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jeudi 26 mai 2011

QU'EST-CE QU'UNE LOI INJUSTE ?

CORRIGÉ DU D.M.F

F3 – Une décision légale est-elle toujours juste ?

La loi est toujours quelque chose de général et il y a des cas d’espèce pour lesquels il n’est pas possible de poser un énoncé général qui s’y applique avec rectitude. Dans les matières, donc, où on doit nécessairement se bor­ner à des générali­tés, et où il est impossible de le faire correctement, la loi ne prend en considération que les cas les plus fréquents, sans ignorer d’ailleurs les erreurs que cela peut entraîner. La loi n’en est pas moins sans reproche, car la faute n’est pas à la loi, ni au législateur, mais tient à la nature des choses, puisque par leur essence même, la matière des choses de l’ordre pratique revêt ce caractère d’irrégularité. Quand, par la suite, la loi pose une règle gé­nérale et que là-dessus survient un cas en de­hors de la règle générale, [le juge] est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplifi­cation, de corriger l’omission et de se refaire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce moment et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas en question. Ce qui fait que tout ne peut s'exécuter dans la Cité par le seul moyen de la loi. [Car] la nature de la justice équitable est en effet de compléter ou de rectifier la justice légale là où la loi est insuffisante à cause de la forme générale qu'elle doit toujours prendre. 
Aristote – Éthique à Nicomaque

1 - A quelle idée l'auteur s'oppose-t-il et quelle idée défend-il ?
Aristote s'oppose à l'idée qu'une loi humaine (décidée par des hommes) s'appliquerait en quelque sorte par elle-même aux affaires de la Cité. Il défend au contraire l'idée qu'il appartient au juge d'appliquer à chaque cas particulier une loi qui ne s'applique jamais automatiquement en raison de son caractère nécessairement général.

2 - Expliquer la deuxième phrase.
Toute loi a, par nature, une prétention à valoir universellement. Elle ne s'intéresse jamais au cas particulier, ni même au cas d'espèce. Toute loi est toujours de la forme "pour tout x appartenant à E, f(x)". Quelles sont donc ces "matières [...] où on doit nécessairement se bor­ner à des générali­tés, et où il est impossible de le faire correctement" ? De toute évidence, ce ne sont pas les lois scientifiques ou mathématiques. La loi de la gravitation universelle de Newton concerne la chute de n'importe quel corps, quel qu'il soit et non pas de tel ou tel corps, ou de telle ou telle catégorie de corps. D'où l'impression que nous avons souvent que ce type de loi s'applique, en quelque sorte tout seul, automatiquement, sans intervention humaine (même si cette impression est fausse dans une certaine mesure, cf. texte B3). En revanche, prenons l'exemple d'une loi de finances (qui décide des recettes de l'État pour une année) : elle précise, entre autres choses, quels sont les catégories de revenus soumis à l'impôt et donne, pour ces catégories, des formules de calcul de l'impôt . Si ce genre de formulation générale et impersonnelle suffit, le plus souvent, pour calculer le montant de l'impôt dû par un particulier donné, il y a néanmoins de nombreux cas pour lesquels il y a ambiguïté (en particulier, comme par hasard, les cas d'exonération). De telle sorte que, contrairement à ce qui se passe pour la loi scientifique, on a là l'impression inverse, à savoir que la loi ne saurait s'appliquer d'elle-même, mais qu'au contraire elle a besoin d'une explication, d'une interprétation pour pouvoir s'appliquer. Donc les "matières" dont parle Aristote ne sont rien d'autre que les affaires humaines pour lesquelles la loi fixe un cadre général, ce qui permet déjà de régler un grand nombre de cas, mais qui laisse nécessairement de côté un certain nombre de cas problématiques sur lesquels la loi ne dit rien. C'est donc la complexité des affaires humaines qui fait que les lois générales et impersonnelles destinées à les organiser ne s'appliquent pas correctement, par elles-mêmes, à tous les cas : "la loi ne prend en considération que les cas les plus fréquents, sans ignorer d’ailleurs les erreurs que cela peut entraîner".

3 - Quel est le rôle du juge pour Aristote ?
Mais Aristote souligne aussitôt que ces erreurs ne sont pas imputables à la nature même de la loi : "La loi n’en est pas moins sans reproche, car la faute n’est pas à la loi, ni au législateur". Car, contrairement à la loi scientifique, la loi humaine n'a pas, par nature (cf. ce qu'Aristote entend par "nature" dans le texte C2 question 5), une portée universelle. Cela, dit-il, "tient à la nature des choses, puisque par leur essence même, la matière des choses de l’ordre pratique revêt ce caractère d’irrégularité". En d'autres termes, le législateur, quelle que soit sa perspicacité et sa bonne volonté, ne peut, par avance, prévoir toutes les possibilités d'action et de comportement des hommes (ce qu'Aristote appelle "l'ordre pratique") relativement à un problème donné. La règle a beau être parfaite en son genre, il y aura toujours de l'irrégularité, c'est-à-dire, étymologiquement, des événements qui échappent à la règle. Depuis longtemps les dirigeants politiques ont tenté de réduire ce risque d'irrégularité en complétant la loi, toujours très générale, par des textes plus précis et plus nombreux (les décrets, les arrêtés, les circulaires, etc.). Mais ces textes continuent à avoir une portée générale et, en principe, impersonnelle, de sorte que le problème n'est résolu qu'en partie. Par sa nature même, toute norme en matière d'agissement humain, comporte le risque de devoir être interprétée pour pouvoir s'appliquer correctement. En d'autres termes, la loi (ou son complément réglementaire) ne s'applique pas toute seule mais nécessite parfois un jugement quant à l'opportunité ou la manière de l'appliquer. Il faut donc, non seulement quelqu'un qui légifère (qui fabrique la loi), mais aussi quelqu'un qui, le cas échéant, juge de la pertinence de ladite loi pour tel ou tel cas particulier. Tel est, précisément, le rôle du juge. Que veut-on dire lorsqu'on prétend que le rôle du juge est d'"appliquer" la loi ? Eh bien, nous dit Aristote, il s'agit pour le juge "là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplifi­cation, de corriger l’omission et de se refaire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce moment et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas en question".
C'est dans cette capacité à compléter la généralité et l'impersonnalité de la loi pour l'adapter ou non à un cas particulier problématique que réside la nature de l'autorité judiciaire, la "sagesse du juge", la juris prudentia comme l'ont appelée les latins et qui a donné le terme "jurisprudence". La loi, c'est l'affaire du législateur, la jurisprudence, l'équité, la "justice équitable", comme l'appelle Aristote, c'est l'affaire du juge. Et les deux sont indissolublement liées : le législateur a autant besoin du juge que le juge a besoin de législateur (raison pour laquelle il est ridicule et tendancieux de dénoncer le "gouvernement des juges" chaque fois qu'une décision judiciaire déplaît au pouvoir en place !). Il est curieux de constater que la position d'Aristote (qui est quand même vieille de vingt-siècles !) permet de donner une solution satisfaisante au problème de l'obsession moderne d'une justice universelle (cf. texte F2, notamment question 7) : à propos de l'universalité ou non des Droits de l'Homme, il est tout a fait possible de soutenir, avec Rousseau, l'universalité de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 comme texte législatif (et même, c'est le cas en France, comme texte constitutionnel, c'est-à-dire supra-législatif) et, avec Pascal, la relativité de son application par le juge à la coutume historique et locale. L'intérêt de la position d'Aristote, c'est qu'elle dissocie le problème de la source du droit et celui de sa destination, bref, qu'elle dissocie la loi comme principe de la justice, et la justice équitable, autrement dit la justice proprement dite. Dès lors, il n'y a plus aucune difficulté à admettre qu'il n'y a pas de justice universelle bien qu'il puisse y avoir des principes universels de la justice, tels que les Droits de l'Homme.

Dissertation : qu'est-ce qu'une loi injuste ?





Spinoza : une loi injuste est une loi qui ne suscite pas les mêmes espoirs ou les mêmes craintes pour tous les citoyens (F1).
Pour Spinoza, un État est une partie de la Nature (c'est-à-dire de Dieu) qui, à ce titre, est dotée d'une quantité de puissance lui permettant de subsister en dépit des contraintes extérieures qui l'affaiblissent et finir par la faire disparaître. Or, la puissance qui permet à cette partie de la Nature que nous appelons État de subsister, est directement fonction des relations qu'entretiennent ses parties constitutives. De même qu'un corps biologique sera d'autant plus vigoureux que ses organes fonctionneront en bonne intelligence, de même un corps social (un État) sera d'autant plus solide que ses constituants (les citoyens) seront d'autant plus solidaires. Comme le dit le proverbe latin : concordia civium, moenia civitatum, c'est-à-dire "la concorde (l'harmonie) entre les citoyens fait les murailles des Cités". Or, souligne Spinoza, les hommes ne sont pas spontanément des citoyens, a fortiori des citoyens solidaires, car ils ne sont pas raisonnables. S'ils étaient raisonnables, en effet, ils s'aimeraient eux-mêmes dans le sens où ils comprendraient spontanément ce qui leur est réellement utile, à savoir de s'unir les uns aux autres et de constituer le corps social le plus résistant qui soit afin de maximiser leurs chances de subsister dans les meilleurs conditions possibles. Cependant, même s'ils ne sont pas raisonnables, ils sont susceptibles de devenir de bons citoyens sous certaines conditions. Première condition : il faut que l'État ait le désir d'imposer sa puissance au nouveau venu dans la société (l'enfant), sinon ce dernier utilisera sa puissance naturelle pour tenter de dominer son entourage et il ne sera jamais sociable. Deuxième condition : il faut que l'État éduque cette puissance naturelle dont chacun est doté pour subsister en agissant sur les deux sentiments primitifs que sont la crainte (qui consiste à imaginer ce qui, momentanément, est susceptible de nous être nuisible et que, pour cette raison, nous nous efforçons d'éviter) et l'espoir (qui consiste à imaginer ce qui, momentanément, est susceptible de nous être utile et que, pour cette raison, nous nous efforçons de nous procurer). Troisième condition : il faut que l'État propose au plus grand nombre possible d'individus des craintes communes (les mêmes châtiments) et des espoirs communs (les mêmes récompenses) afin que les espoirs des uns ne soient pas les craintes des autres, ce qui crée inévitablement des dissensions. Quatrième et dernière condition : il faut que l'État se dote de lois qui lui permette d'imposer sa puissance aux individus, d'éduquer leurs sentiments et d'établir des récompenses et des châtiments communs. Bref, pour Spinoza, entre deux êtres, c'est toujours le plus puissant qui porte l'entière responsabilité des relations qui existent entre ces deux êtres. Or, entre l'État et l'individu, c'est l'État qui est le plus puissant. C'est donc l'État qui est responsable du climat social qui règne en son sein. Si ce climat est bon, si les citoyens sont solidaires et vivent dans la concorde, c'est parce que les lois sont bonnes. Si le climat est détestable, si les citoyens sont hostiles les uns aux autres et vivent dans la discorde, c'est parce que les lois sont mauvaises. Et un cas particulier de mauvaise loi, c'est lorsque la loi est injuste, c'est-à-dire lorsqu'elle suscite de la crainte pour certains et de l'espoir pour d'autres. Par exemple, une loi qui diminue les impôts des plus riches va créer, chez eux, l'espoir d'un enrichissement accru. Mais en revanche, elle va susciter chez les citoyens les plus modestes la crainte d'avoir à payer plus d'impôts ou, en tout cas, d'être moins bien soigné, moins bien logé, moins bien instruit, etc. Il en résultera inévitablement un sentiment d'injustice de leur part et, par contrecoup, des tensions sociales et un affaiblissement de l'État.

Pascal : une loi injuste est une loi qui n'est pas conforme à la coutume (F2).
Pascal distingue deux sources de vérités : le cœur qui sent les premiers principes évidents par soi-mêmes (par exemple qu’il y a trois dimensions dans l’espace, ou que les nombres sont infinis) et la raison qui s’appuie sur ces premiers principes pour démontrer et conclure (par exemple qu’il n’y a pas deux nombres entiers carrés dont l’un soit le double de l’autre). Or, si la raison trouve son origine dans le cœur, le cœur, en revanche trouve son origine dans la coutume : c’est la coutume, et donc l’éducation et l’environnement social dans lequel nous baignons, qui nous fait concevoir des nombres en quantité infinie et nous fait concevoir trois dimensions dans l’espace. Il en va de même pour la justice : il n’y a pas plus de justice universelle qu’il n’y a de vérité universelle (ou de beauté universelle, ou de bonté universelle, etc., bref de valeurs universelles en général) : ce qui vaut d’un côté de la frontière, ironise Pascal, ne l’est plus de l’autre côté ; ce qui est valable un temps, ne l’est plus le temps d’après. La notion de justice est primitivement sentie par le cœur et procède donc de la coutume. Non pas qu’il soit absolument impossible de démontrer l’injustice d’une action ou d’une décision. Mais, comme pour la vérité, on ne peut la démontrer que jusqu’à un certain point. Supposons qu’un contribuable conteste la décision lui signifiant le montant de son impôt : il trouve donc cette décision injuste. Il est tout à fait possible de démontrer, par exemple, qu’il y a bien une erreur de calcul dans le montant de l’impôt : il suffit pour cela d’appliquer la formule de calcul de l’impôt au cas particulier du contribuable qui conteste, puis de comparer avec le montant contesté, enfin de conclure. Jusque là, c’est la raison qui est à l’œuvre. En revanche, comment faire pour contester la formule de calcul elle-même ? Celle-ci est en effet incluse dans la Loi de Finances votée par le Parlement dont les membres, les députés et les sénateurs sont, dans notre pays et à l’heure actuelle, les représentants du peuple, autrement du souverain (art.3 de la Constitution du 4 octobre 1958). Bref, contester la formule d’imposition reviendrait à contester la souveraineté de l’auteur de la décision, ce qui est triplement contradictoire. D’abord, une souveraineté, par définition, ne se conteste pas ("souverain" vient du latin sub regno qui veut dire "sous le règne, sous la domination de …"), sinon elle n’est plus une souveraineté. Ensuite, à supposer qu’elle soit contestable, on ne voit pas très bien sur quoi on va s’appuyer pour contester la formule, puisque celle-ci est réputée votée majoritairement par des représentants du peuple qui manifestent là leur "intime conviction", c’est-à-dire ce qu’ils ressentent par le cœur et qui, à ce titre, n’est pas raisonnable. Enfin, pour un contribuable donné, contester une loi votée par le Parlement revient, à la limite, à se contester soi-même en tant que source de la souveraineté populaire qui délègue au Parlement la tâche de délibérer et de voter la Loi de Finances qui va lui être appliquée. Pour toutes ces raisons, s’il reste possible de démontrer par le raisonnement, sous certaines conditions, qu’une loi est injustement appliquée, en revanche il est impossible de démontrer par le raisonnement que la loi elle-même est injuste. Tout simplement parce que la loi sert ici de "premier principe" et les premiers principes, là comme ailleurs, proviennent du cœur, c’est-à-dire de la coutume. Il en résulte qu’une loi injuste est toujours une loi ressentie comme telle. C’est pour cela que l’on parle souvent de "sentiment d’injustice", voulant parler du sentiment de malaise qui envahit chacun en face d’une loi qui ne respecte pas les coutumes du lieu et de l’époque. Par exemple, dans notre pays et à l’heure actuelle, une loi pénalisant l’avortement serait ressentie comme injuste parce qu’elle irait à l’encontre d’une coutume bien établie, tandis que, dans d’autres pays ou chez nous mais à une autre époque, l’avortement est ou était considéré comme une abomination, et la condamnation de celui-ci ressentie comme normale. Comme le dit le proverbe latin o tempora, o mores, c’est-à-dire "autres temps, autres coutumes".

Aristote : une loi injuste est une loi qui est mal appliquée par le juge (F3).
Aristote définit la loi comme un énoncé nécessairement général, c’est-à-dire un énoncé qui, par nature, ne traite pas les cas particuliers. Dans certains domaines, par exemple en science, la généralité de la loi est toujours satisfaisante, car elle décrit des phénomènes qui se caractérisent par leur grande régularité : la loi newtonienne dite de la gravitation universelle, selon laquelle deux corps exercent l’un sur l’autre une force d’attraction proportionnelle à leurs masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare, vaut pour n’importe quel corps, n’importe où, n’importe quand. Ce qui veut dire que cette loi, et toute loi scientifique, n’a que faire des cas particuliers. Dans d’autres domaines, en revanche, la généralité de la loi n’est pas pleinement satisfaisante : la loi Veil de 1975, qui autorise l’interruption volontaire de grossesse dans un délai de 10 semaines (porté à 12 semaines par la loi Aubry de 2001), ne prend en compte que les cas d’avortement les plus fréquents. Pour les cas les plus fréquents, ceux qui sont explicitement prévus par la loi, la généralité de celle-ci reste satisfaisante. Mais il existe forcément des cas dans lesquels une femme va demander une IVG au-delà du délai légal. Est-ce à dire que cette femme sera automatiquement coupable d’infraction à la loi ? Pas nécessairement. Mais, pour répondre à la question, il va falloir, précise Aristote, s’adresser à un juge. Le rôle du juge, en effet, c’est de considérer le cas particuliers qui lui est soumis en se demandant si ce cas particulier est un cas d’infraction à la loi (la demande sera alors rejetée) ou une exception à la loi (la demande sera acceptée). Le juge va donc devoir interpréter la loi en se demandant si, par exemple, le cas particulier de telle patiente désirant se faire avorter au-delà du délai légal de 12 semaines parce que, sur avis médical, sa propre vie est en danger, cela est bien conforme à l’esprit de la loi (c’est-à-dire est implicitement contenu dans la loi) bien que n’étant pas conforme à la lettre de la loi (c’est-à-dire n’étant pas explicitement contenu dans la loi). Et pour interpréter la loi, le juge va devoir se mettre à la place du législateur (de l’auteur de la loi), c’est-à-dire consulter les documents, solliciter les témoignages, refaire les raisonnements, se rappeler les débats, etc. qui ont conduit le législateur à prendre la décision légale qu’il a prise en ne consignant que les cas les plus fréquents. Ce qui veut dire qu’il y a une sorte de partage des tâches entre d’une part le législateur qui ne connaît que des cas généraux en laissant éventuellement au juge le soin d’y rattacher quelques exceptions particulières, et d’autre part le juge qui ne connaît que des cas particuliers qui sont, à première vue, des infractions à la loi, mais dont on peut se demander s’ils n’en sont pas, en réalité, des exceptions que le législateurs lui-même aurait admises s’il en avait été informé. Par conséquent, une loi injuste, pour Aristote, ça n’existe pas : une loi, en tant qu’énoncé à caractère général et impersonnel n’est ni juste ni injuste. De ce point elle est toujours irréprochable même si, bien entendu, elle peut toujours être incohérente, illisible, ambiguë, etc. Ce n’est pas la loi, en effet qui est susceptible d’être juste ou injuste, mais son application à l’ordre imprévisible et irrégulier des affaires humaines. Aussi dira-t-on, par abus de langage, qu’une loi est juste lorsque son application pose très peu de problèmes (par exemple parce qu’il y a très peu de cas particuliers qui sortent du cadre général de la loi). Et on dira, par erreur, que la loi est injuste lorsque le cadre général de la loi fait surgir de nombreuses difficultés d’application et que le juge a tendance à interpréter cette loi de manière restrictive en rejetant la plupart des demandes d’incorporation des cas particuliers dans le cadre de la loi. A plus forte raison lorsque les justiciables sont tellement certains que leur demande va être rejetée par le juge qu’ils ne s’adressent même plus à lui pour tenter de faire reconnaître la légitimité de leur cas particulier.


Je choisis l'ordre suivant (ce n'est qu'un exemple, il y a d'autres choix possibles)
- 1° Pascal
- 2° Spinoza
- 3° Aristote

B - INTRODUCTION.


Qu'est-ce qu’une loi injuste ? (question sujet)
Apparemment, une loi injuste n’est-ce pas une loi contraire aux coutumes ? Or une loi conforme à la coutume ne peut-elle pas être injuste ? Cela dit, ce qui est susceptible d’être juste ou injuste, n’est-ce pas l’application de la loi plutôt que la loi elle-même ? (problématique)
Nous allons voir que, apparemment, une loi injuste est une loi ressentie comme telle en ce qu’elle est contraire aux coutumes du lieu et de l’époque. Or, tout en étant conforme à la coutume, une loi peut cependant être injuste lorsqu’elle ne favorise pas la concorde entre les citoyens. Cela dit, la loi elle-même est toujours sans reproche, et c’est l’application par le juge qui est susceptible de faire naître le sentiment d’injustice. (annoncedu plan)

I - Apparemment, une loi injuste est une loi ressentie comme telle en ce qu’elle est contraire aux coutumes du lieu et de l’époque. (je reprends ici l'annonce de la premièrepartie dans l'introduction)

Tout le monde se souvient de l'émotion suscitée dans l'opinion publique par la condamnation du capitaine Dreyfus en 1894 provoquant, notamment, la réaction indignée d'Émile Zola dans le journal l'Aurore avec son célèbre article intitulé "J'accuse !". Ce qui voudrait dire que la justice et l'injustice sont, avant tout, une affaire de sentiment. (amorce1° partie)

Or, justement, Pascal distingue deux sources de vérités : le cœur qui sent les premiers principes évidents par soi-même (par exemple qu’il y a trois dimensions dans l’espace, ou que les nombres sont infinis) et la raison qui s’appuie sur ces premiers principes pour démontrer et conclure (par exemple qu’il n’y a pas deux nombres entiers carrés dont l’un soit le double de l’autre). Et si la raison trouve son origine dans le cœur, le cœur, en revanche trouve son origine dans la coutume : c’est la coutume, et donc l’éducation et l’environnement social dans lequel nous baignons, qui nous fait concevoir des nombres en quantité infinie et nous fait concevoir trois dimensions dans l’espace. Ignorer cette supériorité et cette priorité du cœur sur la raison, c’est se comporter en pyrrhonien : « nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part, es­saye de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. »(Pascal, Pensées). Il en va précisément de même pour la justice : il n’y a pas plus de justice universelle qu’il n’y a de vérité universelle (ou de beauté universelle, ou de bonté universelle, etc., bref de valeurs universelles en général) : ce qui vaut d’un côté de la frontière, ironise Pascal, ne l’est plus de l’autre côté ; ce qui est valable un temps, ne l’est plus le temps d’après : « plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au-deçà des Py­rénées, erreur au-delà. […] ; tout branle avec le temps. »(Pascal, Pensées). La notion de justice est primitivement sentie par le cœur et procède donc de la coutume.

Non pas qu’il soit absolument impossible de démontrer l’injustice d’une action ou d’une décision. Mais, comme pour la vérité, on ne peut la démontrer que jusqu’à un certain point. Supposons qu’un contribuable conteste la décision lui signifiant le montant de son impôt : il trouve donc cette décision injuste. Il est tout à fait possible de démontrer, par exemple, qu’il y a bien une erreur de calcul dans le montant de l’impôt : il suffit pour cela d’appliquer la formule de calcul de l’impôt au cas particulier du contribuable qui conteste, puis de comparer avec le montant contesté, enfin de conclure. Jusque là, c’est la raison qui est à l’œuvre. En revanche, comment faire pour contester la formule de calcul elle-même ? Car « rien selon la seule raison n’est juste de soi […]. La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue ; c’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramène à son principe l’anéantit. »(Pascal, Pensées). La formule de calcul est en effet incluse dans la Loi de Finances votée par le Parlement dont les membres, les députés et les sénateurs sont, dans notre pays et à l’heure actuelle, les représentants du peuple, autrement du souverain (art.3 de la Constitution du 4 octobre 1958). Bref, contester la formule d’imposition reviendrait à contester la souveraineté de l’auteur de la décision, ce qui est triplement contradictoire. D’abord, une souveraineté, par définition, ne se conteste pas ("souverain" vient du latin sub regno qui veut dire "sous le règne, sous la domination de …"), sinon elle n’est plus une souveraineté. Ensuite, à supposer qu’elle soit contestable, on ne voit pas très bien sur quoi on va s’appuyer pour contester la formule, puisque celle-ci est réputée votée majoritairement par des représentants du peuple qui manifestent là leur "intime conviction", c’est-à-dire ce qu’ils ressentent pas le cœur et qui, à ce titre, n’est pas raisonnable. Enfin, pour un contribuable donné, contester une loi votée par le Parlement revient, à la limite, à se contester soi-même en tant que source de la souveraineté populaire qui délègue au Parlement la tâche de délibérer et de voter la Loi de Finances qui va lui être appliquée.

Pour tous ces motifs, s’il reste possible de démontrer par le raisonnement, sous certaines conditions, qu’une loi est injustement appliquée, en revanche il est impossible de démontrer par le raisonnement que la loi elle-même est injuste. Tout simplement parce que la loi sert ici de "premier principe" et les premiers principes, là comme ailleurs, proviennent du cœur, c’est-à-dire de la coutume. Il en résulte qu’une loi injuste est toujours une loi ressentie comme telle. C’est pour cela que l’on parle souvent de "sentiment d’injustice", voulant parler du sentiment de malaise qui envahit chacun en face d’une loi qui ne respecte pas les coutumes du lieu et de l’époque. Par exemple, dans notre pays et à l’heure actuelle, une loi pénalisant l’avortement serait ressentie comme injuste parce qu’elle irait à l’encontre d’une coutume bien établie, tandis que, dans d’autres pays ou chez nous mais à une autre époque, l’avortement est ou était considéré comme une abomination, et la condamnation de celui-ci ressentie comme normale. Bref, « sur quoi [le souverain] la fondera-t-il l’économie du monde qu’il veut gouverner ? […] Sera-ce sur la justice ? Il l’ignore. Certainement, s’il la connaissait, il n’au­rait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les mœurs de son pays. »(Pascal, Pensées). Ou, comme le dit le proverbe latin o tempora, o mores, c’est-à-dire "d'autres temps donneront d'autres coutumes" et donc une autre manière de sentir la justice. (argumentsprincipaux et secondaires de la 1° partie)

Bref, pour Pascal, il est clair qu'une loi injuste est une loi qui est ressentie comme telle en un lieu donné et en une époque donnée par une société donnée en raison des coutumes qui y règnent. (bilande la 1° partie)

Est-ce à dire qu’il suffit à une loi d'être conforme à la coutume pour être nécessairement juste ? (transition)

II - Tout en étant conforme à la coutume, une loi peut cependant être injuste lorsqu’elle ne favorise pas la concorde entre les citoyens. (jereprends ici l'annonce de la deuxième partie)

On a vu avec Pascal qu’une loi qui ne respecte pas les coutumes du lieu et/ou de l’époque est en général ressentie comme injuste, même si nul n’a vraiment les moyens d’établir par la démonstration le caractère injuste de la loi. Mais, à supposer que toute loi prise en violation des coutumes soit ressentie comme injuste, la réciproque ne va pas de soi : il existe des lois qui, tout en étant conformes à la coutume, sont réputées injustes. Par exemple, les lois d’Ancien Régime, qui ont été balayées par la Révolution Française, étaient ressenties comme injustes tout en étant conformes à des traditions pluri-centenaires. Donc l’injustice d’une loi ne doit pas consister uniquement dans un écart par rapport à la coutume. (j'annonceici pourquoi Pascal est critiquable)

Pour Spinoza, un État est une partie de la Nature (c'est-à-dire de Dieu) qui, à ce titre, est dotée d'une quantité de puissance lui permettant de subsister en dépit des contraintes extérieures qui l'affaiblissent et finir par la faire disparaître : « la puissance qui permet aux choses singulières de conserver leur être, est la puis­sance même de Dieu, c’est-à-dire de la Nature. »(Spinoza, Éthique). Or, la puissance qui permet à cette partie de la Nature que nous appelons État de subsister, ce que Pascal appelle "la coutume", est directement fonction des relations qu'entretiennent ses parties constitutives. De même qu'un corps biologique sera d'autant plus vigoureux que ses organes fonctionneront en bonne intelligence, de même un corps social (un État) sera d'autant plus solide que ses constituants (les citoyens) seront d'autant plus solidaires. Bref, « le meilleur État [...] est celui où les hommes vivent dans la concorde et où la législation nationale est proté­gée contre toute atteinte. »(Spinoza, Traité Politique). Ou encore, comme le dit le proverbe latin : concordia civium, moenia civitatum, c'est-à-dire "la concorde (l'harmonie) entre les citoyens fait les murailles des Cités". Or, souligne Spinoza, les hommes ne sont pas spontanément des citoyens, a fortiori des citoyens solidaires, car ils ne sont pas raisonnables. S'ils étaient raisonnables, en effet, ils s'aimeraient eux-mêmes dans le sens où ils comprendraient spontanément ce qui leur est réellement utile, à savoir de s'unir les uns aux autres et de constituer le corps social le plus résistant qui soit afin de maximiser leurs chances de subsister dans les meilleurs conditions possibles : « la raison ne demande dont rien contre la Nature, elle demande que chacun s'aime soi-même, qu'il cherche ce qui lui est réellement utile et qu'il désire ce qui conduit réellement l'homme à une plus grande perfection. »(Spinoza, Éthique).

Cependant, même s'ils ne sont pas raisonnables, ils sont susceptibles de devenir de bons citoyens sous certaines conditions. Première condition : il faut que l'État ait le désir d'imposer sa puissance au nouveau venu dans la société (l'enfant), sinon ce dernier utilisera sa puissance naturelle pour tenter de dominer son entourage et il ne sera jamais sociable. Deuxième condition : il faut que l'État éduque cette puissance naturelle dont chacun est doté pour subsister en agissant sur les deux sentiments primitifs que sont la crainte (qui consiste à imaginer ce qui, momentanément, est susceptible de nous être nuisible et que, pour cette raison, nous nous efforçons d'éviter) et l'espoir (qui consiste à imaginer ce qui, momentanément, est susceptible de nous être utile et que, pour cette raison, nous nous efforçons de nous procurer). Troisième condition : il faut que l'État propose au plus grand nombre possible d'individus des craintes communes (les mêmes châtiments) et des espoirs communs (les mêmes récompenses) afin que les espoirs des uns ne soient pas les craintes des autres, ce qui crée inévitablement des dissensions. Quatrième et dernière condition : il faut que l'État se dote de lois qui lui permette d'imposer sa puissance aux individus, d'éduquer leurs sentiments et d'établir des récompenses et des châtiments communs. Donc,  « pour que les hommes puissent vivre dans la concorde et se venir en aide, [et comme] nul senti­ment ne peut être contrarié que par un sentiment plus fort et opposé au sentiment à contrarier, chacun s’abstiendra de faire un mal par crainte d’un mal plus grand et accomplira un bien par espoir d’un bien plus grand. »(Spinoza, Éthique).

Finalement, pour Spinoza, c'est toujours l'être le plus puissant qui porte l'entière responsabilité des relations qui existent entre ces deux êtres. Or, entre l'État et l'individu, c'est l'État qui est le plus puissant. C'est donc l'État qui est responsable du climat social qui règne en son sein. Si ce climat est bon, si les citoyens sont solidaires et vivent dans la concorde, c'est parce que les lois sont bonnes. Si le climat est détestable, si les citoyens sont hostiles les uns aux autres et vivent dans la discorde, c'est parce que les lois sont mauvaises. « Au cas donc où la méchanceté régnerait davantage et où le nombre de fautes commises serait plus considérable dans une certaine nation que dans une autre, une conclusion évidente ressortirait d’une telle suite d’événements : cette nation n’aurait pas pris de dispositions suffisantes en vue de la concorde et sa législation n’aurait pas été instituée dans un esprit suffisant de sagesse. »(Spinoza, Traité Politique). Et un cas particulier de mauvaise loi, c'est lorsque la loi est injuste, c'est-à-dire lorsqu'elle suscite de la crainte pour certains et de l'espoir pour d'autres. Par exemple, une loi qui diminue les impôts des plus riches va créer, chez eux, l'espoir d'un enrichissement accru. Mais en revanche, elle va susciter chez les citoyens les plus modestes la crainte d'avoir à payer plus d'impôts ou, en tout cas, d'être moins bien soigné, moins bien logé, moins bien instruit, etc. Il en résultera inévitablement un sentiment d'injustice de leur part et, par contrecoup, des tensions sociales et un affaiblissement de l'État. (argumentsprincipaux et secondaires de la 2° partie)

Donc, pour Spinoza, une loi injuste est une loi qui ne remplit pas sa fonction pédagogique consistant à fournir à tous les membres d'une communauté donnée des espoirs et des craintes communs. Une loi injuste est une loi qui divise au lieu de rassembler et qui, pour cette raison, engendre des tensions sociales. (bilande la 2° partie)

Cela dit, ce qui est susceptible d’engendrer des tensions sociales, n’est-ce pas l’application de la loi plutôt que la loi elle-même ? (transition)

III - La loi elle-même est toujours sans reproche, et c’est l’application par le juge qui est susceptible de faire naître le sentiment d’injustice. (jereprends ici l'annonce de la troisième partie)

Certes, une loi contraire aux coutumes a toutes les chances d’être considérée comme injuste. Cependant, comme il existe des coutumes qui, visiblement, sont sources de conflit, on est bien obligé d’admettre qu’il existe des lois conformes aux coutumes et qui sont néanmoins perçues comme injustes par ceux qui se révoltent ou méprisent ou ignorent ces lois. Cela dit, on pourrait citer de très nombreux exemples de lois inapplicables ou qui n’ont jamais été appliquées, preuves que les lois ne s’appliquent pas toutes seules. Il se pourrait donc bien que l’injustice ne soit pas ressentie et ne s’accompagne pas d’effets délétères sur le corps social tant que la loi n’est pas appliquée. Ce qui ferait porter sur l’institution chargée de l’exécution la plus grosse part de responsabilité quant à la justice ou l’injustice de la loi. (j'annonce ici pourquoi Pascal etSpinoza sont tous les deux critiquables)

Aristote définit la loi comme un énoncé nécessairement général, c’est-à-dire un énoncé qui, par nature, ne traite pas les cas particuliers. Dans certains domaines, par exemple en science, la généralité de la loi est toujours satisfaisante, car elle décrit des phénomènes qui se caractérisent par leur grande régularité : la loi newtonienne dite de la gravitation universelle, selon laquelle deux corps exercent l’un sur l’autre une force d’attraction proportionnelle à leurs masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare, vaut pour n’importe quel corps, n’importe où, n’importe quand. Ce qui veut dire que cette loi, et toute loi scientifique, n’a que faire des cas particuliers. Dans d’autres domaines, en revanche, la généralité de la loi n’est pas pleinement satisfaisante : la loi Veil de 1975, qui autorise l’interruption volontaire de grossesse dans un délai de 10 semaines (porté à 12 semaines par la loi Aubry de 2001), ne prend en compte que les cas d’avortement les plus fréquents. Pour les cas les plus fréquents, ceux qui sont explicitement prévus par la loi, la généralité de celle-ci reste satisfaisante. Mais il existe forcément des cas dans lesquels une femme va demander une IVG au-delà du délai légal : « la loi est toujours quelque chose de général et il y a des cas d’espèce pour lesquels il n’est pas possible de poser un énoncé général qui s’y applique avec rectitude. Dans les matières, donc, où on doit nécessairement se bor­ner à des générali­tés, et où il est impossible de le faire correctement, la loi ne prend en considération que les cas les plus fréquents, sans ignorer d’ailleurs les erreurs que cela peut entraîner. »(Aristote, Éthique à Nicomaque). Est-ce à dire pour autant que la femme qui demanderait, par exemple sur avis médical, une interruption volontaire de grossesse au-delà du délai légal serait automatiquement coupable d’infraction à la loi ? Pas nécessairement.

Pour répondre à la question, il va falloir, précise Aristote, s’adresser à un juge. Le rôle du juge, en effet, c’est de considérer le cas particuliers qui lui est soumis en se demandant si ce cas particulier est un cas d’infraction à la loi (la demande sera alors rejetée) ou une exception à la loi (la demande sera acceptée) : « quand, par la suite, la loi pose une règle gé­nérale et que là-dessus survient un cas en de­hors de la règle générale, [le juge] est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplifi­cation, de corriger l’omission et de se refaire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce moment et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas en question. »(Aristote, Éthique à Nicomaque). Le juge va donc devoir interpréter la loi en se demandant si, par exemple, le cas particulier de telle patiente désirant se faire avorter au-delà du délai légal de 12 semaines parce que, sur avis médical, sa propre vie est en danger, cela est bien conforme à l’esprit de la loi (c’est-à-dire est implicitement contenu dans la loi) bien que n’étant pas conforme à la lettre de la loi (c’est-à-dire n’étant pas explicitement contenu dans la loi). Et pour interpréter la loi, le juge va devoir se mettre à la place du législateur (de l’auteur de la loi), c’est-à-dire consulter les documents, solliciter les témoignages, refaire les raisonnements, se rappeler les débats, etc. qui ont conduit le législateur à prendre la décision légale qu’il a prise en ne consignant que les cas les plus fréquents. Ce qui veut dire qu’il y a une sorte de partage des tâches entre d’une part le législateur qui ne connaît que des cas généraux en laissant éventuellement au juge le soin d’y rattacher quelques exceptions particulières, et d’autre part le juge qui ne connaît que des cas particuliers qui sont, à première vue, des infractions à la loi, mais dont on peut se demander s’ils n’en sont pas, en réalité, des exceptions que le législateurs lui-même aurait admises s’il en avait été informé.

Par conséquent, une loi injuste, pour Aristote, ça n’existe pas : une loi, en tant qu’énoncé à caractère général et impersonnel n’est ni juste ni injuste. De ce point elle est toujours irréprochable même si, bien entendu, elle peut toujours être incohérente, illisible, ambiguë, etc. Ce n’est pas la loi, en effet qui est susceptible d’être juste ou injuste, mais son application à l’ordre imprévisible et irrégulier des affaires humaines : « la loi n’en est pas moins sans reproche, car la faute n’est pas à la loi, ni au législateur, mais tient à la nature des choses, puisque par leur essence même, la matière des choses de l’ordre pratique revêt ce caractère d’irrégularité. »(Aristote, Éthique à Nicomaque). Aussi dira-t-on, par abus de langage, qu’une loi est juste lorsque son application pose très peu de problèmes (par exemple parce qu’il y a très peu de cas particuliers qui sortent du cadre général de la loi). Et on dira, par erreur, que la loi est injuste lorsque le cadre général de la loi fait surgir de nombreuses difficultés d’application et que le juge a tendance à interpréter cette loi de manière restrictive en rejetant la plupart des demandes d’incorporation des cas particuliers dans le cadre de la loi. À plus forte raison lorsque les justiciables sont tellement certains que leur demande va être rejetée par le juge qu’ils ne s’adressent même plus à lui pour tenter de faire reconnaître la légitimité de leur cas particulier. (argumentsprincipaux et secondaires de la 3° partie)

Finalement, du point de vue d'Aristote, dire qu'une loi est injuste, c'est dire que cette loi pose au juge de tels problèmes d'interprétation qu'elle n'est plus appliquée qu'à un nombre extrêmement restreint de cas particuliers, voire plus appliquée du tout. En tout cas, pour Aristote, l'injustice trouve son origine dans la jurisprudence (l'application de la loi par le juge) et non dans la loi elle-même. (bilande la 3° partie)



Nous avons donc pu voir que, apparemment, une loi injuste est une loi qui est ressentie comme scandaleuse en ce qu’elle apparaît contraire à tous les usages sociaux puisque c’est la coutume et non pas le raisonnement qui nous fournit les premiers principes de la justice et de l’injustice. Toutefois, une loi qui respecterait une coutume d’affrontement ou de conflit ne serait pas juste pour autant dans la mesure où l’injustice, qu’elle soit sentie comme telle ou non, consiste dans l’impossibilité, pour l’État, d’établir des relations sociales stables et harmonieuses par le biais de la loi. Encore que ce ne soit pas la loi proprement dite qui soit injuste, mais plutôt son application par l’institution appropriée (le juge) dont la fonction est précisément d’interpréter équitablement le cadre général et impersonnel de toute loi pour y intégrer ou non les cas particuliers individuels. (j'airésumé d'une phrase chaque partie de mon développement)

jeudi 5 mai 2011

QU'ATTEND-ON POUR ÊTRE HEUREUX ?

CORRIGÉ DU D.M.E


E3 – La liberté suffit-elle au bonheur ?

Si l’on recherche en quoi précisément consiste le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, on trouvera qu’il se réduit à deux objets principaux, la liberté et l’égalité : la liberté parce que toute dépendance particulière est autant de force ôtée au corps de l’État ; l’égalité parce que la liberté ne peut subsister sans elle. J’ai déjà dit ce que c’est que la liberté civile1 : à l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes ; mais que, quant à la puissance, elle soit au-dessus de toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois, et, quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. Ce qui suppose, du côté des grands, modérations de biens et de crédit, et, du côté des petits, modération d’avarice et de convoitise. Cette égalité, disent-ils, est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique. Mais si l’a­bus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le régler ? C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir.
Rousseau – du Contrat Social

1 - A quelle idée l'auteur s'oppose-t-il et quelle idée défend-il ?
L'auteur s'oppose à l'idée que la liberté pourrait être un bien absolu. Il défend l'idée que, tout en étant "le plus grand bien de tous", la liberté est toujours relative dans le sens où il ne peut y avoir de liberté sans égalité et que c'est donc l'égalité qui doit, finalement, être le but de toute législation juste.

2 - En quoi consiste l'intérêt général pour Rousseau ?
Pour Rousseau, l'intérêt général est tout simplement le contraire de l'intérêt particulier. L'intérêt particulier consiste en ce que chacun a tendance, comme le disent les libéraux à "maximiser ses utilités", autrement dit à tirer un profit personnel maximum des circonstances. Ce qui implique notamment que chacun aspire (que cette aspiration soit ou non naturelle n'a aucune importance ici) à établir, à l'égard de ses semblables, un rapport de force gagnant en sa faveur, donc, comme le dit Rousseau, une "dépendance particulière". Or, cet état de "dépendance particulière" est incompatible avec la liberté. Non seulement, cela va de soi, pour celui qui est en position d'infériorité dans le rapport de force, mais également, contrairement à ce que pensent les libéraux, pour le dominant. Car celui-ci n'est jamais assez fort pour être toujours assuré de sa supériorité et sa "liberté" de dominant est donc toujours précaire car toujours menacée de prendre fin dans la violence. Bref, si l'on veut assurer la liberté aux hommes, il faut, de deux choses l'une, ou bien leur garantir l'indépendance absolue, ou bien les maintenir dans un type de dépendance qui ne soit pas de "dépendance particulière", c'est-à-dire de dépendance à l'égard de l'intérêt particulier. Or, la première branche de l'alternative suppose que chacun est seul dans l'univers (comme le Dieu de Spinoza, cf. texte E2), ce qui est absurde. Il reste donc la deuxième possibilité : pour Rousseau, la liberté humaine n'est pas l'indépendance mais une certaine forme de dépendance : la dépendance à l'égard de l'"intérêt général".
L'"intérêt général" est donc l'intérêt non pas de chacun, ni même de tous, mais de la structure qui empêche les hommes d'être victimes de l'intérêt particulier et donc de la dépendance particulière. C'est pourquoi Rousseau écrit qu'il n'y a "de liberté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a le droit d’opposer de la résistance". "Nul n'a le droit ..." et non pas "la force ...". La structure qui nous préserve de la dépendance particulière, qui nous protège des rapports de force, est donc, pour Rousseau, le droit, la justice, autrement dit la loi comme "expression de la volonté générale" (et non de la volonté particulière), ainsi que le proclame l'art.6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. "Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction" : pour qu'il y ait liberté, il faut donc qu'il y ait, non pas indépendance de chacun, mais dépendance de tous à l'égard de l'intérêt général, autrement dit de l'intérêt de la loi, seul rempart contre la tyrannie des intérêts particuliers. Le seul rapport de force qui soit compatible avec la liberté est donc cette soumission à l'intérêt général, cette soumission à la force de la loi que Rousseau assimile à l'État. Toute dépendance vis-à-vis d'autrui est dépendance à l'égard d'un intérêt particulier, toute dépendance à l'égard de l'intérêt général est dépendance vis-à-vis de l'État. Et c'est cette forme de dépendance qui, pour Rousseau, garantit notre liberté.

3 - L'égalité est-elle synonyme d'uniformité ?
Certainement pas. Il est facile de déduire de ce que nous avons dit dans la question précédente que l'égalité dont parle Rousseau est une égalité de tous les citoyens devant la loi : "il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois". Pour qu'il y ait liberté il faut qu'il y ait des lois qui expriment l'intérêt général, avons-nous dit. Oui mais cette condition n'est pas suffisante. Encore faut-il que personne ne soit "au-dessus" des lois. Car alors (il suffirait qu'un seul individu le soit), on recréerait de la dépendance particulière et "toute dépendance particulière est autant de force ôtée au corps de l’État", donc autant de force en moins pour la loi. Toute dépendance particulière, tout intérêt particulier affaiblit la loi. C'est évidemment en ce sens que "la liberté ne peut subsister sans [l'égalité]", que l'égalité est la condition de possibilité de la liberté entendue comme absence de dépendance particulière.
Dès lors, on ne voit pas très bien pourquoi l'égalité selon Rousseau devrait être synonyme d'uniformité comme le lui reprochent les libéraux. Pour eux, en effet, l'égalité est une contrainte insupportable qui nie les singularités individuelles et donc, in fine, qui nie la liberté elle-même. Pour les libéraux, donc, liberté et égalité sont contradictoires, raison pour laquelle ils prônent une intervention minimale de l'État et de la loi : il s'agit de ne pas uniformiser les conditions sociales et donc entraver la liberté individuelle d'être soi-même en faisant, éventuellement, reconnaître et valoir ses propres talents en termes de puissance et de richesse. Or, nous dit Rousseau, "à l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes". L'égalité vue par Rousseau est une égalité non pas matérielle (en termes de biens possédés) mais formelle (en termes de principes à respecter). Marx (cf. texte C3) et les marxistes vont d'ailleurs considérablement le critiquer sur ce point. Et ce principe absolu à respecter, pour Rousseau, c'est la loi comme expression de l'intérêt général. Est-ce à dire que le respect de ce principe n'entraîne aucune conséquence matérielle sur la vie des gens ? Est-ce à dire que l'égalité formelle peut s'accommoder de n'importe quelle inégalité matérielle ? Ce serait quand même bizarre de la part d'un auteur qui, dans l'Essai sur l'Origine de l'Inégalité parmi les Hommes, situe l'origine de l'inégalité, des rapports de force et des dépendances particulières qui s'ensuivent précisément dans l'apparition de la propriété privée ! C'est pourquoi Rousseau précise que la loi que tous doivent également respecter doit être telle que "quant à la puissance, elle soit au-dessus de toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois, et, quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre". Bref, comme le proclame, encore une fois, la Déclaration des Droits de l'Homme (que Rousseau a fortement inspirée) dans son art.1 "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune". Voilà qui résume tout à fait la position de Rousseau : priorité à la liberté, ce qui suppose égalité en droit (égalité à l'égard de la loi), mais possibilité de distinctions sociales (de puissance et de richesse) dès lors que celles-ci sont nécessaires à la société tout entière (et non à un ou quelques-uns seulement). Car il est évident que les société humaines (surtout les sociétés modernes) gagnent à être diversifiées. Oui mais, corrige immédiatement Rousseau, jusqu'à un certain point seulement, sous peine de recréer de la dépendance particulière : en matière de puissance, celle-ci réapparaîtrait si elle ne s'établissait pas "au-dessus de toute violence" et si elle ne s'exerçait pas "qu’en vertu du rang et des lois", bref, si les différences de puissance entre les individus n'étaient pas, strictement, ceux qui sont prévus et autorisés par la loi ; en matière de richesse, on réintroduirait la dépendance particulière si les plus pauvres devaient se vendre aux plus riches pour subsister et si les plus riches étaient tentés d'acheter les plus pauvres pour les mettre à leur service (on pense à l'esclavage, à la prostitution, mais aussi ... au salariat, cf. texte E1), aussi importe-t-il que "que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre".

4 - Expliquer : "Cette égalité, disent-ils, est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique. Mais si l’a­bus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le régler ? C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir."
Malgré toutes les précautions prises par Rousseau pour montrer que l'égalité n'est pas l'uniformité sociale mais est compatible avec un certain degré de distinction sociale, l'auteur sait qu'on va lui faire une dernière objection : "cette égalité, disent-[mes détracteurs], est une chimère de spéculation qui ne peut exister dans la pratique". Et pourquoi lui ferait-on cette objection ? Eh bien parce que sa conception de l'égalité "suppose, du côté des grands, modérations de biens et de crédit, et, du côté des petits, modération d’avarice et de convoitise" et que l'histoire montre bien que ce type de modération n'est pas la qualité première du plus grand nombre. De sorte que, quel que soit le niveau de perfection d'un système législatif à un moment donné, la tendance, de la part des uns comme des autres, à abuser de la situation est inévitable. Oui, et alors ? "Si l’a­bus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le régler ?". Il est ridicule de reprocher à la loi son inefficacité potentielle au prétexte que les hommes ne sont pas assez vertueux pour respecter perpétuellement une loi car, précisément, c'est parce que les hommes ne sont pas souvent ni suffisamment vertueux que la loi existe. La force de la loi, la seule force à laquelle Rousseau nous reconnaît le droit de nous soumettre, ne réside pas dans sa perfection mais dans sa relativité, dans sa souplesse, dans son obstination : "c’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir".

Dissertation : qu'attendons-nous pour être heureux ?




Marx : on attend que le progrès technique fasse le bonheur de tous et non des seuls capitalistes (E1).
Marx est le premier à faire remarquer (milieu du XIX° siècle, soit un siècle après la première révolution industrielle) que la fonction du progrès technologique n'est pas le bonheur mais l'augmentation de la productivité du travail : s'il faut douze heures (une journée de travail) pour fabriquer une unité d'un produit p à l'instant t avec des outils traditionnels, il n'en faudra, mettons, plus que quatre à l'instant t' avec l'aide d'une machine. De sorte que le rapport quantité produite sur durée nécessaire à la fabrication sera passé de 1/12 à 1/4 : on dira que la productivité du travail a triplé. Mais alors, c'est comme si, à l'instant t, avant l'introduction de la machine, l'ouvrier qui fabrique le produit p avait travaillé non pas 10 heures mais ... 30 heures, ce qui est évidemment impossible en une journée de travail. On voit par là que l'introduction du progrès technique permet d'abolir les limites naturelles du travail humain en lui faisant produire infiniment plus. Or, dans le système économique capitaliste, qui donne naissance à la révolution industrielle et dont Marx est le premier critique, produire plus implique vendre plus, et vendre plus implique que les capitalistes font plus de profits. Donc, à première vue, le progrès technique est surtout destiné à faire le bonheur de ceux qui sont suffisamment riches pour à acheter du capital (des moyens de production) pour la somme S et de le revendre pour la somme S' > S après survalorisation par la qualité du travail humain. Cela dit, on pourrait croire que, dans la mesure où c'est toujours le travail humain qui produit (à la fois en amont et en aval de la machine) le travailleur bénéficie lui aussi, après tout, des progrès techniques destinés à augmenter la productivité de son travail. Car, en effet, le travail à la machine apparaît comme plus facile, puisque les plus gros travaux physiquement pénibles sont désormais assumés par la machine. Mais il faut y regarder de plus près. D'une part, la facilité apparente du travail à la machine est une conséquence de sa déqualification : on fait moins d'effort, les gestes exigent moins de concentration, moins d'habileté. Or, le capitaliste ayant moins besoin de travailleurs qualifiés, il leur préférera des femmes, des enfants, des immigrés, etc., qu'il paiera moins cher, et d'autant moins cher que les travailleurs qualifiés, réduits au chômage, seront prêts à accepter n'importe quel salaire pour retrouver un emploi. Le travailleur se transformera ainsi progressivement en prolétaire, c'est-à-dire en individu qui n'a plus rien qui lui appartient, sauf sa force de travail. D'autre part, cette facilité n'est qu'apparente et non réelle. Appelons SV la survaleur (S' - S), c le capital constant (le coût des machines, des matières premières, des bâtiments, etc) et v le capital variable (le coût de la main d'oeuvre qui fait "varier" la valeur de l'ensemble). Or, maximiser la survaleur relative SV / (c + v), cela revient à maximiser [SV:v] / ([c:v] + [v:v]). Mais [c:v] ne peut qu'augmenter sous l'effet de la compétition économique qui pousse tous les capitalistes à investir dans des moyens de production de plus en plus modernes, et [v:v] est constant (= 1). Dès lors, pour maximiser SV / (c + v), le capitaliste n'a pas d'autre choix que d'intensifier [SV:v], c'est-à-dire d'exiger du travailleur de produire le maximum de survaleur. Ce qui, dans les faits, signifie que, dans le capitalisme, sous l'effet du progrès technique, les conditions de travail du travailleur prolétaire ne peuvent que se détériorer jusqu'à la misère.

Spinoza : on attend d'éprouver de la joie qui est l'indice d'une augmentation de notre liberté (E2).
Pour Spinoza, les hommes ont tendance à s'imaginer qu'ils sont libres chaque fois qu'ils éprouvent un désir et qu'ils se rendent compte qu'aucun obstacle ne vient s'interposer entre leur désir et sa satisfaction. Par exemple, j'éprouve le désir de boire un Coca-Cola ; je vois une canette de Coca-Cola sur la table ; si j'ai l'impression que rien ni personne ne s'oppose à ce que je m'empare de cette canette, que je la décapsule et que je la boive, alors je dirai probablement: "je suis libre de boire cette canette de Coca-Cola". Illusion que tout cela, dit Spinoza. Parce que, si je suis conscient de mon désir de boire ce Coca-Cola, ne revanche, j'ignore les causes qui me poussent à désirer boire du Coca-Cola (par exemple, la publicité, ou la mode, etc.). D'une manière générale tout corps (donc, en particulier, le corps humain) est environné d'une multitude d'autres corps qui exercent une influence sur lui. C'est la règle du déterminisme qui affirme qu'aucun corps ne peut être réellement libre. En fait, le seul corps qui échappe à cette règle, c'est la Nature toute entière, c'est-à-dire l'Univers, l'ensemble de tout ce qui a existé, existe et existera, et que Spinoza appelle aussi Dieu. En effet, Dieu, le Tout donc, n'est, par définition environné par rien, il est seul, rien ne vient l'influencer. En ce sens, pour Spinoza, Dieu ou la Nature est donc le seul être vraiment et totalement libre. On pourrait croire alors que, si notre corps n'est jamais libre en tant qu'il est environné et influencé par une infinité d'autres corps, en revanche notre esprit peut se détacher du déterminisme qui pèse sur les corps (c'est, par exemple, la thèse de Descartes). Le problème, fait remarquer Spinoza, c'est que l'esprit et le corps sont une seule et même chose considérée de deux manières (sous deux attributs) différents. Par exemple, si je parle de la taille, de la couleur des cheveux, du mouvement, etc. de mon ami Pierre, je le considère comme un corps. Tandis que si je m'intéresse à ses idées, à ses regrets, à ses rêves, etc., je le considère comme un esprit. Mais c'est toujours de mon ami Pierre qu'il s'agit. Il en résulte que, si le corps est déterminé et non pas libre, alors l'esprit l'est aussi. Cependant, ajoute Spinoza, si notre corps (ou notre esprit) ne sera jamais absolument libre (sinon il serait Dieu !), notre corps (ou notre esprit) peut être plus libre lorsqu'il comprend d'autres corps (ou d'autres idées) qui augmentent sa puissance d'agir (ou de penser). En reprenant l'exemple du Coca-Cola, supposons que mon corps entre en relation avec un livre qui décrit le mécanisme de la publicité (rappelez-vous ce que disait le PDG de TF1 en 2004 : "la fonction de la télévision est de vendre du temps de cerveau disponible à Coca-Cola"), parallèlement, mon esprit entrera en relation avec les idées véhiculées par la publicité (les idées de manipulation, de supercherie, d'exploitation, etc.). Dans un cas comme dans l'autre, mon corps comprendra un autre corps (le livre), c'est-à-dire que mon esprit comprendra de nouvelles idées. Résultat, je serai plus fort pour résister à l'impact de la publicité. Je ne serai pas complètement libre, bien sûr, mais je serai plus libre. Or, précise Spinoza, l'accroissement de la puissance d'agir du corps, ou bien, ce qui revient au même, de la puissance de penser de l'esprit, bref, l'accroissement de la liberté, s'accompagne toujours d'un sentiment de joie. Et vice versa, la diminution de la puissance d'agir du corps ou de penser de l'esprit s'accompagne d'un sentiment de tristesse. Or, comme tout être vivant a tendance à s'affaiblir naturellement sous l'effet des causes extérieures qui l'agressent et le conduisent vers la mort, on peut dire que tout être humain, livré à lui-même, est naturellement triste car de plus en plus dépendant à l'égard de l'extérieur. Sauf s'il parvient, momentanément, à accroître sa puissance d'agir en comprenant de nouveaux corps ou de penser en comprenant de nouvelles idées. Auquel cas, il éprouve de la joie qui est l'indice d'une plus grande liberté.

Rousseau : on attend que la loi maintienne les inévitables différences individuelles dans des limites compatibles avec l'égalité (E3).
Le plus grand bien de tous, nous dit Rousseau, c'est la liberté. Autrement dit, on ne peut en aucun cas être heureux sans être libre. En ce sens, Rousseau rejoint donc Spinoza. Et il le rejoint d'autant plus qu'il fait le même raisonnement que lui : si je fais ce qui me plaît, il y a de fortes chances pour que cela nuise à quelqu'un ou à quelque chose. S'il me plaît de fumer, par exemple, comment puis-je être certain ne point nuire à quelque partie de la nature ? Pour répondre positivement, il faudrait que je fusse seul dans l'univers, bref, que je fusse Dieu au sens de Spinoza. Donc, puisque faire ce qui me plaît est potentiellement nocif pour autrui, je ne suis pas libre de faire ce qui me plaît parce que je m'expose toujours à une réaction de la part de la partie de la nature lésée par mon comportement. Dès lors, de deux choses l'une : ou bien la liberté est impossible au motif que nul n'est indépendant de son environnement (c'est ce que dit Spinoza), ou bien la liberté ne consiste pas dans l'indépendance. C'est cette dernière option qui est celle de Rousseau : être libre, c'est, paradoxalement, accepter une certaine forme de dépendance. Certes, pas une dépendance particulière : si je suis dépendant du caprice d'autrui, je suis esclave ou prisonnier, mais je ne suis pas libre. Donc, si être libre, c'est accepter une certaine forme de dépendance, alors, ce ne peut être qu'une dépendance non pas à l'égard d'un intérêt particulier ou d'une volonté particulière, mais à l'égard d'un intérêt général ou d'une volonté générale dont l'expression est la loi : "la loi est l'expression de la volonté générale." (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, art.6). Or, le problème qui se pose immédiatement, c'est que cette forme de liberté comme dépendance à l'égard de la volonté générale ou de l'intérêt général suppose une condition de possibilité : il faut que nul ne soit au dessus des lois. Autrement dit, l'égalité est la condition de possibilité de la liberté. Mais quelle égalité ? Faut-il entendre par là une uniformité sociale, une absence totale de différence entre les citoyens ? Pas nécessairement, répond Rousseau. Il suffit, pour que l'égalité, et donc la liberté, soient assurés, bref, pour que le bonheur soit possible, que les différences entre les individus soient maintenues dans certaines limites. Du point de vue du statut social, nous dit Rousseau, il suffit que les différences ne soient pas dues à des rapports de force, mais soient justifiées par le seul mérite individuel : "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune." (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, art.1). Par exemple, si A est un patient et B un médecin, A et B seront néanmoins réputés égaux malgré la différence de statut social qui donne à B, mais non à A, le pouvoir de prescrire, si et seulement si le pouvoir supérieur de B à l'égard de A n'est justifié que par le mérite de B constaté et sanctionné par la loi sur la base d'une réelle égalité des chances entre A et B. Du point de vue du statut économique, on peut faire le même raisonnement : bien que A soit plus riche que B, néanmoins l'un et l'autre seront tenus pour égaux à condition que A ne soit pas assez riche pour acheter B ou, ce qui revient au même, B assez pauvre pour se vendre à A : "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité." (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, art.17). Ce qui exclut, de fait, les situations où B un(e) esclave, ou bien B est un(e) prostitué(e), ou encore ... B est un(e) travailleur(se) prolétaire. Au moins pour cette dernière raison, il n'est pas sûr que, si Rousseau vivait aujourd'hui, il dirait que nous sommes plus prêt du bonheur qu'à son époque. Pour autant, Rousseau ne se découragerait pas. Il dirait qu'il appartient à la loi de tenter inlassablement d'établir une égalité qui se dérobe en raison des tentations inégalitaires qui se présentent nécessairement aux hommes dès qu'ils sont en société.


Je choisis l'ordre suivant (ce n'est qu'un exemple, il y a d'autres choix possibles)
- 1° Spinoza
- 2° Marx
- 3° Rousseau



Qu'attend-on pour être heureux ? (question sujet)
À première vue, n'attend-on pas d'être plus libre pour être heureux ? Or la liberté et le bonheur des uns ne font-ils pas l'esclavage et le malheur des autres ? Donc, pour être heureux, finalement, n'attendons-nous pas d'être égaux ? (problématique)
Nous allons voir que, à première vue, pour être heureux nous attendons d'éprouver de la joie qui est l'indice d'une augmentation de notre liberté. Le problème, c'est que, en système capitaliste, la liberté et le bonheur des capitalistes entraîne nécessairement la misère des travailleurs prolétaires. Donc, ce qu'on attend pour être heureux, c'est que la loi maintienne les inévitables différences individuelles dans des limites compatibles avec l'égalité. (annonce du plan)



I - À première vue, pour être heureux nous attendons d'éprouver de la joie qui est l'indice d'une augmentation de notre liberté. (jereprends ici l'annonce de la première partie dans l'introduction)

Supposons que j'éprouve le désir de boire un Coca-Cola ; je vois une canette de Coca-Cola sur la table ; si j'ai l'impression que rien ni personne ne s'oppose à ce que je m'empare de cette canette, que je la décapsule et que je la boive, alors je dirai probablement: "je suis libre de boire cette canette de Coca-Cola". Et d'une manière générale, les hommes ont tendance à s'imaginer qu'ils sont libres chaque fois qu'ils éprouvent un désir et qu'ils se rendent compte qu'aucun obstacle ne vient s'interposer entre leur désir et sa satisfaction. (amorce1° partie)

Illusion que tout cela, dit Spinoza. Parce que, si je suis conscient de mon désir de boire ce Coca-Cola, en revanche, j'ignore les causes qui me poussent à désirer boire du Coca-Cola (par exemple, la publicité, ou la mode, etc.). Bref, « les hommes se croient libres parce qu'ils ont conscience de leurs désirs et qu'ils ne pensent pas aux causes qui les disposent à désirer, parce qu'ils les ignorent. »(Spinoza, Éthique). En effet, tout corps (donc, en particulier, tout corps humain) est environné d'une multitude d'autres corps qui exercent une influence sur lui. C'est la règle du déterminisme qui affirme qu'aucun corps ne peut être réellement libre car aucun corps n'est réellement indépendant des autres corps. En fait, le seul corps qui échappe à cette règle, c'est la Nature toute entière, c'est-à-dire l'Univers, l'ensemble de tout ce qui a existé, existe et existera, et que Spinoza appelle aussi Dieu : «  la puissance qui permet aux choses singulières de conserver leur être, est la puis­sance même de Dieu, c’est-à-dire de la Nature. »(Spinoza, Éthique). En effet, Dieu, le Tout donc, n'est, par définition environné par rien, il est seul, rien ne vient l'influencer. En ce sens, pour Spinoza, Dieu ou la Nature est donc le seul être vraiment et totalement libre.

On pourrait croire alors que, si notre corps n'est jamais libre en tant qu'il est environné et influencé par une infinité d'autres corps, en revanche notre esprit peut se libérer du déterminisme qui pèse sur notre corps (c'est, par exemple, la thèse de Descartes). Le problème, fait remarquer Spinoza, c'est que l'esprit et le corps sont une seule et même chose considérée de deux manières (sous deux attributs) différents : « l'esprit et le corps sont une seule et même chose conçue tantôt sous l'attribut de la pensée, tantôt sous l'attribut de l'étendue. Ni le corps ne peut déterminer l'esprit à penser ni l'esprit ne peut déterminer le corps au mouvement ou au repos. »(Spinoza, Éthique). Par exemple, si je parle de la taille, de la couleur des cheveux, du mouvement, etc. de mon ami Pierre, je le considère comme un corps. Tandis que si je m'intéresse à ses idées, à ses regrets, à ses rêves, etc., je le considère comme un esprit. Mais c'est toujours de mon ami Pierre qu'il s'agit. Il en résulte que, si le corps est déterminé et non pas libre, alors l'esprit l'est aussi.

Cependant, ajoute Spinoza, si notre corps (ou notre esprit) ne sera jamais absolument libre (sinon il serait Dieu !), notre corps (ou notre esprit) peut être plus libre lorsqu'il comprend d'autres corps (ou d'autres idées) qui augmentent sa puissance d'agir (ou de penser). En reprenant l'exemple du Coca-Cola, supposons que mon corps entre en relation avec un livre qui décrit le mécanisme de la publicité (rappelez-vous ce que disait le PDG de TF1 en 2004 : "la fonction de la télévision est de vendre du temps de cerveau disponible à Coca-Cola"), parallèlement, mon esprit entrera en relation avec les idées véhiculées par la publicité (les idées de manipulation, de supercherie, d'exploitation, etc.). Dans un cas comme dans l'autre, mon corps comprendra un autre corps (le livre), c'est-à-dire que mon esprit comprendra de nouvelles idées. Résultat, je serai plus fort pour résister à l'impact de la publicité. Je ne serai pas absolument libre, bien sûr, mais je serai plus libre, car « de ce qui augmente ou diminue, aide ou contrarie la puissance d'agir de notre corps, l'idée augmente ou diminue, aide ou contrarie la puissance de penser de notre esprit. »(Spinoza, Éthique).

Or, précise Spinoza, l'accroissement de la puissance d'agir du corps, ou bien, ce qui revient au même, de la puissance de penser de l'esprit, bref, l'accroissement de la liberté, s'accompagne toujours d'un sentiment de joie. Et vice versa, la diminution de la puissance d'agir du corps ou de penser de l'esprit s'accompagne d'un sentiment de tristesse : « plus nous sommes affectés d'une plus grande joie, plus nous passons à une perfection plus grande, c'est-à-dire plus nous participons de la nature divine : [...] plus nous comprenons de choses singulières, plus nous comprenons [...] cet être éternel et infini que nous appelons Dieu ou la Nature. »(Spinoza, Éthique). Et comme tout être vivant a tendance à s'affaiblir naturellement sous l'effet des causes extérieures qui l'agressent et le conduisent vers la mort, on peut dire que tout être humain, livré à lui-même, est naturellement triste car de plus en plus dépendant à l'égard de l'extérieur. Sauf s'il parvient, momentanément, à accroître sa puissance d'agir en comprenant de nouveaux corps ou de penser en comprenant de nouvelles idées. Auquel cas, il éprouve de la joie qui est l'indice d'une plus grande liberté. (argumentsprincipaux et secondaires de la 1° partie)

Donc, pour Spinoza, ce que nous attendons pour être heureux, c'est de nous trouver dans des situations qui accroissent notre puis­sance d'être et donc qui, par là-même, nous font éprouver de la joie en réduisant notre dépendance à l'égard des causes extérieures. (bilande la 1° partie)

Est-ce à dire qu'il suffirait de se procurer les moyens techniques d'accroître la puissance de notre corps pour être plus libre et donc plus heureux ? (transition)

II - Le problème, c'est que, en système capitaliste, la liberté et le bonheur des capitalistes entraîne nécessairement la misère des travailleurs prolétaires. (jereprends ici l'annonce de la deuxième partie)

On a tendance, en effet, à penser que le progrès technique, en repoussant les limites de la puissance humaine, va rendre la vie humaine plus facile, plus longue, donc plus heureuse. Spinoza aurait dit en effet que le progrès technique ne peut qu'accroître notre puissance d'être. Mais Spinoza, qui est un philosophe du XVII° siècle, n'a pas encore été témoin de la Révolution Industrielle et n'a donc pas pu encore évaluer son impact réel en termes d'accroissement de la puissance d'être et donc, en termes de joie. (j'annonce ici pourquoi Spinoza estcritiquable)

Marx est le premier à faire remarquer (milieu du XIX° siècle, soit un siècle après la première Révolution Industrielle) que la fonction du progrès technologique n'est pas le bonheur mais l'augmentation de la productivité du travail. Par exemple, s'il faut douze heures (une journée de travail) pour fabriquer une unité d'un produit p à l'instant t avec des outils traditionnels, il n'en faudra, mettons, plus que quatre à l'instant d'après t' avec l'aide d'une machine. De sorte que le rapport de la quantité produite sur la durée nécessaire à la fabrication sera passé de 1/12 à 1/4 : on dira que la productivité du travail a été multipliée par trois. Mais alors, c'est comme si, à l'instant t, avant l'introduction de la machine donc, l'ouvrier qui fabrique le produit p avait travaillé non pas 10 heures mais ... 30 heures (trois fois plus longtemps), ce qui est évidemment impossible en une journée de travail. Bref, « si la machine est le moyen le plus puissant d’accroître la productivité du travail, c’est-à-dire de raccourcir le temps nécessaire à la production des marchandises, elle devient, comme support du capital, dans les branches d’industries dont elle s’empare d’abord, le moyen le plus puissant de prolonger la journée de travail au-delà de toute limite naturelle. »(Marx, le Capital). On voit par là que l'introduction du progrès technique tend à abolir les limites naturelles du travail humain en lui faisant produire infiniment plus. Ce qui devrait, en bonne logique, contribuer à accroître la puissance d'agir, donc la liberté, donc le bonheur de tous les individus, par exemple en le faisant travailler moins dur et moins longtemps.

Mais, dans le système économique capitaliste, produire plus implique vendre plus, et vendre plus implique plus de profits pour les capitalistes. Car le propre du système capitaliste, c'est qu'on y produit non pas pour satisfaire les besoins économiques du plus grand nombre, mais les besoins financiers des possesseurs de capital. De sorte que le progrès technique est surtout destiné à faire le bonheur de ceux qui sont suffisamment riches pour à acheter du capital (des moyens de production) pour la somme S et de le revendre pour la somme S' > S après avoir fait donner une survaleur (S' – S) à ce capital par du travail humain qualifié. Cela dit, on pourrait croire que, dans la mesure où c'est toujours le travail humain qui produit (à la fois en amont et en aval de la machine) le travailleur bénéficie lui aussi, après tout, des retombées bénéfiques du progrès technique, même si celui-ci est destiné à augmenter les profits des capitalistes à travers l'augmentation de la productivité de son travail. En effet, le travail à la machine n'apparaît-il pas plus facile, puisque les plus gros travaux physiquement pénibles sont désormais assumés par la machine ?

Mais il faut y regarder de plus près. D'une part, la facilité apparente du travail fait directement baisser les salaires : on fait moins d'effort, les gestes exigent moins de concentration, moins de qualification. Or, le capitaliste ayant moins besoin de travailleurs qualifiés, il leur préférera des femmes, des enfants, des immigrés, etc., c'est-à-dire des travailleurs sans qualification qu'il paiera moins cher, et d'autant moins cher que les travailleurs qualifiés, réduits au chômage, seront eux-mêmes prêts à accepter n'importe quel salaire pour retrouver un emploi. Le travailleur se transformera ainsi progressivement en prolétaire, c'est-à-dire en individu qui n'a plus rien qui lui appartient en propre, sinon sa force de travail, comme les esclaves antiques ou médiévaux. Paradoxalement, le progrès technique produit donc de l'esclavage : « la facilité apparente du travail à la machine et l’élément plus maniable et plus docile des femmes et des enfants aident [le capitaliste] dans cette œuvre d’asservissement. »(Marx, le Capital).

D'autre part, cette facilité apparente fait indirectement baisser les salaires. Appelons SV la survaleur (S' - S), c le capital constant (le coût des machines, des matières premières, des bâtiments, etc) et v le capital variable (le coût de la main d'oeuvre qui fait "varier" la valeur de l'ensemble). Or, sous l'effet de la concurrence que se livrent les capitalistes entre eux, il n'est pas question pour eux de maximiser SV en valeur absolue (cela supposerait que chaque capitaliste est libre de fixer ses prix à sa guise), mais de maximiser SV en valeur relative, c'est-à-dire de maximiser SV / (c + v) (survaleur relative). Mais, maximiser SV / (c + v), cela revient à minimiser v, autrement dit le prix de la main d’œuvre (les salaires), puisque personne ne maîtrise SV en valeur absolue et puisque c ne peut qu'augmenter sous l'effet de l'innovation technologique rendue nécessaire par la concurrence. Bref, « la machine produit une survaleur relative, non seulement en dépréciant directe­ment la force de travail et en la rendant indirectement meilleur marché par la baisse de prix qu’elle occasionne dans les marchandises d’usage commun, mais en ce sens qu’elle transforme le travail employé par le possesseur de ma­chines en travail plus efficace. »(Marx, le Capital). Ce qui, dans les faits, signifie que, dans le capitalisme, sous l'effet du progrès technique, les conditions de travail et les conditions de vie du travailleur ne peuvent que se détériorer jusqu'à la misère. (argumentsprincipaux et secondaires de la 2° partie)

Il est clair que, pour Marx, ce que nous attendons pour être heureux, c'est soit d'être capitaliste en système capitaliste, soit de voir émerger un système économique beaucoup plus égalitaire que le système capitaliste. (bilande la 2° partie)

Donc, finalement, le problème que pose Marx ne pourrait-il pas être résolu en assurant les conditions d'une plus grande égalité qui éviterait que le bonheur des uns fasse le malheur des autres ? (transition)

III - Donc, ce qu'on attend pour être heureux, c'est que la loi maintienne les inévitables différences individuelles dans des limites compatibles avec l'égalité. (je reprends ici l'annonce de latroisième partie)

Comme le souligne Spinoza, il nous semble difficile d'être heureux sans augmenter notre liberté, puisque la joie est l'indice d'une diminution des contraintes qui pèsent sur nous. Cela dit, il s'avère que, en système capitaliste, la diminution des contraintes qui pèsent sur les plus riches est corrélative de l'augmentation des contraintes qui pèsent sur les plus pauvres. Donc, il semble bien que l'égalité soit la condition fondamentale d'un plus grand bonheur pour tous. (j'annonce icipourquoi Spinoza et Marx sont tous les deux critiquables)

Le plus grand bien de tous, nous dit en effet Rousseau, c'est la liberté. Autrement dit, on ne peut en aucun cas être heureux sans être libre. En ce sens, Rousseau rejoint donc Spinoza. Et il le rejoint d'autant plus qu'il fait le même raisonnement que lui : si je fais ce qui me plaît, il y a de fortes chances pour que cela nuise à quelqu'un ou à quelque chose. S'il me plaît de fumer, par exemple, comment puis-je être certain de ne point nuire, d'une manière ou d'une autre, à quelque partie de la nature ? Pour répondre positivement, il faudrait que je fusse certain d'être seul dans l'univers, bref, que je fusse Dieu au sens de Spinoza. Or je ne suis pas seul dans l'univers. Donc, faire ce qui me plaît est potentiellement nocif pour autrui, et alors je ne suis jamais libre de faire ce qui me plaît parce que je m'expose toujours à une réaction de la part de la partie de la nature lésée par mon comportement. Donc, ce n'est pas ainsi que je puis espérer être heureux.

Dès lors, pour Rousseau, de deux choses l'une : ou bien la liberté est impossible au motif que nul n'est indépendant de son environnement (c'est aussi ce que dit Spinoza), ou bien la liberté ne consiste pas dans l'indépendance. C'est cette dernière option qui est celle de Rousseau : être libre, c'est, paradoxalement, accepter une certaine forme de dépendance. Certes, pas une dépendance particulière : si je suis dépendant du caprice ou de l'arbitraire d'autrui, je suis esclave de son caprice ou prisonnier de son arbitraire, mais je ne suis pas libre. Donc, si être libre, c'est accepter une certaine forme de dépendance, alors, ce ne peut être qu'une dépendance non pas à l'égard d'un intérêt particulier ou d'une volonté particulière, mais à l'égard d'un intérêt général ou d'une volonté générale. Or « la loi est l'expression de la volonté générale. » (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, art.6). C'est-à-dire que la loi a vocation à exprimer cet intérêt général dont Rousseau dit que je dois dépendre pour être libre.

Sauf que cette forme de liberté comme dépendance à l'égard de la volonté générale ou de l'intérêt général suppose satisfaite une condition plus fondamentale : il faut que nul ne soit au dessus des lois : « je ne connais de liberté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a le droit d’opposer de la résistance [...]. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction [...]. Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois. »(Rousseau, Lettres écrites de la Montagne). Bref, l'égalité est la condition de possibilité de la liberté : « le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout système de législation, [...] se réduit à deux objets principaux, la liberté et l’égalité : la liberté [et] l’égalité parce que la liberté ne peut subsister sans elle. »(Rousseau, du Contrat Social). Mais quelle égalité ? Faut-il entendre par là une uniformité sociale, une absence totale de différence entre les citoyens ? Pas du tout, répond Rousseau. Il suffit, pour que l'égalité, et donc la liberté, soient assurés, bref, pour que le plus grand bien de tous soit possible, que les différences entre les individus soient maintenues dans certaines limites : « à l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes. »(Rousseau, du Contrat Social).

Du point de vue du statut social, nous dit Rousseau, il suffit que les différences ne soient pas dues à des rapports de force, mais soient justifiées par le seul mérite individuel : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, art.1), ou, comme le dit Rousseau, « que, quant à la puissance, elle soit au-dessus de toute violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois. »(Rousseau, du Contrat Social). Par exemple, si A est un patient et B un médecin, A et B seront néanmoins réputés égaux malgré la différence de statut social qui donne à B, mais non à A, le pouvoir de prescrire, si et seulement si le pouvoir supérieur de B à l'égard de A n'est justifié que par le mérite de B constaté et sanctionné par la loi sur la base d'une réelle égalité des chances entre A et B.

De même, du point de vue du statut économique, on peut faire un raisonnement similaire : bien que A soit plus riche que B, néanmoins l'un et l'autre seront tenus pour égaux à condition que A ne soit pas assez riche pour acheter B ou, ce qui revient au même, B assez pauvre pour se vendre à A : « quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. »(Rousseau, du Contrat Social). Ce qui exclut, de fait, les situations où B est un(e) esclave, ou bien B est un(e) prostitué(e), ou encore ... B est un(e) travailleur(se) salarié(e) dans le système capitaliste. Raison pour laquelle, si Rousseau avait connu le système capitalise, il n'y aurait certainement pas vu un progrès vers plus d'égalité, donc plus de liberté et donc aussi plus de bonheur pour tous. Pour autant, cette situation n'aurait pas découragé Rousseau. Il aurait probablement dit qu'il appartient précisément à la loi de tenter inlassablement d'établir une égalité qui se dérobe en raison des tentations inégalitaires qui se présentent nécessairement aux hommes dès qu'ils sont en société. Car, « si l’a­bus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le régler ? C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir. »(Rousseau, du Contrat Social). (argumentsprincipaux et secondaires de la 3° partie)

Finalement, du point de vue de Rousseau, nous attendons que la loi soit suffisamment efficace pour que les inévitables différences de statuts dans une société donnée soient maintenues dans des limites strictes afin que soit assurée l'égalité sans laquelle il n'est pas de liberté et donc de bonheur possibles. (bilan de la 3° partie)



Nous venons donc de voir que, pour être heureux, nous attendons apparemment d'être plus libres, car alors, nous éprouverions un sentiment de joie qui est la marque d'une diminution des contraintes qui pèsent sur nous. Toutefois, les moyens technologiques de réduire les contraintes qui pèsent sur nous font, en système capitaliste, le bonheur des capitalistes à travers l'augmentation de leurs profits, mais ils accroissent les contraintes et donc diminuent la liberté et le bonheur des travailleurs salariés. Il s'ensuit que, si l'on ne peut être heureux qu'en étant plus libre, alors il faut que les différences individuelles soient sévèrement encadrées par la loi afin qu'elles ne dégénèrent pas en inégalités génératrices de discriminations sociales et de conflits. (j'airésumé d'une phrase chaque partie de mon développement)

1 "Je ne connais de liberté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a le droit d’opposer de la résistance [...]. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction [...]. Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois."(Rousseau - Lettres écrites de la Montagne).