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samedi 29 avril 2023

VIVRE : RÉGULATION ET CIRCULATION DES ÉNERGIES.

 (Ceci est le résumé d'une communication que j'ai faite le dimanche 16 avril 2023 au Plan d'Aups dans le cadre d'un stage organisé par l'Institut de Yoga).

"Notre intelligence est incapable de se représenter la vraie nature de la vie"(Bergson, l’Évolution Créatrice, intro.). De facto la vie a été, en Occident, soit réduite à un simple mécanisme biologique, soit élevée au rang de mystère insondable et, pour cette raison, imputée à un miracle divin. Nous allons défendre l'idée que la vie n'est ni un miracle, ni un mécanisme mais un système tout à la fois chaotique et particulièrement ingénieux d'auto-régulation et de circulation des énergies. Pour cela, nous pointerons ce qui, dans "notre intelligence" nous empêche de saisir "la vraie nature de la vie", puis nous nous tournerons alternativement vers la physique moderne (dont physique quantique) et vers les sagesses traditionnelles (dont Tao), deux courants de pensée aussi éloignés historiquement, géographiquement et méthodologiquement qu'intuitivement proches l'un de l'autre.

1 – NI CAUSALITÉ, NI DUALITÉ, NI STABILITÉ :

"La métaphysique date du jour où Zénon d’Elée signala les contradictions inhérentes au mouvement et au changement […]. Le principal effort des philosophes anciens et modernes a consisté à surmonter, par un travail intellectuel de plus en plus subtil, les difficultés soulevées par la représentation intellectuelle du mouvement et du changement"1(Bergson, la Pensée et le Mouvant, intro.). Or, quoi de plus mouvant et changeant que la vie ? Pour tenter de comprendre en quoi ce que Bergson nomme l'"intelligence" fait partie du problème plutôt que de la solution, il va donc falloir commencer par identifier les principaux obstacles métaphysiques à une représentation adéquate de la vie. En l'occurrence, la causalité, la dualité et la stabilité.

La relation de cause à effet est un dogme de la rationalité occidentale. Ce dogme résulte d'un double leg, à la fois grec et latin. Pour les Grecs, l'idée de cause d'un phénomène dérive du paradigme aristotélicien selon lequel toute création ou transformation est nécessairement l'effet d'une cause mécanique conçue comme raison suffisante du phénomène, de sorte que la nature est censée se comporter comme le bon artisan qui se fixe un but et se donne les moyens de l'atteindre2. Pour les Latins, l'idée de cause est celle d'une imputation juridique de responsabilité ou de culpabilité : le juge met en cause3 le prévenu, l'avocat défend la cause de celui-ci. On voit par là que la pensée mécanique et la pensée théologique ont partie liée : chercher la cause, puis la cause de la cause, puis la cause de la cause de la cause, etc., c'est rien moins que chercher le responsable (ou le coupable) suprême du phénomène considéré, à savoir (un) Dieu4. Si on veut éviter cette première ornière pour décrire adéquatement la notion de vie, il convient donc d'éviter l'obstacle du déterminisme causal et de son corrélat, le mythe de la prédictibilité absolue du réel en droit sinon en fait.

À titre de paradigme alternatif, nous disposons, notamment, de la notion de chaos qui nous vient des Grecs5 et désigne un état de con-fusion où ordre et désordre co-existent6, où les contraires étant co-présents, tout est encore possible. Sauf que le Chaos reste, chez les Grecs, un simple mythe des origines (μῦθος, muthos) qui n'a rien à voir avec la science rationnelle (λόγος, logos). De même, en Occident, l'idée de chaos est ignorée jusqu'au XIX° siècle et sa (re-)découverte, notamment à travers le mouvement brownien7. Dans un premier temps, Henri Poincaré puis Albert Einstein vont analyser le mouvement brownien en un phénomène complexe dont les causes sont non-identifiables car en quantité tendant vers l'infini. Mais c'est l'émergence, dans les années 1920, de la physique quantique qui va porter le coup fatal au principe d'intelligibili absolue du réel en établissant8 qu'à l'échelle des constituants fondamentaux de l'univers, le réel n'est pas déterminable autrement que de manière statistique. À cette échelle9, en effet, il n'y a plus ni causalité ni localité ni temporalité mais, dans certaines conditions, intrication des entités et superposition de leurs propriétés. On retrouve ainsi l'idée primitive de chaos, notamment dans la notion de vide quantique particules et anti-particules sont co-présentes10 et même l'idée de l'intervention d'un démiurge qui met de l'ordre dans le désordre, sauf qu'il ne s'agit pas d'une divinité mais de l'observateur-expérimentateur qui, par son intervention technique mécanique et causale, réduit le champ des possibles à un seul11. Nous voyons par là que l'idée de chaos ne bannit pas ipso facto celle de mécanisme causal12 mais seulement son hégémonie métaphysique. La conséquence épistémologique de cette perte d'hégémonie est que la connaissance scientifique du réel n'est plus nécessaire (certaine) mais seulement probable.

Il est pour le moins singulier que vingt-six siècles avant la physique quantique, la pensée chinoise nous offre un modèle convergent, quoique moins formel, plus poétique, d'intelligibilité du réel13 : le Tao dont l'un des grands classiques nous explique qu'"il existe et a toujours existé de l'indéterminé pour procéder à la génération de la terre et du ciel et que, faute de mieux, on peut l'appeler Tao"14. D'où l'étymologie de "Tao" comme processus de réinitialisation perpétuelle du réel : , dào composé des racines, shǒu, "origine" et , chuò, "mouvement". Les taoïstes ne goûtant guère les définitions et les démonstrations, on trouve beaucoup de descriptions analogiques du Tao dont l'une des plus intéressantes pour notre propos est sans doute celle du Yi King : "un Yin, un Yang, voilà le Tao"15. Le Tao, ce mouvement perpétuel du réel, est donc pensé, d'emblée, comme oscillation permanente entre , yīn, pôle de l'ordre et , yáng, pôle du désordre16. D'où l'idée qu'"ordre et désordre s'engendrent mutuellement"17. Le Tao offre donc une version du chaos d'Hésiode ou du vide quantique, c'est-à-dire d'un perpétuel tourbillon fondamentalement imprédictible en ce qu'il conjoint tous les possibles, y compris les contradictoires.

Un autre dogme qu'il va falloir dépasser : l'idée que la vie est une propriété d'un certain type de système physique et, d'une manière plus générale, l'idée qu'il existe une dualité ontologique entre les choses et les propriétés des choses. Dualité encore une fois héritée de la métaphysique aristotélicienne qui sépare substance (οὐσία, ousia) et accident (συμβεβηκός, sumbébèkos), elle même conditionnée par l'ambiguïté syntaxique qui induit l'équivalence fallacieuse entre "x est p" ("x est vivant") et "x possède la propriété p" ("x possède la vie")18. Plus précisément, il convient à présent de se débarrasser de l'idée, classique en physique classique, que l'énergie est la propriété d'un corps accéléré (énergie cinétique19) entrant en interaction mécanique causale avec un autre corps.

Dès, en effet, la théorie de la relativité restreinte, Einstein établit l'équivalence de la masse et de l'énergie20, de telle sorte qu'on peut considérer, désormais, la masse comme de l'énergie "froide" ou "au repos" et, corrélativement, l'énergie comme de la masse "chaude" ou "fortement accélérée". Puis, à partir de la relativité généralisée, tous les corps, y compris les plus massifs (planètes, étoiles, trous noirs, etc.) seront considérés comme des champs d'énergie gravitationnelle. Par ailleurs, après la découverte de la nature corpusculaire de la lumière (les "photons" de l'effet photo-électrique) par Einstein et la mise en évidence des franges d'interférence qui trahissent, paradoxalement, la nature ondulatoire des photons, la physique quantique va admettre l'équivalence onde-particule du réel sub-atomique21. Dès lors, toutes les entités peuvent être appréhendées, que ce soit à l'échelle quantique, à l'échelle macroscopique ou à l'échelle astro-physique, soit comme des agrégats de parties gouvernées par un déterminisme mécanique causal, soit comme des champs énergétiques à interaction non-mécanique non-causale.

Chez les Chinois, qui connaissent et utilisent depuis le V° siècle avant l'ère commune le magnétisme comme modèle d'interaction non-mécanique non-causale, la notion d'énergie occupe une place centrale. Un paragraphe très important du Tao Te King (attribué à Lao Tseu) résume en quelque sorte le processus de création continue du Tao en disant que "l'Un (le Tao) crée le Deux (le Yin et le Yang), que le Deux crée le Trois (c'est-à-dire un troisième terme)". Ce troisième terme, c'est le , , que l'on traduit généralement par "souffle" ou par "énergie". Après quoi, est-il précisé, "ce souffle énergie infuse en toute chose"22. Bref, toute entité peut s'analyser en un champ énergétique, autrement dit un processus de transition énergétique entre un pôle ordonné () et un pôle désordonné () et réciproquement. Donc, dans le mouvement perpétuel du , c'est la circulation du qui assure et exprime la transition. Là encore, la frontière entre sujet actif et objet passif se brouille puisque l'énergie n'est plus une propriété dont une chose serait passivement affectée mais la chose elle-même en tant qu'elle se modifie23.

Troisième dogme dont s'accommode très mal le phénomène vital : la notion d'équilibre énergétique local comme expression microcosmique d'un postulat d'équilibre énergétique macrocosmique global de l'univers tout entier. Les lois de Leibniz ou de Lavoisier d'après lesquelles "rien ne se perd, tout se transforme", ne sont que l'effet de la récupération métaphysicienne du constat de la réalité du changement et du mouvement que la métaphysique a bien dû concéder aux sciences expérimentales. En supposant, en effet, que tout ne soit que devenir et que tout ce qui devient ne soit qu'énergie, il resterait néanmoins, in fine, quelque chose d'éternel et d'immuable : la quantité totale d'énergie dont serait doté l'univers. Et ce, au mépris d'un autre constat que les physiciens font depuis l'antiquité : à savoir que toute énergie mécanique ordonnée (travail) est convertible en énergie thermique désordonnée (chaleur) mais, apparemment, non réciproquement.

Or, au XIX° siècle, Carnot va montrer que si le passage du travail à la chaleur, donc de l'ordre au désordre, se fait sans dépense supplémentaire d'énergie, la réciproque n'est pas vraie. C'est l'objet du second principe de la thermodynamique24 : pour rétablir l'équilibre énergétique d'une entité quelconque qui a perdu de l'énergie sous forme de chaleur, il va falloir puiser de l'énergie dans son environnement, puis dans l'environnement de cet environnement, etc. de sorte que, de proche en proche, c'est l'univers tout entier qui va perdre de l'énergie. Clausius puis Boltzmann25 vont nommer "entropie" le fait que tout échange énergétique soit tendanciellement déficitaire, c'est-à-dire le fait que toute entité, à la limite, l'univers tout entier, tende vers son propre désordre26. La physique quantique va confirmer la réalité de l'entropie en montrant que tout échange énergétique tend vers un état de moindre excitation ou de moindre énergie car si, pour toute entité sub-atomique, la permanence suppose, dans un premier temps l'absorption (gain d'énergie), dans un second temps il y a émission de particules donc perte d'énergie. Et, corrélativement, pour observer un phénomène (y mettre de l'ordre) à l'échelle sub-atomique, la physique quantique montre qu'il faut lui fournir un surcroît d'énergie sous forme de photons donc accroître l'entropie ambiante. Notons enfin, que si les sagesses orientales traditionnelles ne se sont guère étendues sur ce point, les allusions à la notion d'entropie comme négation d'un équilibre énergétique27 ne manquent pas : ainsi, ce passage du Tao Te King selon lequel "le Tao infuse en toute chose sans jamais la combler de son énergie"28 ; ou encore, dans la mythologie hindouiste, la figure de Shiva, le dieu à la danse dévastatrice29.

Désormais, si l'on admet qu'il existe des phénomènes chaotiques, c'est-à-dire non-entièrement descriptibles et non-entièrement prédictibles en termes de causalité mécanique, que ces mêmes phénomènes concernent non pas des choses mais des champs énergétiques en interaction permanente, enfin que ces champs énergétiques sont tendanciellement entropiques, c'est-à-dire déficitaires en énergie, nous avons quelques chances d'appréhender plus adéquatement le phénomène vital.

2LA VIE COMME PROCESSUS D' AUTO-RÉGULATION DES ÉNERGIES :

Nous allons montrer que la diversité, la variabilité et la créativité de la vie est la preuve d'une souplesse adaptative dont n'est capable aucun phénomène mécanique, celui-ci fût-il transcendant.

Pour cela, revenons d'abord sur un sophisme corrélé aux mythes de la causalité, de la dualité et de la stabilité que nous avons précédemment dénoncés. Si tout le monde admet que l'ordre puisse dégénérer en désordre, en revanche, l'inverse paraît contre-intuitif. De là l'un des arguments favoris de ceux qui prétendent "prouver" que la vie procède nécessairement d'un intelligent design, autrement dit d'une intervention providentielle est le suivant : 1) le phénomène vital va se perfectionnant depuis l'apparition des unicellulaires jusqu'à celle d'homo sapiens sapiens, or 2) le perfectionnement, comme toute mise en ordre, suppose toujours l'existence d'un ordre supérieur30, donc 3) l'ordre vital, de même que tout ordre, ne peut procéder que d'un ordre supérieur.

Or Boltzmannn et Gibbs ont établi, à l'orée du XX° siècle, une relation statistique31 entre l'entropie probable d'un phénomène (S) et le nombre de ses configurations possibles (Ω) disant, en gros, que moins nombreux sont les états possibles de ce corps, plus faible en est l'entropie, mais selon une progression logarithmique qui fait que l'entropie n'augmente que faiblement lorsque le nombre de configuration s'accroît fortement, tandis qu'elle diminue fortement au fur et à mesure que l'on s'approche de Ω = 132Ce phénomène, connu depuis longtemps sous le nom de "principe de moindre action" explique que, lors d'un changement physique quelconque, les éléments du système qui se modifie et qui, pour cela, perd de l'énergie, adoptent néanmoins toujours le profil le moins coûteux en énergie : par exemple, lorsqu'on verse de la farine dans un saladier, celle-ci adopte vaguement la forme d'un cône, jamais celle d'une sphère ou d'un cube. Tout se passe donc comme si l'entropie ou perte d'énergie s'auto-régulait spontanément : plus elle est forte, moins vite elle augmente33. Un peu comme le Père Goriot qui, plus il perd d'argent, plus il se restreint et moins vite il en perd.

Bref, tout se passe comme si tout processus physique, en tant qu'il est sujet à l'entropie, recevait une in-formation lui ordonnant34 de modérer son entropie et ce, d'autant plus fortement que le processus est plus complexe, donc moins probable et, partant, plus coûteux en énergie nécessaire à sa réalisation. Voilà pourquoi, dans le sillage de Boltzmann et Gibbs, vers le milieu du XX° siècle, Shannon et Weaver vont définir la quantité d'in-formation35 comme l'entropie négative (néguentropie) H d'un phénomène dont la probabilité de l'état p(E) est l'inverse du nombre de ses configurations possibles (Ω). On peut considérer par analogie que c'est donc cette néguentropie qui va in-former le phénomène, c'est-à-dire, littéralement, lui conférer une forme nouvelle et donc dé-former sa forme ancienne en vertu du principe de moindre action36. Bref, plus l'état d'un système est improbable et plus ce système a besoin d'être in-formé pour parvenir à l'existence et à la subsistance. Sauf que, en vertu du principe de moindre action, l'in-formation est inhérente à son improbabilité même et n'a donc nul besoin d'une intervention  extérieure37. Le Tao nous avait déjà prévenus : "dans le flux perpétuel, si toute chose naît de ce qui existe, en revanche ce qui existe naît de ce qui n'existe pas"38. En d'autres termes, il se pourrait bien que "la vie [soit] de l'ordre engendré par de l'ordre provenant du désordre" (Schrödinger, qu'est-ce que la Vie ?).

Nous voilà à présent en possession de tous les éléments qui nous permettent de décrire plus adéquatement le phénomène vital. Car si tous les êtres, en tant qu'ils existent, sont porteurs d'in-formation néguentropique, les corps inertes, dont l'existence est la plus probable car la moins complexe et, partant, la moins dispendieuse en énergie, n'ont que leur propre inertie à opposer à leur entropie pour satisfaire la condition de moindre action. Or, des êtres dont l'existence serait plus improbable car tributaire d'un beaucoup plus grand nombre de configurations possibles, de tels êtres requerraient une beaucoup plus grande quantité d'in-formation(s) afin de compenser la dépense d'énergie nécessaire à leur existence et à leur subsistance. Et tels sont, précisément, les êtres vivants qui opposent à leur entropie un foisonnement d'in-formations concentrées dans l'espace et dans le temps. On peut distinguer, dans ce foisonnement deux niveaux d'in-formations vitales : le niveau génétique et le niveau sensible ou intentionnel.

Au niveau génétique trois classes d'in-formations se superposent simultanément : celles qui sont dirigées vers ce que Varela appelle "l'auto-poïèse", c'est-à-dire l'auto-formation de l'être vivant, celles qui visent la pro-poïèse ou propagation de la vie, celles enfin qui concernent l'apoptose ou dégénérescence cellulaire aboutissant à la mort. Dans tous les cas, les in-formations sont des phénomènes chimiques39 concentrés dans l'espace (ce qu'il est convenu d'appeler l'ADN ou, à défaut, l'ARN) et dans le temps (celui, précisément, de durée de la vie) afin d'aménager, diffuser, enfin détruire un milieu corporel interne capable de glaner de manière autonome de l'in-formation, autrement dit, avons-nous vu, de l'énergie destinée à compenser l'entropie générée par sa propre existence. À cet égard, la photosynthèse chlorophyllienne est le plus parfait exemple de l'auto-régulation des in-formations vitales dans un processus chimique d'une grande simplicité40. Comme tout processus d'in-formation génétique, la photosynthèse synthétise de l'ATP (adénosine tri-phosphate) qui est l'in-formation énergétique de base dont a besoin tout être vivant pour compenser son entropie. Ajoutons que les in-formations génétiques en général sont, au sens propre du terme, des codes (génétiques) destinés à être auto-interprétés de manière circulaire en fonction d'un contexte chaotique et non pas des programmes linéaires au sens informatique du terme qui seraient destinés à être appliqués mécaniquement. La circularité (la non-linéarité) du processus vital signifie que l'organisme vivant n'est pas seulement modifié par le code (génétique) mais, qu'à la manière d'un bon lecteur, il en modifie le sens en retour selon le contexte. De là la grande souplesse, la grande variabilité, la grande mutabilité et, in fine, la grande adaptabilité génétique du vivant (sélection darwinienne).

Mais cette souplesse d'adaptation du milieu corporel interne aux variations énergétiques chaotiques du milieu externe est encore amplifiée au niveau, sensible ou intentionnel41 d'in-formation. Celui-ci consiste en ce que ce milieu corporel interne va optimiser sa lutte contre l'entropie en s'adaptant en temps réel au chaos ambiant à la fois par accommodation et par assimilation (cf. Piaget) sensori-motrice de l'in-formation. Par accommodation sensorielle, le milieu corporel interne est in-formé par le monde extérieur de certains traits génétiquement sélectionnés comme pertinents42. Par assimilation motrice (nutrition, respiration, déplacement) : le milieu corporel interne in-forme en retour le monde extérieur en aménageant un monde proximal43 et, au-delà, en trans-formant le monde extérieur distal44. Il va de soi que l'assimilation motrice modifie, en retour, les conditions de l'accommodation sensorielle, lesquelles influencent à leur tour celles de l'assimilation, etc. C'est en ce sens que l'in-formation, qu'elle soit génétique (spécifique) ou intentionnelle (individuelle), est toujours l'effet circulaire d'un apprentissage (spécifique ou individuel) chaotique car toujours en relation bi-directionnelle avec un milieu externe lui-même chaotique. Bref, il se pourrait bien que "la vie [soit] la création de soi par soi46"(Bergson, l'Évolution Créatrice), c'est-à-dire l'invention immanente (auto-catalytique) d'un processus physique auto-régulateur (homéostatique) qui ne nécessite donc aucune intervention extérieure (mécanique ou transcendante). Et comme une invention, par définition, ne se programme pas, le moment et la forme exacte de la manière dont l'in-formation va influencer ce que Prigogine nomme la "structure dissipative45" du milieu interne sont donc imprédictibles autrement que de façon statistique.

Mais que la vie, en particulier la vie humaine, soit le phénomène énergétique auto-régulé d'un milieu corporel interne en négociation permanente avec le chaos externe via l'aménagement d'un monde proximal, n'est-ce pas, au fond, ce que n'ont cessé de rappeler, depuis la nuit des temps, toutes les sagesses de l'humanité ?

3LA SAGESSE COMME CIRCULATION OPTIMALE DES ÉNERGIES VITALES :

En général, il y a présomption de vie lorsqu'il y a constat d'un mouvement continu (croissance, transformation, déplacement), lequel, avons-nous dit, s'analyse en un effort génétique/intentionnel visant à compenser l'entropie générée par un milieu corporel interne47. Aristote constatait déjà que "l'âme [ψυχή, psukhè] est la réalisation première d'un corps naturel qui a potentiellement la vie [ζωή, zôè]"(Aristote, de l’Âme, II, 412a). Par la suite, c'est la traduction latine de ψυχή, psukhè, par anima qui a donné d'une part "âme" et, d'autre part, "animer", "animal", "animation". Autrement dit, le vivant est, avant tout, un être animé, voire agité par le chaos des circonstances. D'où vient alors que, dans toutes les civilisations du monde, le Sage est représenté sous les traits (humains) d'un être équanime qui modère son animation et répugne à l'agitation ?

Sans doute la figure du vieux Sage paisible doit-elle faire contraste, avec celle du vulgaire, en l'occurrence, celle de l'homme de sexe masculin jeune et entreprenant qui, dit-on, constitue la force vive de la Cité48. Mais si tel est le cas, c'est que toutes les civilisations ont constaté que l'espèce humaine est la seule espèce vivante dont l'intentionnalité est si créative49 qu'elle en arrive à prendre le contrôle de la régulation naturelle50 des énergies vitales jusqu'à en devenir problématique, sinon pathologique. Voilà le danger : entraver voire bloquer la libre circulation du , , du souffle-énergie qui infuse et régénère en permanence toute vie51. Ce que souligne Zhuāng Zǐ (Tchouang Tseu) : "toute obstruction produit étranglement, arrêt des fonctions, lésion de la vie. Pour leurs actes vitaux, les êtres dépendent du souffle-énergie. Si ce souffle-énergie n’est pas abondant dans un homme, la faute n’en est pas au ciel, qui jour et nuit l’en pénètre ; elle est en lui, qui obstrue ses voies, par des obstacles corporels ou spirituels"(Zhuāng Zǐ, §26). Le Sage taoïste exprime par là ce que tous les Sages de toutes les civilisations ont toujours et partout exprimé : résoudre les problèmes qui se posent au vivant humain passe par la garantie d'une libre circulation des énergies.

Commençons donc par en lever les obstacles spirituels tant il est vrai que  1) l'esprit comme forme intentionnelle du vivant52 est un processus , yáng, subtil, éthéré, donc coûteux en énergie, de compensation de l'entropie et 2) l'échauffement des esprits est toujours le signe avant-coureur d'un gaspillage, qui peut s'avérer catastrophique, d'énergie humaine. Raison pour laquelle la Sagesse se pose comme tentative intentionnelle de limitation de l'intentionnalité dans la régulation des énergies, à commencer par une limitation prioritaire du recours à la parole53. Par exemple Lǎo Zǐ (Lao Tseu) : "celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas"54 ou encore "beaucoup de paroles est extrême pauvreté, cela détruit l'équilibre"55. De là vient que la sagesse est avant tout une ascèse56 spirituelle qui engage à ne pas faire plutôt qu'à (trop) faire. On songe alors au 为无为wéi wú wéi57, taoïste, à la bienveillance-humanité58 confucianiste, à la compassion universelle (karunâ) bouddhiste et, bien entendu, à toutes les formes de prière ou de méditation. Mais aucune sagesse ne va aussi loin que le yoga de Patañjali dans la description de ce que peut être une ascèse du renoncement59 à ce qui fait obstacle à la libre circulation des énergies vitales. Le yoga est défini d'emblée comme "cessation de l'agitation mentale"(Yoga-Sûtra, i, 2). Puis la notion de renoncement est présente dans chacune des huit étapes (angâni) du yoga de Patañjali jusqu'à ce que "les énergies fondamentales [guna]60 retournent à leur état latent originel" (Patañjali, Yoga-Sûtra (B.O.), iv, 34), bref, circulent librement.

Méditer, c'est, dans tous les cas de figure, "faire le vide" en concentrant, en dirigeant intentionnellement son énergie vers l'essentiel61, à savoir, la libre circulation des énergies vitales qui constituent et entretiennent le milieu corporel interne en adéquation avec son monde proximal. C'est pourquoi toutes les Sagesses du monde préconisent la non-adhérence62 intentionnelle à l'ego qui n'est autre qu'un enfermement du milieu vital interne sur lui-même63. La première Noble Vérité du bouddhisme est, sur ce point, on ne peut plus catégorique : la souffrance (duhkha) est due à l'attachement à soi-même (trishnâ) d'un milieu corporel interne déconnecté du monde externe et donc fermé à la circulation des énergies. Et c'est à partir de là que les sagesses divergent. Certaines, essentiellement en Occident, vont assimiler l'ego au corps et, par conséquent, traiter celui-ci en ennemi au point, paradoxalement, d'enfermer la sagesse dans les strictes limites de l'esprit, donc de la maîtrise de l'intentionnalité. D'autres, orientales pour la plupart, vont au contraire revenir au corps, non comme la fatale manifestation de l'ego, mais comme ce milieu corporel interne (丹田, dān tián, littéralement "champ de l'alchimie", le hara des Japonais) qui est le théâtre (, zhōng, "centre") de toutes nos transitions énergétiques,

On a vu à quel point le yoga de Patañjali insiste sur les conditions corporelles préalables à la méditation dont la principale est l'assise (âsana). Il en va de même dans le bouddhisme za-zen64 et le taoïsme où l'on commence par "s'asseoir et oublier tout65". On sait, par ailleurs, que la médecine chinoise est un art de la (ré-)activation des canaux énergétiques (, jīng, littéralement "méridiens"). L'idée est toujours la même, à savoir que c'est lorsque le , nous traverse sans entrave, que nous autres, vivants qui sommes "intermédiaires entre la Terre et le Ciel"66, autrement dit entre , yīn, et , yáng, connaissons vraiment "l'art de nourrir notre vie"67. D'où le soin particulier que la sagesse taoïste accorde à la fonction nutritive (, yǎng) et à la fonction respiratoire (呼吸, hū xī68). Pour autant, lever les obstacles proprement corporels à la libre circulation des énergies ne se borne pas, y compris chez les taoïstes, à bien manger et à bien respirer.

D'une manière générale, le Tao nous enjoint de lier le renoncement méditatif à une intentionnalité délétère, donc la recherche du "vide" spirituel69, au mouvement du milieu corporel interne. Ou, du moins, à certains mouvements. L'exigence, à cet égard, est double : d'une part il s'agit de mouvoir intentionnellement des organes ou des tissus dont l'immobilité a tendance à les priver de la précieuse énergie vitale et, d'autre part, il s'agit de faire circuler intentionnellement cette énergie en accomplissant des mouvements souples et naturels. Raison pour laquelle ces pratiques spirituelles-corporelles qui ont nom 气功qì gōng, 太极 拳tài jí quán ou yoga s'inspirent de quelques vivants qui nous ressemblent sans pour autant être aussi mal conditionnés que nous. D'où le nom de certaines postures du yoga (sauterelle, chat, crocodile, serpent, chameau, cobra, grue, etc.) ou de certains enchaînements de  qì gōng (五禽戏, wǔ qín xì, "le jeu des cinq animaux", en l'occurrence tigre, cerf, ours, singe, grue70). D'où également, dans le Tao, l'idée du corps enfantin comme modèle d'harmonie corporelle : "connaître la créativité désordonnée masculine, conserver la réceptivité ordonnée féminine, tel est le flux universel. Étant le flux universel, il adopte la souplesse enfantine"71. Voilà qui nous rappelle que la fluidité, la souplesse, l'aptitude au changement sont les principaux caractères du vivant.

Bref, "suivez la règle du Sage, videz votre esprit, remplissez votre ventre, affaiblissez votre volonté, renforcez vos os. […] En ne faisant rien de plus, vous vivrez longtemps"72.

1Au V° siècle avant l'ère commune, les partisans de Zénon et de Parménide s'opposent à ceux d'Héraclite qui professe le mouvement et le changement perpétuels. Bergson veut donc dire que la philosophie n'a eu de cesse, depuis vingt-cinq siècles, d'illustrer de mille manières le triomphe des premiers sur le second, c'est-à-dire, la victoire de l'intelligence sur l'intuition.

2Que l'"art imite la nature" doit donc se comprendre tautologiquement comme le fait que "l'art imite la nature en tant que pensée sur le modèle de l'art".

3Accuser vient du latin ac-causare.

4C'est d'ailleurs exactement ce que font, entre autres, Descartes ou Newton : se réfugier dans ce que Spinoza appelle "asile de l'ignorance".

5Chez Hésiode le Chaos, Χάος, est le tourbillon originel indifférencié d'où a surgi l'univers ordonné, le κόσμος, cosmos.

6En dehors du concept mathématique de relation d'ordre, les notions corrélatives d'ordre et de désordre sont, par elles-mêmes, très confuses. Un matériau amorphe qui n'a donc pas, par définition, de forme définie, possède en même temps le plus haut degré possible de symétrie donc, d'une certaine manière, d'ordre. Inversement, l'état aussi parfaitement ordonné que l'état cristallin n'est obtenu que par brisure spontanée de symétrie donc, d'une certaine manière, par introduction du désordre. 

7Le botaniste Robert Brown remarque que les trajectoires des grains de pollens dans une goutte d'eau sont complètement erratiques et, partant, imprédictibles.

8C'est le cas, notamment, avec le principe d'indétermination (et non d'"incertitude") de Werner Heisenberg.

9Il va de soi que les découvertes de la physique quantique ne concernent que l'échelle sub-atomique.

10On parle, métaphoriquement, de la "mer de Higgs" ou "mer de Dirac", pour désigner cette soupe fondamentale assez ressemblante au Chaos d'Hésiode.

11D'où la métaphore du "démon" de Maxwell qui peut être n'importe quel objet macroscopique et pas nécessairement un observateur doté de conscience (par exemple, le compteur Geiger dans l'expérience de pensée dite du "chat de Schrödinger").

12Le chaos de Poincaré ou d'Einstein, contrairement à celui de la physique quantique, est clairement déterministe. De même, des modèles mathématiques du chaos à l'échelle macroscopique (notamment en sciences humaines et en météorologie) relient l'imprédictibilité des phénomènes non pas à leur indétermination mais, au contraire, à leur sur-détermination par un très grand nombre de causes..

13Nombreux sont les physiciens quantiques à l'avoir souligné (cf. par exemple, Fritjof Capra, le Tao de la Physique).

14有物混成先天地生 […], 字之曰道, yǒu wù hún chéng xiān tiān dì shēng, […] zì zhī yuē dào (道德经, dào dé jīng, 25).

15 一阴一阳之谓道, yī yīn yī yáng zhī wèi dào (易经系辞, yì jīng xì cí).

16À noter que , yīn, et , yáng, 1) désignent, à l'origine, respectivement l'ubac (, , "colline" et , yuè, "lune") et l'adret (, , "colline" et ,   , "soleil") d'une montagne et 2) connotent respectivement l'ordre terrestre () et le désordre céleste (), au rebours donc de l'idée grecque de κόσμος, cosmos comme perfection céleste immuable opposée à l'imperfection du monde sub-lunaire agitée par le devenir.

17故有无相生, gù yǒu wū xiāng shēng (道德经, dào dé jīng, 2).

18Cf. Descartes qui déclare ne faire pas plus de différence entre un organisme vivant et un organisme mort qu'entre une horloge qui fonctionne et une autre qui serait à l'arrêt.

19E = ½ m.v2 avec E pour "énergie", m pour "masse" et v pour "vitesse".

20E = m.c2 avec m pour "masse" et c pour "vitesse de la lumière".

21De même qu'une note de musique est la superposition d'une onde fondamentale et d'ondes harmoniques, la superposition des états quantiques est une superposition (les physiciens parlent aussi de "paquets") d'ondes, superposition qui cesse lors de l'observation ("réduction du paquet d'ondes").

22道 生一一生二二生三三生万物,[...] 冲气以为和, dào shēng yī, yī shēng èr, èr shēng sān, sān shēng wàn wù […], chōng qì yǐ wéi hé (道德经, dào dé jīng, 42).

23Notons que l'on retrouve une idée assez proche dans la pensée hindouiste : "l'état particulier d'un objet est l'expression de l'unité d'une certaine combinaison des énergies fondamentales [guna]"(Patañjali, Yoga-Sûtra, iv, 14). Les trois guna (sattva, raja et tama), respectivement celle de Vishnu, de Brahmâ et de Shiva, ne sont pas sans rappeler , et .

24Le premier étant celui de la conservation globale de l'énergie (Leibniz-Lavoisier).

25Fondateur de la physique statistique, en ce sens précurseur de la physique quantique.

26À partir de là, on va définir la température d'un corps comme son agitation moléculaire moyenne. Par ailleurs, certains physiciens comme Stephen Hawking, vont définir le temps (la "flèche du temps") comme la dimension du désordre.

27Notons au passage que les Chinois possèdent la notion fondamentale de , zhōng, "centre", "milieu" ("Chine" se dit d'ailleurs 中 国, zhōng g, "pays du milieu") qu'il faut comprendre comme le centre géométrique de gravité, c'est-à-dire, le point d'application de la résultante des forces qui s'exercent sur un corps. L'équilibre, en ce sens, est donc purement ponctuel et sa durée est nulle (il n'y a pas d'état d'équilibre). Le est donc bien un pur processus.

28道冲而用之或不盈,dào chōng ér yòng zhī huò bù yíng (道德经, dào dé jīng, 4).

29 "Quand les temps sont révolus, dansant encore, il détruit toute forme et nom par le feu et apporte un nouveau repos. Cela est de la poésie mais n'en est pas moins de la science"(A.K. Coomaraswamy, the Dance of Shivain F. Capra, le Tao de la Physique, xv)

30C'est l'argument de l'émanation cher à Plotin : toute chose émane de l'Un en se dégradant. Ce qui n'est qu'une manière de dire qu'une perfection cosmique absolue est la conditio sine qua non de l'existence d'une (moindre) perfection terrestre relative. L'idée d'un artifex mundi n'est qu'une variation supplémentaire sur le thème de la production artisanale des choses des la nature.

31S = k ln Ω (à noter que cette équation figure en épitaphe sur la pierre tombale de Ludwig Boltzmann à Vienne !), avec k ≈ 1,380 649.10-23 J.K-1, Ω représentant l'univers des possibles, c'est-à-dire le nombre de configurations possibles d'un phénomène, et ln étant la fonction "logarithme népérien" (de base  2, 718 28).

32De sorte qu'à la limite, lorsqu'un seul état est possible (Ω= 1), son entropie devient nulle (ln 1=0). Ce qui, en toute rigueur, correspond au "zéro absolu", O°K ou -273,15°C, température à laquelle, théoriquement, plus aucune interaction énergétique donc plus aucun processus physique n'est possible.

33Ce principe explique aussi ce qu'on appelle en économie les "économies d'échelle" : il faut plus d'énergie pour produire 100 automobiles que pour en produire 10, mais il n'en faut pas dix fois plus.

34Les deux sens du verbe "ordonner" en français (commander et arranger) sont ici pertinents.

35Je détache le préfixe du radical à la fois pour qu'on ne confonde pas ce concept avec ce qu'on met aujourd'hui sous ce terme et aussi pour qu'on sente bien l'étymologie : in- former x, c'est, littéralement, donner à x une forme déterminée.

36

En partant de l'entropie S attachée à un événement E (partie jaune du graphique), Shannon et Weaver définissent l'in-formation néguentropique H (partie verte du graphique) attachée à cet événement par l'équation H = -k ln Ω, donc comme facteur négatif du logarithme du nombre des configurations possibles de E ou, ce qui revient au même, comme facteur positif de la probabilité de sa survenanceEn effet, si H (la quantité d'in-formation ou de néguentropie) doit être la mesure de l'entropie négative (-S), comme S = k ln Ω (cf. note 31) alors H = -S = -k ln  = ln 1/ Ω puisque p(E) = 1/ Ω et ln 1/x = -ln x.

37On ne peut pas en même temps soutenir qu'un événement est très peu probable et qu'il a besoin d'un "coup de pouce" pour se réaliser puisqu'alors ledit "coup de pouce" transforme la quasi-impossibilité (p(E)  0) en quasi-nécessité (p(E)  1). Qu'on me comprenne bien : dire qu'il est très peu probable que la vie apparaisse sans intervention providentielle n'est pas comme dire qu'il est très peu probable que les statues de l'île de Pâques se soient érigées sans intervention humaine. Car dans ce dernier cas, la relation de causalité mécanique entre l'existence de l'artisanat humain et la sculpture comme résultante de cet artisanat est déjà établie. Tandis que, dans le premier cas, une relation de même type n'est que postulée de sorte que la "preuve" (dite a contingentia mundi) de l'existence d'une providence divine n'est qu'une pétition de principe (on présuppose ce qu'on prétend démontrer).

38天下万物生於有,有生於无, tiān xià wàn wù shēng yú yǒu, yǒu shēng yú wú (道德经, dào dé jīng, 40).

39Combinaisons d'atomes C, H, O, N, P, S se regroupant pour former l'un des 20 acides aminés, lesquels engendrent les 4 bases protidiques (adénine, guanine, thymine, cytosine) produisant à leur tour des gènes regroupés en chromosomes, puis en cellules, puis en tissus, enfin en organismes vivants. Précisons qu'il s'agit là du modèle chimique de la vie tel que nous la connaissons sur la Terre mais que rien n'empêche d'en imaginer d'importantes variantes apparaissant ailleurs que sur Terre (c'est ce qu'essaie de faire l'astro-biologie). Ajoutons que si l'auto-poïèse concerne la lutte de l'organisme individuel contre l'entropie, la pro-poïèse et l'apoptose, en revanche, sont relatives à la néguentropie de l'espèce vivante tout entière. Il est évidemment significatif que la biologie (occidentale) ne s'intéresse sérieusement qu'au premier processus en confondant le second avec une soi-disant "reproduction" de l'individu et en faisant du troisième une anomalie.

406 H2O + 6 CO2 + e → C6H12O6 + 6 O: 6 molécules d'eau plus 6 molécules de gaz carboniques in-formées par la lumière solaire engendrent, via la production d'ATP, une molécule de cellulose plus 6 molécules d'oxygène.

41Toute fonction sensible met et maintient le milieu vivant tout entier in tensione, "en tension", sous-entendu vers l'in-formation la plus pertinente possible de nature à minimiser l'entropie et maximiser la néguentropie.

42Jakob von Uexküll, le père de l'éthologie, a remarqué, par exemple que la tique n'est sensible qu'à trois stimuli (émanation d'acide butyrique, chaleur animale, présence de poils) qui sont, pour l'acarien, les seules in-formations sensibles pertinentes. La réaction au premier stimulus est la chute, au second et au troisième la morsure et la succion.

43Ce que Jakob von Uexküll nomme une Umwelt. On songe aussi à l'"espace proximal de développement" de Vygotski.

44Le calcaire, le charbon, le pétrole, l'oxygène, etc. ne sont que des sous-produits de cette in-formation/ trans-formation du monde par le vivant.

45Par référence à l'entropie énergétique dont est affecté l'organisme vivant.

46Bergson parle, à ce propos, d'"élan vital", Freud de "pulsion de vie", Schopenhauer de "vouloir-vivre".

47C'est-à-dire la dissipation entropique de l'énergie nécessaire au métabolisme d'un organisme vivant, concrètement, l'énergie nécessaire à la fabrication permanente des molécules d'ATP. Il faut bien comprendre que, si un corps humain en bonne santé nécessite journellement quelque 2 000 à 2 500 kcal. d'énergie néguentropique (soient 2 à 3 kW.h, autrement dit la consommation énergétique quotidienne moyenne de le totalité de vos appareils électro-ménagers hors chauffage) c'est qu'il doit, journellement, synthétiser une quantité d'ATP égale à son propre poids !

48Rappelons toutefois que, chez les Grecs comme chez les Latins ou les Hindous, la sagesse est personnifiée par une déesse (respectivement Athéna, Minerve et Sarasvatî). Par ailleurs, chez les Chinois, le pôle , yīn, du , dào, celui de l'ordre, du calme, de la stabilité est associé au sexe féminin. D'ailleurs, la racine , , "femme" entre dans la composition de très nombreux caractères liés au champ lexical de l'ordre, ainsi , , "ordre", , ān, "paix" ou , hǎo, "bien", etc.

49Dans le , dào, le pôle de la créativité est donc le pôle , yáng, associé au sexe masculin.

50Jusqu'à en devenir "comme maître et possesseur" prétendra Descartes.

51Y compris la vie sociale, celle de la Cité comprise comme agrégation d'organismes humains au même sens qu'un organisme humain est une agrégation de cellules.

52J'ai expliqué dans Corps et Âme pourquoi je tiens "esprit" et "intentionnalité" pour synonymes.

53Par où l'on voit que philosophie et sagesse sont profondément antinomiques (cf. Platon, Lao-Tseu, Patanjali).

54知者不言,言者不知,zhì zhě bù yán, yán zhě bù zhī (道德经, dào dé jīng, 56).

55多言数穷不如守中, duō yán shù qióng, bù rú shǒu zhōng (道德经, dào dé jīng, 5).

56Du grec ἄσκησις, askèsis, "exercice", traduit par meditatio en latin.

57Littéralement "pour que - non - pour que", autrement dit "intention limitant l'intention".

58En chinois, rén, "bienveillance" est composé de , "être humain" et de , "deux" (ciel et terre, yīn et yáng, etc.). De plus, est homophone à rén "être humain".

59Il faut souligner l'importance de la notion de renoncement (sannyâsa) dans la culture indienne traditionnelle les renonçants (sannyâsin) ont rang de sages, sinon de saints.

60Cf. note 23.

61,chán, "méditer" est composé de , shì, "rite" et , chán, "essentiel". Or, ce qui est essentiel, du point de vue du Tao, c'est "viser le vide suprême", 致虚极, zhì xū jí (道德经, dào dé jīng, 16), ce "vide à usage inépuisable", 虚而不屈, xū ér bù qū (道德经, dào dé jīng, 5) : retour au chaos et au vide quantique.

62En chinois 弗居, (littéralement : "ne pas résider").

63"Le Sage […] n’a pas d’idée, pas de nécessité, pas de position, pas de moi"(Confucius, Entretiens, IX, 4) ; "m’asseoir et oublier tout. […] C’est là la transformation, dans laquelle l’individualité se perd"(Zhuāng Zǐ, §6). Car, selon le Tao, 出生入死, chū shēng rù sǐ (道德经, dào dé jīng, 50), "sortir (du moi), c'est vivre, y entrer, c'est mourir".

64Du chinois zuò chán, littéralement "méditation assise".

65坐忘, zuò wàng : "dépouillant mon corps, oblitérant mon intelligence, quittant toute forme, chassant toute science, je m’unis à ce qui pénètre tout. Voilà ce que j’entends par m’asseoir et oublier tout" (Zhuāng Zǐ, §6). "Oublier tout", en l'occurrence, toutes les intentions dont il s'agit de dépouiller le corps sans, bien entendu, laisser tomber celui-ci.

66天地之间, tiān dì zhī jiān (道德经, dào dé jīng, 5).

67养生焉, yǎng shēng yān (Zhuāng Zǐ, §3).

68Remarquons que le chinois ne dit pas "respirer" mais "expirer-inspirer" (dans cet ordre). Le 气功qì gōng, comme le prânâyâma sont, littéralement, "art(s) de maîtriser la respiration".

69动而愈出, dòng ér yù chū (道德经, dào dé jīng, 5), "plus le vide est en mouvement, plus il est productif".

70À noter la symbolique très précise de ce "jeu" : le tigre est associé à la puissance, au bois et au printemps, le cerf au calme, au feu et à l'été, l'ours à la solidité, à la terre et à l'inter-saison, le singe à l'adresse, au métal et à l'automne, la grue à l'agilité, à l'eau et à l'hiver.

71知其雄,守其雌,为天下谿, 为天下谿,常德不离,復归於婴, zhī qí xióng, shǒu qí cí, wéi tiān xià xī, wéi tiān xià xī, cháng dé bù lí, fù guī yú yīng'ér (道德经, dào dé jīng, 28).

72是以圣人之治,虚其心,实其腹,弱其志,强其骨 […] 为无为,则无不治, shì yǐ shèng rén zhī zhì, xū qí xīn, shí qí fù, ruò qí zhì, qiáng qí gǔ […] wéi wú wéi, zé wú bù zhì (道德经, dào dé jīng, 3). Pour autant, le taoïsme n'est ni un quiétisme, ni des hésychasme, quant à sa non-violence, elle mérite d'être nuancée. Le 为无为, wéi wú wéi, "rien de plus" (cf. note57), s'entend non dans l'absolu (comme dans l'hindouisme) mais relativement à une situation vitale donnée. À cet égard, la colère (en chinois 生气, shēng qì, littéralement "énergie-souffle vital-e") ou la fureur ont un rôle à jouer lorsqu'il importe d'y maintenir-rétablir la circulation des énergies. Par exemple, le septième mouvement du  气功qì gōng, dit des "Huit Pièces de Brocart" (八段锦, 外丹气功 bā duàn jǐn, wài dān qì gōng) : 攒拳怒目增气力, zǎn quán nù mù zēng qì lì, "concentrer la fureur dans les poings pour augmenter l'énergie". Doit-on rappeler que l'on doit les arts martiaux chinois (武术, wǔ shù), pour une part aux moines bouddhistes de Shaolin, pour une autre part aux moines taoïstes du mont Wudang ?

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