各国无产者联合起来 ! PROLETAIRES DE TOUS PAYS UNISSEZ-VOUS !

各国无产者联合起来 ! PROLETAIRES DE TOUS PAYS UNISSEZ-VOUS !

jeudi 15 octobre 2009

EST-CE LEUR CONFIRMATION EXPERIMENTALE QUI FAIT LE SUCCES DES SCIENCES HUMAINES ?

CORRIGÉ DU D.M.B
(séries générales)

Expliquer le texte suivant : 
 
"La mécanique est le modèle des sciences et [la] psychologie a pour idéal une mécanique de l’âme [avec] des expé­rimentations de physique d’une part, et d’autre part des expérimentations de psychologie. [Or] une des choses les plus importantes pour une expérimentation en physique, c’est qu’elle doit marcher, qu’elle doit nous rendre capable de prévoir avec succès : la physique est liée à l’art de l’ingénieur, le pont ne doit pas s’effondrer. [Mais] certains ont trouvé une façon tout à fait nouvelle de rendre compte d’une explication : non pas une explication conforme à l’expérience (cause) mais une explication simplement acceptée (motif) : [par exemple], le critère permettant de dire que la psychanalyse a réussi, c’est que cela vous a satisfait. [En effet], certaines explications ne sont pas conformes à l’expérience mais sont simplement satisfaisantes [dans le sens où] certaines explications exercent, à un moment donné, une attraction irrésistible."
Wittgenstein, Leçons sur l’Esthétique, II-III


A - ANALYSE DU SUJET


1° étape (A21) : poser la question centrale, le problème fondamental, à quoi le texte semble être la réponse détaillée (au brouillon).


J'hésite entre : La psychologie et la psychanalyse sont-elles des sciences ? Ou bien : Toutes les explications doivent-elles être confirmées par l'expérience pour être satisfaisantes ? Ou encore : Les explications en sciences humaines et sociales doivent-elles, comme les explications des sciences de la nature, être confirmées par l'expérience ? (Mais cette dernière question ne me plaît pas trop : elle est trop longue et ressemble trop au titre du cours B2)


2° étape (A22) : analyse linéaire du texte, phrase par phrase (au brouillon).


"La mécanique est le modèle des sciences et [la] psychologie a pour idéal une mécanique de l’âme [avec] des expé­rimentations de physique d’une part, et d’autre part des expérimentations de psychologie."

Paraphrase : Wittgenstein nous dit que la psychologie (et sans doute aussi toutes les sciences de l'homme) partage avec la physique (et sans doute aussi toutes les sciences de la nature) l'idée que leur fonction commune est de décrire un mécanisme. Il y a là une analogie implicite : l'enchaînement des mouvements est à la physique ce que l'enchaînement des idées (des sentiments, des pensées, etc.) est à la psychologie.

Confrontation :

Descartes : la physique, c'est-à-dire la science de la nature (du grec phusis, nature), étudie toujours des machines, qu'elles soient vivantes ou non (A312-B211). Mais, pour les cartésiens, d'une part la physique ne dit rien sur l'homme puisque l'homme est une chose qui pense et non un corps (A313-B211), d'autre part la vérité de la physique repose sur la déduction de notre intelligence pure et attentive (A214) et non pas sur l'expérimentation puisque nos sens sont toujours potentiellement trompeurs (A211).

Kant : toute science comporte une partie pure a priori qui construit des hypothèses rigoureuses à l'aide de l'outil mathématique, et une partie empirique qui vérifie ces hypothèses toujours à l'aide de l'outil mathématique (B1-Texte). Or, toute science ainsi conçue consiste, non pas à découvrir des phénomènes naturels pré-existants, mais à construire des phénomènes en imposant une véritable législation à la nature. Dès lors, il n'y a rien d'étonnant à ce que la puissance de la méthode scientifique soit très tentante pour d'autres activités intellectuelles, y compris celles où la construction d'hypothèses est difficile : on pense ici, par exemple, à la psychologie (B126). D'autant qu'il ne suffit pas qu'il y ait une expérience possible pour qu'une activité soit scientifique, encore faut-il qu'il existe un objet à expérimenter, ce qui ne va pas de soi pour la psychologie (B326) qui ressemble plus à l'histoire qu'à l'astronomie.

Locke-Hume : pour les empiristes, toute connaissance, donc, a fortiori, toute connaissance scientifique, consiste à faire des observations empiriques, que ce soit sur l'extérieur de nous-mêmes (science de la nature) ou sur l'intérieur de nous-mêmes (psychologie) (B111). Et, dans la mesure où tout ce qui est humain est nécessairement individuel, pour eux, la psychologie comme observation empirique de soi-même est la seule science de l'homme qui soit légitime (B212).

Bourdieu : la psychologie, comme d'ailleurs toutes les sciences humaines et sociales, n'est pas une simple critique philosophique, elle peut et doit se doter des méthodes de formulation et d'expérimentation d'hypothèses qui caractérisent les sciences de la nature (B2-Texte). Mais la psychologie, comme n'importe quelle science de l'homme, risque de révéler des enjeux de pouvoir que les dominants ont intérêt à cacher (B216). Les psychologues risquent donc de se comporter comme des "demi-savants" plutôt que comme des savants à part entière en "oubliant" fort opportunément de décrire les ressorts psychologiques de la domination de classe (B223).

Durkheim : certes, nos manières de penser, de réagir, de nous émouvoir, sont des faits sociaux qui s'imposent à chaque individu, donc des choses qui peuvent et doivent être décrites objectivement au même titre que les mécanismes physiques (B215). Sauf que, de deux choses l'une : ou bien il s'agit de décrire la genèse des états mentaux de chaque individu, et, dans ce cas, c'est vers l'histoire (et non à la psychologie) qu'il faut se tourner sans aucune garantie d'objectivité (B323), ou bien, si on tient à une description objective de la genèse de ces états mentaux, il faut avoir recours à la sociologie (et non à la psychologie) et à la statistique (B215). qui va décrire des tendances générales (e.g. le suicide) et non pas individuelles. Dans tous les cas, la psychologie n'a donc pas d'objet propre.


Commentaire (Wittgenstein) :
Il n'y a rien d'étonnant à ce que la psychologie ou la psychanalyse prétendent être des sciences à part entière, c'est-à-dire des sciences de la nature, puisque seules les sciences de la nature sont habilitées à formuler des propositions vraies après avoir, a priori, exprimé une simple possibilité hypothétique (B115-128). Mais si la psychologie ou la psychanalyse ont la prétention de décrire une sorte de mécanique de l'âme, on affirme néanmoins en même temps, dans notre civilisation, et de manière tout à fait tautologique, qu'une machine est incapable de penser (A333). Wittgenstein présente donc implicitement (et ironiquement) la psychologie et la psychanalyse comme des activités paradoxales qui étudient une soi-disant mécanique de l'âme alors qu'une mécanique ne peut pas avoir d'âme.


"[Or] une des choses les plus importantes pour une expérimentation en physique, c’est qu’elle doit marcher, qu’elle doit nous rendre capable de prévoir avec succès : la physique est liée à l’art de l’ingénieur, le pont ne doit pas s’effondrer."

Paraphrase : Wittgenstein attire notre attention sur le résultat matériel des sciences de la nature : la vérité d'une théorie physique est attestée, entre autres, par son utilisation future par l'ingénieur. Autrement dit, la vérité d'une théorie scientifique est attestée par sa reproductibilité future, notamment dans le cadre de son application technologique. Ce qui impliquerait que vérification empirique et application technologique vont de pair.

Confrontation :

Platon : les orateurs sont de très fins psychologues puisqu'ils servent à la populace le discours rassurant ou terrifiant qu'ils souhaitent et attendent. C'est pourquoi la rhétorique n'a nul besoin de savoir de quoi elle parle. Il lui suffit de savoir à qui elle parle, en l'occurrence à des ignorants à destination de qui elle a découvert de puissants procédés de persuasion (A111-B321). A ce titre, la psychologie permet de prévoir avec succès la réaction d'un public déterminé à un discours donné (en ce sens, nos modernes publicitaires sont les héritiers directs des rhéteurs). Ce qui ne veut pas dire que la psychologie soit une science, bien au contraire, car, précisément, la vraie science, le vrai savoir (la philosophie), ne s'intéressant qu'aux Idées, et non aux objets matériels, n'a pas à être confirmé(e) par son utilité (B112).

Bourdieu : la psychologie et la psychanalyse permettent de prévoir les comportements humains car, au fond, ce qu'elles observent, ce ne sont pas de soi-disant processus psychiques internes, mais des habitus qui sont des conditionnements associés à une classe particulière de conditions matérielles d'existence. Par exemple, la psychologie permettra de prévoir avec succès la réaction des philosophes à l'intrusion de la sociologie dans leur propre champ d'activité (B214). Et d'autant plus facilement que tout habitus se manifeste notamment à travers un niveau de langage perçu comme un signe extérieur de richesse symbolique (A131). Le problème, c'est que, là encore, la psychologie ou la psychanalyse n'ont pas d'objet propre, puisque c'est la sociologie qui étudie et qui prédit les comportements en fonction des habitus, et encore, à condition de ne pas confondre, comme le font les "demi-savants" corrélation et causalité (B223).

Descartes : le succès de la physique se mesure au degré de maîtrise technologique qu'elle nous permet d'atteindre. Tous les objets de la nature ne sont autre que des machines plus ou moins compliquées, plus ou moins perfectionnées. Aussi, en étudiant le fonctionnement de ces machines, nous sommes capables de prévoir avec succès leur application technologique consistant à en créer de semblables et à nous rendre, en quelque sorte, comme maîtres et possesseurs de la nature (B124-B211). Or ce n'est pas le cas pour l'étude des pensées humaines, puisque celles-ci ne sont pas des phénomènes physiques et publics mais des phénomènes métaphysiques et privés (A313-314). Donc ce que nous appelons "psychologie" ou "psychanalyse", Descartes l'appellerait tout simplement "métaphysique", c'est-à-dire la partie de la philosophie qui traite des intuitions fondamentales de la pensée humaine (A213). Ce qui n'empêche nullement que l'on puisse prévoir les pensées d'autrui, à condition toutefois que l'on soit assuré que la pensée d'autrui soit une pensée pure et attentive qui opère par intuition et déduction et non pas une pensée impure et distraite qui se contente de percevoir ou d'imaginer (A214).

Kant : à travers l'utilisation des mathématiques dans la formulation et dans la vérification des hypothèses, les scientifiques sont en quelque sorte les législateurs de la nature. Il y a là une analogie : le législateur fait la loi de la Cité, tout comme le scientifique fait la loi de la nature (B126). Les sciences de la nature permettent donc de prévoir les phénomènes naturels non pas parce que ceux-ci "obéiraient" aux scientifiques, mais dans la mesure où elles établissent des lois universelles qui décrivent des phénomènes stables en tout lieu et en toute époque, donc valables, en particulier, pour l'avenir. Or la psychologie ou la psychanalyse sont des connaissances ex datis (empirique ou historique) plutôt que des connaissances ex principiis (rationnelle ou scientifique) (B326). En ce sens, la psychologie, la psychanalyse et les sciences humaines en général, n'ont aucune valeur prédictive.

Locke-Hume : toutes nos connaissances proviennent des observations empiriques que nous faisons sur notre monde extérieur comme sur notre monde intérieur. En ce sens, la psychologie ne se comporte pas de manière fondamentalement différente des sciences physiques. Mais alors, ni la psychologie ni les sciences physiques ne possèdent de réelle valeur prédictive. Car dans la mesure où la relation de cause à effet, qui permet de prédire un événement à partir du constat d'un autre événement (A est la cause de B), se base sur l'expérience passée (on n'a pas l'expérience du futur) de la ressemblance (on n'a pas l'expérience de l'identité de tous les A et de tous les B) et de la contiguïté (on n'a pas l'expérience de l'influence de A sur B). Il n'y a donc aucun moyen de prédire valablement un phénomène (qu'il soit physique ou qu'il soit psychique) à partir de l'observation d'un autre (B111-125).

Durkheim : les manières de penser dont prétendent traiter la psychologie ou la psychanalyse sont des faits sociaux qui s'imposent aux individus. En ce sens, la statistique autorise effectivement à prédire ce que vont penser les uns et les autres, et ce, avec le même degré de fiabilité que dans les sciences de la nature. Sauf que ce n'est pas la psychologie ou la psychanalyse qui réalisent cette prouesse, mais la sociologie (B215).

Weber : contrairement à ce qui se passe dans les sciences de la nature, les manières de penser dont prétendent traiter la psychologie ou la psychanalyse n'ont pas à être décrites de manière externe et objective, mais doivent être comprises de manière interne et subjective. Il s'agit de donner un sens aux actions humaines en en interprétant les motivations individuelles. C'est comme cela que l'on désenchante le monde social, c'est-à-dire qu'on lui fait perdre son caractère "magique" et qu'on le rationalise. C'est donc comme cela qu'on rend, dans une certaine mesure, le monde social compréhensible et prévisible. Sauf que, encore une fois, ce n'est pas la psychologie ou la psychanalyse qui réalisent cette prouesse, mais la sociologie (B221).

Commentaire (Wittgenstein) :
S'il est impossible que la psychologie puisse être confirmée expérimentalement comme le font les sciences de la nature, c'est qu'elle prétend traiter d'un monde sur-naturel construit avec des matériaux différents de ceux du monde naturel. Or Wittgenstein est moniste : il n'existe pas de monde psychique différent du monde physique. Et si, pourtant, la plupart des hommes sont dualistes, c'est que le sens des termes "mentalistes" (la pensée, la conscience, l'inconscient, etc.) nous laisse perplexe et que nous en inférons abusivement qu'ils doivent désigner des phénomènes immatériels. D'ailleurs, à supposer qu'il existe réellement des phénomènes psychiques immatériels, ceux-ci ne seraient observables que de manière privée et ne pourraient donc être objets de science, faute de vérification publique (A332). Il n'existe donc pas, à proprement parler, de phénomènes psychiques et, a fortiori, il ne peut exister non plus de science du psychisme. Pourtant, le fait de donner une explication mentaliste à des phénomènes qui nous laissent perplexes s’accompagne néanmoins d’une certaine satisfaction puisque ce genre d’explication a précisément pour fonction de faire tomber la perplexité. On peut donc dire que, malgré tout, il existe une efficacité technologique du discours psychologique ou psychanalytique (A233).

"[Mais] certains ont trouvé une façon tout à fait nouvelle de rendre compte d’une explication : non pas une explication conforme à l’expérience (cause) mais une explication simplement acceptée (motif) : [par exemple], le critère permettant de dire que la psychanalyse a réussi, c’est que cela vous a satisfait."

Paraphrase : Wittgenstein nous dit que, si la psychologie et la psychanalyse ont cependant l'air d'être des sciences à part entière, c'est justement parce que leurs explications sont efficaces en ce qu’elles sont satisfaisantes. Or pour qu'une explication soit efficace, il n'est pas nécessaire qu'elle soit corroborée par l'expérience. Et il prend l'exemple de la psychanalyse en soulignant que la vérité de son discours est inférée de la satisfaction qui accompagne le fait que l'on explique un état mental, ("tu es angoissé parce que ...") sauf que cette explication fait apparaître un motif invérifiable et non pas une cause vérifiable.

Confrontation :

Platon : les discours n'ont pas besoin d'être composés de vérités enchaînées les unes aux autres par des arguments de fer et de diamant pour persuader. Les orateurs persuadent sans avoir, comme les philosophes, le souci de la vérité ou du Bien, parce que, précisément, ils prononcent les discours que leur public attend. Bref, ils fournissent au public l'opinion qui le satisfait (A111), ce qui est la preuve que rhétorique et psychologie sont intimement liées (p.78)1. Donc, pour Platon, il est clair qu'une explication n'a pas besoin d'être scientifique pour être convaincante. Cela dit, pour lui, la science n'a pas à faire usage de l'expérience sensible : c'est au contraire l'opinion, telle qu'elle est construite et encouragée par la rhétorique, qui flatte le public en faisant usage de l'expérience sensible (B112). En tout cas, il est très important de se doter de critères rigoureux de vérité du discours, sinon, c'est la tyrannie (pouvoir des orateurs) qui nous guette.

Hegel : il n'y a pas d'opposition tranchée et définitive à faire entre la science dont la vérité dériverait de l'application d'une méthode rigoureuse et l'opinion dont la vérité suivrait simplement d'une satisfaction subjective. D'abord parce qu'il y a une historicité de la vérité : ce qui est vrai à une époque ne l'est plus à une autre, ce qui est faux à un moment devient vrai à un autre moment, et ce, quel que soit le critère de vérité retenu (A121). Ensuite parce que le problème du critère d'efficacité d'un discours est un faux problème : dans tous les cas, un discours emporte l'adhésion si et seulement s'il correspond à l'Esprit d'un Peuple, car c'est cet Esprit du Peuple qui impose de choisir tel ou tel critère (A122). Enfin parce que toute l'histoire peut se comprendre comme le processus par lequel l'Esprit se perfectionne et progresse vers l'Esprit Absolu en prenant subjectivement conscience de soi (A313). Donc vérité objective et satisfaction subjective se rejoignent.

Bourdieu : Bourdieu aurait eu, sur ce point, une position assez proche de celle de Hegel. Pour lui aussi, le problème du critère de vérité est un faux problème parce que c'est l'habitus qui incline à préférer une méthode scientifique rigoureuse ou alors une simple satisfaction subjective (B214). La preuve en est que l'on peut très bien adopter des outils mathématiques rigoureux destinés à objectiver la connaissance et, en même temps, n'être qu'un "demi-savant" empêtré dans une subjectivité inconsciente (B223). Bien plutôt, le véritable savant est celui qui est capable de s'arracher à l'illusio consistant à croire qu'une méthodologie scientifique rigoureuse n'a rien à voir avec la satisfaction sensible (B226).

Descartes : même position que Platon en remplaçant les orateurs par les passions (A312), les philosophes par le doute méthodique (A214) et l'enjeu politique (tyrannie) par un enjeu intellectuel : si on ne se dote pas d'un critère rigoureusement scientifique de la vérité, on finit par douter de tout, on devient sceptique (A212).

Pascal : même position que Bourdieu en substituant la coutume à l'habitus (A223) et le coeur à l'illusio (A222).

Kant : l'adoption d'un critère de vérité du discours est primordial. Un discours peut conduire à deux sortes de connaissances, la connaissance rationnelle objective et la connaissance empirique non objective (B326). En effet, seule une pure théorie scientifique de la nature est capable d'apporter des preuves objectives en construisant a priori des concepts destinés à être confrontés expérimentalement à la réalité extérieure (B1-Texte). Pour Kant, cette distinction entre une connaissance scientifique conforme à l'expérience et une connaissance empirique qui simplement nous satisfait, est une exigence de la Raison caractéristique de la philosophie des Lumières (B126).

Locke-Hume : pour les empiristes, le problème de la distinction des critères de vérité d'un discours est un faux problème dans la mesure où toute connaissance provient de l'expérience sensible, que celle-ci suive une méthode ou pas, qu'elle nous satisfasse ou non (B111). La preuve est que toute connaissance n'est que plus ou moins probable : il n'y a donc pas, pour eux, de critère incontestable de scientificité (B122-125). Aucune science ne délivre de connaissance absolument nécessaire.

Freud : la psychologie prétend étudier les manières de penser, mais en réalité, elle ne s'occupe que des manières conscientes de penser. Ce qui est gênant car l'essentiel, l'inconscient, demeure inaccessible à l'observation directe. Or, comme dans les sciences de la nature, il existe une possibilité d’observation indirecte des causes par leurs effets. Et c’est proprement la tâche de la psychanalyse que d’observer des symptômes psychiques et d’en inférer des causes sous forme de mécanismes cachés. Finalement la psychanalyse décrit des mécanismes psychiques tout à fait de même nature que les mécanismes physiques : elle dira, par exemple, qu’il existe des forces de refoulement psychique tout comme il existe des champs de forces en physique (B225).

Marx : même position que Hegel en substituant la superstructure à l'Esprit du Peuple (B324) et la société communiste à l'Esprit Absolu (B327).

Commentaire (Wittgenstein) :
Il y a bien une analogie entre ce que fait le spécialiste des sciences de la nature et ce que fait, par exemple le psychanalyste : apparemment, l’inconscient est au psychanalyste ce que le trou noir est à l’astro-physicien (B213). Or, une analogie n'est pas un procédé scientifique, mais un procédé littéraire ou philosophique. Car l’analogie n’est pas susceptible d’être confirmée par une expérience mais n'est que l'énoncé des règles d’un jeu de langage qui impose, pour expliquer un phénomène a inconnu, de le rapprocher de phénomènes connus b, c et d en disant que a est à b ce que c est à d (A333). Or, énoncer des règles du jeu est toujours satisfaisant dans le sens où, dès qu'on les énonce, elles nous paraissent tout à fait évidentes puisque, d’une part elles n’ont pas à être confirmées par l’expérience, et d’autre part elles correspondent toujours à une forme de vie qui nous est familière (A233). Donc, si on ne prend pas la précaution de distinguer d'une part les propositions vraies en tant que confirmées par l'expérience, d'autre part les propositions simplement satisfaisantes, on confond vérité et tautologie, sens et non-sens, science et philosophie (B232).

"[En effet], certaines explications ne sont pas conformes à l’expérience mais sont simplement satisfaisantes [dans le sens où] certaines explications exercent, à un moment donné, une attraction irrésistible."

Paraphrase : Wittgenstein nous fait justement remarquer qu'on confond souvent vérification et satisfaction, cause et motif, vérité et tautologie, sens et non-sens, science et philosophie.

Confrontation :

Platon : dans un contexte politique démocratique, les discours rhétoriques exercent toujours une attraction irrésistible sur leurs destinataires. Ils sont faciles à comprendre dans la mesure où, d’abord, ils se fondent sur l’opinion diverse et changeante et non sur la vérité une et immuable, ensuite, ils s’adressent aux ignorants que sont ceux qui sont exclusivement préoccupés par le sort de leur corps, enfin ils ne prennent pas beaucoup de temps et donc n’exigent pas beaucoup d’effort (A111). D’où le succès des mythes en général et en particulier de ceux qui ont un tel pouvoir de cohésion sociale que mêmes les philosophes-rois sont tentés de les utiliser (B321).

Bourdieu : l’habitus linguistique que l’institution scolaire nous inculque incline chacun à accepter les relations sociales telles qu’elles sont plutôt qu’à les contester. Il est donc naturel qu’en temps normal, en période de stabilité sociale, ce soient les discours consensuels qui soient majoritairement perçus comme satisfaisants et qui exercent une attraction irrésistible (A131). A l'inverse, dans les périodes de troubles sociaux et d’instabilité, ce seront les discours qui "désenchantent" (sociologie, psychanalyse, histoire) qui seront les plus attractifs dans la mesure où ils contribueront à la disparition de l'illusio consistant à adhérer aveuglément aux règles du jeu social. Par exemple, en des périodes où les règles établies ne suffisent plus à assurer la paix sociale, il est tentant d'adhérer à des discours conflictuels qui expliquent que les règles du jeu fonctionnent toujours au profit des dominants (B226-B325).

Pascal : il est clair que nous ne sommes pas uniquement convaincus par les discours rationnels. Car nous sommes automates (machines) autant qu'esprits, et si l'esprit exige des preuves scientifiques, en revanche l'automate (le corps) se laisse facilement séduire par la coutume. A tel point que l'attitude consistant à remettre en question la coutume crée un malaise : le scepticisme ou pyrrhonisme. A contrario, le seul moyen d'éviter le malaise engendré par ce doute perpétuel et généralisé, c'est d'accepter l'attraction irrésistible qu'exerce la coutume (A222-223). Mais Pascal va plus loin : même les discours les plus rationnels, et donc les plus scientifiques en apparence, s'appuient nécessairement sur les premiers principes du coeur qui, eux-mêmes, procèdent de la coutume (A221). Bref, l'efficacité de tout discours, qu'il soit scientifique ou non, repose toujours, in fine, sur la satisfaction, et donc sur la séduction, qu'il occasionne.

Marx et Marcuse : l’obstacle à l’objectivité de toutes les sciences humaines et sociales, c'est leur historicité. En effet, toutes ont pour objet les relations sociales, c’est-à-dire les relations que les hommes instaurent entre eux afin de produire leurs moyens d’existence. Or de telles relations ne sont pas éternelles et immuable mais correspondent à un certain degré de développement des forces productives (B224). Plus précisément, dans la mesure où toute société connaît une division inégalitaire de l'infrastructure de production (économie) qui détermine des classes sociales dont l'une maîtrise la superstructure politique (État) ainsi que la production des idées (conscience) confiée aux idéologues, toutes les idée efficaces sont des idées séduisantes (p.66)2. D'abord pour la classe dominante qui s'évertue, à travers elles, à justifier, perpétuer et renforcer son pouvoir. Ensuite et surtout pour les classes dominées à qui les idéologues font croire que ce sont les idées qui gouvernent le monde et donc qu'il suffirait d'avoir de bonnes idées pour être soi-même un dominant (B3-Texte-B324). Pour Marx comme pour Marcuse, il en va ainsi pour toutes les idées, qu'elles soient scientifiques ou non (B127-B327).

Commentaire (Wittgenstein) :
Toutes les sciences humaines ou sociales confondent d'une part ce qui est propre à l'homme (ce qui le distingue des autres êtres), d'autre part ce qui appartient à un soi-disant monde mental construits avec des matériaux éthérés, immatériels. Or un tel "monde" n'existe pas et ce qui est propre à l'homme, c'est ce qu'il décide, en fonction de sa forme de vie, de déclarer propre à l'homme. Pourtant, l'idée de "monde éthéré" exerce depuis toujours une attraction irrésistible sur les hommes : ce qu'ils n'arrivent pas à expliquer à propos d'eux-mêmes, ils l'appellent "mental", "psychisme", "conscience", etc. (A331-333). Et c'est comme cela que naît le besoin de philosophie : un phénomène nous laisse perplexe, alors on énonce une proposition invérifiable mais néanmoins très séduisante. Le philosophe, en effet, produit des discours tautologiques (des non-sens) très satisfaisants en ce qu'ils font cesser cet état pénible de perplexité. Ces discours ne sont certes pas vérifiables par l'expérience comme le sont les discours scientifiques, mais ils ne sont pas pour autant dénués d'utilité, bien au contraire. Or cette fonction, au demeurant fort honorable, de la philosophie, ne suffit pas à certains philosophes : ils sont eux-mêmes tellement séduits par la méthode scientifique qu'ils aspirent à être considérés comme scientifiques. Et comme ils veulent faire de la science sans en avoir les moyens, ils font plutôt de la métaphysique (A232-B128). Bref, le psychologue, le psychanalyste et tous les autres spécialistes de sciences humaines et sociales ne sont que des philosophes dans le meilleur des cas, et, dans le pire des cas, des métaphysiciens.


3° étape (A23) : reformuler (éventuellement) la question centrale, et dégager la structure argumentative du texte en regroupant les phrases en 2, 3 ou 4 parties (au brouillon).

Finalement, il me semble que la question centrale doit être : Est-ce leur confirmation expérimentale qui fait le succès des sciences humaines ?

La structure du texte est très simple :

La mécanique est le modèle des sciences et [la] psychologie a pour idéal une mécanique de l’âme [avec] des expé­rimentations de physique d’une part, et d’autre part des expérimentations de psychologie. / [Or] une des choses les plus importantes pour une expérimentation en physique, c’est qu’elle doit marcher, qu’elle doit nous rendre capable de prévoir avec succès : la physique est liée à l’art de l’ingénieur, le pont ne doit pas s’effondrer. // [Mais] certains ont trouvé une façon tout à fait nouvelle de rendre compte d’une explication : non pas une explication conforme à l’expérience (cause) mais une explication simplement acceptée (raison) : [par exemple], le critère permettant de dire que la psychanalyse a réussi, c’est que cela vous a satisfait. / [En effet], certaines explications ne sont pas conformes à l’expérience mais sont simplement satisfaisantes [dans le sens où] certaines explications exercent, à un moment donné, une attraction irrésistible.

De la même façon que j'ai paraphrasé chaque phrase dans la 2° étape, je vais maintenant paraphraser chaque grande partie du texte pour en dégager la structure argumentative.

1° partie : Wittgenstein nous fait remarquer que le propre du discours en sciences de la nature, c'est que son efficacité est liée à la fois à la vérification expérimentale et à la fois à l'application technologique d'un mécanisme.
2° partie : or, nous dit l'auteur, les explications des sciences humaines ne sont pas corroborées par l'expérience, mais, néanmoins, sont d'autant plus attrayantes que leur application technologique à travers un discours persuasif est plus efficace.


Il ne me reste plus qu'à problématiser la structure argumentative que j'ai dégagée dans la 3° étape pour avoir mon introduction complète.

Est-ce leur confirmation expérimentale qui fait le succès des sciences humaines ? Telle semble être le problème que Wittgenstein essaie de résoudre dans ce texte. N'est-ce pas manifestement l'exigence de confirmation expérimentale qui a fait le succès des sciences de la nature ? Or, le succès des sciences humaines ne s'explique-t-il pas par leur caractère séduisant plutôt que par leur caractère expérimental ? Nous développerons l'idée que le propre du discours en sciences de la nature, c'est que sa validité est liée à la fois à la vérification expérimentale et à la fois à l'application technologique d'un mécanisme. Or les explications des sciences humaines ne sont pas corroborées par l'expérience, mais, néanmoins, sont d'autant plus attrayantes que leur application technologique à travers un discours persuasif est plus efficace.





I - Le propre du discours en sciences de la nature, c'est que son efficacité est liée à la fois vérification expérimentale et à la fois à l'application technologique d'un mécanisme.

"La mécanique est le modèle des sciences et [la] psychologie a pour idéal une mécanique de l’âme [avec] des expé­rimentations de physique d’une part, et d’autre part des expérimentations de psychologie."

Wittgenstein nous dit que la psychologie (et sans doute aussi toutes les sciences de l'homme) partagent avec la physique (et sans doute aussi toutes les sciences de la nature) l'idée que leur fonction commune est de décrire un mécanisme. Il y a là une analogie implicite : l'enchaînement des mouvements est à la physique ce que l'enchaînement des idées (des sentiments, des pensées, etc.) est à la psychologie. (Paraphrase)

Pour Descartes comme pour Wittgenstein, la physique, c'est-à-dire, au XVII° siècle, la science de la nature (du grec phusis, "nature"), étudie toujours des machines, qu'elles soient vivantes ou non : « je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, [...] et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles »(Descartes, Principes de la Philosophie, IV, art.203). Donc, pour Descartes, étudier la nature, c'est étudier des machines et décrire leurs mouvements. En particulier, la physique étudie la machine corporelle humaine et décrit ses mouvements que Descartes appelle "passions", car, en effet, « [les passions suivent [...] de la seule disposition des organes ni plus ni moins que font les mouvements d’une horloge ou autre automate] : tous les objets tant des sens extérieurs que des appétits intérieurs excitent quelques mouvements en les nerfs, qui passent par leur moyen jusqu’au cerveau. [En tout cas], ce n’est pas notre âme qui les fait telles qu’elles sont »(Descartes, Traité des Passions, art.13-17). On peut donc considérer que l'étude particulière du mécanisme des passions humaines est en quelque sorte l'ancêtre de la psychologie moderne.

Oui mais le problème, c'est que, d'un point de vue cartésien, cette étude physique ne nous apprend pas ce qu'est l'homme puisque l'homme est une chose qui pense et non un corps qui bouge : « [la pensée seule ne peut être détachée de moi]. Je ne suis donc précisément parlant qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison [...], la pensée seule ne peut être détachée de moi »(Descartes, Méditations Méta­physiques, II, 9). Donc, si on veut étudier l'homme, on doit commencer par le considérer comme une entité métaphysique, autrement dit un esprit, et non comme une entité physique, autrement dit, une machine. Cela dit, la vérité de la physique, comme toutes les vérités hors de doute qui ne sont pas intuitives (métaphysiques) se déduit d'un raisonnement, c'est-à-dire de l'activité d'une intelligence pure et attentive, et non pas établie par l'expérience sensible : « j’ai pris l’être ou l’existence de [ma] pensée pour le premier principe duquel j’ai déduit clairement les suivants : à savoir qu’il y a un Dieu qui est auteur de tout ce qui est au monde et qui, étant la source de toute vérité, n’a point créé notre entendement de telle nature qu’il se puisse tromper au jugement qu’il fait des choses dont il a une perception fort claire et fort distincte ; ce sont là tous les principes [...] Métaphysiques desquels je déduis très clairement ceux des choses Physiques »(Descartes, Principes de la Philosophie, préf.). (Confrontation)

Donc Descartes serait d'accord avec Wittgenstein à la fois pour admettre que la mécanique est l'idéal de la physique, et pour reconnaître que cet idéal prétend s'étendre à l'étude de l'homme, mais non pour dire que la vérité de la mécanique est une vérité expérimentale. (Bilande la confrontation)

Pour Wittgenstein comme pour Descartes, la psychologie, la psychanalyse et, probablement aussi, toutes les sciences de l'homme, se présentent en effet comme des sciences habilitées à formuler des propositions vraies. Bref, le propre de la démarche scientifique consiste, pour Wittgenstein comme pour Descartes, à dire le vrai en faisant, dans un premier temps tout au moins, un raisonnement déductif. Cela dit, contrairement à Descartes, cette déduction du raisonnement ne prouve pas que la proposition est vraie mais qu'elle est seulement possible : « la forme d'une représentation est la possibilité que les choses soient entre elles dans le même rapport que les éléments de l'image [...]. L'image figure une situation possible dans l'espace logique [...]. Les possibilités de vérité des propo­sitions élémentaires sont les conditions de vérité ou de fausseté des propositions »(Wittgenstein, Tractatus, 2.151-5.525). Donc, pour Wittgenstein, la déduction ne suffit pas à établir la vérité d'une proposition : encore faut-il l'expérimenter, c'est-à-dire confronter la représentation possible à la réalité telle qu'elle est perçue par les sens. Et, de même qu'il y aura expérimentation physique pour la mécanique physique décrivant des corps en général, il devrait y avoir aussi une expérimentation psychique pour la mécanique psychique s'il existait une activité scientifique (appelons-la "psychologie") décrivant le fonctionnement de l'âme, de l'esprit, de la pensée.

Sauf que, pour Wittgenstein comme pour Descartes, une telle activité manque nécessairement son but. Car si la psychologie ou la psychanalyse, par exemple, ont la prétention de décrire une mécanique de l'âme, on affirme néanmoins en même temps, dans notre civilisation, qu'une machine est, par définition incapable de penser : « "Une machine ou un animal est incapable de penser”, est-ce là une proposition basée sur l’expé­rience ? Non, nous ne l’af­firmons que de l’homme et de ce qui lui ressemble »(Wittgenstein, Recherches Philoso­phiques, §23-570). Or une machine ne ressemblant pas à un homme, on affirme tautologiquement qu'un mécanisme est incapable de penser (en tout cas jusque récemment, jusqu'à ce qu'on parle, à partir des années 70, d'"intelligence artificielle" à propos des ordinateurs). Bref, on présuppose à la fois que la pensée est une sorte de machine, mais en même temps, qu'une machine ne peut pas penser. D'où contradiction. (Commentaire)

Finalement, on arrive à la même conclusion chez les deux auteurs : une science qui prétend étudier la pensée humaine comme on étudierait un de mécanisme est une science contradictoire. (Bilandu commentaire)

Wittgenstein a donc raison de souligner que la démarche scientifique a adopté le modèle du mécanisme expérimentable, ce qui conduit, lorsqu'il s'agit d'étudier scientifiquement les pensées, à une contradiction. (Bilan de l'explication de la 1° phrase -Renvoi à la paraphrase) Mais alors cette contradiction qui est au coeur des sciences de l'homme en général ne leur interdit-elle pas d'avoir, contrairement aux sciences de la nature, une utilité concrète ? (Transition avec la 2°phrase)

[Or] une des choses les plus importantes pour une expérimentation en physique, c’est qu’elle doit marcher, qu’elle doit nous rendre capable de prévoir avec succès : la physique est liée à l’art de l’ingénieur, le pont ne doit pas s’effondrer.

Wittgenstein attire notre attention sur le résultat matériel des sciences de la nature : la vérité d'une théorie physique est attestée, entre autres, par son utilisation ultérieure par l'ingénieur. Autrement dit, la validité d'une science est attestée non seulement par sa vérité théorique, mais aussi par sa prévisibilité et sa reproductibilité future, donc par son efficacité technologique. Ce qui implique que, dans la démarche scientifique, la vérification empirique entraîne la possibilité d'une application technologique. (Paraphrase)

Pour Descartes aussi, même si la vérité de la physique ne passe pas par la vérification empirique de ses énoncés, son succès se mesure autant par le caractère déductif de ses vérités que par le degré de maîtrise technologique qu'elle nous permet d'atteindre. En effet, tous les objets de la nature n'étant que des machines plus ou moins compliquées, plus ou moins perfectionnées, en étudiant le fonctionnement de ces machines, nous devrions être capables de prévoir avec succès leur comportement futur, voire en créer de semblables, à la manière dont un bon artisan est capable de prévoir, voire de reproduire le fonctionnement des machines dont il a acquis la maîtrise : « les notions générales touchant la physique [la science de la Nature] m’ont fait voir que [...], connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connais­sons les di­vers métiers de nos artisans, nous pourrions ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature »(Descartes, Discours de la Méthode, VI). Nous rendre "comme maîtres et possesseurs de la nature", c'est-à-dire rien moins que posséder une maîtrise quasi-divine de la nature, à commencer, bien entendu, par la nature du corps de l'homme.

Oui mais certainement pas, en revanche, de la nature des pensées humaines, puisque celles-ci ne sont pas des phénomènes physiques et publics mais des phénomènes métaphysiques et privés : « les hommes ayant eu besoin de signes pour marquer tout ce qui se passe dans leur esprit, il faut aussi que [les mots] signifient les objets de nos pensées, et ainsi faire entendre à ceux qui n’y peuvent pénétrer tout ce que nous concevons et tous les divers mouvements de notre âme »(Arnauld et Lancelot, Grammaire Générale et Raisonnée, II, 1). Donc, pour Descartes, les pensées, tout en étant des phénomènes métaphysiques et privés, sont, dans une certaine mesure reproductibles au moyen du langage : lorsque je parle, j'entends en effet que ma pensée soit reproduite le plus exactement possible dans l'esprit d'autrui. On peut même aller jusqu'à dire que la pensée d'autrui est un phénomène prévisible sans l'intervention physique du langage, à condition toutefois que l'on soit assuré que la pensée d'autrui est une pensée pure et attentive qui opère par intuition et déduction et non pas une pensée impure et distraite qui se contente de percevoir ou d'imaginer : « voici le recensement de tous les actes de notre entendement qui nous permettent de parvenir à la connaissance des choses, sans aucune crainte de nous tromper. Il n’y en a que deux à admettre, savoir l’intuition et la déduction. Par intui­tion, j’entends non la confiance flottante que donnent les sens ou le jugement trompeur d’une imagination aux constructions mau­vaises, mais le concept que l’intelligence pure et attentive [la raison] forme avec tant de facilité et de distinction qu’il ne reste ab­solument aucun doute sur ce que nous comprenons. [Par déduction], nous entendons toute conclusion nécessaire tirée d’autres choses connues avec certitude »(Descartes, Règles pour la Direction de l’Esprit, III). (Confrontation)

Donc, pour Descartes et les cartésiens, la connaissance scientifique des pensées humaines peut, en un certain sens, conduire à reproduire et même à prédire le comportement intellectuel d'autrui pour peu qu'on soit assuré de sa parfaite rationalité. Preuve que l'efficacité technique d'une connaissance ne dépend pas nécessairement de sa confirmation expérimentale. (Bilande la confrontation)

Wittgenstein est d'accord avec les cartésiens pour admettre que le langage a pour fonction, entre autres, de reproduire la pensée d'autrui et que la connaissance de la pensée d'autrui permet, jusqu'à un certain point de l'anticiper. Sauf que, pour Wittgenstein, si l'objet dont traite la psychologie était métaphysique comme chez les cartésiens, il n'y aurait ni reproductibilité, ni prévisibilité possibles, et donc pas d'application technique non plus. En effet, si l'âme, la pensée, la conscience, etc., était un objet privé par opposition à l'objet réputé public des sciences de la nature, on ne pourrait jamais être certain de comprendre autrui et, a fortiori, on ne pourrait jamais être certain de sa rationalité future : « supposez que chacun ait une boîte avec quelque chose dedans appelé "scarabée" ; personne ne pourra regarder dans la boîte d’un autre et chacun dira qu’il ne sait ce qu’est un scarabée que pour avoir regardé le sien propre ; or il se pour­rait bien que chacun eût dans sa boîte quelque chose de différent. [Mais] penser n’est pas un processus incorporel que l’on puisse détacher de la parole [...] : de même qu'on ne peut apprendre à calculer de tête qu’en apprenant à calculer, on ne peut apprendre à penser seul qu’après avoir appris à penser publiquement »(Wittgenstein, Recherches Philoso­phiques, §293-339). Bref, l'argumentation de Descartes qui prétend traiter d'un monde sur-naturel construit avec des matériaux différents de ceux du monde naturel est intenable car, loin de conduire à la certitude absolue à laquelle aspire Descartes, il conduirait tout droit au scepticisme (pyrrhonisme) : si les pensées sont des phénomènes métaphysiques et privés, alors toute pensée est incertaine et aucune n'est prévisible. Pour Wittgenstein, le dualisme, la croyance qu'il existe un monde physique et un monde métaphysique de natures distinctes, repose sur une incompréhension de la logique de notre langage. En effet, la signification des termes désignant les objets de la psychologie (la pensée, la conscience, l'inconscient, le rêve, etc.) nous plonge dans l'embarras parce que nous ne pouvons pas leur faire correspondre un phénomène matériel. Et comme nous sommes persuadés qu'ils renvoient quand même à des phénomènes, alors nous en inférons abusivement qu'ils doivent désigner des phénomènes immatériels : « il pourrait sembler que nous avons deux types de mondes, construits avec des maté­riaux dif­férents, [...] que le monde mental est aérien, ou plutôt éthéré. [Or] l’idée d’“objets éthérés” est un subterfuge quand l’utilisation de certains mots nous laisse per­plexes, et quand tout ce que nous savons, c’est qu’ils ne sont pas utilisés comme des noms d’objets maté­riels »(Wittgen­stein, le Cahier Bleu, 47). Donc, à l'inverse de Descartes, Wittgenstein est moniste : il n'existe qu'un seul monde, il n'existe pas de monde psychique différent du monde physique. Il n'existe donc pas, à proprement parler, de phénomènes psychiques, mais simplement de phénomènes matériels que nous avons de la difficulté à comprendre et à définir.

Mais alors, dans la mesure où les pensées sont des phénomènes matériels, rien n'empêche que leur connaissance, même si elle n'est pas rigoureusement scientifique, débouche sur une application technologique : après tout, l'histoire de l'humanité ne montre-t-elle pas que le savoir-faire technique a toujours et partout précédé le savoir théorique (la médecine par exemple n'a-t-elle pas précédé la biologie) ? Alors pourquoi n'y aurait-il pas des sortes d'"ingénieurs" de la pensée (comme il existe des ingénieurs de l'industrie) dont la fonction serait de prévoir les pensées et d'en reproduire certaines, ingénieurs qui, tout comme les ingénieurs, auraient pour fonction de construire des "ponts" entre les hommes ? Ce qu'on appelle aujourd'hui "les sondages d'opinion" sont la plus parfaite illustration de cette situation : les media sont capables de prévoir et de reproduire les opinions même s'ils sont incapables de décrire ou de définir ce qu'est une opinion. Est-ce à dire que les "sondeurs" (e.g. les publicitaires) sont de fins psychologues qui sont capables d'étudier scientifiquement le "mécanisme" des pensées humaines avant de prévoir leur évolution ? Pas du tout, dirait Wittgenstein, ce sont simplement de fins connaisseurs des règles tautologiques qui gouvernent notre forme de vie : « ma vie montre que je suis sûr qu’il y a là un siège, une porte, je dis par exemple à un ami “prends ce siège", “ferme la porte", etc. [mais] il serait absurde de dire que nous savons ce que nous allons faire, [car] savoir, c'est avoir une proposition vraie, et dire qu’une propo­sition est vraie ou fausse suppose qu’il y a possibili­té de décider pour ou contre »(Wittgenstein, de la Certitude, §7-362). Prévoir que les gens vont réagir de telle ou telle façon si on leur présente tel produit nouveau, e.g., c'est comme prévoir que mon ami va s'asseoir sur le siège que je lui tends : je n'ai aucune connaissance scientifique d'un soi-disant mécanisme psychique, pour autant, j'anticipe la suite d'un jeu avec les règles j'ai été familiarisé. Finalement, pour Wittgenstein, le propre de l'activité scientifique, c'est qu'elle décrit des mécanismes, donc qu'elle est capable de soumettre ses descriptions aux verdicts tout à la fois de l'expérience sensible que réalise le scientifique et de l'application technologique qu'en fera l'ingénieur. Or, les soi-disant "sciences de l'homme", à commencer par la psychologie ou la psychanalyse, si elles sont manifestement incapables de satisfaire le premier critère (expérimental), sont néanmoins capables de satisfaire le second (technologique). (Commentaire)

Wittgenstein est donc en désaccord avec Descartes en ce que Wittgenstein dissocie la vérité d'une proposition et l'efficacité de cette même proposition. Descartes n'aurait évidemment pas accepté de dire que l'on peut faire une application efficace d'un mécanisme que l'on ne comprend pas. (Bilandu commentaire)

Si donc la confirmation expérimentale et l'application technologique vont de pair pour les sciences de la nature, au point que l'on a, aujourd'hui, tendance à confondre ces deux aspects, ce n'est pas le cas des sciences de l'homme comme la psychologie ou la psychanalyse qui offrent des applications technologiques sans confirmation expérimentale. (Bilan de l'explication de la2° phrase - Renvoi à la paraphrase) Ne doit-on donc pas dire que ce sont leur efficacité technique et non leur vérité théorique qui font le succès des sciences de l'homme ? (Transitionavec la 2° partie et la 3° phrase)


II - Les explications des sciences humaines ne sont pas corroborées par l'expérience, mais, néanmoins, sont d'autant plus attrayantes que leur application technologique à travers un discours persuasif est plus efficace.

[Mais] certains ont trouvé une façon tout à fait nouvelle de rendre compte d’une explication : non pas une explication conforme à l’expérience (cause) mais une explication simplement acceptée (motif) : [par exemple], le critère permettant de dire que la psychanalyse a réussi, c’est que cela vous a satisfait.

Wittgenstein nous dit que, si la psychologie et la psychanalyse passent pour des sciences au même titre que les sciences de la nature, c'est que leurs explications sont satisfaisantes. Or pour qu'une explication soit satisfaisante, il n'est pas nécessaire qu'elle soit corroborée par l'expérience, c'est-à-dire qu'elle le mécanisme causal d'un phénomène. Et il prend l'exemple de la psychanalyse en soulignant que l'efficacité de son discours vient de la satisfaction qu'on retire du motif (et non de la cause) d'un phénomène soi-disant psychique. (Paraphrase)

Freud, tout comme Wittgenstein, dénie à la psychologie tout caractère scientifique. Car la psychologie prétend étudier les manières de penser, alors qu'en réalité, elle ne s'occupe que des manières conscientes de penser. Quant à l'inconscient, qui pour Freud constitue l'essentiel de notre activité psychique, il demeure, par définition, inaccessible à la conscience, c'est-à-dire caché à l'observation directe de soi-même comme d'autrui. Or, souligne Freud, dans les sciences de la nature, l'objet à étudier et à décrire n'est pas non plus toujours accessible à l'observation directe (e.g. les photons en microphysique ou les trous noirs en astrophysique). Donc, même dans les sciences de la nature, il est parfois nécessaire de mener une observation indirecte des causes cachées, inaccessibles à l'observation directe, à partir de certains effets observables directement. Pour Freud, il en va de même s'agissant des phénomènes psychiques, et c’est proprement la tâche de la psychanalyse que d’observer expérimentalement des symptômes psychiques pour en inférer des causes sous forme de mécanismes inconscients cachés. Finalement, pour Freud, la psychanalyse (mais non la psychologie) décrit des mécanismes psychiques tout à fait de même nature que les mécanismes physiques : elle dira, par exemple que, de même qu'il existe des champs de forces en physique, il existe aussi des forces de refoulement psychique, lesquelles empêchent certains phénomènes psychiques de devenir conscients, c'est-à-dire observables directement : « la psychanalyse se refuse à considérer la conscience comme formant l'essence même de la vie psychique [...]. C'est en ce point qu'intervient la théorie psychanalytique, pour déclarer que si certaines représentations sont incapables de de­venir conscientes, c'est à cause d'une certaine force de refoulement qui s'y oppose »(Freud, Essais de Psychanalyse, II). (1°confrontation)

Donc Freud est évidemment d'accord avec Wittgenstein pour admettre que la psychanalyse doit une partie de son succès à son efficacité technique, efficacité thérapeutique au même titre que la médecine, d'ailleurs. Mais, pour Freud, cette efficacité repose, comme pour la médecine, sur la vérité d'un diagnostic portant sur les causes de certaines pathologies, et c'est parce que de telles causes sont effectivement découvertes, fût-ce indirectement, que la thérapie psychanalytique est efficace et qu'elle satisfait effectivement le patient. (Bilande la 1° confrontation)

De toute évidence, Freud sous-estime ce qu'on appelle en médecine "l'effet placebo", c'est-à-dire le fait de soulager des malaises bien réels rien qu'avec un beau discours bien persuasif. Car on sait depuis Platon que les discours n'ont pas besoin, pour être efficaces, d'être composés de « vé­rités sont enchaînées les unes aux autres au moyen d’arguments de fer et de diamant »(Platon, Gorgias, 455a-509a). En effet, les orateurs persuadent sans avoir, comme les philosophes, le souci de la vérité, parce que, précisément, ils prononcent les discours dont leur public a besoin afin d'apaiser quelque malaise. Bref, ils fournissent au public l'opinion qui le satisfait : « l’orateur n’est pas l’homme qui fait connaître aux tribunaux ou à toute autre assemblée ce qui est juste ou injuste [...] ; de toute façon il ne pourrait pas, dans le peu de temps qu’il a, informer pareille foule et l’amener à connaître des questions si fondamentales [...]. La rhétorique n’a pas besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle ; elle a décou­vert un procédé qui sert à persuader ; devant un public d’ignorants, elle a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connais­seurs. [...] Il n'est pas nécessaire à l'orateur de connaître ce qui est vraiment juste, mais ce qui semble tel, car c'est de la vraisemblance, non de la vérité que sort l’opinion [...], ce qui conduit insensiblement les autres, de ressemblance en ressemblance, [...] à louer l'ombre d'un âne sous le nom de "cheval".] »(Platon, Gorgias, 455a-509a). Ce qui montre bien que, pour être un bon orateur, il est absolument nécessaire d'être un fin psychologue : « la rhétorique exige une âme perspicace et naturellement habile dans les relations humaines »(Platon, Gorgias 463b). Certes, pour Platon, « quand il s'agit de l'acquisition de la science, [...] la vue et l'ouïe offrent-ils quelque certitude ou [...] n'entendons-nous et ne voyons-nous jamais rien exactement ? [...] Qui donc atteindrait le plus haut de­gré de pureté en la connaissance, sinon celui qui recourrait le plus possible à la seule pensée, sans conjoindre à cette activité la vue non plus qu’aucune autre sensation »(Platon, Phédon, 65c-66a), puisque c'est au contraire l'opinion, telle qu'elle est construite et encouragée par la rhétorique, qui flatte le public en faisant usage de l'expérience sensible, il est très important de se doter de critères rigoureux de vérité du discours, sinon, c'est la tyrannie (pouvoir des orateurs) qui nous guette. (2°confrontation)

Mais, pour Platon, comme pour Wittgenstein, il est clair qu'une explication n'a pas besoin d'être vraie, scientifique, rigoureuse, pour être efficace. Bref, même si les critères et les enjeux de vérité sont loin d'être les mêmes pour Platon (dogmatique) et pour Wittgenstein (kantien), l'un et l'autre s'accordent pour reconnaître l'efficacité technique du beau discours. (Bilande la 2° confrontation)

Sans partager la crainte politique de Platon, Wittgenstein partage très largement le point de vue qui consiste, en opposition à Freud, à distinguer efficacité du discours et vérité du discours. En effet, il y a bien une analogie entre ce que fait le spécialiste de sciences de la nature et ce que fait, par exemple, le psychanalyste. Comme le montre l'argumentation de Freud, il est presque évident que l’inconscient est au psychanalyste ce que le trou noir est à l’astrophysicien. Sauf que « certes, il y a bien une analogie entre une action humaine et un mouve­ment naturel, mais on ne peut rien constater de plus que cette analogie »(Wittgenstein, Remarques sur "le Rameau d'Or" de Frazer, 12). C'est-à-dire qu'une analogie n'est pas un procédé scientifique, mais un procédé littéraire, poétique ou philosophique. Car l’analogie n’est pas une hypothèse susceptible d’être confirmée par une expérience : elle n'est que l'énoncé plus ou moins explicite des règles d’un jeu de langage qui impose, pour expliquer un phénomène a inconnu, de le rapprocher de phénomènes connus b, c et d en disant, par exemple, que a est à b ce que c est à d. Autrement dit, si une analogie est persuasive, c'est uniquement parce qu'elle influence efficacement son auditoire, ce qui, pour Wittgenstein comme pour Platon, est d'ailleurs la fonction essentielle de nos "jeux de langage" : « c’est en eux [les jeux de langage] que les hommes s’accordent, mais cet accord n’est pas un consen­sus d’opi­nion mais de forme de vie. Plutôt que de dire "sans langage nous ne pour­rions nous comprendre mutuellement" nous de­vrions dire "sans langage, nous ne pourrions nous influencer mutuellement" »(Wittgenstein, Recherches Philoso­phiques, §23-570). Et si une analogie est souvent satisfaisante, si elle est souvent efficace d'une point de vue rhétorique, c'est parce qu'elle correspond à une "règle du jeu" qui nous est familière, c'est-à-dire qu'elle correspond à notre forme de vie dans laquelle on explique un certain nombre de problèmes par des des motifs qui ne sont pas des causes empiriquement vérifiables : « vous souffrez parce que vous avez un œdème » énonce une cause mécanique (le gonflement d'un tissu comprimant les nerfs et occasionnant la douleur) vérifiable expérimentalement (e.g. par échographie), « vous souffrez parce que vous avez une névrose » énonce un motif qui n'est pas vérifiable expérimentalement et qui, pourtant, peut être, dans un certain nombre de cas, parfaitement satisfaisant. Du coup, dans le psychanalyste peut tout à fait guérir son patient, sauf que "guérison" n'y a pas la même signification qu'en médecine.

On peut même aller jusqu'à dire qu'une proposition est d'autant plus satisfaisante qu'elle est plus tautologique et donc plus éloignée d'une expérimentation possible : « une tautologie n'est pas une proposition [vraie ou fausse] car elle est inconditionnellement vraie. [Finalement], la certitude d’une situation ne s’exprime pas au moyen d’une proposition [vraie ou fausse], mais par le fait qu’une expression est une tautologie. »(Wittgenstein, Tractatus, 4.003-5.525). Il est clair qu'une explication par les motifs et non par les causes, dans la mesure justement où elle bannit toute incertitude liée au processus scientifique d'expérimentation, a toutes les chances d'être pleinement satisfaisante et donc pleinement apaisante pour celui qui, sans s'en rendre compte, accepte les règles du jeu de langage qu'on lui tient (e.g., ici, celui de la psychanalyse). Ce sur quoi Wittgenstein attire toutefois notre attention c'est que, si on ne prend pas la précaution de distinguer les propositions vraies en tant que confirmées par l'expérience, et les propositions simplement satisfaisantes, on confond causes et motifs, vérité et tautologie, science et pseudo-science. (Commentaire)

Là-dessus, on peut dire que Freud est implicitement d'accord avec Platon et avec Wittgenstein. Mais, contrairement à ces derniers, Freud ne se méfie pas assez des apparences de scientificité parce qu'il semble victime de l'analogie qui existe entre les causes et les motifs. (Bilandu commentaire)

Donc, il est clair que, pour Wittgenstein, l'analogie entre l'efficacité technique d'un discours et la vérité théorique d'un discours est susceptible de faire apparaître comme vrai ce qui n'est qu'efficace et donc comme scientifiques des activités qui ne le sont pas. (Bilande l'explication de la 3° phrase - Renvoi à la paraphrase) Mais alors, ne doit-on pas conclure qu'il suffit qu'une explication exerce une attraction irrésistible à un moment et dans une société donnés pour qu'elle soit considérée comme scientifique ? (Transition vers la 4° phrase)

"[En effet], certaines explications ne sont pas conformes à l’expérience mais sont simplement satisfaisantes [dans le sens où] certaines explications exercent, à un moment donné, une attraction irrésistible."

La seule précision supplémentaire que l’auteur apporte dans cette phrase, c’est que le succès de certaines explications est dû au contexte socio-culturel régnant à une époque et dans un lieu donné. Ce qui permettrait à Wittgenstein d'inférer que, si le succès des sciences humaines n'est dû qu'à la satisfaction dont elles s'accompagnent, c'est parce que cette satisfaction n'est elle-même déterminée que par l’attraction irrésistible qu’elles provoquent à un moment et un lieu donnés. (Paraphrase)

Pour Marx, l’obstacle majeur à l’objectivité de toute science en général, et donc, en particulier, des sciences humaines et sociales, c'est l'idéologie, car « en toute idéologie, les hommes et leurs condi­tions apparaissent sens-dessus-des­sous »(Marx, Cri­tique de l’Économie Politique). En effet, la vérité concernant "les hommes et leurs conditions", celles dont se réclament les sciences sociales par exemple, ne sont pas éternelles et immuables mais correspondent à un certain degré de développement des forces productives : « l’histoire montre que les rapports économiques de production ne sont pas des lois éternelles mais correspondent à un développement déterminé des hommes et de leurs forces productives, et qu’un changement dans les forces pro­ductives des hommes amène nécessairement un changement dans leurs rapports de production »(Marx, Misère de la Philosophie, II, 1). Plus précisément, toute société connaît une division inégalitaire de l'infrastructure de production (économie) qui détermine des classes sociales dont l'une maîtrise la superstructure politique (État) ainsi que la production des idées (conscience) confiée à des idéologues dont la fonction est de justifier, maintenir et perpétuer l'ordre social inégalitaire au profit de la classe dominante. Dès lors, à toute époque, toutes les idées efficaces sont aussi des idées séduisantes : « à toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes : les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes »(Marx, Idéologie Allemande). Elles sont séduisantes d'abord pour la classe dominante elle-même : « la division du travail, prend aussi, dans la classe dominante, la forme de la division du travail intellectuel et du travail matériel, de sorte qu’il existe des idéologues dont la principale activité consiste à entretenir l’illusion que cette classe nourrit à son propre sujet »(Marx-Engels, l’Idéologie Allemande). Ensuite et surtout, elles sont séduisantes pour les classes dominées à qui les idéologues font croire que ce sont les idées qui gouvernent le monde et donc qu'il suffirait d'avoir de bonnes idées pour être soi-même un dominant. « Donc, de même qu’on ne juge pas un individu sur l’idée qu’il a de lui-même, on ne juge pas non plus une époque sur la conscience qu’elle a d’elle-même »(Marx, Cri­tique de l’Économie Politique). Pour Marx, il en va ainsi pour toutes les idées, qu'elles soient scientifiques ou non : toute idée est vraie en tant qu'elle est acceptée et acceptée en tant qu'elle est idéologiquement séduisante. (1°confrontation)

Il serait donc d'accord avec Wittgenstein pour reconnaître l'importance du contexte socio-historique dans le pouvoir de persuasion de certaines explications, mais non pour en faire un critère définitif de distinction entre explications scientifiques et explications pseudo-scientifiques, puisque cette distinction est dûe à l'infrastructure inégalitaire provisoire de la société. (Bilande la 1° confrontation)

Bourdieu, reprenant l'argumentation de Marx concernant la nécessité pour la classe dominante de justifier et de perpétuer sa domination, précise que « le système scolaire entend façonner complètement des habitus sociaux à partir de l’inculcation du langage [...]. Comme dans toutes les manifestations de l’habitus [produit de l’incorporation inconsciente des structures objectives de l’espace social, ce qui incline les agents à prendre le monde social tel qu’il est, plutôt qu’à se re­beller contre lui], l’histoire est devenue nature »(Bourdieu, Langage et Pouvoir Symbolique, i, 1-2). Il est dès lors naturel qu’en temps normal, en période de stabilité sociale, ce soient les discours consensuels qui soient majoritairement perçus comme satisfaisants et qui exercent une attraction irrésistible, y compris pour les classes dominées, car « nombre de ceux qui se désignent comme sociologues ou éco­nomistes sont des ingénieurs so­ciaux qui ont pour fonction de fournir aux membres de la classe dominante la connais­sance pratique ou demi-savante dont ils ont besoin pour rationaliser leur domina­tion, [instaurant] une violence symbolique par laquelle les dominés contribuent à leur propre domination »(Bourdieu, Questions de Sociologie, pro.). C'est-à-dire que les "demi-savants" s'évertuent, tout comme les idéologues chez Marx, à "enchanter" le discours par lequel les classes dominées seront tenues dans l'ignorance de la violence symbolique qui leur est faite et les classes dominantes dans l'ignorance de la violence symbolique qu'elles infligent aux classes dominées. En ce sens, les psychologues, les psychanalystes et autres spécialistes de sciences humaines et sociales, ne sont autres que des "ingénieurs sociaux", car, pour reprendre l'expression de Wittgenstein, "le pont (social) ne doit pas s'effondrer", autrement dit, il importe au plus haut point que la cohésion sociale soit assurée à tout prix.

Mais à l'inverse, dans les périodes de troubles sociaux et d’instabilité, ce seront les discours qui "désenchantent" qui seront les plus attractifs dans la mesure où ils contribueront à la disparition de l'illusio consistant à adhérer aveuglément aux règles du jeu social. Par exemple, en des périodes où les règles établies ne suffisent plus à assurer la paix sociale, il est tentant d'adhérer à des discours conflictuels qui expliquent que les règles du jeu fonctionnent toujours au profit des dominants : « c’est seulement par exception, notamment dans les moments de crise, que peut se former, chez certains agents, une re­présentation consciente et explicite du jeu en tant que jeu, ce qui détruit l’investissement dans le jeu, l’illusio [le fait d’être pris au jeu], en le faisant apparaître telle qu’il est toujours objectivement (c’est-à-dire pour un observateur étran­ger au jeu, donc indiffé­rent à ses enjeux) »(Bourdieu, les Règles de l’Art, ii, 2). (2°confrontation)

Pour Bourdieu donc, comme pour Wittgenstein, il n'est pas contestable que les explications qui, en général, ont cours dans les sciences humaines et sociales exercent une fascination sans commune mesure avec leur vérité expérimentale. Cependant, Bourdieu ajoute, contre Wittgenstein, que, dans les périodes de crise, c'est au contraire la vérité expérimentale qui a tendance à exercer une attraction irrésistible. Preuve que, pour Bourdieu, les sciences humaines et sociales ne sont pas toujours mais peuvent néanmoins prétendre au rang de sciences à part entière et cela, sans attendre nécessairement l'avénement d'une société égalitaire comme chez Marx. (Bilande la 2° confrontation)

Il en va différemment pour Wittgenstein qui distingue soigneusement les discours scientifiques et les discours philosophiques indépendamment de tout contexte socio-historique : « une proposition n'est douée de sens, ne peut être vraie ou fausse, que si elle est une image que l’on compare à la réalité. [En ce sens], la plupart des propositions [métaphysiques] qui ont été écrites touchant les matières philoso­phiques ne sont pas [vraies ou] fausses mais dépourvues de sens »(Wittgenstein, Tractatus, 4.003-5.525). Or, précisément, toutes les sciences humaines ou sociales partent du principe que ce qui est propre à l'homme, ce qui le distingue des autres êtres, c'est ce qui appartient à un soi-disant monde mental construits avec des matériaux éthérés, immatériels. Or un tel "monde", avons-nous dit, n'existe pas et ce qui est propre à l'homme, c'est rien moins que ce que des hommes, en un certain lieu et une certaine époque, décident de déclarer propre à l'homme. Mais, comme le souligne Marx, l'idée qu'il existe un monde des idées qui détermine la marche du monde matériel exerce depuis toujours une attraction irrésistible sur les hommes. Et c'est comme cela que naît le besoin de philosophie et, hélas, le plus souvent, de métaphysique : « [la totalité des propositions vraies constitue la totalité des sciences de la nature et la philosophie n'est pas une science de la nature]. Pourtant les philosophes ont constamment à l’esprit la méthode scientifique et sont tentés de poser des questions et d’y répondre à la manière de la science : cette tendance est la vraie source de la métaphysique qui mène le philosophe en pleine obscurité »(Wittgenstein, le Cahier Bleu, 28-29). Ah, ce sacré besoin d'idéal et d'absolu qui est si souvent dans le coeur des hommes !

Au départ, un phénomène étroitement lié à nos formes de vie nous laisse perplexe, une question nous fascine ("comment fonctionne la pensée ?" ; "d'où proviennent les rêves ?" etc.), alors on exige que notre embarras soit levé. C'est parfois la science qui apporte des réponses satisfaisantes au moyen de théories expérimentalement vérifiables : par exemple, les neuro-sciences expliquent désormais expérimentalement et mécaniquement comment fonctionne la pensée et d'où proviennent les rêves. Mais ces explications ont beau être scientifiquement vraies car expérimentalement vérifiées, elles "désenchantent", elles déçoivent un peu ceux qui aspirent au merveilleux, au sensationnel. Bref, elles ne sont pas toujours très satisfaisantes et l'on préfère parfois avoir de belles explications tautologiques plutôt que de vraies explications scientifiques : on préfère, e.g., voir dans les rêves une mystérieuse activité de satisfaction symbolique de pulsions refoulées plutôt qu'une simple activité neuro-électrique propre à tous les mammifères supérieurs. Après tout, pourquoi pas ? Sauf que cette activité, au demeurant fort honorable (car socialement fort utile, Wittgenstein n'en disconvient pas), de production d'explications tautologiques séduisantes (la philosophie, reconnaît Wittgenstein, n'a pas d'autre fonction), exige souvent de se voir attribuer le caractère de la vérité. C'est alors que les philosophes font de la métaphysique, c'est-à-dire qu'ils prétendent faire de la science sans en voir les moyens, et notamment les moyens de confronter expérimentalement leurs énoncés à une réalité extérieure. (Commentaire)

Voilà pourquoi, au XX° siècle notamment, les philosophes ont souvent eu tendance à adopter le modèle d'un mécanisme caché (de la pensée, de la société, de l'inconscient, de l'histoire, etc) qu'il serait possible de décrire et d'expliquer, usurpant par là-même le titre de scientifique alors qu'ils ne sont, pour Wittgenstein, que des métaphysiciens modernes. (Bilandu commentaire)

Comme chez Marx et Bourdieu, il y a là l'idée que le philosophe est, à son insu, fasciné par les idées dominantes, elles-mêmes déterminées par une forme de vie dominante. Mais, contrairement à Marx ou à Bourdieu, voir dans la perpétuation de l'ordre social la cause de cette fascination, et donc nier l'existence d'un critère anhistorique de distinction entre les affirmations efficaces parce que vraies et les affirmations efficaces parce que simplement séduisantes, c'est, encore et toujours, pour Wittgenstein, faire de la métaphysique et non de la science. (Bilande l'explication de la 4° phrase - Renvoi à la paraphrase)


D - CONCLUSION

Nous avons donc pu voir que la psychologie, la psychanalyse et, sans doute aussi, toutes les sciences humaines et sociales, prétendent indûment, décrire, au même titre que les sciences de la nature, des mécanismes et soumettre ces descriptions au verdict de l'expérience. Ce qui ne les empêche pas d'avoir une efficacité technique bien réelle même si leur objet est souvent trop mal défini, voire trop illusoire, pour être expérimentable. Dès lors, l'absence de confirmation expérimentale de leurs énoncés n'enlève rien à leur efficacité, puisqu'il suffit qu'un discours ait de l'analogie avec un discours scientifique pour qu'il soit satisfaisant, et d'autant plus satisfaisant qu'il énoncera une plus grande quantité de tautologies. En ce sens, les spécialistes de sciences sociales et humaines se révèlent souvent métaphysiciens en cela que, étant eux-mêmes fascinés par la vérité scientifique sans avoir les moyens de l'établir, ils oublient qu'ils sont des philosophes et non pas des scientifiques.