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mercredi 19 novembre 2008

EST-CE L'INJUSTICE DES HOMMES QUI FAIT L'INEFFICACITE DES LOIS OU L'INVERSE ?

F1 - Est-ce l'injustice des hommes qui fait l'inefficacité des lois ou le contraire ?



Le meilleur État [...] est celui où les hommes vivent dans la concorde et où la législation nationale est proté­gée contre toute atteinte. En effet, il est certain que les séditions, les guerres, l’indifférence systématique ou les in­fractions effectives aux lois sont bien plus imputables aux défauts d’un État donné qu’à la méchanceté des hommes. Car les hommes ne naissent point membres de la société mais s’éduquent à ce rôle ; d’autre part les senti­ments humains naturels sont toujours les mêmes1. Au cas donc où la méchanceté régnerait davantage et où le nombre de fautes commises serait plus considérable dans une certaine nation que dans une autre, une conclusion évidente ressortirait d’une telle suite d’événements : cette nation n’aurait pas pris de dispositions suffisantes en vue de la concorde et sa législation n’aurait pas été instituée dans un esprit suffisant de sagesse2.

Spinoza – Traité Politique





Contexte : Spinoza est un philosophe du XVII° siècle, contemporain de Descartes et de Pascal. Nous avons déjà eu un aperçu de sa philosophie en étudiant le texte E2.



Idée principale du texte : Spinoza s'oppose à l'idée que l'injustice des hommes serait naturelle ou volontaire. Pour lui, si les hommes sont méchants, c'est que les institutions sociales, à commencer par la législation, sont mauvaises.



"Le meilleur État [...] est celui où les hommes vivent dans la concorde et où la législation nationale est proté­gée contre toute atteinte."

Rappelons d'abord qu'un État, du point de vue du droit international, se définit comme une entité juridique (une personne morale) dotée d'un territoire délimité par des frontières, une population stable, un ensemble d'institutions souveraines et des relations avec les autres États. Spinoza parle ici du "meilleur État", sous-entendu, du meilleur État possible et non pas de l'État absolument bon en soi. En cela, il s'oppose à des philosophes comme Platon (cf. texte A1) pour qui il est possible d'envisager, sous certaines conditions, un État parfait. Or, nous avons vu à propos du texte E2 (question 7) que, dans l'absolu, seul Dieu, c'est-à-dire la Nature tout entière peut, pour Spinoza, être dit(e) parfait(e). Donc son raisonnement doit se lire de la manière suivante : un État est d'autant meilleur que, 1°) "les hommes vivent dans la concorde" et, 2°) "la législation nationale est proté­gée contre toute atteinte". Examinons ces deux conditions. Premièrement, donc, les hommes peuplant cet État doivent vivre le plus possible dans la concorde (du latin cum cordia, "coeurs unis") et non dans la discorde. Autrement dit, plus les liens sociaux de toute sorte entre les membres de l'État sont solidaires, plus cet État est solide. D'ailleurs "solide" et "solidaire" ont la même racine. Et, comme le dit l'adage latin : concordia civium, moenia civitatum ("la concorde entre les citoyens fait les murailles des Cités"). Apparemment, comme le suggère la présence de la conjonction "et", il y a une seconde condition posée par l'auteur à la solidité de l'État : que l'institution législative soit, elle aussi, le plus solide possible. En réalité, nous allons voir que ces deux conditions n'en font qu'une.



"En effet, il est certain que les séditions, les guerres, l’indifférence systématique ou les in­fractions effectives aux lois sont bien plus imputables aux défauts d’un État donné qu’à la méchanceté des hommes."

Comme nous l'avons dit à propos du texte E2 (question 5, note 1) toute partie de la Nature peut être considérée comme un corps qui, en tant que tel, est doté d'une quantité déterminée d'énergie (de "puissance divine", dit Spinoza) qui lui permet d'exister, c'est-à-dire de résister à l'influence causale des autres corps qui l'environnent et qui, à la longue, finissent toujours par le faire disparaître. Il en va de même pour un État : c'est une partie de la Nature possédant plus ou moins d'énergie pour lutter contre les circonstances extérieures ("extérieures" veut dire "étrangères à sa nature" et non pas forcément "extérieures à ses frontières") qui l'affaiblissent et qui peuvent même, à terme, menacer son existence. On pense évidemment aux guerres menées par les autres États mais ce n'est pas tout. Mais il y a aussi les relations économiques de concurrence (qui sont une forme de guerre), les catastrophes naturelles et, bien entendu les tensions sociales internes dont la forme la plus sévère est la guerre civile (par exemple, la guerre civile espagnole qui, du 18 juillet 1936 au 1° avril 1939, opposa les républicains et les nationalistes). Spinoza nous dit que la plus ou moins grande sensibilité d'un État donné à de tels événements sont imputables à la nature de cet État plutôt qu'à celle des êtres humains qui le peuplent. Là encore, le raisonnement de Spinoza s'oppose à celui des libéraux pour qui un État n'est rien d'autre que la réunion d'un certain nombres d'individus, de telle sorte que si l'État est défaillant, c'est aux défauts de ses habitants qu'il faut s'en prendre. En revanche, pour Spinoza, comme pour Rousseau (chez qui l'intérêt général de l'État est distinct de la somme des intérêts particuliers des individus, cf. texte E3, question 2), l'État ne se réduit pas à des individus mais se compose aussi d'institutions, c'est-à-dire à des structures stables dont la fonction est de créer et entretenir du lien social (cf. texte C2, question 4). De sorte que, si l'État est faible, c'est la qualité des institutions qui doit être mise en cause. Pour bien comprendre ce que dit Spinoza, on peut prendre une analogie (cf. texte B2, question 8) : de même que ce n'est pas forcément parce que ses organes sont vieux et usés mais plutôt parce que son hygiène est mauvaise qu'un corps biologique est malade, de même, ce n'est pas forcément parce que ses citoyens sont méchants mais plutôt parce que ses institutions sont mauvaises qu'un État est faible.



"Car les hommes ne naissent point membres de la société mais s’éduquent à ce rôle ; d’autre part les senti­ments humains naturels sont toujours les mêmes."

Comme la plupart des philosophes, Spinoza insiste sur le rôle primordial de l'éducation pour qui a en vue la perspective du perfectionnement du genre humain. En ce sens, dire que "les hommes ne naissent point membres de la société mais s’éduquent à ce rôle" n'est pas très original. L'originalité de Spinoza réside plutôt en ce que, 1°) pour éduquer un individu, il ne s'agit pas de transformer sa nature mais de la canaliser, et, 2°) ce sont toutes les institutions, à commencer par l'institution législative, qui éduquent, et pas seulement l'institution scolaire (dont il ne parle absolument pas dans ce texte, ce qui est remarquable). Revenons sur ces deux aspects du problème de l'éducation chez Spinoza. D'abord, nous précise-t-il, "les senti­ments humains naturels sont toujours les mêmes". Que veut-il dire par là ? Nous avons dit que toute partie de la Nature est naturellement dotée d'un certain nombre de forces internes qui lui permettent de compenser, au moins momentanément et localement, les forces externes qui tendent à la détruire. Sans cela, elle n'existerait même pas. A cet égard, l'enfant nouveau-né ne fait pas exception : avant même sa naissance, dès sa conception, il possède déjà une énergie naturelle qui va lui permettre, non seulement de survivre, mais de croître et de se développer jusqu'à un certain point. Lorsqu'il s'agit d'un être humain, cette énergie naturelle, Spinoza, tout comme Freud (cf. texte C1), l'appelle "désir". Et ce désir se manifeste par divers "sentiments" tout aussi naturels (Freud les appelle "pulsions") lesquels, en tout cas au début de la vie, sont nécessairement, comme il le dit ici, toujours les mêmes. Quels sont-ils ? Nous avons vu dans le texte E2 que Spinoza appelle "joie" le sentiment d'accroissement de la propre puissance d'un être humain et "tristesse" le sentiment inverse de diminution. Il est facile d'en inférer que tout être humain, dès le début de son existence, va avoir tendance à désirer éprouver de la joie plutôt que de la tristesse. Mais tout être humain, surtout au début de sa vie, éprouve le caractère incertain et aléatoire d'une joie ou d'une tristesse, car ses forces s'avèrent souvent incapables de maintenir une situation dans laquelle la joie serait assurée et la tristesse évitée. Aussi, Spinoza donne-t-il le nom d'"espoir" à une joie incertaine et de "crainte" à une tristesse incertaine. Tels sont donc, pour Spinoza, "les senti­ments humains naturels [qui] sont toujours les mêmes" : l'espoir et la crainte, sous-entendu, l'espoir d'une joie et la crainte d'une tristesse. Et, tout comme les pulsions chez Freud, ce sont ces "sentiments naturels" qui sont l'enjeu de l'éducation : il ne s'agit pas de les faire disparaître mais de les canaliser, de les orienter de telle sorte que l'individu nouveau venu dans l'État utilise ses espoirs et ses craintes non pas contre ses semblables et donc, in fine, contre l'État lui-même, mais en harmonie, en concorde avec eux.



"Au cas donc où la méchanceté régnerait davantage et où le nombre de fautes commises serait plus considérable dans une certaine nation que dans une autre, une conclusion évidente ressortirait d’une telle suite d’événements : cette nation n’aurait pas pris de dispositions suffisantes en vue de la concorde et sa législation n’aurait pas été instituée dans un esprit suffisant de sagesse."

Il est clair que, dans ces conditions, le deuxième aspect du problème de l'éducation, à savoir que ce sont toutes les institutions qui éduquent, s'explique aisément. En effet, les institutions créeront du lien social et le renforceront dans la mesure où les individus qu'elles administrent auront, sinon les mêmes espoirs et les mêmes craintes (les mêmes "sentiments naturels"), du moins des espoirs et des craintes complémentaires les uns des autres. A l'inverse, si les institutions déterminent, chez les uns et les autres, des espoirs et des craintes opposés, conflictuels, ou même simplement étrangers, le lien social s'affaiblira, voire même se détruira. On voit que l'école, même si elle a, évidemment, un rôle privilégié à jouer dans ce processus d'éducation au "vivre ensemble", n'est pas la seule institution à éduquer : la famille, la profession, la religion, l'association, la police, l'hôpital, l'armée, l'art, le gouvernement, le sport, etc. y contribuent tout autant. Or, dans tous les cas, ce qui fera la force ou la faiblesse d'une institution quelconque, c'est, pour reprendre une analogie de Wittgenstein (cf. texte B2), les "règles du jeu". Supposons que A et B jouent à un jeu quelconque. Si c'est tantôt A, tantôt B qui gagne, ou même si c'est toujours A mais que B voit qu'il progresse, alors A et B auront, grosso modo, le même espoir de gagner et la même crainte de perdre. Mais si c'est toujours A qui gagne et que B, pour une raison quelconque, n'a aucun espoir de gagner, alors B va finir par concevoir du soupçon, voire de la haine envers A et le jeu prendra fin, soit parce que B s'en retirera, soit parce qu'il se terminera en pugilat. Bref, si tout se passe bien dans le jeu, c'est que les règles du jeu, autrement dit les lois sont bien faites, bien pensées, capables d'inciter les joueurs à jouer. Mais si le jeu s'avère impossible, c'est bien parce que ses règles sont incohérentes. Il en va de même dans un État : si le "jeu social" s'avère impossible, voire dégénère en conflit ouvert, c'est parce que ce sont toujours les mêmes qui gagnent (et qui n'ont aucune crainte de perdre), toujours les mêmes qui perdent (et qui n'ont aucun espoir de gagner). Et si tel est le cas, c'est parce que la loi est mal faite, parce que "sa législation n’aura[...] pas été instituée dans un esprit suffisant de sagesse". Donc, comme nous l'avions annoncé à la fin de l'explication de la première phrase, dire que la qualité d'un État dépend de la qualité de son lien social ou de la qualité de sa législation, c'est bien dire la même chose.


1 "Donc, pour que les hommes puissent vivre dans la concorde et se venir en aide, il est nécessaire qu’ils renoncent à leur droit de Nature et s’assurent réciproquement qu’ils ne feront rien qui puisse faire du mal à autrui. [Et comme] nul senti­ment ne peut être contrarié que par un sentiment plus fort et opposé au sentiment à contrarier, chacun s’abstiendra de faire un mal par crainte d’un mal plus grand et accomplira un bien par espoir d’un bien plus grand."(Spinoza - Éthique) 
2 "La raison ne demande dont rien contre la Nature, elle demande que chacun s'aime soi-même, qu'il cherche ce qui lui est réellement utile et qu'il désire ce qui conduit réellement l'homme à une plus grande perfection."(Spinoza - Éthique)