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lundi 2 février 1998

LA RELATION ENTRE L'ETAT ET LA SOCIETE N'EST-ELLE QU'UNE RELATION D'AUTORITE ?

Dans Antigone, Sophocle fait dire à Créon, roi de Thèbes qui s’adresse à Antigone après que celle-ci a osé braver son autorité : “ je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre aux lois non écrites, inébranlables des dieux”. Autrement dit, le roi ne reproche rien moins au citoyen que d’avoir méconnu le fondement divin de son décret. Dans ce cas, il semble que l’on puisse dire que l’Etat entend évidemment imposer une autorité d’essence divine sur la société de Thèbes.
Pourtant, le fait qu’une simple mortelle puisse avoir l’idée de défier la divine autorité de l’Etat ne montre-t-il pas que cette autorité repose en fait sur une convention tacite qui est acceptée par coutume dans la société ? Autrement dit cela ne montre-t-il pas que ce sur quoi repose l’autorité de l’Etat est moins “les lois non écrites inébranlables des dieux” que des lois et des comportements publics convenus et communément acceptés par les hommes ? Ce qui prouverait que l’autorité de l’Etat n’est en fait qu’un cas limite d’une relation de pouvoir politique que la société civile lui accorde.
On doit donc se demander si l’Etat n’entretient donc avec la société qu’un rapport d’autorité. L’enjeu étant ici de se demander si l’Etat est une émanation de la société ou au contraire si c’est la société qui est un produit de l’Etat. 
 

I - Le caractère sacré de sa fondation confère à l’Etat une autorité sur la société.

Il est manifeste que l’Etat est en général une entité doté de prestige et de révérence de la part des citoyens. Et s’il en est ainsi, il semble que ce soit parce que l’Etat est à la société ce que l’âme est au corps, c’est-à-dire une entité dont l’autorité repose sur la croyance qu’elle dérive causalement d’une fondation sacrée

A - l’Etat est à la société ce que l’âme est au corps.

Etymologiquement le terme d’Etat dérive du latin status qui évoque l’idée de station, d’immobilité. On peut illustrer cette acception en prenant l’exemple de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe qui, en 1953, considère que l’effondrement du gouvernement nazi en 1945 constitue un simple changement de régime : ce qui veut dire que les institutions publiques ouest-allemandes de l’époque se reconnaissent les héritières de l’Etat allemand né en 1871. Ce que montre cette décision, c’est qu’il y a nécessairement une continuité de l’Etat, lequel ne peut donc pas être réduit ni à l’existence physique de ses dirigeants, ni même à la légalité juridique de ses institutions : l’Etat demeure après la disparition physique de ses principaux dignitaires, et il demeure aussi après la disparition juridique des institutions (politiques, judiciaires et administratives), y compris dans le cas où ces institutions ont été reconnues illégitimes.

Cette idée selon laquelle l’Etat est une entité qui n’est réductible ni à des personnes physiques (gouvernants), ni à des institutions juridiques, et donc que l’Etat survit même si ses composants empiriques périssent, remonte à Platon. En particulier dans la République, Platon écrit qu’il n’y aura pas de remède définitif à la situation de violence larvée qui caractérise les Cités injustes, “tant que les philosophes ne seront pas rois dans les Cités ou que ceux qu’on appelle aujourd’hui rois et souverains ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes” (V, 473e). Ce qu’il veut dire c’est que la Cité injuste est comme un corps malade souffrant de désirs multiples, changeants et insatiables faute d’un principe régulateur qui impose volontairement des limites à ces désirs. Que ce soit le corps individuel ou que ce soit le corps social (la Cité), il est donc nécessaire d’avoir recours à une volonté qui ne soit pas soumise aux désirs du corps considéré mais qui, au contraire, s’impose à eux de manière autoritaire.

C’est ainsi que Platon va faire appel à un principe (ou constitution) unique, immuable et éternel de gouvernement idéal (l’idée du Bien dans République VI) dont la connaissance par les gardiens doués du naturel philosophique devra être imposée aux choses multiples, changeantes et passagères de la Cité réelle. On voit donc bien que l’Etat n’est plus alors que le nom que prend l’âme lorsque le corps qu’elle dirige est un corps social plutôt qu’un corps individuel. De sorte que la politique est l’activité consistant à en prendre rationnellement soin, et donc l’activité qui permet à l’âme guidée par sa faculté d’accéder dialectiquement aux Idées, d’établir avec le corps une relation d’autorité. En quoi consiste cette relation ?

B - la relation d’autorité repose sur la croyance à l’origine sacrée de la fondation de l’Etat.

Le principal problème politique auquel est affronté Platon est de savoir comment faire pour que la Cité échappe à deux écueils bien connus : l’écueil de la tyrannie, qui est “un despotisme d’esclaves” (République VIII, 569c), car le tyran est lui-même tyrannisé par ses désirs ; l’écueil de la démocratie qui est un gouvernement sans constitution (sans principe) ou plutôt “un bazar à constitutions” (557d). Autrement dit, le problème de Platon se résume à se demander comment un Etat peut effectivement gouverner une Cité d’après un principe unique, immuable et éternel (le principe du Bien) sans pour autant contraindre les citoyens. Parce qu’alors l’Etat serait tyrannique, c’est-à-dire mu, non pas par une volonté unique, mais par un désir toujours changeant de faire violence à chaque citoyen. C’est pour cela que Platon se réfère sans arrêt au modèle biologique : chez la personne juste, c’est la tête qui dirige le corps, mais bien entendu sans violence puisque la tête veut avec raison ce qu’elle impose au corps.

Or dans le cas d’une Cité dont l’Etat serait l’âme, le gouvernement la tête, et les citoyens les membres, l’unité du corps social, est un but et non pas une cause. Il va donc s’agir pour le gouvernement de la Cité comme siège de l’Etat, de constituer cette unité en donnant aux membres de la Cité à croire qu’une telle unité est une cause déjà agissante. Il va donc s’agir de persuader les citoyens que cette autorité est l’effet causal d’une fondation absolue dans le temps comme dans l’espace. Le but des instances dirigeantes de la Cité est donc clairement d’amener les citoyens à admettre sans discuter leur autorité, c’est-à-dire cette relation de soumission sans violence qui fait ressembler le corps social au corps biologique. .

Voici par exemple le discours que Socrate propose au gardien-philosophe de tenir devant les peuple : “vous êtes tous frères, leur dirons-nous, [...] mais le dieu qui vous a formés a fait entrer de l’or dans la composition de ceux d’entre nous qui sont capables de commander : aussi sont-ils les plus précieux” (République III, 415a). Il est donc clair que, s’il doit exister un Etat qui survive aux vicissitudes de la Cité, il appartient au gouvernement d’établir une relation d’autorité, c’est-à-dire une relation de commandement sans violence légitimée par une origine fondatrice mythique que les citoyens considèrent comme sacrée. Il est donc clair, comme le remarque Hannah Arendt dans la Crise de la Culture, que, dans le caractère sacré de l’autorité de l’Etat, la politique et la religion sont indissociables : “toute autorité dérive de cette fondation reliant tout acte à un commencement sacré” (III). Mais dans quelle mesure ce fondement sacré de l’autorité de l’Etat lui confère effectivement l’unité organique idéale qui est celle d’une âme avec son corps?


II - L’autorité mythique de l’Etat nécessite la force d’un pouvoir souverain.

Bien que l’idéal d’autorité politique pensée par Platon est sensé résoudre les conflits passionnels au sein de la Cité, on est forcé de constater que, empiriquement, un Etat autoritaire est un Etat tyrannique, ce qui s’explique par le fait que l’Etat n’est que l’effet secondaire de l’exercice du pouvoir souverain.

A - l’Etat autoritaire ne peut être qu’un Etat tyrannique.

Pour Platon, l’Etat autoritaire avec à sa tête un gardien-philosophe éduqué à vouloir le Bien pour le corps social, ne peut être destiné qu’à rendre nul le risque permanent pour la société de régler les problèmes civils par le recours à la violence. Or, un tel Etat autoritaire est impossible sans les présupposés que l’Etat est à la société ce que l’âme est au corps, et que le gouvernement est à la société ce que la tête est au corps. Il semble donc nécessaire que les citoyens s’accordent a priori sur la validité d’un ordre juridique naturel d’après lequel l’Etat serait une substance intelligible dérivant causalement d’une fondation sacrée et donc d’après lequel les membres de la société civile adhéreraient spontanément à la parole des dirigeants politiques de l’Etat. Mais un tel droit naturel existe-t-il ?

Si un tel droit naturel existait, le problème serait résolu par avance dans le sens où les citoyens reconnaîtraient spontanément l’autorité de l’Etat dans la personne de leurs dirigeants sans être obligés d’être bernés par des mythes fondateurs. Mieux, l’idée d’un Etat comme régulateur immuable et éternel des passions diverses et changeantes n’aurait plus de raison d’être puisque les citoyens seraient alors parfaitement raisonnables. On doit donc dire que la relation d’autorité que le gouvernement tente d’établir entre l’Etat et la société ne peut se prévaloir de relations naturellement confiantes à l’égard des discours mythologiques du gouvernement politique. Car alors, on présuppose ce qu’il s’agit d’établir, à savoir cette relation d’autorité raisonnable qui évite le recours à la force physique. C’est pourquoi Platon lui-même ressent l’utilité d’ajouter un aspect répressif au mythe fondateur : dans le Gorgias, (523a-527c), Socrate invente un mythe (l’Hadès) dans lequel il promet le châtiment des dieux après la mort pour les injustes. Dès lors, puisqu’une telle relation d’autorité ne peut être l’effet d’un droit naturel spontanément admis par les membres de la société civile, il semble inévitable d’avoir recours à la force physique pour l’établir.

Il s’ensuit que cette relation d’autorité entre l’Etat et la société s’accompagne nécessairement, à divers degrés, d’un recours à la force physique. Du coup, l’autorité régulatrice de l’Etat ne peut s’entendre uniquement comme autorité raisonnable agissant sur des esprits déjà conscients d’un droit naturel qui régirait les relations au sein de la Cité, mais plutôt comme une menace physique permanente sur des corps soumis à la tyrannie de leurs passions. Ce qui fait dire à Max Weber dans le Savant et le Politique “l’Etat revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime”. Autrement dit, contrairement à ce que prétendait Platon, la relation d’autorité entre l’Etat et la société civile, non seulement échoue à renoncer à la force caractéristique des tyrannies, mais encore elle ne peut devoir son application effective qu’à la menace permanente d’un tel recours. La question est à présent de savoir dans quelle mesure la relation d’autorité de l’Etat tyrannique peut régir la société civile.

B - l’Etat n’est qu’un effet secondaire de l’exercice du pouvoir souverain.

Ce ne peut donc être le seul culte mythique de la fondation de l’Etat qui suffit à fonder, dans les faits, une relation d’autorité entre l’Etat et la société. Ce qui veut dire qu’une telle relation d’autorité va aussi et surtout se nourrir de la menace de la contrainte physique qui va peser sur les membres de la société. Or, même si le recours à la coercition est, comme nous l’avons vu, une prérogative de l’Etat, il est facile de constater que cette prérogative est exercée au nom de l’Etat, certes, mais toujours à l’initiative des personnes humaines qui représentent l’Etat. Autrement dit, puisque l’Etat n’est qu’une substance intelligible résistante aux changements incessants de la société civile, l’échec d’une relation d’autorité naturelle sur la société va avoir pour effet de confier aux dirigeants politiques le soin de prendre les mesures coercitives appropriées. On doit donc dire que, si l’Etat reste investi d’une autorité mythique, c’est le souverain qui porte la responsabilité de l’application de la contrainte physique efficace.

C’est pourquoi la connaissance des mécanismes de l’activité politique a fait un grand pas en avant lorsque Machiavel a montré que puisque la discorde et la violence constituent le mal absolu dans une société, il vaut mieux compter sur le pouvoir physique du souverain (le prince) plutôt que sur l’autorité mythique de l’Etat pour assurer le succès de cette entreprise. Dans le chapitre VII du Prince, Machiavel fait par exemple l’éloge de César Borgia qui, voulant créer un Etat indépendant au centre de l’Italie, s’efforce de fonder, à la fois par la force et par l’habileté, non pas un Etat dont le souverain serait le représentant empirique, mais au contraire un pouvoir souverain direct dont l’Etat ne serait qu’un effet secondaire. De sorte que Machiavel donne le conseil suivant à qui serait tenté de suivre l’exemple de Borgia : “tous ceux qui seront nouvellement élevés au pouvoir souverain, jugeront qu’ils doivent [...] s’assurer de leurs ennemis, se faire des amis, vaincre par habileté ou par force” (le Prince ch.VII). Ce qui veut dire très clairement que l’acte fondateur de l’Etat n’a pas à être une origine mythique : il est beaucoup plus efficace politiquement que ce soit au contraire une démonstration de force et d’habileté de la part du souverain.

Donc, de deux choses l’une : ou bien l’autorité mythique de l’Etat n’est que la conséquence d’une telle démonstration de force et d’habileté qui deviendra ultérieurement dans la mémoire collective de la société l’acte fondateur de l’Etat (la Révolution française, le coup d’Etat d’Atatürk, etc.) ; ou bien cette autorité n’existe pas en tant que telle dans la mesure où elle se confond avec le pouvoir souverain du prince. Dans les deux cas, il faut bien admettre avec Machiavel que l’autorité de l’Etat destinée à donner de l’unité à la société civile est directement fonction de la force, actuelle ou potentielle, dont le pouvoir souverain est capable de faire preuve. On doit donc se demander si l’exercice de la force par le pouvoir souverain est une source de légitimité suffisante pour assurer à l’Etat sa fonction de régulateur de la société civile.


III - L’Etat est le produit non pas de la force mais de la volonté générale.

Ainsi donc, si l’Etat ne peut durablement établir une relation d’autorité qui ne dégénère pas en démonstration de force de la part du pouvoir souverain, c’est que la relation Etat-société civile n’est pas naturellement une relation d’autorité. Cela dit, la légitimité du pouvoir souverain ne peut pas non plus être durablement fondée sur la force mais plutôt sur un contrat social.

  A- la légitimité du pouvoir souverain ne peut être fondée sur la force.

Le projet platonicien d’un Etat autoritaire sans violence échoue dans la mesure où, avons-nous dit, une telle relation d’autorité nécessite, dans les faits, la force physique actuelle ou potentielle du pouvoir souverain. De sorte que celui-ci n’est pas l’émanation de l’Etat comme entité intelligible, mais que, au contraire, c’est l’Etat qui est une projection abstraite du pouvoir souverain hors du temps, ce que dit Machiavel : “le souverain n’aura comme objectif que sa propre conservation et celle de son Etat, les moyens qu’il emploiera seront toujours approuvés du commun des hommes” (le Prince ch.XVIII). Autrement dit, la nécessité absolue d’établir une relation d’autorité par la force physique ne peut avoir d’autre but que son propre maintien afin de garantir unité et sécurité à la société civile : tous les moyens sont bons puisqu’ils sont en même temps des fins en soi. Mais justement, peut-on admettre que le but du pouvoir soit le pouvoir ?

L’objection de Rousseau est la suivante : “on dira que le despote assure à ses sujets la tranquillité civile, soit. Mais qu’y gagnent-ils [...] si cette tranquillité même est une de leurs misères ? On vit tranquille aussi dans les cachots : en est-ce assez pour s’en trouver bien ?” (du Contrat Social I, 4). Ce que dit Rousseau est qu’il est absurde de penser qu’il est naturel à des êtres humains de se satisfaire de leur condition d’esclave d’une autorité pour le motif que cette condition leur procurerait une unité et une sécurité. En effet, cela n’est possible qu’au prix d’une aliénation totale de la liberté de l’individu réduit à n’être qu’un esclave. Or, dit Rousseau, unité sociale et sécurité personnelle peuvent être réalisées à moindre coût, c’est-à-dire en préservant la liberté naturelle de l’individu.

En effet, à l’état de nature, l’homme ne connaît que peu de besoins, lesquels sont satisfaits naturellement à la fois par les facultés physiques dirigées par l’amour de soi, et par les facultés morales commandées par la pitié naturelle. Amour de soi et pitié naturelle engendrent une coopération naturelle au sein de laquelle non seulement mes propres besoins, mais aussi ceux d’autrui considéré comme alter ego, doivent impérativement être satisfaits. Si une telle coopération naturelle permet aux hommes d’optimiser leurs facultés naturelles de satisfaction de leurs besoins, il est clair que les problèmes de sécurité et d’unité sont résolus par avance puisque, précisément, l’insécurité et le désordre ne naissent que de la compétition engendrée par l’amour-propre, non de la coopération. Il y a donc pour Rousseau une contradiction absolue à vouloir confier à un pouvoir souverain tyrannique le soin d’établir de l’unité et de la sécurité au nom d’un Etat mythique et au prix d’une perte de liberté. Car en effet, l’unité et la sécurité sont réalisables par une coopération naturelle qui, en plus, préserve la liberté des individus. Mais n’est-ce pas là, justement le fondement de la relation entre Etat et société civile ?

B - l’Etat est ce qui résulte d’un contrat social.

On ne peut donc admettre que la légitimité de l’Etat comme principe régulateur de la société ne se fonde que sur la seule autorité mythique, ni sur la seule force tyrannique : dans le premier cas les citoyens accepteraient en conscience d’être trompés, dans le second cas d’être esclaves. Or nul ne peut vouloir être trompé ou être esclave. Tromperie et esclavage ne peuvent être que la conséquence de l’usage temporaire de la violence. Et il s’ensuit donc logiquement qu’un Etat qui n’aurait, même provisoirement, pour seuls fondements que l’autorité ou la force n’aurait aucune légitimité. Mais alors, ce qui rend l’Etat légitime dans la société, c’est une autre relation que les seules relations d’autorité ou de force. Ce qui explique que, a contrario, les tribunaux allemands depuis 1945, considèrent comme illégitimes la plupart des décisions prises par le Reich : c’est que des décisions prises par un pouvoir souverain au nom d’un Etat autoritaire et par le seul moyen de la violence physique n’ont pas à être respectées par la société allemande.

Il semble que pour que l’Etat soit légitime, il faut que la relation établie avec la société civile soit une relation basée au minimum sur le respect mutuel de la nature humaine, autrement dit, sur une relation de droit. C’est ce que dit Rousseau : “le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir” (du Contrat Social, I, 3). Donc, dire que l’Etat est légitime au seul motif qu’il est autoritaire et fort n’a aucun sens car cela voudrait dire que l’on peut régner sur des individus qui ont perdu toute liberté, ce qui est contradictoire avec la nature humaine : cette liberté est inaliénable et ne peut donc être confisquée totalement. Ce que montrent tous les régimes tyranniques qui, après s’être installés par la violence, tentent de se faire reconnaître à l’intérieur de leur territoire par l’édiction de lois, et à l’extérieur par leur activité diplomatique. Dans les deux cas de figure, ce que réclame le pouvoir tyrannique, c’est une libre approbation de son existence.

En somme, ce n’est pas l’Etat qui s’impose à la société civile, car si tel était le cas, l’Etat n’aurait aucune existence légitime, et le régime politique qui s’en réclamerait serait instable. Pour qu’il y ait Etat légitime, il faut que telle soit la volonté générale, autrement dit la volonté de la société considérée comme libre et comme unie par des liens de coopération. L’Etat n’est donc plus que le produit de la société chaque fois que celle-ci est suffisamment unie pour prendre une décision de droit qui engage l’avenir de cette société, quels que soient les membres qui la composeront. Dès lors, il est clair que l’Etat est le fruit d’un accord tacite entre les citoyens, ce que Rousseau appelle le contrat social, c’est-à-dire “une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle, chacun s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant” (du Contrat Social, I, 6). De sorte qu’il n’y a d’Etat légitime, c’est-à-dire accepté et donc efficace, qu’à la condition expresse que celui-ci soit institué par l’exercice de la libre volonté de chacun chaque fois qu’il doit se dégager une volonté générale afin de prendre une décision d’intérêt général.


Conclusion.

Nous avons donc pu dire que, à première vue, la relation de l’Etat avec la société civile est fondée sur une autorité naturelle que les citoyens lui reconnaissent en admettant sans discussion le mythe d’une fondation absolue et sacrée de l’Etat. Le problème est que, dans les faits, cette relation est tout sauf naturelle et doit même, paradoxalement, être établie par l’usage de la force physique que la relation d’autorité avait justement pour fin d’éviter. Il faut donc admettre que cela seul qui fonde la légitimité de l’Etat à l’égard d’une société ne peut pas être la force mais le droit qui dérive d’un accord tacite entre les citoyens afin de rendre possible une entité qui assure leur sécurité en même temps qu’elle préserve leur liberté.