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jeudi 3 octobre 2002

N'Y A-T-IL DE SCIENCES QUE MATHEMATISEES ?

N'y a-t-il de sciences que mathématisées ? En effet, a première vue ne sont-ce pas les expériences plutôt que les mathématiques qui sont caractéristiques de la démarche scientifique ? De plus la polémique qui entoure la mathématisation des sciences de l’homme n’est-elle pas la preuve que le lien entre sciences et mathématiques n’est en rien nécessaire, même s’il s’est effectivement généralisé ?

I - Les expériences scientifiques sont guidées par des concepts construits a priori.

A - une science proprement dite [...] exige une partie pure sur laquelle se fonde la partie empirique et qui repose sur la connaissance a priori des choses de la nature.
On a tendance à croire que pour avoir la connaissance de quelque chose, il faut en avoir une image fidèle, c’est-à-dire qui s’accorde parfaitement avec la réalité. Or il y a là en effet l’idée que “l’image représente la réalité si et seulement si l’image ressemble à la réalité de manière appréciable”(Langages de l’Art, I, 1). Mais ce qu’un portrait représente par exemple, c’est forcément “l’un des aspects, l’une des manières d’être ou d’apparaître des objets, et pas n’importe laquelle”(Langages de l’Art, I, 2). Ce qui veut dire que l’auteur du portrait a déjà sélectionné un certain aspect de la réalité à représenter, et c’est seulement cet aspect pertinent que le spectateur pourra connaître, et encore, à condition de savoir “ce que l’image représente et la sorte de représentation qu’elle est”(Langages de l’Art, I, 6). Donc pour que A soit une image fidèle de B, encore faut-il savoir que A renvoie à B et que A représente B sous un certain aspect pertinent C. Par exemple, l’image radiographique (A) est celle du tibia du patient (B) et il le représente comme une fracture (C). Donc “ce que l’image doit avoir de commun avec la réalité pour la représenter [...] l’image ne peut le représenter mais le montre”(Tractatus, 2.17) : ce que l’on apprend à propos de la réalité (C) et qui est commun à l’image (A) et à la réalité (B) doit être déjà connu implicitement avant l’observation et reconnu à l’occasion de cette observation, car l’information pertinente C se montre sur A au milieu d’autres informations parasites. Cela dit, il est plus facile de montrer C sur A que sur B car “l’image est un modèle réduit de la réalité”(Tractatus, 2.12), il y a donc moins d’informations parasites. Or pour que “les éléments de l’image soient dans un rapport déterminé qui indique que les choses réelles sont entre elles dans le même rapport”(Tractatus, 2.15). Bref, pour faire un modèle réduit et informatif de la réalité, il faut sélectionner ce rapport déterminé à l’avance (C), il faut donc une “connaissance a priori des choses de la nature”, c’est-à-dire une connaissance préalable, ce que Kant appelle “une partie pure”, par opposition à “la partie empirique” qu’est l’observation proprement dite. En quoi consiste donc cette partie pure ou a priori ?

B - Or, connaître une chose a priori signifie la connaître d’après sa simple possibilité
Si une image ne nous fait pas connaître directement une réalité sur laquelle nous n’avons pas un savoir préalable, c’est que “des observations faites au hasard et sans aucun plan tracé d’avance ne se rassemblent pas en une loi nécessaire, ce que recherche pourtant la raison et dont elle a besoin”(Critique de la Raison Pure, III, 10). En effet, des observations sensibles faites au hasard n’aboutissent jamais à la formulation de lois, de “règles objectives en tant qu’elles sont nécessairement attachées à la connaissance de leur objet”(Critique de la Raison Pure, IV, 92). Or la nécessité n’est autre que “la connexion avec le réel déterminée suivant les conditions générales de l’expérience possible”(Critique de la Raison Pure, III, 186), conditions générales qui rendent possible une expérience, c’est-à-dire une vérification par confrontation de la représentation avec le réel. Donc ce qui fait des propositions scientifiques des lois, c’est qu’“elles ne sont que des déterminations particulières de lois plus élevées encore qui procèdent a priori de l’entendement même et ne sont pas empruntées à l’expérience”(Critique de la Raison Pure, III, 186), autrement dit elles sont déterminées par des principes communs à toute science, principes qui ne sont pas empruntés à l’expérience pour la bonne raison que ce sont eux qui guident l’expérience. Voilà pourquoi “la raison doit se présenter à la nature tenant d’une main ses principes, [...] et de l’autre les expériences qu’elle a conçues d’après ces mêmes principes”(Critique de la Raison Pure, III, 10). Ce qui veut dire que la connaissance scientifique prend nécessairement appui sur une fonction qui engendre des principes, c’est-à-dire des connaissances a priori qui sont les conditions de possibilité de toute expérience sensible. Cette faculté des principes, c’est la raison qui impose a priori à toute expérience sensible des conditions de possibilités universelles et nécessaires. Donc dans un premier temps, la formulation d’un nouveau concept, d’une nouvelle définition scientifique au sein d’une théorie n’indique que la possibilité de l’existence d’une chose : “ce qui s’accorde avec les conditions formelles de l’expérience est possible”(Critique de la Raison Pure, III, 185). Ces conditions formelles sont les règles universelles et nécessaires qui valident le concept scientifique, mais ne sont que les conditions de possibilité, et non d’existence réelle, de la chose désignée par le concept. Le concept scientifique a donc pour fonction de faire connaître quelque chose a priori, car “connaître une chose a priori c’est la connaître à partir de sa simple possibilité”. Et c’est pour vérifier la réalité de l’existence de la chose simplement possible d’après sa connaissance a priori qu’il va falloir procéder à une expérience. Comment vérifie-t-on que ce qui est possible a priori est bien réel a posteriori ?

C - ainsi, connaître la possibilité de choses naturelles déterminées [...] a priori, exige que l’intuition sensible correspondant au concept soit donnée a priori, c’est-à-dire que leur concept soit construit
En 1644 Torricelli s’étonne de l’impossibilité de puiser de l’eau à plus de 10 m de hauteur : la pompe est une sorte de seringue qui, lorsqu’on déplace le piston vers le haut, crée du vide qui se remplit d’eau à concurrence de 10 m de hauteur, après quoi, le vide n’est plus rempli. Ce qui est fort étonnant car “il est évident qu’il n’y a point d’espace dans l’univers qui soit vide”(Principes de la Philosophie, II, §16). Contre Descartes, il pense que l’air exerce une force qui pousse l’eau vers le vide jusqu’à ce que le poids de l’eau exerce en sens contraire une force égale à la première. Ce qui peut être considéré comme la définition d’une réalité possible : la pression de l’air. Pour savoir si celle-ci est bien réelle, il faudrait mesurer la force de l’air et le poids d’une colonne d’eau de 10 m. Comme c’est impossible, il décide de remplacer l’air ambiant par l’eau (773,4 fois plus dense) et l’eau dans la seringue par le mercure (13,6 fois plus dense). Or dans un récipient plein de mercure recouvert d’un certain volume d’eau de poids p1, la seringue ne peut aspirer le mercure que jusqu’à un certain point au-delà duquel le vide ne se remplit plus. On note alors que le poids p2 du mercure aspiré par la seringue est invariablement égal à p1. D’où l’on déduit que dans la réalité “la nature n’a aucune répugnance pour le vide, [...] et tous les effets qu’on a attribués à cette horreur procèdent de la pesanteur”(Traité du Vide), c’est-à-dire du poids de l’air. Mais avant d’arriver à une telle conclusion, il a fallu que Torricelli admette a priori : “si le poids du mercure dans la seringue est égal au poids de l’eau dans la cuve, alors, ce sera la preuve que, dans la réalité, le poids de la colonne d’eau aspirée est égal à la pression exercée par l’air”. C’est pourquoi il faut qu’une “intuition sensible correspondant au concept soit donnée a priori”, c’est-à-dire que l’expérimentateur scientifique anticipe la possibilité de percevoir tel ou tel phénomène. Cette possibilité s’exprime par une série d’hypothèses (si ... alors ...) qui vont constituer un modèle M où pour tout (x’,y’) appartenant à M, il existe (x,y) appartenant à R, tels que “si y’=g(x’) dans M” (hypothèse), “alors y=f(x) dans R” (déduction) : si dans le modèle le poids de l’eau est égal au poids du mercure puisé par la seringue, alors dans la réalité le poids de l’air sera égal au poids de l’eau puisé par la pompe. L’expérimentation va donc chercher à vérifier y’=g(x’) pour déduire y=f(x), c’est-à-dire affirmer la réalité du concept y. Donc “connaître la possibilité de choses naturelles déterminées a priori exige [...] que leur concept soit construit”, et non pas découvert par l’expérience. Or, construire un concept n’est-ce pas lui donner une forme mathématique ?

I - Apparemment, il n’y pas de science sans construction mathématique de concept.

A - or la connaissance rationnelle par la construction des concepts, c’est la mathématique
Seules toutes les choses où l’on étudie l’ordre et la mesure se rattachent à la mathématique, sans qu’il importe que cette mesure soit cherchée dans des nombres, des figures, des astres, des sons ou quelque autre objet”(Règles pour la Direction de l’Esprit, IV) : l’ordre c’est-à-dire les relations qui permettent d’établir a priori une hiérarchie entre les objets (p.ex. lorsqu’on dit que toute vitesse est nécessairement inférieure à la vitesse de la lumière), et la mesure c’est-à-dire les relations qui permettent d’établir a priori des classes d’objets équivalents (p.ex. lorsqu’on classe des objets d’après des mesures de longueur, de température, de masse, etc.). On doit donc dire que les mathématiques s’intéressent aux relations a priori entre objets plutôt qu’aux objets eux-mêmes, ce sont des moyens commodes pour ranger (par ordre) ou classer (par mesure) des objets réels, autrement dit d’établir des inéquations ou des équations. De sorte que “la géométrie n’est pas la connaissance des surfaces géométriques par opposition à une science physique qui traiterait des surfaces physiques [...] mais le rapport de la géométrie à la physique est celui de la possibilité à la réalité”(Grammaire Philosophique, §17) : la géométrie énonce les conditions de possibilité a priori de l’existence des objets physiques en général. Or “celui qui sait une proposition mathématique ne doit encore rien savoir, car la proposition mathématique ne peut fournir qu’une armature pour une description”(Remarques sur le Fondement des Mathématiques). Prenons comme exemple d’armature, le concept de cellulose tel que C6H12O6 = P(C ; O ; H), P étant la fonction de photosynthèse chlorophyllienne telle que C6H12O6 = 6H2O+6CO2-6O2. L’expérimentation de Mayer en 1845 consiste donc à vérifier que les composants élémentaires sont les mêmes à droite et à gauche du signe =. Bref, “l’essentiel de la méthode mathématique, c’est que l’on travaille sur des équations”(Tractatus, 6.2341). C’est donc dans l’équation (ou l’inéquation) que réside la découverte scientifique : avant Mayer, on ne savait pas que la substance végétale (cellulose) n’est rien d’autre que le résidu, lorsqu’on a isolé l’oxygène, d’une combinaison d’eau et de gaz carbonique rendue possible par la présence de chlorophylle et d’énergie solaire. Donc “l’équation ne fait connaître que le point de vue duquel on considère les deux expressions, à savoir l’égalité de leurs significations”(Tractatus, 6.2323), point de vue a priori qui, s’il est confirmé expérimentalement, deviendra une loi scientifique. C’est pourquoi apparemment “la connaissance rationnelle par la construction de concepts, c’est la mathématique”. En quoi cette connaissance est-elle rationnelle ?

B - en conséquence [...] une pure théorie de la nature concernant des choses déterminées de la nature n’est possible qu’au moyen de la mathématique
Toutes les révolutions scientifiques ont donc consisté en une nouvelle manière de considérer la réalité, qui tient tout entière dans l’équation y=F(x), et où y est le concept construit par application d’une fonction mathématique F. Il s’ensuit apparemment que “dans toute théorie de la nature il ne se rencontre de science proprement dite qu’autant qu’il s’y trouve de connaissance a priori, [...] que dans la mesure où la mathématique pourra s’y appliquer”(Critique de la Raison Pure, IV, 470). Sauf qu’il ne va pas de soi que la connaissance a priori ne puisse se trouver que dans les mathématiques. Car ce qu’il y a d’universel et de nécessaire (donc de rationnel) dans la formulation mathématisée, c’est qu’elle indique précisément à quelles conditions le possible devient réel. Mais cette rationalité, contrairement à ce croit Kant en pleine période des Lumières, ne concerne pas les prémisses de la démonstration. Par exemple le cinquième postulat d’Euclide selon lequel par un point extérieur à une droite ne passe qu’une seule parallèle à cette droite ne peut servir à décrire scientifiquement que des objets de notre espace quotidien. Lorsque nous disons qu’un objet possible a la forme d’une ligne droite, nous nous imposons de le voir comme “un levier qui ne peut pas plier, comme forgé dans un matériau infiniment dur”(Leçons sur l’Esthétique, II, 27). Mais si l’on s’intéresse aux espaces courbes qui contiennent les objets dont traite l’astrophysique un tel axiome n’est plus valable parce que les notions de ligne droite ou de matériau infiniment dur y sont contradictoires. Bref, “la géométrie est la grammaire des propositions qui traitent des objets dans l’espace”(Remarques Philosophiques, §178), c’est-à-dire l’ensemble des règles préalables auxquelles doit se conformer une connaissance rigoureuse des objets physiques, mais il n’y a pas de grammaire universelle et nécessaire, celle de l’espace euclidien à trois dimensions n’est pas celle d’un espace courbe à n dimensions. Dire que les principes mathématiques ne sont pas rationnels, cela implique-t-il que la construction a priori de concepts pourrait ne pas être mathématisée ?

C - par suite, tant qu’on n’aura pas trouvé de concept se rapportant aux actions chimiques des matières les unes sur les autres, qui puisse se construire, [...] la chimie ne saurait être qu’une pratique systématique ou une théorie empirique, mais jamais une science à proprement parler
Avant que J.Dalton construise en 1803 “un concept se rapportant aux actions chimiques des matières les unes sur les autres”, le concept d’eau tel que H2O = F(H ; O) = H2+O, la chimie n’est pas une science mais “une pratique systématique ou une théorie empirique”. Or une théorie empirique suppose à la fois le langage (théorie) et l’expérience (empirique). Sa dépendance à l’égard du langage tient à ce que “nous apprenons la plupart des choses, la plupart des traits caractéristiques du soi-disant monde extérieur par l’intermédiaire du langage”(le Domaine et le Langage de la Science, ii). Plus précisément, la fonction d’une théorie a toujours été d’importer a priori de l’ontologie dans le langage ordinaire en vertu du principe que “est réel ce que l’on admet comme valeur pour les variables de la théorie”(la Poursuite de la Vérité, §10), si pour tout x appartenant à D F(x)=y alors y existe bel et bien, (Neptune est réelle comme valeur de la fonction “objet qui perturbe l’orbite d’Uranus etc.”). Bref, “les objets physiques comme les dieux ne trouvent place dans notre conception que pour autant qu’ils sont culturellement postulés”(les deux Dogmes de l’Empirisme, vi), autrement dit ils n’ont de réalité que dans la mesure où ils voient leur existence justifiée par une théorie. Certes, cette justification théorique doit être confirmée expérimentalement, d’où dépendance de la théorie à l’égard de l’expérience. Mais “on peut, en cas d’expérience récalcitrante, soit modifier certains énoncés théoriques, soit préserver la vérité de la théorie en alléguant une hallucination”(two Dogmas ..., vi), c’est-à-dire la puissance de l’a priori est telle que non seulement il guide l’expérience, mais il demeure son juge en dernière instance. Même si la “théorie empirique” fait suite à une “pratique systématique”, c’est-à-dire propre à satisfaire des besoins sociaux, la théorie une fois culturellement assumée fournira les connaissances a priori qui, au moyen du langage ordinaire, inciteront à voir la réalité toujours sous le même aspect. Bref, si toute connaissance théorique est nécessairement a priori, en revanche il n’est pas nécessaire qu’elle soit mathématisée. Il faut donc admettre que “si le mythe des objets physiques est supérieur à celui des dieux de l’Olympe, c’est qu’il s’est révélé être un instrument plus efficace”(les deux Dogmes de l’Empirisme, vi) : la seule chose qui puisse expliquer la supériorité historique de la science mathématisée c’est qu’elle nous rend “comme maîtres et possesseurs de la nature”(Discours de la Méthode, vi). C’est-à-dire que si la science “n’est pas simplement un pouvoir de comparer des phénomènes mais une législation pour la nature”(Critique de la Raison Pure, IV, 93), alors elle trouve son prolongement dans la technologie qui n’est autre que l’application systématique des lois à une nature dont on entend se rendre maître : en fait, c’est la technique, pas la science, qui a un besoin impérieux des mathématiques. On voit alors l’utilité de mathématiser les sciences de l’homme : “la méthode scientifique, qui a permis une domination de la nature de plus en plus efficace, a fourni les concepts purs [...] qui ont favorisé une domination de l’homme par l’homme de plus en plus efficace, à travers la domination de la nature”(l’Homme Unidimensionnel, VI). Domination théorique d’abord à travers le prestige d’un discours scientifique qui, dans notre culture, est gage de pureté et de neutralité, et qui conditionne les classes dominées à se résigner à leur sort. Domination pratique ensuite à travers l’efficacité des applications technologiques “qui donnent plus de confort à la vie et qui augmentent la productivité du travail” (l’Homme Unidimensionnel, VI), bref qui poussent à consommer et à produire pour le plus grand profit de la classe dominante. Finalement, la mathématisation des sciences est moins une nécessité rationnelle qu’une volonté de domination de la nature, notamment de la nature humaine.

Conclusion.

L’activité scientifique se fonde sur une connaissance a priori qui nous indique la possibilité de l’existence d’une entité dont la réalité doit ensuite faire l’objet d’une confirmation expérimentale dans des conditions imposées elles aussi a priori. Or même si les mathématiques fournissent les règles a priori de construction de concepts scientifiques en formulant dans des équations des hypothèses sur la façon dont il faut voir la réalité, la mathématisation des sciences est historiquement contingente et socialement perverse.