fonctionnement réel de l'école soi-disant républicaine : "le système scolaire agit à la manière du démon de Maxwell : au prix de la dépense d’énergie nécessaire pour réaliser l’opération de tri, il maintient l’ordre préexistant, c’est-à-dire l’écart entre les élèves dotés de quantités inégales de capital culturel"(Bourdieu, Raisons Pratiques, ii).
23Avec, bien entendu, quelques exceptions célèbres (Louis Guilloux, Albert Camus, ...) qu'on ne manquera pas de mettre en avant pour brouiller la limpidité de l'analyse bourdieusienne, oubliant cependant que le propre d'une exception, c'est d'être l'exception ... d'une règle.
24Du grec mimèsis, "imitation" : "la tendance à l’imitation est instinctive chez l’homme et dès l’enfance [...] car l’imitation, par elle-même, nous procure du plaisir"(Aristote, Poétique, 1448b). Du coup, le seul problème pédagogique pertinent, en matière d'apprentissage de la lecture devient : imiter, oui mais qui ? Évidemment, il eût été préférable de répondre : mais le maître, bien entendu ! Malheureusement, notre système social ne fait pas beaucoup d'efforts pour promouvoir le maître au rang de modèle à imiter.
25"L’habitus est le produit de l’incorporation des structures objectives de l’espace social, ce qui incline les agents à prendre le monde social tel qu’il est, plutôt qu’à se rebeller contre lui"(Bourdieu, Langage et Pouvoir Symbolique, iii, 5).
27Du grec holos, "totalité". Notamment, comme le montrent Spinoza ou Wittgenstein, le tout (le sens pour celui-ci, Dieu pour celui-là) sont des entités infinies.
28Comme le montre, par exemple, l'histoire des sciences physiques qui a commencé par l'astronomie pour procéder vers les deux directions opposées que sont la physique quantique (infiniment petit) d'une part et l'astro-physique (infiniment grand) d'autre part. De même, un philosophe comme Spinoza considère que la connaissance la plus parfaite ("le troisième mode de connaissance") est celle qui procède déductivement depuis la saisie intuitive des propriétés du Tout ("Dieu" ou "la Nature") vers la compréhension détaillée de celles de ses parties ("les choses singulières"), et non inductivement dans l'autre sens (cf. les Grands Thèmes de l'Ethique de Spinoza, notamment §4).
29En particulier dans les langues comme l'arabe ou l'allemand dans lesquelles la reconnaissance des radicaux est une étape importante de la détermination du sens.
31Y compris dans la poésie romantique la plus intimiste (celle qui plonge le sujet dans le solipsisme), et y compris dans la mauvaise littérature (celle qui caresse le lecteur dans le sens du poil).
32Elle date, grosso modo, de l'époque classique. Comparez : "si ce fut pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, il est clair qu’ils poursuivaient la science en vue de connaître et non pour une fin utilitaire. [...] Elle est à elle-même sa propre fin"(Aristote, Métaphysique, A, 982b) avec : "sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique [...], j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire. [...] Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie "(Descartes, Discours de la Méthode, vi).
33Autre nom du Mouvement Freinet.

(à suivre dans
LIRE IV : COMPREHENSION; INTERPRETATION ET AUTORITE CHEZ ARENDT, BOURDIEU ET WITTGENSTEIN
LIRE V : PHILOSOPHIE ANALYTIQUE, LITTERATURE ET SEMANTIQUE
LIRE VI : PROUST, LEIBNIZ ET LES MONADES LISANTES
LIRE VII : L'ENJEU ETHIQUE DE LA LITTERATURE.)