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samedi 15 novembre 2003

LA PENSEE EST-ELLE UNE ACTIVITE MENTALE ?

La pensée est-elle une activité mentale ? L’activité de la pensée n’est-elle pas de celles qui sont entourées d’une mythologie fascinante ? Et si tel est le cas, n’est-ce pas fondamentalement un cas typique de confusion grammaticale ?

I – Si la pensée est une activité, ce n’est pas une activité mentale mais une activité physique.
 
a - il est donc trompeur de parler de la pensée comme d’une ‘activité mentale’ ; nous pouvons dire que la pensée est essentiellement l’activité qui consiste à opérer avec des signes : s’il est trompeur de parler de la pensée comme d’une activité mentale, c’est parce que nous ne pouvons nous empêcher de nous dire que c’est le nom d’un objet éthéré (le Cahier Bleu, 47). Ce qui a conduit à considérer par exemple que l’intelligence humaine a je ne sais quoi de divin (Règles pour la Direction de l’Esprit, IV). Or, cette tendance, qui est la véritable source de la métaphysique, conduit le philosophe en pleine obscurité (le Cahier Bleu, 18). Dès lors, si la philosophie est un combat contre la fascination que des formes d’expression exercent sur nous (le Cahier Bleu, 27), une manière de rompre l’envoûtement métaphysique consiste à se demander par exemple si la multiplication de deux nombres est produite par la pensée de la multiplication (Grammaire Philosophique, I, §66). Non car penser la multiplication et effectuer la multiplication ne font qu’un. En revanche, il est tout-à-fait possible de justifier le calcul en récitant une table de multiplication. On se rend compte alors que la pensée n’a servi qu’à justifier, c’est-à-dire à donner une raison du calcul. Et en effet, donner une raison, c’est exposer un calcul par lequel vous êtes arrivés à un résultat donné (le Cahier Bleu, 15). Donc dire que nous pensons ce que nous faisons ou disons, c’est dire que nous sommes capables de justifier nos actes ou nos paroles par référence à des règles. Or se justifier par une règle est du même genre que l’acte de dériver un résultat à partir d’une donnée, du même genre que le geste qui montre des signes placés sur un tableau (Grammaire Philosophique, I , §61). Bref, plutôt que de dire que la parole physique n’est là que pour faire entendre à ceux qui n’y peuvent pénétrer tout ce que nous concevons et tous les divers mouvements de notre âme (Grammaire Générale et Raisonnée, II, 1), c’est-à-dire rendre physique une mystérieuse activité mentale préalable, il vaut mieux dire que l’acte de penser comme son application se déroulent pas à pas comme un calcul (Grammaire Philosophique, I, §110). Il s’ensuit que, si la pensée est essentiellement l’activité qui consiste à opérer avec des signes, ce n’est pas parce que les hommes ont eu besoin de signes pour marquer tout ce qui se passe dans leur esprit (Grammaire Générale et Raisonnée, II, 1), mais parce que penser c’est donner une raison de ce qu’on a fait ou dit, montrer un chemin qui conduit à cette action (le Cahier Bleu, 14). Doit-on dire alors que ce qui nous permet de penser est cela même qui nous permet d’écrire ou de parler ?

b - cette activité est accomplie par la main quand nous pensons en écrivant, par la bouche et le larynx quand nous pensons en parlant, et si nous pensons en imaginant des signes ou des images, je ne peux vous indiquer aucun agent qui pense : pour les idéalistes, l’âme est l’agent de la pensée ; pour les psychologistes, c’est le psychisme privé ; enfin pour la psychanalyse, c’est l’inconscient. Ces conceptions ont en commun de croire qu’il y a des choses cachées, que nous voyons les choses de l’extérieur sans pouvoir en examiner l’intérieur (le Cahier Bleu, 6). Et en effet, même si l’on admet que penser n’est pas un processus incorporel que l’on puisse détacher du langage (Recherches Philosophiques, §339), penser et parler ne sont pas synonymes puisque parler est un acte réel, tandis que penser n’est qu’un acte virtuel, une simple disposition. Ce qui est confirmé par des expressions comme réfléchis avant de parler’, ‘il parle sans penser à ce qu’il dit’, ‘ce que j’ai dit n’exprimait pas tout-à-fait ma pensée’, ‘il dit une chose mais il pense exactement le contraire’, etc. (le Cahier Brun, II, 9), qui ont l’air d’indiquer un agent pensant, un producteur spécialisé dans la disposition à se justifier, de même qu’il en existe un pour l’écriture (la main) et un pour la parole (la bouche). Or supposons par exemple que vous vouliez apprendre à un enfant à faire une multiplication mentalement, vous lui demandez d’abord de parler à haute voix, puis de murmurer, et enfin de ne même plus murmurer (Leçons sur la Philosophie de la Psychologie). Auquel cas, si nous pensons en imaginant des signes ou des images, je ne peux vous indiquer aucun agent qui pense, car imaginer n’est pas une activité réelle : c’est une activité virtuelle dont la réalité sera les signes tracés ou les images montrées. Bref, dès lors que penser nous intéresse en tant que calcul et non pas en tant qu’activité métaphysique (Grammaire Philosophique, I, §111), se demander s’il existe un agent pensant métaphysique distinct de l’agent parlant ou de l’agent écrivant physiques, n’a plus de sens. Certes, les matérialistes prétendent identifier l’agent pensant au cerveau dont la pensée serait le produit de processus physiques, chimiques et physiologiques (le Cahier Bleu, 48). Or, bien que la réalité de tels processus ait été confirmée par les neuro-sciences, les processus internes qui accompagnent l’énonciation ou la compréhension ne nous intéressent pas (Grammaire Philosophique, I, 6), car ce n’est pas en observant et en décrivant scientifiquement le passage de l’influx nerveux dans nos neurones que nous justifions nos actes ou de nos paroles. Mais alors, que veut-on dire lorsqu’on dit que c’est l’esprit qui pense ?

II – Dire que c’est l’esprit qui pense, c’est faire usage d’un jeu de langage mentaliste.

a - si vous dites alors qu’en de tels cas c’est l’esprit qui pense, j’attirerai simplement votre attention sur le fait que vous utilisez une métaphore et que, ici, l’esprit est un agent en un sens différent de celui dans lequel on peut dire que la main est l’agent de l’écriture : soit P1 « ma main écrit » et P2 « mon esprit pense ». Supposons que je vérifie P1 en voyant dans un miroir ce que je crois être ma main mais qui, en réalité, est celle de quelqu’un d’autre. Bref, P1 implique la reconnaissance d’un agent particulier, il y a donc possibilité d’erreur (le Cahier Bleu, 67). En effet, ma main comme agent de l’écriture est supposée la cause objective de l’écriture c’est-à-dire un objet distinct de l’acte d’écrire. Et la proposition selon laquelle votre action a telle ou telle cause est une hypothèse (le Cahier Bleu, 15), elle est donc susceptible d’être infirmée par l’expérience. En revanche si l’on veut vérifier P2 il n’est pas question de reconnaître qui que ce soit, dans ce cas aucune erreur n’est possible (le Cahier Bleu, 67), car on ne peut imaginer de circonstances dans lesquelles je pourrais dire que, tout compte fait, ce n’est pas mon esprit mais celui d’un autre qui est en train de penser, et cela, comme le remarque Descartes, quand bien même tout ce que je pense serait faux ou illusoire. On comprend pourquoi seule la pensée ne peut être détachée de moi (Méditations Métaphysiques, II, §7) : toute erreur d’identification du ‘‘moi’’ qui pense est exclue par principe. De même que dire ‘j’ai mal’ n’est pas plus un énoncé à propos d’une personne que ne l’est le fait de gémir (le Cahier Bleu, 67), dire « je pense » ne décrit personne. Le ‘‘je’’ synonyme de ‘‘mon esprit’’ ne désigne pas une personne déterminée par ses caractéristiques physiques (le Cahier Bleu, 69). De même que « j’ai mal », « je pense » manifeste l’état typique d’un homme ou de ce qui lui ressemble (Recherches Philosophiques, §360). Dire « je pense qu’il va pleuvoir » est une autre manière de penser qu’il va pleuvoir, à la place, j’aurais pu prendre un parapluie. Tandis que dire « j’écris sur une feuille » n’est pas une autre manière d’écrire sur une feuille. On voit qu’il y a deux cas différents d’utilisation des mots ‘je’ ou ‘mon’ ou ‘moi’ : l’utilisation comme objet et l’utilisation comme sujet (le Cahier Bleu, 66). Le ‘‘je’’ de « j’écris » est un agent identifiable par des critères objectifs et la phrase décrit ce que fait une personne : elle trace des signes avec sa main. Tandis que dans le cas de « je pense », ce que je veux dire par ‘je’, c’est quelque chose que les autres ne peuventpas voir (le Cahier Bleu, 66) : la seule chose qu’ils peuvent voir, c’est le fait que je pense et non pas qu’une certaine personne fait quelque chose avec son esprit. Bref, le ‘‘je’’ sujet n’existe que comme sujet d’un verbe. Dès lors, dire que penser est une activité de notre esprit comme écrire est une activité de la main, c’est travestir la vérité (Grammaire Philosophique, I, §64). N’est-il pas absurde alors de localiser l’esprit dans la tête ?

b - la raison principale pour laquelle nous sommes si fortement enclins à parler de la tête comme du lieu de nos pensées est peut-être la suivante : l’existence des mots ‘penser’ et ‘pensée’ aux côtés des mots dénotant des activités (corporelles), tels que ‘écrire’, ‘parler’, etc., nous fait chercher une activité différente de celles-ci mais qui leur soit analogue et qui corresponde au mot ‘penser : dire que ma main est l’agent de l’acte d’écrire, c’est dire qu’elle en est la cause objective et mécanique, car nous cherchons une cause en essayant de repérer un mécanisme (Leçons sur l’Esthétique, II, §34), lequel se déroule nécessairement dans un espace physique. Donc, si je veux dire que ma pensée se réduit à l’acte de tracer des signes sur le papier, alors nous parlons du lieu où la pensée se déroule et nous sommes fondés à dire que ce lieu est le papier sur lequel nous écrivons (le Cahier Bleu, 7). Mais si je veux dire que ma pensée est indissociable de mon esprit, je n’énonce pas la cause mais la raison de ma pensée, la raison n’étant pas une explication conforme à une expérience, mais simplement une explication acceptée (Leçons sur l’Esthétique, II, §39). Auquel cas, mon esprit n’existe que dans le langage et non dans un lieu physique. Or il y a un préjugé mentaliste tenace selon lequel il existe des processus mentaux bien définis (le Cahier Bleu, 3) qui rendraient compte de l’acte de penser, lequel aurait lieu dans un milieu bien étrange, l’esprit (le Cahier Bleu, 3) : l’âme pour les idéalistes, le cerveau pour les matérialistes, le psychisme pour les psychologistes, l’inconscient pour les psychanalystes. Dans tous les formes de ce préjugé mentaliste, nous sommes fortement enclins à parler de la tête comme du lieu de nos pensées. Mais, là encore, si nous disons de la tête ou du cerveau qu’ils sont le lieu de la pensée, c’est en utilisant l’expression ‘lieu de la pensée’ en un sens différent (le Cahier Bleu, 7), à savoir, métaphoriquement, comme lieu non-localisable d’un espace non-physique pour un agent non-corporel. Cette métaphore montre notre fascination pour une activité spirituelle conçue sur le modèle des activités corporelles : la mécanique étant l’idéal des sciences, on imagine une psychologie ayant pour modèle une mécanique de l’âme (Leçons sur l’Esthétique, IV, 1). Ce qui nous fait chercher une activité différente de celles-ci mais qui leur soit analogue : nous dotons l’esprit de propriétés chimériques, à la fois métaphysiques et physiques, un mécanisme dont nous ne comprenons pas très bien la nature mais qui peut produire ce qu’aucun mécanisme corporel ne peut produire (le Cahier Bleu, 3). Comment expliquer la survivance d’une telle superstition ?

c - quand des mots de notre langage ordinaire ont à première vue des grammaires analogues, nous avons tendance à essayer de les interpréter de manière analogue ; c’est-à-dire que nous essayons de faire en sorte que l’analogie tienne jusqu’au bout : bien entendu, il n’y a pas aucun mal à dire que penser est un processus incorporel, mais à condition de distinguer la grammaire du mot ‘‘penser’’ de celle du mot ‘‘manger’’ par exemple (Recherches Philosophiques, I, §339). C’est une règle grammaticale que les verbes mentalistes comme ‘voir’, ‘croire’, ‘penser’, etc. ne dénotent pas des phénomènes (Fiches, §471), contrairement aux verbes physicalistes (“manger”, “écrire”, “parler”, etc.). Plus précisément, ce qui caractérise les verbes mentalistes, c’est que la troisième personne peut être vérifiée par l’observation, mais non la première (Fiches, §472) : c’est une règle implicite des jeux de langage mentalistes que celui qui dit « je pense p» ne puisse être contredit, puisque ‘‘penser’’ ne dénote aucun processus doté d’un agent causal objectivement identifiable. Tandis que celui qui dit « Marie pense » peut être contredit par la preuve que ce n’est pas Marie mais Annie qui dort ; de même, celui qui montre une photo en disant « là, c’est moi qui mange » peut constater que la photo est truquée et que c’est un autre qui mange. On pourrait donc dire que je suis une chose qui mange, ou que Marie est une chose qui pense, mais non que je suis, une chose qui pense (Méditations Métaphysiques, II, §9). Il est tout aussi faux qu’il n’y ait rien qui soit plus facile à connaître que mon esprit (Méditations Métaphysiques, II, 18), puisque la connaissance est corrélative de la possibilité de l’erreur. L’origine du problème est en ce que l’esprit peut être conçu comme une substance (5°Réponses, §548). Or un substantif nous pousse à chercher une chose qui lui corresponde (le Cahier Bleu, 1), car nous avons constamment à l’esprit la méthode scientifique (le Cahier Bleu, 18). Entre P1 et P2, nous avons tendance à croire qu’il doit y avoir quelque chose de commun à ces jeux de langage, alors qu’en fait ils appartiennent à une famille dont les membres ont simplement des ressemblances (le Cahier Bleu, 17). De même, les dames ressemblent aux échecs, mais leurs règles sont différentes. Et si nous essayons de faire en sorte que l’analogie tienne jusqu’au bout, c’est que l’un des deux jeux nous fascine au point d’imposer ses règles à un jeu qui lui ressemble et, ainsi, de le dénaturer. C’est alors que la nature de la pensée nous est sujet de perplexité.

Conclusion.

Le mystère qui a toujours entouré la nature de notre pensée, a conduit à forger la fiction d’une activité mentale autonome et donc à occulter l’indissociabilité de la pensée et du langage comme activité opérant sur des signes physiques. Cela dit, la fascination pour le “je” de « je pense » s’explique si on admet qu’il n’est qu’un sujet grammatical inséparable de son verbe, et non un agent incorporel, ce qui est le cas de tous les verbes mentalistes dont la spécificité est effacée par l’hégémonie de la grammaire physicaliste.