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dimanche 14 avril 2024

EST-CE AINSI QUE LES HOMMES VIVENT (ET MEURENT) ?

"Anatomie d'un génocide". Le rapport de Francesca Albanese sur la situation à Gaza.

Dans son rapport de mars 2024 présenté devant le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU), Francesca Albanese présente les actes et les intentions pouvant caractériser un génocide en cours à Gaza. La question d’un génocide réalisé par des moyens militaires est encore une fois posée, ainsi que celle de l’assistance militaire à Israël. En droit international, cette question n’est pas nouvelle dès lors qu’au Rwanda, la contribution de l’armée au génocide des Tutsi a déjà été attestée. Dans l’ex-Yougoslavie, le massacre de Srebrenica, considéré comme acte de génocide, s’inscrivait également dans un contexte de conflit armé. S’agissant d’Israël, le blocus de Gaza exigeant l’emploi de la force militaire de l’État avait été présenté dès 2009 comme participant potentiellement d’un crime contre l’humanité. Et la Convention internationale sur la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 énonce bien, dans son article I : "les parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir".

(suite de l'article sur le site d'OrientXXI).


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Le sionisme n'est pas un humanisme ! (Décision de la Cour Internationale de Justice du 26 janvier 2024 - Résolution 3379 de l'Assemblée Générale des Nations Unies du 10 novembre 1975).

À la requête de l'Afrique du Sud considérant que " le traitement des Palestiniens ressemble fortement au régime d'apartheid à motivation raciale de l'Afrique du Sud, qui a pris fin en 1994 avec l'élection de Mandela. Il est important de replacer les actes de génocide dans le contexte plus large de la conduite d'Israël à l'égard des Palestiniens pendant les 75 ans d'apartheid, les 56 ans d'occupation belligérante du territoire palestinien et les 16 ans de blocus de Gaza, y compris les violations graves et continues du droit international qui y sont associées, notamment les violations graves de la quatrième convention de Genève, et d'autres crimes de guerre et crimes contre l'humanité", la Cour Internationale de Justice déclare le 26 janvier 2024 qu'"au moins certains des actes et omissions dont l'Afrique du Sud allègue qu'ils ont été commis par Israël à Gaza semblent pouvoir relever des dispositions de la Convention [de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide]". Ce qui n'est pas sans rappeler la résolution 3379 de l'ONU votée (1) il y a presque 50 ans avant d'être abrogée sous la pression d'Israël (2) et dont voici le texte intégral (dans tous les cas, nous soulignons).

"L’Assemblée générale,

Rappelant sa résolution 1904 (XVIII) du 20 novembre 1963, dans laquelle elle a proclamé la Déclaration des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et, notamment, a affirmé que "toute doctrine fondée sur la différenciation entre les races ou sur la supériorité raciale est scientifiquement fausse, moralement condamnable, socialement injuste et dangereuse" et s'est déclarée alarmée devant les "manifestations de discrimination raciale qui se constatent encore dans le monde, dont quelques-unes sont imposées par certains gouvernements au moyen de mesures législatives, administratives ou autres",

Rappelant également que, dans sa résolution 3151 G (XXVIII) du 14 décembre 1973, l’Assemblée générale a condamné en particulier l'alliance impie entre le racisme sud africain et le sionisme.

Prenant note de la Déclaration de Mexico de 1975 sur l’égalité des femmes et leur contribution au développement et à la paix, proclamée par la Conférence mondiale de l’Année internationale de la femme, tenue à Mexico du 19 juin au 2 juillet 1975, qui a promulgué le principe selon lequel "la coopération et la paix internationales exigent la libération et l’indépendance nationales, l’élimination du colonialisme et du néocolonialisme, de l’occupation étrangère, du sionisme, de l'apartheid et de la discrimination raciale sous toutes ses formes, ainsi que la reconnaissance de la dignité des peuples et de leur droit à l'autodétermination ",

Prenant note également de la résolution 77 (XII), adoptée par la Conférence des chefs d’États et de gouvernements de l'Organisation de l'unité africaine, à sa douzième session ordinaire, tenue à Kampala, du 28 juillet au 1er août 1975, qui a estimé "que le régime raciste en Palestine occupée et les régimes racistes au Zimbabwe et en Afrique du Sud ont une origine impérialiste commune, constituent un tout et ont la même structure raciste, et sont organiquement liés dans leur politique tendant à la répression de la dignité et l’intégrité de l’être d’humain",

Prenant note également de la Déclaration politique et de la Stratégie pour renforcer la paix et la sécurité internationales et renforcer la solidarité et l’assistance mutuelle des pays non alignés, adoptée à la Conférence de ministres des affaires étrangères des pays non-alignés tenue à Lima, du 25 au 30 août 1975, qui a très sévèrement condamné le sionisme comme une menace à la paix et à la sécurité mondiales et a demandé à tous les pays de s’opposer à cette idéologie raciste et impérialiste,

Considère que le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale."

(1) 72 voix pour, 35 contre et 32 abstentions
(2) Résolution abrogée par la résolution 4686 en date du 16 décembre 1991 par 111 voix contre 25 et 13 abstentions.

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"Si les vies se valaient ..." (Benoît Bréville - Le Monde Diplomatique - Janvier 2024)

"Au regard du droit international, la situation est limpide : la Russie occupe illégalement son voisin ukrainien, tout comme Israël occupe illégalement son voisin palestinien, ce que les Nations Unies ont maintes fois condamné. Tous deux devraient inspirer la même réprobation aux Occidentaux [...]. Il n'en est tien. Dans un cas, les Etats-Unis et l'Union Européenne se tiennent aux côtés du pays agressé, dans l'autre, du pays agresseur.

Dès les premiers jours de la guerre, le Vieux Continent a ainsi ouvert grand ses portes à des millions d'exilés ukrainiens [...]. Nul ne propose d'accueillir les centaines de milliers d'habitants qui voudraient fuir Gaza. [...] Washington et Bruxelles ont riposté à l'invasion russe en prenant des sanctions draconiennes contre Moscou [...]. Rien de tel pour Israël. [...] Alors que les Occidentaux livrent des armes à l'occupé ukrainien, ils en vendent à l'occupant israélien, tout en menaçant de représailles ceux qui soutiendraient militairement les Palestiniens. [...] 

Les commentateurs occidentaux ont souvent rapporté les 1 200 victimes du Hamas à un population israélienne de 8 millions d'habitants, calculant que pour un pays de 331 millions d'habitants comme les Etats-Unis, l'équivalent des tueries du Hamas serait l'assassinat de 50 000 civils [...]. Mais qu'en serait-il si on comparait également les 20 000 tués (1) de Gaza pour une population de 2,3 millions d'habitants ? [...] Pour les Etats-Unis [cela en ferait] environ 2,8 millions, soit davantage que le total cumulé de toutes les guerres de leur histoire, celle de Sécession comprise. Près de 70% de la population de Gaza a été condamnée à l'exode. Alors, comparons là aussi : l'équivalent donnerait environ 50 millions de Français et près de 200 millions d'Américains ..."

(1) Dont 18 000 civils. Soit, en trois mois, plus de civils massacrés à Gaza qu'en deux ans en Ukraine ou en quatre ans à Sarajevo ! Et encore n'est-ce qu'un bilan provisoirement arrêté au début du mois de janvier 2024.

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"Nous vous annonçons la bonne nouvelle" (Mahmoud Darwich).

""Nous vous annonçons la bonne nouvelle de la civilisation" a dit l'Étranger, et il a dit "Je suis le seigneur du temps, venu recevoir la terre de vos mains" [...]. Ô, maître des Blancs, où emportes-tu mon peuple et le tien ? Vers quel gouffre ce robot hérissé d'avions et de porte-avions entraîne-t-il la terre ? Vers quel gouffre béant montez-vous ? Et tout ce que vous désirez vous échoit. La nouvelle Rome, la Sparte de la technologie et l'idéologie de la folie"(au Dernier Soir sur cette Terre, traduit par Elias Sanbar).

"Après un semblant de courte trêve, les bombardements israéliens terrorisent de nouveau Gaza et redoublent en intensité, en fréquence et en aveuglement. Le dernier rapport d'OCHA [Office for the Coordination of Humanitarian Affairs] estime à plus de 15 899 le nombre de Palestiniens et Palestiniennes assassiné-e-s par Israël depuis le 7 octobre, dont au moins 6 600 enfants"(Agence Medias Palestine, 6/12/2023).

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Obscénité (Pierre Stambul - 15 octobre 2023).

"Le Hamas est-il un groupe terroriste ?

Le mot « terroriste » est utilisé n’importe comment. Pour les Nazis, la Résistance était « l’armée du crime ». Le FLN algérien a été déclaré terroriste. Nelson Mandéla et l’ANC aussi. Et s’il y a un pays qui a été dirigé par des terroristes, c’est bien Israël avec Menahem Begin et Yitzhak Shamir, ce dernier ayant en plus assassiné des soldats anglais alors que l’extermination des Juifs était à l’œuvre. Et que doit-on dire du terrorisme d’État ? En Irak comme en Cisjordanie.

Le Hamas, c’est la branche palestinienne des Frères Musulmans. Ceux-ci représentent 30 % de la population égyptienne. Ils ont cru pouvoir imposer leurs conceptions obscurantistes et ils été lâchés par la population. Mais la dictature militaire qui les a renversés est 100 fois pire avec des dizaines de milliers de prisonniers politiques, la torture, la corruption, la collaboration avec Israël dans le blocus de Gaza …

Le Hamas a gagné les élections de 2006 (parfaitement démocratiques) sur un double rejet : les accords d’Oslo et la corruption. Même dans la bande de Gaza, il n’a eu que 40 % des voix. Il est clairement haï par une partie de la population. J’ai rencontré en 2016 deux de ses dirigeants, j’ai été interrogé par sa police et ce n’est vraiment pas ma tasse de thé.

Mais, désolé, il est perçu (à juste titre) comme un des éléments de la résistance palestinienne. Les raisons de son attaque (peut-être empêcher une normalisation avec l’Arabie Saoudite) et les méthodes employées n’ont jamais été débattues démocratiquement, mais le soutien à ce qu’il vient de faire va largement au-delà de sa base sociale.

La guerre qui se déroule en ce moment n’est pas une guerre contre le Hamas. C’est une guerre de destruction de la société palestinienne.

Exiger qu’on qualifie le Hamas de terroriste alors qu’Israël utilise des méthodes authentiquement terroristes contre la population civile, c’est un non-sens. Décorer la Tour Eiffel aux couleurs d’Israël, c’est une obscénité."

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Nausée (le soi-disant "philosophe" R. Enthoven - 11 octobre 2023).


"Oui, il y a une différence à faire entre des gens qui sont des civils, qui sont assassinés dans la rue par des commandos islamistes et les victimes collatérales (1) de bombardements consécutifs à cette attaque. Il faut marquer cette différence, c'est même très important de la faire."




(1) De même, sans doute, faut-il faire une différence entre les 86 "victimes collatérales" de l'attentat de Nice du 14 juillet 2016 et l'assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020 ! Misère de la "philosophie" !

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"Ils sèment le vent, ils récolteront la tempête" (Livre d'Osée, 8,7) - Communiqué de l'Union Juive Française pour la Paix (9 octobre 2023).


""L'armée du crime" : c’est ainsi que les Nazis désignaient les résistants (1).

Après 1945, le droit international a légitimé le droit à la résistance en cas d’occupation et d’oppression. Résistance pacifique comme résistance armée.

Depuis des années, les Palestiniens réclament que le droit international leur soit appliqué. Ils demandent protection. Ils demandent qu’on arrête l’occupant.

À quoi assistons-nous ?

Plus de 50 années d’impunité ont enlevé toute limite à l’occupant.

Les pogroms se succèdent à Huwara. Les assassinats d’enfants, les vols de terre, les destructions de maison, les emprisonnements massifs, les exécutions extra judiciaires se poursuivent.

Aucune sanction. La communauté internationale est totalement informée. Elle laisse courir la fable de « la seule démocratie du Proche-Orient » alors qu’il s’agit d’un colonialisme raciste.

Alors les Palestiniens se révoltent. Ils n’acceptent pas qu’on les efface de la carte, qu’on les écrase, qu’on les enferme, qu’on les expulse.

Ils viennent de prouver qu’ils n’accepteront pas d’être écrasés.

Quoiqu’on pense de leurs directions politiques, ils ont le doit absolu de résister et nous les soutenons."

(1) : plus précisément, ce sont les 23 résistants du Groupe Manouchian qui étaient ainsi désignés par la propagande nazie sur la fameuse "affiche rouge".

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Meurtre de Nahel Merzouk le 27 juin 2023.







Coluche, invité du journal d'Antenne 2 Midi le 10 mars 1980.



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Lettre ouverte de Serge (le S.) à l'hebdomadaire l'Ire des Chênaies (n° 963 du 22 juin 2023).

 "Salut tout le monde.

Je m'appelle Serge et j'ai été gravement blessé, comme beaucoup d'autres, à la manifestation contre la mégabassine de Sainte Soline du 25 mars 2023. J'ai été atteint à la tête par une grenade, probablement tirée en tendu par un gendarme équipé d'un lanceur de grenade cougar. J'ai subi un grave traumatisme crânien qui m'a mis en situation d'urgence absolue, situation aggravée par le blocage de ma prise en charge par les secours durant la manifestation. Après un mois de coma artificiel et six semaines en réanimation, j'ai été transféré dans un service ... (1) chirurgie, puis en centre de rééducation. A l'heure actuelle, je ressens d'énormes progrès dans ma faculté à bouger, manger et tout simplement échanger et réfléchir. Le chemin va être extrêmement long mais je suis déterminé à tout donner, à me battre pour récupérer ce qui me constituait, tant physiquement que mentalement. Je le fais évidemment pour moi mais aussi parce que je pense que refuser d'abdiquer, refuser d'être écrasé par la machine répressive est une nécessité politique, à l'heure où les Etats font le pari de la terreur et de notre passivité.

Je tiens d'abord à remercier celles et ceux qui, dans ce champ de mines, m'ont porté, tenu la main, prodigué les premiers soins (ralentissement de l'hémorragie, massage cardiaque, intubation, etc.) et m'ont tout simplement permis de rester en vie. Je tiens également à remercier les soignants qui, à chaque stade, ont pris soin de moi et m'aident encore aujourd'hui à reconquérir mon corps et ma tête. Je ne peux que vous faire part du bien fou que j'ai ressenti à ma sortie du coma devant la solidarité massive qui s'est exprimée : assemblées, textes, tags, dons, musiques, actions et messages divers de camarades de par le monde. L'écho de vos voix et des rugissements de la rue nous a aidés, mes proches et moi, à ne rien lâcher. Pour tout cela, je vous dis à toutes et tous un grand merci. Vous avez été énormes.

Tout ceci rappelle qu'il est primordial qu'aucun tabassage, qu'aucune mise en geôle, qu'aucune mutilation, qu'aucun meurtre ne soit passé sous silence par les forces de l'ordre social capitaliste. Ils mutilent et assassinent tellement souvent que cela n'a rien d'accidentel, c'est dans leur fonction. Beaucoup trop d'histoires dans le monde nous rappellent qu'il n'y a pas plus vrai que la formule "ACAB" (2). Tous les flics sont bien des bâtards. Ils sont et resteront les larbins de la bourgeoisie dont ils protègent les intérêts et assurent, jusqu'à maintenant, la pérennité.

La classe capitaliste a comme seule perspective la dégradation de nos conditions de vie à une large échelle et tous les prolétaires d'ici et d'ailleurs en font l'amère expérience. Face aux luttes que nous menons pour contrecarrer ce funeste destin, ils ont clairement fait le choix d'augmenter drastiquement la répression, autant par de nouvelles lois répressives que par le fait de donner carte blanche aux forces de l'ordre, comme à Sainte Soline. Nous devons en prendre acte et porter collectivement l'idée qu'il est hors de question de participer à une lutte sans des protections efficaces et des capacités de résistance. Nous ne sommes pas des martyrs.

Néanmoins, notre force n'a pas grand chose à voir avec une histoire de champ de bataille. Notre force, c'est notre nombre, notre place dans la société et le monde meilleur auquel nous aspirons. Contre les quelques organisations de dirigeants et de bureaucrates qui souhaiteraient nous ramener à la maison une fois leur place au soleil acquise sur notre dos, il nous faut mille façons de nous organiser à la base par et pour des solidarités concrètes, à destination des camarades du mouvement mais aussi, et peut-être surtout, à toutes celles et ceux qui rejoindront les élans révolutionnaires futurs.

Force aux camarades actuellement dans le viseur des Etats.

Vive la Révolution !

A vite dans les luttes.

Le S."

(1) : un mot est effacé sur mon exemplaire du journal.

(2) : All cops are bastards.

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Discours de Justine Triet, Palme d'Or du Festival de Cannes 2023, le 29 mai 2023.




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Article de Frédéric Lordon sur son blog "la Pompe à Phynances" (24 mai 2023).

"Quand un pouvoir en est à redouter des casseroles, des bouts de papier rouges et des sifflets, c’est qu’il est au bord de tomber. Est-on fondé à se dire. Et pourtant il tient. Il tient parce que des institutions totalement vicieuses le lui permettent. Parce que toute moralité politique, tout ethos démocratique, l’ont abandonné. Parce qu’il est aux mains de forcenés qui n’ont plus aucune idée de limite.

Il tient aussi parce que les conducteurs du mouvement – pour parler clair, l’Intersyndicale – n’ont pas eu le début du commencement d’une analyse de l’adversaire, et persistent dans une stratégie désormais avérée perdante – on n’avait d’ailleurs nul besoin de passer quatre mois à le vérifier : on pouvait le leur dire dès le premier jour. Les stratégies de la décence démocratique, par la seule manifestation paisible du nombre, échouent là où, en face, il n’y a plus que de l’indécence démocratique.

Comme il était clair depuis ce même premier jour à qui n’avait pas envie de se raconter des histoires pour enfants, l’Intersyndicale était partie pour perdre. C’est bien ce qui l’a rendue si sympathique aux yeux des médias. Quand elle se penche sur les forces de gauche, la presse bourgeoise n’a d’yeux et de sentiment que pour celles qui sont de droite ou pour celles qui sont perdantes. C’est une loi absolument générale que la presse bourgeoise est une instance de consécration négative. La chose vaut en matière de littérature, de pensée, d’art, comme en politique : ceux que la presse bourgeoise bénit, par là on connaît leur « valeur », et aussi leur destin — entre innocuité, phagocytose et renégation. La condition nécessaire de l’espoir, d’une perspective, c’est de se diriger vers ceux qu’elle exècre.

La presse a d’emblée adulé l’Intersyndicale Berger. Son sort était scellé. Avec Laurent Berger, le conflit social s’était doté d’un étonnant leader. Un leader capable de prononcer une phrase aussi avariée que « La gauche s’est fait piéger dans l’idée que le travail est un lieu d’exploitation et d’aliénation » — à l’époque du capitalisme le plus furieux, le plus destructeur, qui s’est donné pour nouvelle frontière le travail des vieux jusqu’à la mort, et y ajoutera bientôt celui des enfants ! Un leader de conflit qui hait le conflit. Et n’était par conséquent déterminé à aucun affrontement d’aucune autre sorte que symbolique.

Les démonstrations symboliques n’ont d’effet qu’auprès de protagonistes sensibles aux démonstrations symboliques. Tragique erreur : les démonstrations symboliques n’ont d’effet qu’auprès de protagonistes sensibles aux démonstrations symboliques. Et sinon, elles sont grotesquement inefficaces. On pense à ce film où le héros est confronté à un adversaire qui tente de l’impressionner avec une démonstration d’art martiaux supposément intimidante — à ce stade, donc, essentiellement symbolique. Le héros sort un pistolet, boum, par terre le démonstrateur symbolique. Pareil avec Bruce Berger. C’est bien pourquoi on pouvait prédire dès janvier qu’aligner répétitivement des millions de manifestants dans les rues ne conduirait à rien. Les gesticulations, en face, ils s’en foutent.

C’était pourtant le mouvement imperdable. Une conjonction comme on n’en avait jamais vue : une réforme inique, indéfendable, un pays exaspéré de la destruction néolibérale, un président haï, un pouvoir d’une brutalité qui indigne le monde entier, des sondages d’opposition à des niveaux inouïs, une colère noire partout, accumulée depuis des années. C’était le mouvement imperdable, et s’il reste aux mains de cette Intersyndicale il sera perdu.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, on ne passe pas sans solution de continuité d’un affect de colère noire, fût-il à l’échelle du pays entier, à un mouvement social gagnant. Il y faut un opérateur de conversion : c’est-à-dire un pôle capable de convertir un affect commun, ici d’une rare intensité, en une force politique effective. C’était la responsabilité de l’Intersyndicale, et c’est son échec. C’était sa responsabilité historique  : mettre en forme, stratégiquement, la puissance du nombre pour mettre un coup d’arrêt au néolibéralisme. L’enjeu était même plus grand encore : poser une victoire de gauche, seule à même d’enrayer la dynamique de fascisation à qui toutes les colères profitent autrement. Or, l’Intersyndicale aura été la fabrique de l’impuissance. Elle a certes produit le nombre, mais du nombre vain, du nombre inutile — du nombre qui perd.

Et pourtant, le nombre ne se résigne pas à perdre. Les casserolades sont devenues le symbole admirable de cette combativité qui ne désarme pas. Paradoxe (ça n’en est pas un) : on y retrouve bon nombre de syndiqués, de la CGT, de Sud, en cherchant bien on y dégoterait même un peu de CFDT. Les casserolades c’est la vraie Intersyndicale : l’Intersyndicale par le bas. En mieux même : ouverte au monde extra-syndical, activistes d’organisations variées (c’est tout de même Attac qui a lancé le mouvement), citoyens ordinaires. Un laboratoire. Qui illustre cette vérité ambivalente que l’auto-organisation n’a besoin de personne… et cependant qu’elle a aussi besoin d’un pôle.

Pour peu qu’on les regarde avec deux sous de lucidité, en effet, les casserolades, si merveilleuses soient-elles, sont vouées à l’extinction. Pour une raison simple, toujours la même : on « n’y va pas », ou on « n’ira plus », si on se sent seuls à y aller, et surtout s’il n’existe aucun débouché, aucune perspective stratégique de victoire pour soutenir la mobilisation dans le temps. Alors, logiquement, l’effort s’étiole, et les casserolades séparées s’éteignent les unes après les autres.

La faute la plus impardonnable de l’Intersyndicale, c’est de n’avoir à ce point rien fait d’une telle abondance d’énergie politique — c’est d’avoir failli comme pôle de la mise en forme stratégique. La nécessité d’un pôle est une nécessité logique. Sauf à croire aux miracles de la coordination spontanée à grande échelle, seul un pôle peut agréger les multiples puissances locales, autrement vouées à demeurer éparses, en une puissance globale, et ceci en leur proposant une direction stratégique. Une direction que tout le monde regarde et à partir de laquelle, la regardant, tout le monde se coalise réellement, dans une action puissante.

La solution polaire, la solution de puissance coalisée était évidente — en fait, il n’y en avait qu’une : la grève, sinon générale, du moins aussi étendue que possible et reconductible. C’est bien ici que se fait connaître et le pouvoir et la responsabilité du pôle : la coordination — encore. Définitivement échaudés par « la grève par procuration » de 2010, qui avait vu certains d’entre eux se lancer pour se retrouver isolés et abandonnés, les secteurs maintenant se regardent les uns les autres en attendant pour bouger une garantie que tous bougeront. Seul un « centre » peut la leur offrir… pourvu qu’il parle. Et même qu’il parle fort, quand il faut venir à bout du souvenir de tant de conflits perdus, de tant de « sorties » pour rien.

Mais le centre est resté muet, ressassant lui-même la complainte de l’inanité des « appels dans le vide ». Les appels en soi, sans doute, à plus forte raison du dehors. Cependant qui appelle ne ferait-il pas une petite différence ? Par exemple lorsque « qui » est une Intersyndicale — plutôt qu’un meeting parisien.

« Solution de papier et d’incantation », persiste malgré tout la « voie institutionnelle » (« on va se faire entendre », « on va être exemplaires, on aura le soutien des médias », « on va parler aux partis », « on va impressionner l’Assemblée »). Interrogée par Mediapart, Sophie Binet déroule à nouveau l’argumentaire automatique du ne-rien-faire : « Il n’y pas de bouton “Grève générale” sur lequel il suffirait d’appuyer », « Les transformations du monde du travail, son atomisation notamment, y font de toute manière obstacle ». Le pire étant que cet argumentaire n’est pas absolument faux. En effet, le monde du travail n’est plus celui du fordisme, et en effet il n’y a nulle part de « bouton ». Mais il y a des conjonctures, qui interdisent de répéter à l’identique les bonnes raisons de la passivité. Or, celle de 2023 est inédite — à l’échelle des trente dernières années. Elle rend à nouveau possibles des choses encore impossibles il y a peu. Au moins elle justifiait d’essayer.

Quand on est un pôle, on sait qu’on fait de la politique. Donc qu’une initiative risque toujours d’échouer. Mais aussi qu’il se présente des situations où le risque en vaut néanmoins la chandelle. C’était le cas. Au moment du 49.3, la colère est portée à un point d’incandescence. La fenêtre s’ouvre. Les énergies sont décuplées, se cherchent des points d’application. Les manifs nocturnes fleurissent spontanément, les rues de Paris sont en flammes, de très belles images qui ne manqueront pas d’impressionner Fitch.

Jamais de telles conditions n’avaient existé pour qu’un appel, lancé depuis le pôle, ait autant de chances d’être entendu. Un appel clair et puissant, résolu, qui dise l’armement des caisses de grève, la nécessité et la possibilité que les énergies salariales se donnent une forme coalisée dans le grand débrayage, qui dise surtout que la grève soutenue, coordonnée à grande échelle, a les plus grandes chances de faire plier le camp d’en-face, que cet effort-là ne sera pas vain comme les journées passées à arpenter.

Mais l’Intersyndicale est Berger. Et Bruce n’ira pas au-delà de la gesticulation symbolique. Car il est bien élevé. Et nous constatons, une fois de plus, à quoi conduit de se soumettre aux médias comme arbitres des élégances : à la défaite. Mais à la défaite avec les félicitations du jury. Alors on peut rentrer content de soi à la maison.

Eh bien non, il n’y a pas de quoi être content. Perdre avec le respect de la bourgeoisie, c’est perdre deux fois : avec les honneurs de la bourgeoisie, en plus d’avoir été défait. Et en ayant oublié Flaubert : « les honneurs déshonorent ».

On pouvait accorder du bien-fondé à la stratégie de l’Intersyndicale, à la condition qu’elle-même la considérât comme phasée : un premier temps de pure construction du nombre et du capital symbolique était utile. Mais ceci supposait que l’Intersyndicale serait capable de se transcender elle-même et, passé le premier temps de construction, d’entrer dans une deuxième phase, de pivoter, de faire quelque chose du nombre construit. C’était trop demander.

Le moment pourtant lui a été désigné : 16 mars, 49.3. Pour son malheur, l’Histoire, dont on, dit usuellement qu’elle ne repasse pas les plats, pourrait bien rouvrir une fenêtre. Voici la proposition de loi d’abrogation LIOT. Et surtout son devenir probable : votée à l’Assemblée, elle sera rejetée au Sénat, mais avec interruption violente du processus parlementaire par refus de convoquer une commission mixte paritaire. À supposer d’ailleurs qu’elle ne soit pas d’emblée escamotée au prétexte de l’article 40. Dans tous les cas, ce sera un nouveau coup de force, semblable en niveau d’outrage à celui du 49.3. La colère est encore rougeoyante, bienvenue au litre d’alcool à brûler.

Il a toujours mieux valu des unités moindres mais combatives que des unités larges mais désireuses de perdre, en tout cas de ne rien faire de ce qui était requis pour vaincre. Cette loi LIOT, quel fléau pour l’Intersyndicale — qui l’oblige à faire quelque chose là où elle n’a envie de rien faire, qui lui tend des opportunités qu’elle n’a aucun désir de saisir. Car nous savons qu’en l’état, l’Intersyndicale ne fera rien de plus de cette deuxième fenêtre miraculeuse. Sauf à ce qu’elle mute : en se séparant de la CFDT, et en se resserrant comme bloc enfin combatif. Évidemment, pour en trouver les voies, il faudrait rompre avec le fétichisme de « l’unité », c’est-à-dire être capable de ne pas se laisser impressionner par les larmes de crocodile médiatiques, qui ne manqueraient pas de prononcer la fin de tout sitôt le départ de Berger, le doudou de la défaite avec les honneurs. L’« unité », ce talisman mensonger. Il n’y avait pas d’« unité » en 1995. Et 1995 a gagné – pour cette raison même : il a toujours mieux valu des unités moindres mais combatives que des unités larges mais désireuses de perdre, en tout cas de ne rien faire de ce qui était requis pour vaincre (comme d’élargir la revendication à l’indexation des salaires, cet embrayeur irrésistible). L’unité intransitive, l’unité pour l’unité, est un mirage. On comprend que les médias mettent tant d’efforts à nous la rendre si précieuse.

Ce mouvement imperdable, mais dont les conducteurs ont tout fait pour qu’il perde, n’a donc pas encore perdu. Pour peu que le pôle démissionnaire se restructure en pôle résolu — à remettre la grève à l’ordre du jour. On reste songeur que cette solution ait été aussi obstinément évacuée. N’était-elle pas la seule stratégie de puissance, d’ailleurs doublement préférable puisque son efficacité est établie et qu’elle minimise l’engagement violent — à cet égard, elle est vraiment la dernière station avant l’autoroute insurrectionnelle. Car tous ceux qui ont vu leur énergie absorbée par le vortex de l’impuissance en tireront, ont déjà commencé à en tirer, des conclusions. L’Intersyndicale Berger qui a de la « condamnation de toutes les violences » plein la bouche aurait dû « logiquement » faire un effort non seulement pour considérer la grève dure, mais pour la promouvoir ardemment. Au lieu de répéter bras ballants que « les gens sont très en colère ». Et de les y abandonner sans solution.

On peut supposer que la profondeur des organisations syndicales ne manque pas de militants déterminés, qui observent consternés l’impasse où leurs dirigeants les ont conduits. De la liste, qu’on croyait enfin terminable, des défaites syndicales enfilées comme des perles depuis 2010 (les retraites, déjà), celle de 2023 restera comme une sorte de joyau de la couronne. Le scandale des institutions, c’est le gaspillage qu’elles font du dévouement de leurs membres : tous ces piquets à l’aube, tous ces salaires abandonnés, tous ces coups reçus dans les déblocages, toutes ces intimidations judiciaires. Pour rien ?

Il n’est nullement fatal qu’il en soit ainsi, même encore aujourd’hui. Pendant quatre mois, il faut se souvenir que ce pouvoir a été d’une certaine manière un allié objectif, aussi puissant qu’inattendu, des mobilisations : par le spectacle continu de son infamie et le sentiment de scandale qu’il n’a cessé de nourrir. Ce « naturel » là n’est pas près de faire défaut.

La voie de la grande grève n’est pas fermée pour peu qu’un nouveau pôle vienne à se former, quitte d’ailleurs à ce que ce soit à partir de l’ancien. Un pôle qui soit capable d’analyse. Analyse stratégique de ce qu’il est permis d’espérer comme compromis significatif dans le jeu policé (et frelaté) du « dialogue social » — rien —, et de ce que ce « rien » détermine comme seule issue conséquente : une ligne d’affrontement autre que « symbolique ». Et puis analyse tactique de ce qu’une conjoncture à la fois fluide et inflammatoire peut réserver d’opportunités. Pour que, si venait à s’ouvrir une nouvelle fenêtre, cette fois elle soit prise."

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Lettre ouverte d'Adèle Haenel à l'hebdomadaire Télérama (n° 3826 du 10 mai 2023, pp. 31 et 32)

"J'ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l'ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu'il est. Disons-le clairement : alors que la biodiversité s'effondre, que la militarisation de l'Europe s'emballe, que la faim et la misère ne cessent de se répandre, quelle est cette obsession du monde du cinéma -collégialement réuni aux César, en promotion pour ses films- de vouloir rester "léger" ? De ne surtout parler de "rien". Dans un contexte de mouvement social historique, on attend de voir si les pontes du cinéma comptent -comme les sponsors de l'industrie de luxe- sur la police pour que tout se passe comme d'habitude sur les tapis rouges du Festival ce Cannes. Remplir de vent l'espace médiatique a un but, celui de rendre l'ordre bourgeois aussi naturel que le bleu du ciel et de rendre inaudibles, marginales, les voix de celleux qui organisent la résistance pour que tous les humains puissent vivre dignement et qui essayent d'arracher un avenir à cette planète. Continuer de rendre désirable ce système est criminel. Il y a urgence : il n'y a plus d'avenir vivable pour personne à très court terme dans le cadre du capitalisme. Il est urgent de vocaliser cette alarme le plus fort possible. Mais elles et eux toustes ensemble pendant ce temps se donnent la main pour sauver la face des Depardieu, des Polanski, des Boutonnat (1). Ça les incommode, ça les dérange que les victimes fassent trop de bruit, ils préféreraient qu'on continue à disparaître et crever en silence. Ils sont prêts à tout pour défendre leurs chefs violeurs, ceux qui sont si riches qu'ils se croient d'une espèce supérieure, ceux qui spectacularisent cette supériorité en se vautrant dans le bruits de cochon, en chosifiant les femmes et les subalternes. Les chefs se lèvent et pètent, les larbins du capital ricanent et applaudissent. Ils sont agrippés à leur coupe de champagne rosé, prêts à chanter à ces ultra-riches lobotomisés par le pouvoir toutes leurs plus belles chansons pour leur dire qu'ils seront toujours les plus innocents. Que c'est vrai, les pauvres sont pauvres et c'est malheureux, que les femmes sont violées et c'est malheureux aussi, mais que ce n'est la faute ni des riches ni du système qui les exploitent. Et d'ailleurs la grande industrie produit à dose homéopathique des films sur les pauvres héroïques et des femmes exceptionnelles, histoire de capitaliser toujours davantage sur notre dos sans donner aucune force à notre mouvement. Que tout le monde reste bien à sa place. Je le redis : la HONTE. Face au monopole de la parole et des finances de la bourgeoisie, je n'ai pas d'autres armes que mon corps et mon intégrité. De la cancel culture au sens premier : vous avez l'argent, la force et toute la gloire, vous vous en gargarisez, mais vous ne m'aurez pas comme spectatrice. Je vous annule de mon monde. Je pars, je me mets en grève, je rejoins mes camarades pour qui la recherche du sens et de la dignité prime sur celle de l'argent et du pouvoir. Depuis 2019, je poursuis mon travail artistique dans la collaboration théâtrale et chorégraphique avec Gisèle Vienne. C'est une actrice qui construit une des œuvres les plus puissantes que j'aie jamais rencontrées. Face au détachement, à la vacuité et à la cruauté que l'industrie du cinéma érige en principe de fonctionnement, le sens, le travail et la beauté qu'elle met en permanence en jeu sont une lumière qui me permet de garder la foi dans ce que peut vouloir dire la puissance de l'art".

(1) : Note de la rédaction de Télérama : "dans ces affaires, les trois hommes contestent les faits qui leur sont reprochés".

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