Suivant la loi de Boltzmann (seconde loi de la thermodynamique), tout système physique perd tendanciellement de l'énergie et se dirige inéluctablement vers sa mort thermique. En ce sens, tout système physique souffre d'entropie. Toutefois, dans la mesure où un système est thermodynamiquement ouvert, son entropie peut être compensée par des systèmes connexes, l'énergie perdue par les uns étant, pour partie, localement et momentanément récupérée par les autres. À cet égard, Francisco Varela définit le vivant comme un système thermodynamiquement ouvert mais cognitivement clos. Cela veut dire qu'un système est vivant si et seulement si les structures physiques dont il est constitué s'organisent intentionnellement pour faire circuler entre elles de l'information chimique sur l'état énergétique de l'organisation et tenter, autant que possible, de maintenir celle-ci invariante. Cette "clôture cognitive du système", Varela l'appelle le Soi. Dès lors, si tout système physique souffre (d'entropie), tout système physique vivant souffre et perçoit qu'il souffre. Cette souffrance est donc une souffrance DU SOI. Si, maintenant, on s'intéresse aux organisations vivantes dotées de conscience et de langage que sont les entités humaines, on est obligé d'admettre que leur Soi cognitif (perceptif), en tant qu'il est conscient, non seulement souffre et perçoit qu'il souffre mais, de plus, est conscient de percevoir qu’il souffre. La souffrance DU SOI devient alors souffrance PAR SOI, en l'occurrence, par le fait de posséder un Soi cognitif conscient qui permet aux humains, certes, d'examiner les causes de souffrance pour tenter de les résoudre, mais aussi de représenter leur propre souffrance et donc de l'augmenter et de la prolonger. Et d’autant plus qu’un tel Soi cognitif conscient ne se rend pas toujours compte qu’il s’accroche désespérément à l’illusion d’une invariance in fine toujours vaincue par l’entropie. C’est alors que la souffrance infligée PAR certains SOI conscients à d'autres Soi, conscients ou non, dégénère en massacre et en destruction. La question est donc clairement de savoir si l’idée d’un Soi conscient en particulier et celle d’un Soi en général ne sont pas de funestes illusions. Mais, si tel était le cas, quel serait alors le sujet de la souffrance, le sujet de l’illusion ? Nous verrons qu’à ces questions des doctrines de salut (sotériologies) telles que la philosophie, le Yoga, le Taoïsme ou le Bouddhisme apportent des réponses radicalement divergentes.