Gilles Lipovetski fait en 1983 paraître un best seller dont le titre, l'Ère du Vide, semble auto-référentiel tant son propos est affligeant de banalité, s'appliquant lourdement1 à montrer que dans la société occidentale actuelle "tout fout l'camp", s'évertuant à exemplifier à son insu le dicton latin selon lequel vocaliora sunt vacua quam plena, "ce qui est creux est toujours plus sonore que ce qui est plein" ! En fait, le seul élément intéressant dans cet ouvrage de plus de 300 pages, c'est son titre qui mentionne un des symptômes de la post-modernité : la fascination pour le vide. L'homo occidentalis, en effet, n'a de cesse de vouloir se vider la tête, se vider les tripes, être zen, bien profiter de ses vacances (du latin vacuum, "vide"), vacances au cours desquelles il sera, paradoxalement, enjoint d'avoir des journées bien remplies, de faire le plein d'activités, d'émotions, d'images, de souvenirs, de rencontres, d'énergie, de bon air, etc. Et c'est bien ce balancement schizophrénique entre l'attrait pour le vide et l'horreur du vide qui est caractéristique de notre époque, tant il est vrai que l'obsession subliminale de notre civilisation est moins de faire le vide que de faire le plein (de "plénitude", d'argent, d'emplois, de diplômes, d'expérience, de carburant, d'ondes positives, …). Pourtant, comme le rappelle Trinh Xuan Thuan citant Léonard de Vinci, dans l'avant-propos de son ouvrage intitulé la Plénitude du Vide, "de tous les grands concepts que nous portons en nous, celui du néant est sans doute le plus fécond". Et c'est précisément cette fécondité du vide que nous allons à présent tâcher d'explorer en analysant successivement ses aspects métaphysiques, matériels, formels et enfin spirituels.
mardi 5 décembre 2023
samedi 2 décembre 2023
LE SIONISME, PARADIGME DU CAPITALISME MONDIALISÉ.
En
réponse à la question d'un journaliste lui demandant pourquoi il
considérait que l'État d'Israël était l'agresseur bien que ce fût
l'Égypte qui, militairement, déclencha la Guerre des Six Jours, le
Général de Gaulle exprima une position restée célèbre :
"l'établissement
entre les deux guerres mondiales, car il faut remonter jusque là,
l'établissement d'un foyer sioniste en Palestine, et puis après la
deuxième guerre mondiale, l'établissement d'un État d'Israël
soulevait à l'époque un certain nombre d'appréhensions. On pouvait
se demander, en effet, et on se demandait, même chez beaucoup de
Juifs, si l'implantation de cette communauté sur des terres qui
avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables
et au milieu des peuples arabes qui lui sont foncièrement hostiles,
n'allaient pas entraîner d'incessants, d'interminables frictions et
conflits. Et certains même redoutaient
que les Juifs, jusqu'alors dispersés, et qui étaient restés ce
qu'ils avaient été de tout temps, c'est-à-dire un peuple d'élite,
sûr de lui-même et dominateur, n'en viennent une fois qu'ils
seraient rassemblés dans les sites de son ancienne grandeur, n'en
viennent à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits
très émouvants qu'ils formaient depuis 19 siècles"(de
Gaulle, Conférence
de Presse,
27/11/67)1.
Peut-être le général pressentait-il déjà que la Résolution 242
du Conseil de Sécurité de l'O.N.U., adoptée à
l'unanimité cinq
jours auparavant et exigeant notamment
le
"retrait
des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du
récent conflit [et la] fin de toute revendication ou
de tout état de belligérance, [le] respect et [la]
reconnaissance de la souveraineté, de l'intégrité
territoriale et de l'indépendance politique de chaque État de la
région et de son droit de vivre en paix à l'intérieur de
frontières sûres et reconnues, à l'abri de menaces ou d'actes de
violence"2
resterait lettre morte.
De fait, les
violences
exercées
par les forces sionistes contre les voisins arabes depuis la
Déclaration
Balfour
de 19173
et devenues
des actes de guerre officiels
après
la création de l'État d'Israël le 14 mai 1948,
n'ont fait que croître et, si l'on ose dire, embellir, confirmant
hélas les craintes du général.
J'essaierai,
pour
ma part,
de montrer la
justesse de cette
vision du sionisme
lequel,
effectivement, a bien fini par "changer
en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants
qu'ils [les Juifs]
formaient depuis 19 siècles".
À la lumière de quoi je tâcherai de montrer
que les
réactions indignées auxquelles cette position a donné lieu à
l'époque et, plus
encore,
la
fascination qu'exerce aujourd'hui sur les media
occidentaux
dominants la
nature ambiguë, tout à la fois post-romantique et agressive
du sionisme,
tiennent à ce que le sionisme, loin de n'être qu'une banale
idéologie, est le paradigme du capitalisme mondialisé.
lundi 2 octobre 2023
COMMUNICATION, LANGAGE ET VÉRITÉ.
Rousseau écrit que "l'effet naturel des premiers besoins
fut d'écarter les hommes et non de les rapprocher. Il le fallait
ainsi pour que l'espèce vînt à s'étendre, et que la terre se
peuplât promptement, sans quoi le genre humain se fût entassé dans
un coin du monde, et tout le reste fût demeuré désert. De cela seul
il suit avec évidence que l'origine des langues n'est point due aux
premiers besoins des hommes , il serait absurde que de la cause qui
les écarte vînt le moyen qui les unit. D'où peut donc venir cette
origine ? Des besoins moraux, les passions. Toutes les passions
rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force
à se fuir. Ce n'est ni la faim ni la soif, mais l'amour, la haine,
la pitié, la colère, qui leur ont arraché les premières voix. Les
fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s'en nourrir sans
parler, on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître :
mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur
injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes"(Rousseau,
Essai
sur l’Origine des Langues,
ii). Le langage serait donc destiné, selon lui, à résoudre des problèmes vitaux, certes, mais non pas ceux qui consistent à être tenaillé par la faim, la soif ou le froid, juste ceux qui préludent à la perpétuation de l'espèce ou à l'auto-défense ! Nous allons voir qu'il y a dans cette conception naïvement pré-romantique du langage une intuition néanmoins exacte, à savoir que "les
premières langues furent chantantes et passionnées avant d'être
simples et méthodiques"(Rousseau,
Essai
sur l’Origine des Langues,
ii) en ce sens que la fonction du langage est indissociable des affects humains.
jeudi 31 août 2023
PORTÉE ET LIMITES DU PARADIGME VARÉLIEN DE L'AUTO-POÏÈSE.
En apparence, le paradigme chinois de la nature est diamétralement opposé au paradigme occidental. D'un côté, la nature est pensée comme un vaste agencement de rouages mécaniques au point qu'il n'y a "aucune différence entre les machines que font les
artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que
les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains
tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque
proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si
grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que
les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont
ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est
certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la
physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont
avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsqu'une montre marque les
heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est
pas moins naturel qu'il est à un arbre de produire des
fruits"(Descartes,
Principes
de la Philosophie,
IV, art.203). De l'autre, tout ce qui existe dans la nature est, au contraire, considéré comme quelque chose de vivant dans la mesure où "toutes les choses du monde naissent d'un germe qui se métamorphose incessamment. Leur commencement et leur fin sont comme un cercle dont l'ordre n'a pas de terme"(Zhuāng Zǐ, Zhuāng Zǐ, xxvii), ce que rappelle "la figure du grand renversement" (taì jí tú, 太极图). Et pourtant, comme le dit le physicien Fritjof Capra "si la plus importante caractéristique de la conception orientale du monde […] est la conscience de l'unité et de l'interaction de toutes choses et de tous événements, c'est aussi l'une des révélations les plus importantes de la physique moderne"(le Tao de la Physique). Du reste, non seulement la physique moderne, mais aussi la chimie moderne et la biologie moderne, pour ne rien dire des sciences sociales, tendent à converger vers le paradigme chinois tel que nous l'avons résumé à grands traits. À travers la généralisation de la notion de champ (électro-magnétique, gravitationnel, social, sémantique, etc.) ou d'influence indirecte sans contact qui met à mal la causalité comme influence par impact direct, qui seule, depuis le XVI° siècle, est admise à rendre compte du mouvement, alors que les Chinois sont familiarisés, depuis l'antiquité, avec les idées d'influence discrète et de champ magnétique. À travers aussi la remise en question corrélative (notamment en physique quantique ou en psychanalyse, mais aussi en logique conformément aux théorèmes de Gödel) du principe de déduction linéaire bivalente (ou bien ceci, ou bien cela, et tertium non datur) comme seul mode de raisonnement vertueux, alors que le recours à la pensée circulaire (qualifiée, en Occident, de "cercle vicieux" !) a toujours été le modus explanandi favori de l'enseignement chinois. Et, si tel est le cas, c'est que la progression linéaire d'un raisonnement depuis des prémisses indubitables jusqu'à une conclusion certaine via des inférences au-dessus de tout soupçon suppose que la pensée est, à l'image des choses, figée dans un Être, une essence éternels et immuables, ce que l'astro-physique, la physique des particules, la physique statistique et la logique modernes ont démenti (le terme "être" n'existant pas chez eux, les Chinois n'ont jamais été confrontés à ce problème). Quels que soient leurs mérites et leurs défauts respectifs, on reste donc bien en présence de deux paradigmes inconciliables : d'un côté, influence discrète, changement perpétuel, homogénéité et circularité des processus, de l'autre, causalité directe, stabilité des essences, hétérogénéité et linéarité des processus. Tout en intégrant à sa recherche conceptuelle quelques-uns des acquis les plus récents de la science occidentale, c'est cependant, non pas du côté d'un arrangement stable de composant chimiques remplissant des fonctions bien déterminées mais vers la circulation stochastique d'énergie que va se tourner Francisco Varela pour saisir la nature "auto-poïétique" du vivant. Et c'est ce paradigme dont nous allons tenter d'évaluer la portée et les limites.
Inscription à :
Articles (Atom)