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jeudi 8 mai 2003

LES IDEES PEUVENT-ELLES CHANGER LE MONDE ?

Les idées peuvent-elles changer le monde ? Les idées ne sont elles pas des formes de la superstructure consciente déterminées par la division du travail dans l’infrastructure productive ? Mais en ce sens ne sont-elles pas dotées d’une inertie qui en fait, non pas le moteur idéologique du changement historique, mais au contraire l’obstacle réel à celui-ci ?

I - Les idées sont des reflets déterminés des conditions matérielles de production.

a - “à toutes les époques, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante : ce qui spécifie les êtres humains, “ce n’est pas qu’ils pensent, mais qu’ils se mettent à produire leurs moyens d’existence”(l’Idéologie Allemande), que leur vie consiste à travailler à s’accommoder la nature. “Il en résulte qu’un mode de production est toujours lié à un mode déterminé de coopération”(l’Idéologie Allemande), un mode de division du travail qui va déterminer les relations humaines de base (infrastructure) visant à optimiser la production des moyens d’existence. Or “la division du travail qui ne se manifestait primitivement que dans le rapport des sexes, [...] n’acquiert son caractère définitif qu’à partir du moment où intervient la division du travail matériel et du travail intellectuel”(l’Idéologie Allemande). Or quand “l’activité spirituelle et l’activité matérielle, la jouissance et le travail, la production et la consommation échoient à des individus différents”(l’Idéologie Allemande), se fait jour une partition de la société dont un exemple historique est “le rapport de classes entre citoyens et esclaves”(l’Idéologie Allemande). Et si “la classe dominante commence toujours par se dispenser du travail manuel”(le Capital, I, xiii), c’est pour s’octroyer le monopole de l’activité intellectuelle. Donc si “l’ensemble des rapports de production constitue l’infrastructure économique de la société sur quoi s’élève une superstructure à laquelle correspondent des formes de conscience déterminées”(Critique de l’Economie Politique, préf.), alors “les idées de la classe dominante sont les idées dominantes” qui appartiennent à la superstructure consciente déterminée par l’infrastructure productive : sa fonction est d’entretenir et de réguler l’infrastructure productive conformément au modèle de division du travail qu’elle a engendré, ce qui explique que “la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante”. Mais en quoi précisément consiste cette domination spirituelle ?

b - “la classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose en même temps, de ce fait, des moyens de la production intellectuelle, si bien qu’en général, elle exerce son pouvoir sur les idées de ceux à qui ces moyens font défaut : dans l’économie antique, on considère que “la matière est à la pensée ce que la femelle est au mâle dans la reproduction”(de la Génération et de la Corruption). Ce qui implique que “il est à la fois conforme à la nature et avantageux que le corps soit commandé par l’âme”(Politique, 1254b). Or “rien n’est commun à tous ces phénomènes qui sont pourtant apparentés par notre langage”(Recherches Philosophiques, §65), lequel produit les analogies dirigeant/exécutant, âme/corps, mâle/femelle qui naturalisent la pratique des rapports sociaux issus de la division du travail. Mais “le langage est aussi vieux que la conscience, il est la conscience réelle, il naît du seul besoin de la nécessité du commerce avec d’autres hommes”(l’Idéologie Allemande). De sorte que toute activité de conscience sera une activité de production et d’échange matériels : “la pensée est essentiellement l’activité qui consiste à opérer avec des signes”(le Cahier Bleu, 6), à écrire, à parler, à représenter, etc. Donc “penser n’est pas un processus immatériel que l’on puisse détacher du langage”(Recherches Philosophiques, §339). C’est pourquoi le dualisme âme/corps est l’exemple même de la détermination de la superstructure consciente par l’infrastructure productive. Or la classe dominante ne peut diriger le processus matériel de production sans imposer des normes d’efficacité exigées par le fonctionnement de ce processus, aussi, “la classe qui dispose des moyens de la production matérielle, dispose en même temps des moyens de production intellectuelle”. Elle érige des règles “qui n’ont pas été établies par un législateur mais qui sont nées primitivements des conditions de la production matérielle”(Misère de la Philosophie, ii, 2). Et c’est ainsi que “le langage existe afin de manifester l’avantageux et le nuisible” (Politique, I, 1253a). Est-ce à dire que les idées sont conditionnées par les intérêts de la classe dominante ?

c - “les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes, ce sont ces conditions conçues comme idées, donc l’expression des rapports sociaux qui font justement d’une seule classe la classe dominante : “dire que penser est une activité de notre esprit comme écrire est une activité de la main, c’est travestir la vérité”(Grammaire Philosophique, §64), ce qui n’est pas de l’illusion mais de l’idéologie, ce par quoi “les hommes et leurs conditions apparaissent sens dessus dessous”(l’Idéologie Allemande). Faire de l’activité de pensée une activité de l’esprit, c’est “faire une métaphore car ici l’esprit est un agent en un sens différent de celui dans lequel on peut dire que la main est l’agent de l’écriture”(le Cahier Bleu, 6), c’est la métaphore d’une position spatiale supérieure attribuée à une entité de nature mystérieuse. Par là, il y a production consciente d’une confusion qui incline à croire que nous approuvons la domination d’une certaine classe parce qu’elle est bonne en soi, alors qu’en fait “nous jugeons qu’elle est bonne parce que nous l’approuvons”(Ethique, III, 9). Autrement dit la légitimité de la classe dominante “ne descend pas du ciel sur la terre, mais s’élève de la terre vers le ciel”(l’Idéologie Allemande). En généralisant, “rien suivant la seule raison n’est juste de soi, la coutume fait toute l’équité par cette seule raison qu’elle est reçue”(Pensées, B294). Dès lors, les activités intellectuelles que se réserve la classe dominante sont d’abord des activités de justification des rapports sociaux : “on justifie la force afin que le juste et le fort fussent ensemble”(Pensées, B299). Ce sont ensuite des activités de reproduction de la division du travail : par exemple, à l’époque moderne, “la bourgeoisie a créé pour ses fils les écoles polytechniques et n’a donné aux prolétaires que l’enseignement professionnel”(le Capital, I, xv, 9). Rien d’étonnant alors que “toute une mythologie est déposée dans notre langage”(Remarques sur le Rameau d’Or, 10) afin de garantir sa fonction de justification et de perpétuation de l’ordre établi. Bref, “ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, c’est la vie qui détermine la conscience”(l’Idéologie Allemande). Mais alors comment expliquer l’existence de bouleversements historiques ?

II - Les bouleversements historiques ne se font pas grâce aux idées mais malgré les idées.

a - “à un moment, par exemple, et dans un pays où la puissance royale, l’aristocratie et la bourgeoisie se disputent la suprématie et où, par conséquent, le pouvoir est partagé, la pensée dominante se manifeste dans la doctrine de la séparation des pouvoirs que l’on proclame alors “loi éternelle” : s’il y a “contradiction entre les forces productives matérielles de la société et les rapports de production existants”(Manuscrits 1844), entre capacités techniques et humaines d’une part, rapports de force dans la division du travail d’autre part, la classe dominée critique son statut social en contradiction avec sa capacité réelle de production. Et comme “l’arme de la critique ne peut pas remplacer la critique par les armes, la force matérielle doit être renversée par une force matérielle”(Critique de Hegel). C’est pourquoi “l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’est que l’histoire de la lutte des classes”(Manifeste Communiste, i) : tout changement historique n’est que l’ajustement des forces productives et des rapports de production. D’abord par l’extension de l’hégémonie de la classe dominante sur les forces productives (révolution industrielle) : “en Angleterre, les grèves ont régulièrement donné lieu à l’invention et à l’application de machines nouvelles”(Misère de la Philosophie, ii, 5). Ensuite par l’extension de cette hégémonie sur la superstructure juridique (révolution politique) si elle “doit, pour parvenir à ses fins, présenter ses intérêts comme les intérêts communs”(l’Idéologie Allemande). Dans les deux cas, “l’existence d’idées révolutionnaires suppose l’existence préalable d’une classe révolutionnaire”(l’Idéologie Allemande). Or dans la mesure où “elle ne considère jamais comme définitif un mode actuel de production”(le Capital, I, xv, 3), “la bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire”(Manifeste Communiste, i). C’est pourquoi, lorsque “la puissance royale, l’aristocratie et la bourgeoisie se disputent la suprématie”, la bourgeoise s’octroie le pouvoir législatif, laissant à la noblesse de robe le pouvoir judiciaire et à la noblesse d’épée le pouvoir exécutif (cf. l’Esprit des Lois, XI et la D.D.H.C. de 1789, art.16). Comment la doctrine de la séparation des pouvoirs peut-elle alors apparaître comme loi éternelle ?

b - “[dès lors], si l’on se persuade qu’à telle époque telles ou telles pensées ont prévalu, sans se préoccuper des conditions de production ni des producteurs de ces pensées [...] on peut dire par exemple qu’au temps où l’aristocratie régnait, c’étaient les idées d’honneur, de fidélité, etc. qui prédominaient, tandis que sous le règne de la bourgeoisie, c’étaient les idées de liberté, d’égalité, etc. : soit le dilemme de Rodrigue (le Cid, I, vi) interprétable comme un conflit entre deux idées : “Contre mon propre honneur mon amour s’intéresse/ Il faut venger un père et perdre une maîtresse”. Ces deux idées sont l’honneur d’après lequel “quelque possession qu’il ait sur terre, nul homme n’est satisfait s’il n’est dans l’estime des hommes et de la raison des hommes”(Pensées, B404), et la fidélité sans laquelle “l’homme ne peut connaître le vrai bien ni la justice”(Pensées, B425). Honneur et fidélité sont les reflets d’une société classique (XVI°-XVII°) dominée par l’aristocratie dans un mode de production caractérisé à la fois par modernisation urbaine (d’où l’honneur) et par le poids de la tradition rurale (d’où la fidélité), donc par la division du travail entre ville et campagne. “Tandis que sous le règne de la bourgeoisie, ce sont les idées de liberté, d’égalité, etc.”. En effet le mode de production capitaliste “nécessite que le capitaliste trouve sur un marché un travailleur libre”(le Capital, I, vi), à la fois “libre de disposer à son gré de sa force de travail comme d’une marchandise”(le Capital, I, vi) et à la fois “complètement dépourvu des choses nécessaires à son travail”(le Capital, I, vi). D’où l’égalité formelle des deux propriétaires, celui du capital et celui de la force de travail. Mais ces idées de liberté et d’égalité ne sont nécessaires que dans le cadre des rapports capitalistes de production. Alors qu’elles sont au contraire “proclamées seules raisonnables, seules qui aient une valeur universelle”(l’Idéologie Allemande), et l’on attribue leur apparition tardive “à la prétendue évolution générale de l’esprit humain”(Critiques de l’Economie Politique, préf.), ce en quoi la tradition philosophique voit l’accomplissement de la raison : “la raison domine le monde et par conséquent aussi l’histoire universelle”(la Raison dans l’Histoire). Or n’est-ce pas ce que la classe dominante se plaît à s’imaginer ?

c - “voilà ce que la classe dominante elle-même se figure le plus souvent : la superstructure consciente fait que “la tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourds sur la conscience des vivants”(le 18 Brumaire ..., i), c’est ce qu’on appelle la culture ou mémoire collective, laquelle est dotée d’une inertie idéologique durable. Au point que même les mouvements révolutionnaires “évoquent craintivement les esprits du passé, leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, etc.”(le 18 Brumaire ..., i). C’est ainsi que la révolution bourgeoise de 1789 “se drapa successivement dans le costume de la République romaine jusqu’en 1799, puis dans celui de l’Empire romain jusqu’en 1814”(le 18 Brumaire ..., i). Ainsi, toute classe révolutionnaire “s’établit par la force et se maintient par la grimace”(Pensées, B82), car, pour se persuader de sa légitimité, “il ne faut pas qu’elle sente la vérité de l’usurpation”(Pensées, B294). C’est pourquoi la production des idées nécessite “des idéologues actifs et créatifs dont la spécialité est de forger les illusions que se fait la classe dominante sur elle-même”(l’Idéologie Allemande). Par exemple, en système capitaliste, “les économistes sont les représentants scientifiques de la classe bourgeoise en disant que les rapports capitalistes de production sont des lois naturelles, indépendantes de l’influence du temps”(Misère de la Philosophie, ii, 1). Or comme “la bourgeoisie ne peut exister sans bouleverser perpétuellement les instruments de production, donc le mode de production, donc l’ensemble des conditions sociales”(Manifeste Communiste, i), son succès ne peut qu’être entravé par le poids idéologique d’un passé historique. C’est pourquoi l’absence de racines culturelles de la classe bourgeoise américaine explique le cynisme d’un capitalisme qui n’est justifié que par des économistes (science) et des pasteurs (mythe) et non par des historiens. Finalement “le prolétariat est la seule classe réellement révolutionnaire”(Manifeste Communiste, i) dans la mesure où son déracinement culturel consécutif à son dénuement matériel, réduisent le risque qu’il soit tenté de recourir à la fonction conservatrice des formes de conscience héritées du passé pour justifier une éventuelle domination de classe.

Conclusion.

Les idées sont des formes de langage établies par un certain type de rapports de production conforme à un certain modèle de division du travail dominé par une classe qui s’octroie les activités intellectuelles de direction et donc de production de normes. On ne peut donc expliquer les bouleversements historiques que par les modifications des rapports de production et non par l’évolution des mentalités, lesquelles sont plutôt dotées d’une inertie qui freinent le développement historique au lieu de le provoquer.