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lundi 19 juin 2006

QUINE ET LES GUILLEMETS.

Quine est un philosophe behavioriste. C'est-à-dire que, pour lui, nous sommes socialement disposés à associer des stimulations sensorielles et des comportements déterminés. En particulier des comportements linguistiques qui ne correspondent à rien de ce que les philosophes traditionnels (par exemple Descartes) nomment l'esprit, l'âme, l'intellect, etc.. Pour Quine, la signification n'existe pas dans le sens d'une sorte d'entité métaphysique, éthérée qui accompagnerait les expressions que l'on prononce. C'est pourquoi il parle au §8 de le Mot et la Chose de signification-stimulus : la signification d'une expression n'est autre que l'ensemble des stimulations sensorielles qui, dans un contexte social donné, commande telle ou telle réaction (par exemple l'assentiment par un hochement de tête).

L'un des problème essentiels qu'il pose dans cet ouvrage est celui de la traduction : que signifie traduire une expression par une autre ? Trouver des synonymes ? Oui mais la notion de synonymie présuppose celle de signification ("a" est synonyme de "b" si et seulement s'ils ont même signification). Donc, pour Quine, traduire "a" par "b", revient, pour un locuteur compétent (par exemple un linguiste qui veut faire un dictionnaire) à
admettre que "a" et "b" sont des émissions verbales commandées à peu près par le même ensemble de stimulations sensorielles. Cela dit, le linguiste qui, par exemple traduit "gavagai" par "lapin" (cf. le ch.II de son livre) ne sera jamais absolument sûr de cette synonymie-stimulus, car pour cela il faudrait que les deux expressions supposées synonymes fussent des phrases d'observation, autrement dit des expressions qui sont causées par un ensemble de stimulations dont on peut dresser un inventaire exhaustif (ce que, en logique ou en mathématique, on appelle un contexte extensionnel : par exemple l'ensemble de stimulations constitué par "2", "+", "3", "=" suffit à me faire produire la réaction "5"). Or rien ne dit que ce qui fait dire "gavagai" aux indigènes n'est pas une information sensorielle discrète (la "mouche de lapin" !) que le linguiste ne perçoit pas et qui pourtant est indissociable des informations sensorielles qui lui font dire "lapin".


 Ce phénomène, Quine l'appelle l'indétermination radicale de la traduction (cf. §16), ce qu'il illustre au §.9 par l'analogie de la pénombre du vague. On ne peut jamais être sûr que ce qui fait dire "rouge" à un individu soit exactement le même ensemble de stimulations visuelles que ce qui le fait dire à un autre individu (par exemple le daltonien s'arrête au feu rouge non parce qu'il a vu du rouge mais parce que c'est le spot supérieur qui est éclairé). Et l'origine de ce phénomène d'indétermination, c'est que les contextes de stimulations sensorielles ne sont pas toujours extensionnels. Ils le sont même très rarement (il n'y a peut-être que dans les sciences, et encore ...) : la plupart du temps, l'ensemble de stimulations qui déclenche l'émission d'une expression pour un individu donné dépend de l'histoire particulière de cet individu. Quine parle alors de contexte intensionnel (contraire d'extensionnel) : par exemple lorsque (dans la tragédie de Shakespeare) Othello croit que Desdémone aime Cassio, l'existence de cet amour est un pur fantasme qu'Othello est le seul à avoir en raison de sa jalousie maladive et de la félonie d'Iago. Supposons maintenant qu'Othello écrive dans son cahier intime non pas JE CROIS BIEN QUE DESDEMONE AIME CASSIO, mais JE CROIS BIEN QUE DESDEMONE <<AIME>> CASSIO. Il est clair que non seulement on ne peut pas décrire objectivement l'intention d'Othello en termes de liste exhaustive des stimulations sensorielles qui induisent Othello à employer le verbe aimer, mais on peut encore moins décrire l'intention qui explique cette connotation particulière accordée par Othello au verbe aimer. On a donc là affaire à une sorte d'intention au second degré, de seconde intention comme dit Quine au §10.

Ce qui est en jeu dans la notion de seconde intention, c'est le statut de la connotation dont est nimbée le terme mis entre guillemets pour signaler qu'on ne lui accorde pas son sens habituel. A la page 86 de le Mot et la Chose, Quine écrit la chose suivante : "les stimulations verbales peuvent troubler même les comparaisons intrasubjectives lorsqu'il s'agit de stimulations de <<seconde intention>>, celles qui, outre qu'elles consistent en mots, ont trait à des mots". Que veut dire Quine ?

 Dans l'idéal l'émission d'un énoncé devrait être un stimulus de nature à déterminer la même réaction (approbation, excitation, dégoût, etc.) chez tous les locuteurs qui ont été socialement conditionnés de la même façon : "le langage est un art social. Pour l'acquérir, nous dépendons entièrement d'indices accessibles intersubjectivement relativement à ce qu'il y a lieu de dire et au moment de le dire"(le Mot et la Chose, préface, p.21). Donc, dans l'idéal, tout devrait se passer comme lorsque des locuteurs compétents, voyant écrit le stimulus "2+3", produisent la réaction "=5". Dans ce cas, encore une fois idéal, on ne peut pas dire que "=5" soit la signification de "2+3", ni que celui qui a écrit "2+3" avait l'intention qu'on y réagît par "=5", parce que ces notions sont pour Quine, obscures et confuses (il est d'ailleurs l'auteur d'une conférence célèbre intitulée le Mythe de la Signification, in la Philosophie Analytique, ed. de Minuit, p.139-187). En fait, dit Quine, nous sommes simplement conditionnés à réagir par "=5" lorsque nous sommes verbalement stimulés par "2+3". Voilà tout. Ce contexte idéal, Quine le nomme contexte extensionnel.

 A quoi reconnaît-on un contexte extensionnel ? Essentiellement au fait que l'on peut remplacer "il est vrai que p" par "p". Exemple : "il est vrai que 2+3=5" équivaut à "2+3=5". Appliquons maintenant ce critère à l'exemple de la tragédie shakespearienne : "il est vrai que Desdémone aime Cassio" (phrase pensée ou prononcée ou écrite par Othello) équivaut-elle à "Desdémone aime Cassio" ? Non pour tout autre qu'Othello (puisque, objectivement, Desdémone n'aime qu'Othello), mais oui pour Othello (puisque Iago lui fait croire que sa femme le trompe avec Cassio). Bref on n'est pas ici dans un contexte extensionnel, mais dans un contexte intensionnel dans la mesure où les mêmes stimuli objectifs (les comportements des personnages plus la phrase "Desdémone aime Cassio") vont déterminer tout le monde à tenir la phrase pour fausse, sauf Othello qui la tiendra pour vraie. La divergence sur la valeur de vérité de cette phrase vient de ce que, en plus des stimuli objectifs dont on peut dresser la liste exhaustive, il y a sans doute un stimulus subjectif qui, chez Othello, s'ajoute aux autres au point de les masquer complètement : la jalousie. Et cette jalousie est un événement mental qui va parasiter la signification-stimulus objective de la phrase "Desdémone aime Cassio", événement mental que Quine appelle aussi une intention (ne pas confondre intention avec t et intension avec s). C'est pourquoi on va résumer la situation en disant "Othello croit que Desdémone aime Cassio".

Mais ce n'est encore qu'une
première intention, c'est-à-dire une sorte de stimulus privé qui fait que, chaque fois qu'Othello éprouvera cette jalousie, il tiendra la phrase "Desdémone aime Cassio" pour vraie. Mais compliquons l'affaire : supposons qu'à cette jalousie se surajoute de la perversité intellectuelle qui fait douter à Othello que le soi-disant amour (qui, rappelons-le, est un pur fantasme) de Desdémone pour Cassio en soit véritablement un. Il pourrait par exemple délirer en se disant : "Desdémone aime Cassio, pffff ... elle ne sait même pas ce que signifie le verbe aimer ... en fait, elle croit l'aimer, etc." Dans ce cas, on voit bien que, selon la connotation qu'Othello aura décidé d'accorder ou de ne pas accorder au verbe "aimer", un jour il dira que la phrase "Desdémone aime Cassio" est vraie, un autre jour, il dira qu'elle est fausse. On pourrait résumer l'embrouillamini en disant "Othello croit que Desdémone <<aime>> Cassio", ou encore "Othello croit que Desdémone croit qu'elle aime Cassio" ! Et on a là cette fameuse seconde intention dont Quine dit qu'elle est génératrice d'une extraordinaire confusion puisque, non seulement ce qui est vrai pour les uns ne l'est pas pour les autres (première intention), mais pire que cela, ce qui est vrai à un certain moment pour un individu donné ne l'est plus à un autre moment pour le même individu.


Quine nous met ici en garde contre un usage non-intersubjectif du langage, ce qui, pour lui, en pervertit déjà la fonction sociale, mais qui, en outre, est un usage intrasubjectivement flottant consistant à mettre des guillemets autour des mots pour bien montrer qu'on a l'intention de leur donner un sens tout à fait particulier au gré de son humeur du moment. Il est clair qu'une certaine pratique journalistique ferait bien de s'inspirer de cette mise en garde !