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mercredi 1 mai 2019

JILL ET JOHN (FIN DE PARTIE).

"Jill : Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. (Un temps.) Les grains s’ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c’est un tas, un petit tas, l’impossible tas. (Un temps.) On ne peut plus me punir". La colère, la divine colère, la mènis d'Achille ou d'Ulysse, obéit à la même logique que le tas de sable : un grain ne fait pas un tas, un grain de plus ajouté à un non-tas ne fait pas non plus un tas, etc. et pourtant, à partir d'un certain moment, on a néanmoins un tas. Même chose pour la colère : chacune des petites humiliations quotidiennes est presque indolore, à la longue, l'accumulation finit même par paraître normale (de même que l'ajout d'un grain à un grain peut aplatir le tas au lieu de le faire monter) et pourtant, un jour ... ça prend ... miracle !

"John : Peut-il y a — (bâillements) — y avoir misère plus ... plus haute que la mienne ? Sans doute. Autrefois. Mais aujourd’hui ?". J'entends déjà les "experts", je vois déjà les "spécialistes" me "prouver" que j'ai tort, qu'il y a tellement, tellement plus malheureux que moi ... tiens, regardez, y'a des chiffres ... le Vénézuela ... le Yemen ... la Grèce ... alors, vous ... les chiffres, ça ment pas, Monsieur ... inclinez-vous ! Ah ouais ? Moi aussi j'ai des chiffres, Ducon : les profits du CAC 40 ... l'évasion fiscale ... la stagnation des salaires ... l'augmentation des taxes sur la consommation ... l'inflation … la disparition des services publics de proximité … la misère ... l'homophobie ... le sexisme ... le racisme ... C'est pas la pauvreté : c'est juste penser qu'avec une autre organisation sociale, ça pourrait être moins pire ... connard ...

"John : Assez, il est temps que cela finisse, dans le refuge aussi. (Un temps.) Et cependant j’hésite, j’hésite à ... à finir. Oui, c’est bien ça, il est temps que cela finisse et cependant j’hésite encore à — (bâillements) — à finir. (Bâillements.)" Ça, c'est terrible ! On n'est même plus capable de se révolter. Mais de se révolter vraiment : de mettre le pays à feu et à sang, je veux dire ... comme en 1789 ... ou en 1917 ... ON HÉSITE ... et pourquoi on hésite ? eh bien parce que les idées dominantes, qui, comme le disait le vieux barbu, sont celles de la classe militaro-médiatico-financière dominante, conditionnent tellement nos manières de penser qu'on peine à imaginer un autre monde possible (paraît même que l'histoire est finie depuis la chute du mur à Berlin, comme y disait Fukushima ... euh ... Fukuyma ... lape, suce ...). Et pis aussi on se dit qu'une révolution, ben, c'est violent, quoi ... or, nous a-t-on appris, le possible, c'est l'ILLUSION et la violence, c'est MAL ... et pourquoi c'est MAL ? Eh ben parce que l'illusion et la violence menacent un monde où la racaille réelle te fait produire de la soi-disant "richesse", bien réelle pour la racaille en question mais virtuelle pour la canaille que tu es ! alors ... tu hésites ... tu te tâtes ... tu tergiverses ... tu réfléchis ... tu débats ... et pendant ce temps, la racaille capitaliste se goberge à Davos ... et sous les ors de la République Bananière ...

"John : Je te donnerai juste assez pour t'empêcher de mourir. Tu auras tout le temps faim." Salaire ... salaud … saloperie de capitalistes ... juste assez pour pas crever ... pour pas avoir le temps, ni la force, ni le courage de se révolter ! Et continuer à produire de quoi engraisser la racaille ! Eux, ils bouffent, ils s'empiffrent, et après, comme ils ont le profit plus gros que le ventre, ils gerbent (c'est pas moi qui le dis, c'est Adam Smith) ... et nous, on est bien content de laper-sucer leur vomi ... on appelle ça la "trickle down theory", la théorie du ruissellement, mon con !

"John : Tu n'en as pas assez ?
Jill : Si ! (Un temps.) De quoi ?
John : De ce ... de cette ... chose ...
Jill : Mais depuis toujours. (Un temps.) Toi non ?
John (morne) : Alors il n'y a pas de raison pour que ça change.
Jill : Ça peut finir. (Un temps.) Toute la vie les mêmes questions, les mêmes réponses." Ça fait combien de temps, hein, qu'on nous casse les couilles avec le thème du changement ? Hein ? Combien de temps qu'on nous fait croire que "changement" ("changer la vie" disait Tonton !) est synonyme de "modernité", que "modernité" est synonyme de "progrès", que "progrès" est synonyme de "mieux", donc, que "changement" veut dire "mieux" ? Admettons. Mais mieux pour qui, banane ? Toujours pour les mêmes ... jamais pour nous ... Pour nous, rien ne change : "se vogliamo che tutto rimanga com'è, bisogna che tutto cambi" Tancredi dixit. Ou plutôt si : ça change tout le temps, mais JAMAIS en mieux !

"John (avec angoisse) : Mais qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qui se passe ?
Jill : Quelque chose suit son cours." Ouais ... mais quoi ? Comment savoir ? Quand un gus fout son poing sur la gueule d'un keuf caparaçonné comme un Terminator (putain ... t'as vu le boxeur ... le direct du droit qu'il y a mis ... il était dans son droit ... ah ah ah ...), ce qui se passe, c'est qu'il en peut plus ... c'est tout ... y'a rien d'autre à ajouter ... merde … du coup (si j'ôôôôse dire, hahaha!), la violence, c'est même plus de la violence, ça devient NATUREL (ça, c'est Aristote qui le dit : "violent", c'est le contraire de "naturel" ... je l'ai lu aux chiottes ...). Tu t'en prends pas à l'individu (qu'est, probablement, aussi misérable que toi ... les chiens de garde sont rarement bien traités ... c'est d'ailleurs pour ça qu'ils sont méchants), tu t'en prends à l'INSTITUTION ! Pareil quand tu saccages la vitrine à Chanel : tu t'en prends pas aux types qui bossent là (pour pas beaucoup plus cher que ton RSA de merde) ... tu t'en prends à l'ORDRE SOCIAL ... Et quand tu endommages l'Arc de Triomphe, tu dégrades pas un monument historique, c'est juste un SYMBOLE que tu veux pourrir (on imagine les mer ... euh … les médias en 1789 : "des barbares ont endommagé la Bastille, un monument vieux de 450 ans !" ... ou en 1917 : "des casseurs ont incendié le Palais d'Hiver, fleuron architectural de la Très Sainte Russie !"). Bordel ! C'est pas difficile à piger, ça ! Sauf pour les merdias … euh … je veux dire les "medias" … lape .. suce ...

"John : Jill !
Jill : Qu'est-ce que c'est ?
John : On n'est pas en train de ... de signifier quelque chose ?
Jill : Signifier ? Nous, signifier ! (Rire bref.) Ah, elle est bonne !" Pour signifier, il faut être signifiant. Pas la peine d'avoir lu Lacan pour comprendre ça ! Et nous, on est insignifiants ! Tu entends : IN-SI-GNI-FIANTS. Et si on est insignifiants, c'est parce qu'ON VAUT RIEN. On est des vauriens. Donc, ce qu'on réclame, à cors et à cris, c'est forcément peau de balle. Ça n'a aucun sens. Comment y disait Geulincx ? Ah ouais : "ubi nihil vales, ibi nihil velis". Là où tu ne vaux rien, tu ne peux rien vouloir. Puissant, non ? En tout cas, c'est vrai : la preuve, c'est ce qu'on m'a toujours rabâché depuis que je suis môme ...

"John : Encore quelques conneries comme ça et j'appelle. (Un temps.) Un peu de poésie. (Un temps.) Tu appelais - (Un temps. Il se corrige) Tu RÉCLAMAIS le soir ; il vient - (Un temps. Il se corrige) Il DESCEND : le voici. (Il reprend, très chantant.) Tu réclamais le soir ; il descend ; le voici. (Un temps.) Joli ça. (Un temps.) Et puis ? (Un temps.) Instants nuls, toujours nuls, mais qui font le compte, que le compte y est, et l'histoire est close."

(p.c.c. Samuel Beckett, Fin de Partie)



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