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dimanche 27 mars 2005

LE PROGRES ECONOMIQUE A-T-IL FAIT DISPARAÎTRE L'ESCLAVAGE ?

Le progrès économique a-t-il fait disparaître l'esclavage ? A première vue, l'esclavage n'est-il pas inhérent à un système économique archaïque qui fait de la main d'oeuvre un instrument de production animé ? A l'inverse, la modernisation économique des échanges n'a-t-elle pas substitué le salariat à l'esclavage comme rapport de production dominant ? Or, justement, l'obsession de la modernité ne pousse-t-elle pas à instrumentaliser à outrance la main d'oeuvre salariée ?

I – A première vue, l’esclavage est le type de rapport de production spécifique de l’économie de subsistance.

A – Il est naturel et avantageux que l’instrument obéisse à la pensée.
Outre la pensée, parmi les activités humaines non nécessaires, i.e. qui permettent de vivre bien et non seulement de vivre, « il faut distinguer deux modalités : la production et l’action » (Éthique à Nicomaque, 1140a) ; la différence est que « le but de la production est toujours extérieur à la chose produite, tandis que le but de l’action n’est que l’action elle-même, sa fin, c’est le bien-être » (Éthique à Nicomaque, 1140a) ; or la fin n’étant jamais nécessaire, toute action « doit recourir à des moyens appropriés si l’on veut que le but soit atteint »(Politique, 1253b) : d’abord la pensée qui fixe le but et délibère sur la meilleure manière de l’atteindre, ensuite « la main qui est un instrument qui tient lieu d’instruments »(Parties des Animaux, 687a), puis les instruments produits par ce premier instrument, et enfin les biens et services, dont la fabrication est menée à bien.
On voit par là qu’« il est à la fois conforme à la nature et avantageux que le corps soit commandé par l’âme »(Politique, 1254b) ; conforme à la nature au sens où « la matière est à la pensée ce que la femelle est au mâle dans la reproduction »(de la Génération et de la Corruption) : la pensée s’impose à la matière qu’elle transforme comme le mâle à la femelle qu’il féconde ; avantageux au sens où « ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais c’est parce qu’il est intelligent que l’homme a des mains »(Parties des Animaux, 687a) : la perfection de la pensée se transmet à la main autant qu’à ses outils, de sorte que « les instruments sont soit animés, soit inanimés » (Politique, 1253b).
En quoi ce constat permet-il de justifier l’esclavage ?

B – Dans l’économie antique, l’esclave est un instrument parmi d’autres.
L’articulation pensée/instrument n’étant pas biologique, il n’est pas nécessaire que pensée et main appartiennent au même corps ; on peut même dire que « l’exécutant, dans les différentes activités, entre dans la catégorie instrument » (Politique, 1253b), ce qui veut dire qu’« il ne possède pas en lui-même le principe de son propre mouvement »(Physique, 192b) : il est naturel qu’il soit fécondé et avantageux qu’il soit dirigé par une pensée ; bref, l’exécutant est « une sorte de propriété animée au service d’autrui, comme un instrument qui tient lieu d’instruments »(Politique, 1253b), c’est une main ; il va de soi que « si chaque outil était capable, sur simple injonction, d’accomplir le travail qui lui est propre, les chefs de famille n’auraient pas besoin d’esclaves »(Politique, 1253b) : le besoin d’esclave se justifie par la nécessité de fabriquer, tenir et entretenir les outils.
Aristote décrit une réalité sociale où « l’administration familiale a pour but de nous procurer les denrées indispensables sans lesquelles sont impossibles et la vie et la vie heureuse »(Politique, 1253b) : pour vivre bien, il faut agir, mais pour agir, il faut d’abord vivre, donc procéder à une production économique dans le cadre « de la famille où, primitivement, les femmes et les enfants sont les esclaves de l’homme, c’est-à-dire sa propriété »(l’Idéologie Allemande) ; ainsi, dans la vie de la Cité antique, « ce qui détermine les rapports sociaux de domination, c’est la forme économique spécifique dans laquelle du travail gratuit est imposé aux producteurs immédiats »(le Capital, III) : elle correspond à une économie de subsistance (non d’échange) familiale (non politique) esclavagiste (non domestique) ; bref, l’esclavage « est lié à l’état des forces productives : en les modifiant, les hommes changent leur mode de production et leurs rapports sociaux »(Misère de la Philosophie, ii).
Est-ce à dire que le perfectionnement technique des forces productives a entraîné la disparition de l’esclavage ?

II – Dans l’économie d’échange, l’esclavage disparaît mais le prolétariat demeure sous la forme du salariat.

A – Dans le mode capitaliste de production, la force de travail est une marchandise comme une autre.
Historiquement, dans l’échange marchand « il s’agit de vendre des marchandises en vue de l’achat d’autres marchandises, et c’est l’argent qui sert d’intermédiaire »(le Capital, I, iv) ; c’est un progrès, car l’échange « rencontre une limite dans la satisfaction des besoins »(le Capital, I, iv) ; or, la révolution industrielle a non seulement engendré « de meilleures machines, une plus grande dextérité et une division du travail mieux entendue »(Richesse des Nations, II), mais aussi un système où « c’est la marchandise, non l’argent qui sert d’intermédiaire »(le Capital, I, iv) : le capitalisme où « à côté de la forme M1,A,M2, transformation de la marchandise en argent et retransformation en marchandise, nous en trouvons une autre tout à fait distincte : A1,M,A2 »(le Capital, I, iv) ; dès lors « la vente pour l’achat ne connaît plus de limite »(le Capital, I, iv), puisque, nécessairement, A2>A1, d’où, A3>A2, etc. ; appelons “capital” la somme A1 permettant d’acquérir M pour que A2>A1, “capitaliste” le propriétaire de M qui cherche max.A2-A1, et “capitalisme” un mode de production visant l’accumulation du capital.
Dans A1,M,A2, « la valeur du produit [A2] s’est accrue sur la valeur avancée pour sa production [A1], laquelle a engendré une survaleur [A2-A1] »(le Capital, I, vii) : donc M comprend ce qui reconstitue A1 dans A2 (valeur constante, c) plus ce qui crée une survaleur SV=A2-A1 (valeur variable, v) ; bref, A1=c+v, et A2=c+v+SV ; or si c, c’est la valeur des matières premières, des machines, des locaux, etc., qui va être amortie dans A2, on croit que v, c’est la valeur du travail dont l’« utilité est d’être source de plus de valeur qu’il n’en possède » (le Capital, I, vii) ; mais supposons A1=3.000 (avec v=1.000 et c=2.000) et A2=9.000 donc SV=6.000 : la valeur du travail de transformation de M, c’est A2-c=v+SV=7.000, sauf que « ce que le travailleur vend contre un salaire, ce n’est pas son travail mais sa force de travail »(Salaires, Prix et Profits, vii) puisque son salaire n’est pas v+SV mais v, contrepartie de « l’entretien des facultés physiques et intellectuelles qu’un homme doit mettre en mouvement pour produire »(le Capital, I, vi) ; bref « c’est comme une marchandise que le travailleur vend sa force de travail sur le marché » (Capital, I, vi), et (v) a « la même signification que l’usage et l’entretien de tout autre instrument productif »(Manuscrits de 1844).
Est-ce à dire que la force de travail du salarié, c’est le nom que prend la main de l’esclave dans le capitalisme ?

B – Comme dans la prostitution, le salarié et l’esclave doivent vendre une partie d’eux-mêmes pour subsister.
En reprenant le même exemple, on peut dire que pour 1 heure qui lui est payée pour entretenir sa force de travail, « le capitaliste le fera travailler 7h par jour, au-delà de la valeur de sa force de travail, ce qui réalisera la survaleur attendue »(Salaires, Prix et Profits, viii) ; en effet, soit le rapport SV/v=6.000/1.000=6, « ce taux de survaleur est l’expression exacte du degré d’exploitation de la force de travail par le capital ou du travailleur par le capitaliste »(le Capital, I, ix) : pour 1 heure payée (“travail”), le salarié devra travailler 6 heures gratuitement (“surtravail”), ou encore, pour la valeur créée pendant cette heure, et qui lui sera restituée pour entretenir sa force de travail (“salaire”), il devra créer de la valeur pendant 6 h supplémentaires pour enrichir le capitaliste (“survaleur”) ; bref, “taux de survaleur” équivaut bien à “taux d’exploitation de la force de travail”.
Or, déjà dans l’antiquité, « une partie de sa journée de travail de l’esclave servait à compenser la valeur de son propre entretien ; de même, le serf travaillait e.g. 1 jour pour lui-même sur son propre champ, et 6 jours gratuitement pour son seigneur »(Salaires, Prix et Profits, ix) ; en ce sens, « la corvée est la forme primitive de la survaleur, elle correspond à du travail non payé »(le Capital, III) ; certes, le salarié « est une personne libre disposant à son gré de sa force de travail comme de sa marchandise à lui »(le Capital, I, vi), mais comme, « être libre, pour le travailleur, c’est être complètement dépourvu des choses nécessaires à sa vie »(le Capital, I, vi), alors « le salarié se vend lui-même et au détail en mettant aux enchères huit, dix, douze, quinze heures de sa vie quotidienne »(Travail Salarié et Capital) au terme d’un contrat qui « donne à l’employeur capitaliste le droit de s’approprier une certaine quantité de travail impayé »(Salaires, Prix et Profits, xi) ; bref, il se prostitue, et « le commerce sexuel n’est qu’un cas particulier de la prostitution générale du prolétaire »(Manuscrits 1844), i.e. « celui qui en est réduit à vendre sa force de travail pour subsister »(Manifeste Communiste, i) sous quelque forme que ce soit.
Or, ne dit-on pas que les progrès du système capitaliste doivent, à terme, faire disparaître le prolétariat ?

III – Accroître l’efficacité économique du capitalisme, c’est accroître l’exploitation et la paupérisation du prolétariat.

A – Les progrès de productivité ne remplacent pas la force de travail mais la surexploitent.
Le capitalisme tend à maximiser la productivité du travail, i.e. max.A2/A1=SV+c+v/c+v=(SV/c+v)+1, ou max.SV/c+v (“taux de profit”) ; il suffirait que c+v=k et max.SV en « s’efforçant constamment d’allonger le surtravail jusqu’à la limite extrême du possible »(Salaires, Prix et Profits, xiii) ; sauf que, d’abord, « une journée comprend vingt-quatre heures déduction faite de quelques heures de repos sans lesquelles la force de travail ne peut se reconstituer »(le Capital, I, x, 5), ensuite « la loi fixe le maximum du temps pendant lequel un homme a le droit de vendre sa force de travail »(Salaires, Prix et Profits, vii) ; donc max. SV/c+v implique plutôt SV=k et min.c+v=min.A1 ; et comme c’est v qui crée SV, il s’agit de trouver « le meilleur moyen de prolonger la journée de travail au-delà de toute limite »(Capital, I, xv, 3), donc max.c/v (“composition organique du capital”).
Or max.SV/c+v et max.c/v, c’est aussi max.SV/c+v et max.c/v+1, en particulier max.(SV/c+v)x(c/v+1), donc max. (SV/c+v)x(c+v/v), c’est-à-dire max.SV/v (“taux d’exploitation de la force de travail” = “taux de survaleur”) ; « ainsi se vérifie la loi selon laquelle la survaleur provient non des forces de travail que le capitaliste remplace par la machine, mais au contraire de celles qu’il y emploie »(le Capital, I, xv, 3) : le progrès technologique ne remplace pas la force de travail, mais « transforme le travail employé en travail plus efficace »(le Capital, I, xv, 3), c’est-à-dire en intensifie l’exploitation : « la machine est le moyen le plus puissant d’accroître la productivité du travail, c’est-à-dire de raccourcir le temps nécessaire à la production des marchandises »(le Capital, I, xv, 3) ; multiplier la productivité par k, ce n’est pas travailler k fois moins, mais produire k fois plus.
Mais en quoi l’intensification de l’exploitation de la force de travail rapproche-t-elle le salariat de l’esclavage ?

B – Les progrès de productivité supposent et impliquent une paupérisation généralisée et cumulative des salariés.
On a vu que max.A2/A1=max.SV/c+v (“taux de profit”) et que, comme SV=k, c’est SV/v et non SV dans l’absolu qui est maximisé ; or maximiser le taux de survaleur (ou taux d’exploitation de la force de travail), cela revient à « produire une survaleur relative en dépréciant directement la force de travail et la rendant indirectement meilleur marché par la baisse de prix qu’elle occasionne dans les marchandises d’usage commun »(le Capital, I, xv, 3) ; en effet, l’innovation technologique dans c destinée à se substituer à v dans A1, a nécessité conception, fabrication et distribution préalables ; bref, tout capital constant (c) « n’est que du travail humain cristallisé »(le Capital, I, i, 3), travail en amont qu’il convient de minimiser afin que min.c+v=min.A1 ; et comme le coût A1 pour les uns, c’est un revenu A2 pour les autres, min.A1 suppose une baisse générale des prix en amont.
De plus, le salaire (v) sert « non seulement à l’entretien de l’existence physique, mais aussi à la satisfaction de certains besoins naissant des conditions sociales dans lesquelles les hommes vivent et ont été élevés »(Salaires, Prix et Profits, xiv), i.e. la valeur v’ des marchandises qui entretiennent la force de travail (nourriture, logement, habillement, soins), plus la valeur v’’ de l’éducation correspondant « comme celle de toute autre marchandise, par la quantité de travail nécessaire à sa production »(Salaires, Prix et Profits, vii) et qui lui aura ajouté une qualification (survaleur) ; bref, v=v’+v’’, et si v’’ tend vers 0, « le prix de la force de travail est réduit à la valeur des moyens de subsistance physiologiquement indispensables à la vie du travailleur »(le Capital, I, vi), i.e. à v’ ; et comme « plus la productivité du travail est grande, moins il y a de travail employé à une quantité déterminée de produits, et plus la valeur du produit est faible »(Salaires, Prix et Profits, vi), et plus son prix tend à baisser ; ce qui, en alimentant la baisse généralisée des prix (A2), entraîne nécessairement une baisse généralisée des salaires (v).
Cette tendance s’alimente de « l’armée de réserve industrielle pèse sur l’armée active pour en réfréner les prétentions salariales »(le Capital, I, xvi), et de la concurrence internationale qui engendre une exploitation mutuelle des salariés « d’autant plus exploités qu’il leur est plus difficile de dépenser leurs revenus en achetant un ensemble de marchandises qui incorpore autant de travail qu’ils en ont eux-mêmes fourni »(General Theory of Exploitation) : e.g. W, payé 1.000 pour 7h, ne peut acheter 9.000 de marchandises incorporant 7h de son travail, mais peut acheter 900 de marchandises incorporant 7h du travail de W’ payé 100 ; finalement, « l’enrichissement capitaliste a pour condition l’appauvrissement du travailleur »(le Capital, I, xiv), et pour effet « le pourrissement passif des couches les plus basses de la société »(Manifeste Communiste, i), non leur bonheur.

Conclusion.
 A première vue, donc, l'esclavage est un mode de rapport de production indissociable d'une économie de subsistance où il importe d'établir un lien d'obéissance de l'esclave au maître sur le modèle de l'obéissance de la main à l'esprit. Cependant, s'il est manifeste que le capitalisme moderne a fait disparaître l'esclavage pour le remplacer par le salariat, il n'a pas désintrumentalisé la main d'oeuvre qui demeure, plus que jamais, une marchandise qui a un coût (le salaire) correspondant à la stricte reproduction de la force de travail efficace. On peut même dire que le "progrès" économique consistant à maximiser des profits a, à la fois pour condition et pour effet, l'exploitation de la force de travail du salariat bien au-delà des limites physiques naturelles qui étaient, autrefois, celles de l'esclavage.

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