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jeudi 11 septembre 2008

LA RAISON EST-ELLE SEULE SOURCE DE VERITE ?

A2- LA RAISON EST-ELLE SEULE SOURCE DE VERITE ?





Nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part, es­saye de les combattre. Les pyrrhoniens1, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le prouver par la raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvement, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimen­sions dans l’espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit le double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent et le tout avec certi­tude, quoique par différentes voies.

Pascal – Pensées



1 - A quelle idée l'auteur s'oppose-t-il et quelle idée défend-il ?

L'auteur s'oppose à l'idée que la raison serait la seule voie d'accès possible à la vérité. Il défend l'idée qu'il existe une autre voie d'accès à la vérité : le coeur.



2 - Qui sont les pyrrhoniens et quels problèmes posent-ils à Pascal ?

Les pyrrhoniens (appelés aussi "sceptiques") sont des philosophes qui argumentent de la manière suivante. Soit un dialogue entre A et B. B est pyrrhonien ou sceptique. A : "j'affirme p" (p, q, r, ..., z sont des propositions quelconques). B : "je veux une preuve de p". A : "facile : p parce que q". B : "d'accord ; maintenant, je veux une preuve de q". A : "facile : q parce que r". B : "d'accord ; maintenant, je veux une preuve de r". A : "facile : r parce que s". B : "d'accord ; maintenant je veux une preuve de s" ... Et ainsi de suite jusqu'à ce que A ne puisse plus donner de preuve de ce qu'il avance. C'est alors que B triomphe : "si tu ne peux pas prouver z, c'est que y n'est pas certain, x non plus ... s non plus, r non plus, q non plus et donc tu ne peux pas affirmer p". En généralisant, il est facile de voir que le pyrrhonien refuse d'affirmer quoi que ce soit : on ne peut jamais être sûr de rien ("il faut suspendre son jugement"). Ce qui pose au moins deux problèmes à Pascal qui est un philosophe du XVII° siècle à la fois scientifique (il a découvert la pression atmosphérique, le calcul des probabilités et le calcul infinitésimal) et croyant (il a fait partie du mouvement janséniste et voulait écrire une apologie de la religion chrétienne) : si on suit les pyrrhoniens, il n'y a pas de vérité scientifique ni de foi religieuse possibles.



3 - Expliquer "quelque impuissance où nous soyons de le prouver par la raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent". Tous les philosophes partagent-ils le point de vue de Pascal sur la faiblesse de la raison ?

Pascal est d'accord avec les pyrrhoniens sur un point : en effet, on ne peut pas tout prouver par le raisonnement (dans le dialogue entre A et B, il y a forcément un moment où A n'a plus d'argument à avancer). Mais il s'oppose à eux sur la conséquence à en tirer : pour les pyrrhoniens, si on ne peut pas tout prouver par le raisonnement, c'est que toutes nos connaissances sont donc incertaines ; pour Pascal, en revanche, si on ne peut pas tout prouver par le raisonnement, c'est qu'il y a des vérités qui se prouvent autrement que par le raisonnement. La différence entre Pascal et les pyrrhoniens, c'est que pour ces derniers, comme la plupart des philosophes depuis Platon, le raisonnement, la démonstration, la déduction étant les seuls moyens de ne pas se laisser distraire par ce que l'on sent ou ressent, et donc de ne pas se laisser manipuler par les apparences (on se souvient que, pour Platon, c'est là le danger numéro un de la rhétorique), c'est aussi le seul moyen d'atteindre la vérité. Pascal n'est pas d'accord. Il y en a un autre : ce que l'on ressent, au plus profond de soi-même, par le coeur.



4 - Donner un exemple de raisonnement qui s'appuie sur les "connaissances du cœur" (il y en a beaucoup dans votre cours de mathématiques).

N'importe quel théorème de mathématiques commence par des prémisses indémontrables qu'on appelle des axiomes (ou des postulats), des définitions, etc. Votre professeur de mathématiques vous donne aussi parfois des formules ... à apprendre par coeur ! Autrement dit, même en mathématiques (qui est quand même l'activité humaine qui fait le plus souvent appel au raisonnement), le raisonnement est impossible sans "connaissances du coeur", comme dit Pascal. Pascal, qui a beaucoup travaillé sur la géométrie d'Euclide sait très bien, par exemple, qu'on ne peut pas tracer de figure plane si on ne sent pas (par le coeur) que, par un point extérieur à une droite, il ne passe qu'une seule parallèle à cette droite.



5 - Quelles sont les relations qu'entretiennent le cœur et la raison d’après Pascal ?

Il y en a trois : complémentarité, antériorité et subordination. Complémentarité : dans une argumentation quelconque, le coeur et la raison se complètent harmonieusement (il faut reconnaître qu'il y a des vérités que l'on sent sans pouvoir les prouver). Antériorité : dans une argumentation quelconque (cf. l'exemple des mathématiques que nous avons pris ci-dessus), on commence toujours par les connaissances du coeur sans lesquelles aucun raisonnement n'est possible. Subordination : la raison a toujours besoin du coeur, mais non réciproquement (on peut imaginer une culture dans laquelle toutes les vérités se sentent intuitivement, mais non une culture où on peut tout prouver par le raisonnement).



6 - En vous appuyant sur vos connaissances en mathématiques, développer l'avant-dernière phrase.

Soit à démontrer algébriquement que, x et y étant deux nombres entiers quelconques, x2 2y2 ("il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit le double de l'autre"). En effet, supposons que x2 = 2 y2. On aurait alors x2 = √(2 y2), soit x = √2 y. Or √2 n'est pas un nombre entier (√2 1,414...). Donc √2 y non plus et x non plus. Ce qui contredit notre hypothèse de départ ( x et y doivent être deux nombres entiers). Donc, effectivement, x2 2y2. C'est facile à démontrer. Oui mais, pour y parvenir, nous avons besoin d'admettre, comme nous l'avons fait, que x et y sont deux nombres entiers (deux "nombres carrés" dit Pascal) quelconques. Autrement dit, nous ne pouvons raisonner que pour tout x et tout y, quels qu'ils soient. Bref, comme le dit Pascal, pour pouvoir développer ce raisonnement, il faut que "le cœur sent[e] ... que les nombres sont infinis". Si, maintenant, nous voulons faire une démonstration non pas algébrique mais géométrique, cette fois, ce n'est pas plus compliqué, mais à condition que "le cœur sent[e] qu’il y a trois dimen­sions dans l’espace". Conclusion : "c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours".



7 - En vous appuyant sur cet autre texte de Pascal, donner une définition de ce que Pascal appelle le cœur : "Car il ne faut pas se méconnaître : nous sommes automate autant qu'esprit ; et de là vient que l'instrument par lequel la persuasion se fait n'est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ! Les preuves ne convainquent que l'esprit. La coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues ; elle incline l'automate, qui entraîne l'esprit sans qu'il y pense"(Pascal, Pensées).

Le coeur n'est que l'autre nom de la coutume, c'est-à-dire ce que nous apprenons, dès notre plus tendre enfance, sans nous en rendre compte. "Nous sommes automate autant qu'esprit", dit Pascal. Eh oui. Il nous invite à une modestie dont les philosophes ont tendance à nous éloigner : nous ne sommes pas de purs esprits capables de prouver rationnellement tout ce que nous tenons pour vrai. Cela rappelle cette autre citation de Pascal : "le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point". Le coeur ne fonctionne pas comme la raison : il sent les choses. Nous sentons que les nombres sont infinis, que Dieu existe (ou n'existe pas), que nous sommes amoureux, etc. Et d'où vient que nous le sentons ? Eh bien c'est comme ça. C'est la coutume. C'est en faisant des mathématiques que nous sentons les vérités mathématiques, c'est en priant Dieu que nous sentons la présence de Dieu, c'est en aimant l'être cher que nous sentons que nous sommes amoureux, etc. Il est inutile et ridicule de demander une autre explication.


1 Courant philosophique (aussi appelé sceptique) fondé par Pyrrhon d’Elis qui soutient qu’on doit suspendre son jugement car on ne peut jamais rien savoir avec certitude.

mercredi 10 septembre 2008

LA VERITE A-T-ELLE ASSEZ DE FORCE POUR PERSUADER PAR ELLE-MÊME ?

A1- LA VERITE A-T-ELLE ASSEZ DE FORCE POUR PERSUADER PAR ELLE-MÊME ?





GORGIAS1 : Il m’est arrivé maintes fois d’accompagner mon frère ou d’autres médecins chez quelque malade qui refusait une drogue ou ne voulait pas se laisser opérer par le fer ou le feu, et là où les exhortations du médecin restaient vaines, moi je persuadais le malade, par le seul art de la rhétorique. Qu’un orateur et un médecin aillent ensemble dans la ville que tu voudras : si une discussion doit s’engager à l’assemblée du peuple ou dans une réunion quelconque pour décider lequel des deux sera élu comme médecin, j’affirme que le médecin n’existera pas et que l’orateur lui sera préféré si cela lui plaît. Il en serait de même en face de tout autre artisan : c’est l’orateur qui se ferait choisir plutôt que n’importe quel compétiteur ; car il n’est point de sujet sur lequel un homme qui sait la rhétorique ne puisse parler devant la foule d’une manière plus persuasive que l’homme de métier, quel qu’il soit. Voilà ce qu’est la rhétorique et ce qu’elle peut. [...] L’orateur n’est pas l’homme qui fait connaître aux tribunaux ou à toute autre assemblée ce qui est juste et ce qui est injuste [...] de toute façon il ne pourrait pas, dans le peu de temps qu’il a, informer pareille foule et l’amener à connaître des questions si fondamentales. [...] La rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle ; elle a découvert un procédé qui sert à persuader ; de­vant un public d’ignorants, elle a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs.

Platon – Gorgias



Contexte : Platon est un philosophe grec du IV° siècle av. J.-C. Bien qu'il y ait eu des "sages" avant lui (notamment Socrate dont il est l'élève) et ailleurs qu'en Grèce (en Perse, en Inde, en Chine, etc.), il est considéré comme le premier des "philosophes". Pourquoi ? C'est ce que nous allons essayer de comprendre en expliquant ce texte.



Dans ce texte, extrait d'un dialogue, la parole est laissée à un certain Gorgias, qui, à l'époque de Platon, est une immense vedette. C'est en effet un rhéteur (ou orateur) célèbre dont les discours font merveille, notamment en ce qui concerne leur force de persuasion. À travers ce texte, Platon (en laissant parler Gorgias) veut montrer que, la plupart du temps, on ne persuade pas en disant la vérité mais en manipulant son auditoire. D'où la nécessité, pense Platon d'inventer une discipline (qu'on appellera "philosophie") qui ne se préoccupe que de la vérité du discours.



"Il m'est maintes fois arrivé ... par le seul art de la rhétorique"

D'entrée de jeu, Gorgias se vante de réussir à persuader là où d'autres échouent, et ce, même lorsque l'enjeu de cette persuasion est vital (il s'agit de persuader le malade de se laisser opérer), et même lorsque celui qui tente de persuader est intelligent, respecté et admiré (un médecin, ce n'est pas n'importe qui). Notons que la tâche du médecin n'est pas facile : s'il opère, il le fera "par le fer ou le feu" (à l'époque, on ne connaît ni l'anesthésie ni l'asepsie !). De sorte que le médecin va peut-être convaincre son malade. C'est-à-dire que celui-ci finira peut-être par dire : "oui, bien sûr, docteur, vous avez raison". Mais il ajoutera aussitôt, effrayé par la perspective de souffrir horriblement : "mais malgré tout, je refuse de me faire opérer". Voilà le problème : le médecin, qui est savant, dit la vérité au malade et le convainc mais ne le persuade pas, c'est-à-dire ne le fait pas passer à l'acte. Or, c'est bien cela qu'il faut arriver à faire, si l'on veut sauver le malade. Eh bien, nous dit Gorgias, "par le seul art de la rhétorique", autrement dit sans avoir aucune connaissance médicale, mais avec des techniques efficaces de persuasion, lui y parvient.



"Qu'un orateur et un médecin ... lui sera préféré si cela lui plaît"

Première généralisation de Gorgias, pour bien faire comprendre la puissance de la rhétorique : non seulement, l'orateur (le rhéteur) est plus fort que le médecin pour persuader un malade isolé dans sa chambre, mais il est aussi plus fort que lui devant une assemblée qui doit trancher qui, de l'orateur ou du médecin est le meilleur ... médecin ! Bref, l'orateur qui, rappelons-le, ne possède aucune connaissance médicale, non seulement persuadera mieux que celui qui possède cette connaissance, mais c'est lui qui, au bout du compte, aura l'air d'être le vrai médecin ! C'est hallucinant, ça : l'orateur réussira à se faire passer pour le médecin qu'il n'est pas, donc à mystifier une foule entière, "si cela lui plaît", fanfaronne cyniquement Gorgias.



"Il en serait de même ... ce qu'est la rhétorique et ce qu'elle peut"

Deuxième généralisation de Gorgias : ce qui vaut pour la profession médicale vaut, d'une manière générale, pour toutes les professions. C'est-à-dire que, s'il sait y faire, s'il use habilement de quelques techniques de persuasion dont il a le secret, l'orateur surpassera toujours "n'importe quel homme de métier, quel qu'il soit". Ce qui explique, évidemment, le succès des orateurs (des rhéteurs) auprès du public : ce sont de véritables magiciens, de véritables prestidigitateurs, puisqu'ils sont capables, malgré leur ignorance, de réaliser ce que les savants ne peuvent pas faire, à savoir faire passer à l'acte tout un auditoire. Il est clair que ce que dit Gorgias est terriblement actuel : les avocats, les publicitaires, les communicants politiques, aujourd'hui, ne font pas autre chose. Leur tâche consiste bien à persuader, à faire passer à l'acte (acquitter un prévenu, acheter un produit, voter pour un candidat), et non pas à convaincre qu'ils disent la vérité. "Voilà ce qu'est la rhétorique et ce qu'elle peut". C'est d'autant plus terrifiant que l'histoire récente, celle de l'Allemagne nazie, par exemple, montre sans ambiguïté de quoi est capable un orateur habile qui sait flatter démagogiquement les instincts d'une foule qui ne demande qu'à être persuadée en faisant le moins possible d'efforts pour comprendre (l'ouvrage de Gustave le Bon intitulé Psychologie des Foules était le livre de chevet d'Adolphe Hitler).



"L'orateur n'est pas l'homme ... plus que n'en savent les connaisseurs"

La Grèce des V° et IV° siècles av. J.-C. a inventé la démocratie (étymologiquement, "le pouvoir du peuple"), notamment dans la Cité d'Athènes dont Platon est originaire et où se déroulent la plupart de ses dialogues. Or la démocratie est un système d'organisation politique qui se caractérise par l'existence d'un débat puis d'un vote publics préalables à toute décision importante concernant la communauté. En laissant parler Gorgias, Platon souligne deux risques : d'une part que la décision majoritaire ne soit que l'option la mieux défendue par les orateurs et non pas la meilleure pour la collectivité, d'autre part que le pouvoir politique soit confisqué par les orateurs pour leur propre compte (de fait, l'histoire des Cités grecques fait apparaître une succession de périodes de démocratie et de tyrannie). Et si tel est le cas, c'est que la démocratie ne peut fonctionner correctement que si et seulement si les citoyens sont capables de choisir en toute connaissance de cause. Or, nous dit honnêtement Gorgias, les citoyens, ou bien sont carrément ignorants des sujets sur lesquels on leur demande de se prononcer, ou bien n'ont pas le temps d'approfondir ces sujets, ils sont pressés, ils ont autre chose à faire. Voilà pourquoi, en démocratie, la rhétorique est dangereuse : "de­vant un public d’ignorants, elle a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs". Et voilà pourquoi Platon se propose d'opposer à la manipulation rhétorique en démocratie une activité qui ne se préoccupera que de la seule vérité des discours : la philosophie (étymologiquement, "amour de la vérité"). Platon va même jusqu'à n'entrevoir de solution définitive aux problèmes que connaissent les sociétés humaines qu'à condition de confier le pouvoir politique à ... des philosophes !


1 Célèbre rhéteur (orateur) de la Grèce du IV° siècle av.J-C., connu pour la qualité de ses discours et pour l'efficacité de son enseignement.