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mercredi 7 mars 2001

QU'EST-CE QUE LA VIOLENCE ?

Il me parait triste de constater qu’à son stade actuel, la terminologie de notre science politique est incapable de faire nettement la distinction entre pouvoir, puissance, force, autorité et violence”(du Mensonge à la Violence, III). Arendt ne serait sans doute pas étonnée de constater que l’utilisation obsessionnelle de la notion de violence est un phénomène de société sans doute plus significatif de notre civilisation que la violence elle-même. Qu’y a-t-il de commun en effet entre la violence conjugale, la violence scolaire, la violence routière, la violence verbale, la violence sociale, la violence policière, la violence des couleurs et la violence du vent ? Sans doute pas grand chose sinon, comme le fait remarquer H.Arendt, une grande confusion avec les notions de pouvoir, de puissance, de force ou d’autorité. D’où le problème d’essayer de définir ce qu’est exactement la violence. L’enjeu étant de savoir s’il n’existerait pas, comme le suggère le titre français de son oeuvre, un rapport entre le mensonge politique et la violence.

I - La violence n’est pas essentiellement destructrice.

A - la violence n’est pas un phénomène de destruction naturelle.
Il ne faut confondre la violence ni avec la puissance ni avec la force. En effet “la puissance est un élément caractéristique d’une entité individuelle, elle est la propriété d’un objet ou d’une personne et fait partie de sa nature”(C.C., III). La puissance est donc la simple possibilité dont une entité (inerte ou vivante) est dotée naturellement pour persévérer dans son existence, ce que Spinoza appelle le conatus, l’appétit, le désir. Et cette puissance est un ensemble de causes réelles dont il résulte potentiellement une force, “c’est-à-dire la qualification d’une énergie qui se libère au cours des mouvements”(C.C., III). Bref, la force (ou énergie) n’est que la conséquence réelle de la puissance que possède une chose : plus une entité aura de puissance plus l’impact physique de cette puissance sera fort. Ce sont des phénomènes essentiellement quantitatifs que la science physique est à même de mesurer : la force (ou énergie) se formulant comme ML2T-2, la puissance comme ML2T-3, ce qui veut dire que l’on passe de la puissance à la force (ou énergie) en la faisant agir réellement dans le temps. L’une et l’autre appartiennent donc au vocabulaire des sciences de la nature et non pas à celui des sciences humaines.
On pourrait alors penser qu’il y a de la violence chaque fois qu’un phénomène possède un effet dévastateur. Ne parle-t-on pas en effet d’un violent incendie ou d’un choc violent ? Or il est facile de voir qu’il n’y a dans la notion de violence rien de plus que dans celle de force : dire qu’un choc est violent, c’est dire que la puissance en jeu a libéré une énergie considérable ; dire que les carnassiers sont violents, c’est dire qu’ils imposent leur puissance physique à d’autres animaux en faisant usage de leur force. C’est donc de manière métaphorique que l’on affirme que la nature est violente : la destruction naturelle n’est pas une manifestation de la violence. De même, lorsque Freud fait remarquer à quel point la guerre de 1914-1918 a été violente, il veut dire que cet épisode de l’histoire a été l’occasion d’un déchaînement anormal des pulsions agressives normalement refoulées. Normalement car “par suite de l’hostilité primaire des hommes les uns envers les autres, la société et la culture est constamment menacée de désagrégation”(Malaise dans la Civilisation). Autrement dit, ce pourquoi on dit que la guerre a été violente, c’est qu’elle a brusquement fait régresser l’homme à une sorte d’état de nature dans lequel chacun doit faire usage de sa puissance naturelle puis de sa force naturelle à l’égard d’autrui, soit pour détruire la vie, soit pour la conserver. L’état de nature étant ici défini à la manière de Hobbes comme “état de guerre de chacun contre chacun”(Léviathan, XII). Donc là encore, c’est de manière métaphorique que l’on dit que la guerre est violente : l’agressivité naturelle n’est pas une manifestation de la violence. Est-ce à dire que la violence est un phénomène purement culturel ?

B - la violence n’est pas non plus un phénomène de destruction intentionnelle.
Ce n’est pas parce que la guerre est destructrice qu’elle est violente, puisqu’elle ne fait que concentrer en un lieu et en un temps très restreints des puissances puis des forces naturelles ordinairement incompatibles avec la survie des organismes (ex. des armements nucléaires ou chimiques ou biologiques). Mais ce n’est pas non plus parce qu’elle déchaîne des pulsions agressives naturelles et mal refoulées que la guerre est violente, puisque les pulsions ne sont rien d’autre que “les représentants psychiques des excitations physiques”(Métapsychologie), bref les représentations psychiques de phénomènes naturels. Bref, la violence ne peut être naturelle ou alors elle se confondrait avec la puissance puis la force qui se dégage nécessairement d’un enchaînement causal aveugle. Au contraire, il faut admettre que la violence est liée à la culture de l’homme, plus particulièrement au fait qu’il existe dans une communauté sociale où les relations ne sont nullement nécessaires, où les rapports entre ses membres ne sont pas nécessairement des rapports de force. En d’autres termes, il n’y a de violence qu’en relation avec un être conscient désirant agir indépendamment de la nécessité naturelle. Mais alors, il faut admettre ausssi qu’il ne peut y avoir violence sans intention de poursuivre une certaine fin, laquelle étant non-nécessaire, exige pour être atteinte des moyens appropriés car “si l’acte involontaire est fait par nécessité ou par hasard, l’acte volontaire semblerait être l’acte dont le principe est dans l’agent lui-même qui sait en détail toutes les conditions que son action renferme”(E.N., 1111a). L’acte non-naturel se distingue donc du simple comportement naturel, nécessaire ou aléatoire, par le fait qu’il est intentionnel. Et c’est en ce sens que la violenceexige toujours des instruments” : elle exige des moyens délibérément choisis au service d’une fin délibérément choisie qui ne doit rien ni au hasard ni à la nécessité : il n’existe donc pas de violence aveugle.
Ce qui ne veut pas dire que la violence soit un phénomène de destruction intentionnelle. Et en effet, H.Arendt fait remarquer que ce qui caractérise les guerres modernes (à partir de la 1° guerre mondiale), c’est qu’elles profitent de “la révolution technologique, révolution dans la fabrication des outils a revêtu une importance particulière dans le domaine militaire”(M.M., III). C’est-à-dire que l’on y constate une modification radicale des moyens et non pas du but poursuivi, lequel reste toujours l’agression ou la destruction programmée. Mais même si le raffinement technologique “a revêtu une importance particulière dans le domaine militaire”(-id-), si le choix de moyens de plus en plus efficaces de destruction massive des populations et des matériels, on ne dira rien de plus en qualifiant la guerre de violente ou en la qualifiant de destructrice. Or la guerre reste fréquemment associée à la violence, quand ce n’est pas à la violence aveugle. Il doit donc demeurer une relation entre guerre et violence qui explique la fréquence de cette confusion. Quelle peut donc bien être cette relation ?

C - la violence a un rapport avec le pouvoir et l’autorité.
Il semble qu’on puisse voir dans le pouvoir et dans l’autorité l’origine de l’amalgame qui est souvent fait entre violence et guerre. En effet “le pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir de façon concertée”(-id-). Autrement dit, le pouvoir caractérise l’action essentiellement politique, c’est-à-dire effectuée en commun en vertu du fait qu’existe une communauté dotée de structures durables (institutions) fondées sur des règles et reconnues par des membres conscients qui tentent par là-même d’échapper à la simple détermination naturelle. C’est en ce sens qu’Aristote dit que “l’homme est par nature un animal politique”(Politique, 1252b). Cela implique que le pouvoir est toujours la forme générale d’une action collective, que celle-ci ait été décidée explicitement, ou bien implicitement. De sorte que “sitôt que plusieurs personnes se rassemblent et agissent de concert, le pouvoir est manifeste et il tire sa légitimité du fait initial du rassemblement”(-id-). Ce que H.Arendt appelle le pouvoir, c’est la source de la légitimité, ce que Rousseau appelle la souveraineté, c’est-à-dire “l’exercice de la volonté générale”(du Contrat Social, II, i) : celui qui a le pouvoir détient donc la légitimité ou souveraineté.
Or, comme le détenteur collectif du pouvoir ne peut pas toujours agir directement, il lui arrive d’exercer sa souveraineté indirectement par l’intermédiaire d’une instance déléguée, laquelle se trouve par là investie d’une autorité : “l’autorité implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté”(C.C, IV). C’est que l’exercice du pouvoir réclame, pour être effectif, une instance qui soit capable de prendre des décisions rapides et efficaces, au nom de l’intérêt général, sans nécessairement consulter la communauté de manière explicite, mais dans le décret de laquelle “chacun n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant”(du Contrat Social, I, vi). Le délégué est alors dépositaire de l’autorité dans le sens où ses décisions sont, jusqu’à preuve du contraire, considérées comme conformes à l’intérêt général et à la volonté générale (légitimes) sans qu’il soit recouru à de quelconques moyens d’incitation, qu’ils soient imaginaires (persuasion) ou réels (contrainte). Peu importe la forme de désignation de l’autorité, ce qui importe c’est qu’elle soit reconnue comme légitime par ceux à qui s’imposent ses décisions : l’autorité, c’est littéralement la personne individuelle ou collective qui est autorisée, qui est l’auteur de ses décisions (de auctor qui vient de augere, augmenter). D’où la formule de Cicéron “potestas in populo, auctoritas in senatu”(des Lois, III, xii, 38) qui signifie que le pouvoir populaire ne peut s’exercer que par l’intermédiaire de l’autorité politique. On peut donc dire analogiquement que l’autorité est la conséquence du pouvoir, de même que la force est l’effet de la puissance. Est-ce à dire que le violence est le moyen d’action de l’autorité politique ?

II - L’action violente est essentiellement réaction contre le mensonge politique.

A - la violence n’est pas le moyen normal de l’action politique.
La violence n’est nullement naturelle et donc elle ne peut se confondre ni avec la puissance, ni avec la force. Pourtant, dans la mesure où la violence caractérise une action typiquement humaine, elle doit en général avoir de l’affinité avec les manifestations typiques de la vie culturelle que sont le pouvoir, l’autorité et la guerre. On a coutume de considérer que c’est l’autorité à laquelle est délégué le pouvoir politique qui, en général, se signale par son usage, au moins potentiel, de la violence. C’est ce que dit par exemple Weber : “la violence n’est évidemment pas l’unique moyen normal de l’Etat [...] mais elle en est le moyen spécifique”(le Savant et le Politique). Ce qui signifie clairement que le recours à l’action violente dans le choix des moyens pour atteindre une fin donnée est une caractéristique essentielle de l’Etat, c’est-à-dire ici, de l’autorité à laquelle est confié l’exercice du pouvoir politique. Pour Weber, en effet, autoriser l’Etat à faire usage de violence pour atteindre sa fin, à savoir le maintien de la paix aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières, est l’un des moyens qui visent à éviter que des particuliers ou d’autres Etats fassent usage de violence pour leur propre profit et tendent donc à désagréger cet Etat. Ce qui lui permet de conclure que l’Etat “revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime”(le Savant et le Politique). Parmi les attributions déléguées par le pouvoir commun à l’autorité représentative, figurerait le droit de contraindre par violence éventuellement les autres Etats mais également les citoyens eux-même sous prétexte que “pour maintenir l’Etat dans son autorité les moyens, quels qu’ils soient paraîtront toujours honorables”(le Prince, XVIII). La violence serait la contrainte consciente et instrumentée que toute autorité pourrait utiliser pour parvenir à ses fins.
Or ceci est contradictoire car le détenteur du pouvoir ne peut par avance autoriser quiconque à aliéner son pouvoir : “même si chacun pouvait s’aliéner lui-même, il ne peut pas aliéner ses enfants [...] leur liberté leur appartient, nul n’a le droit d’en disposer”(du Contrat Social, I, 3). En d’autres termes, il est absurde de penser que les citoyens exerçant le pouvoir puissent légitimement décider d’autoriser une autorité à être ce que Weber appelle “l’unique source du droit à la violence”(le Savant et le Politique) pour le motif qu’ils autoriseraient alors à la limite leur représentant à leur interdire d’exercer le pouvoir dès que l’autorité l’aurait jugé utile au nom de ce que tous les dictateurs appellent “la raison d’Etat” : “c’est supposer un peuple de fous, et la folie ne fait pas droit”(du Contrat Social, I, 3). Dès lors de deux choses l’une : ou bien l’utilisation de la violence comme moyen de gouvernement met constamment l’Etat hors la loi, ou bien les moyens de coercition légitimes de l’Etat ne sont pas de la violence. Or si l’Etat totalitaire ou absolu est effectivement au-dessus des lois, il ne peut en être de même, par définition, de l’Etat de droit, c’est-à-dire celui qui précisément tient sa légitimité de la volonté générale dont il est l’autorité déléguée. Donc l’usage de la violence ne peut pas sans contradiction être rendu politiquement légitime, c’est-à-dire conforme aux principes reconnus et acceptés par la communauté. Car précisément, c’est le pouvoir politique lui-même qui est source de légitimité et il ne peut pas rationnellement risquer consciemment que la violence se retourne contre lui et lui retire l’exercice de la légitimité.
On doit donc admettre que la violence ne peut pas être ce que Weber appelle “le moyen normal du pouvoir” pour la raison qu’il ne peut y avoir de “violence physique légitime”. Plutôt que de violence, c’est encore une fois de force qu’il est question ici, plus exactement, de force publique : “la garantie des droits de l’homme et du citoyen exige une force publique”(D.D.H.C., art.12). C’est ce dont parle Weber quand il dit que les personnes “n’ont le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l’Etat le tolère”(le Savant et le Politique), ce qui veut dire que le maintien de la paix interne comme externe, est une fin dont la réalisation est parfois assurée par le recours à une accumulation de moyens techniques dont la puissance ne laisse planer aucun doute sur la force qui en résultera. Mais l’emploi de la force publique, contrairement à l’usage de la violence, est légitime puisqu’il est expressément prévu par des normes de droit : le Code Pénal en France définit les conditions d’utilisation de la force publique contre les personnes ; au niveau international, le pacte Brian-Kellog de 1928, la Charte des Nations Unies (art.2, §4) et le Traité de l’O.T.A.N. (art.5), réglementent le recours à la guerre à la fois dans ses motifs et dans ses procédures. Cette légitimité se fonde non pas sur une décision irrationnelle du détenteur du pouvoir pour se priver le cas échéant de ce pouvoir, mais plutôt dans sa décision rationnelle de se faire sanctionner dans les cas prédéterminés où il reconnaît a priori qu’il ne sera plus digne d’exercer ce pouvoir (ce sont ces cas que prévoit le Code Pénal, par exemple). Est-ce à dire que la violence est injustifiable ?

B - la violence est un moyen d’action justifiable mais illégitime.
Aristote fait remarquer que ce qui caractérise la prudence et l’habileté humaines réside moins dans la fin qui est poursuivie que dans le choix des moyens d’atteindre cette fin : “nous ne délibérons pas tellement sur le but que nous nous proposons, c’est plutôt sur les moyens qui doivent nous y conduire”(E.N., 1112b). Et ceci s’explique aisément par le fait que la fin est toujours entrevue confusément dans la mesure où elle appartient au futur et qu’on ne peut pas prédire le futur. Car en effet ce que nous appelons futur ne sera que la réalisation de ce que la nature ou le hasard ou encore notre volonté prolongée par des moyens techniques utilisés aura causés. Mais, s’agissant des effets du hasard et de ceux de la technique humaine, on peut difficilement les prédire car, contrairement aux effets de la nature, ils ne sont nullement nécessaires. C’est en ce sens que H.Arendt dit que “il est impossible de prédire valablement quelle peut être la fin d’une action humaine en tant qu’entité distincte des moyens de sa réalisation”(M.M., III). Ce qui veut dire qu’une action aussi bien objectivement que subjectivement se manifeste concrètement par l’emploi de moyens, la fin n’étant qu’une intention.
D’où la tendance à donner la préférence aux moyens sur les fins : les uns sont actuels, concrets, présents, les autres sont virtuelles, abstraites, futures. Or réaliser dans le détail la fin délibérée en commun est l’essentiel de la tâche que confie tout détenteur d’un pouvoir à l’autorité qui est censée le représenter. Il s’ensuit que tout détenteur d’un pouvoir souhaite que l’autorité déléguée s’entoure du maximum de garanties quant aux moyens techniques de réaliser les fins. De sorte que, ce que le détenteur du pouvoir souhaite et ce que l’autorité déléguée s’efforce de réaliser, c’est la substitution de la gestion à l’action : on fait en sorte que “l’avenir ne soit que les projections des automatismes et des processus du présent, autrement dit de ce qui se produira probablement si les hommes s’abstiennent d’agir et si n’intervient aucun événement imprévu”(-id-). Gérer, contrairement à agir, consiste à accumuler les moyens techniques de reproduction à l’identique du présent dans le futur et, pour cela, consiste à minimiser le risque d’irruption de l’imprévu, autrement dit du hasard ou de la volonté humaine. On aboutit au paradoxe que l’objectif d’action politique, à force d’accumuler les moyens de réalisation, s’enlise dans la gestion de ces moyens : c’est la naissance de la bureaucratie qui est “une forme de gouvernement où chacun est entièrement privé de la liberté politique et du pouvoir d’agir”(-id-). C’est ce sentiment d’inutilité de l’action politique condamnée à la gestion impuissante du présent en regard des moyens techniques accumulés qui engendre la violence : “plus la vie publique tend à se bureaucratiser et plus s’accroît la tentation du recours à la violence”(-id-).
De fait, la violence est toujours une action contre un ordre politique d’autant plus haï qu’il avait été placé en lui plus d’espoirs. Bref, l’action violente est toujours une action de révolte contre une trahison de la confiance que le pouvoir avait placé dans l’autorité, ou encore du mensonge de l’autorité au pouvoir. Mais on ne peut pas demander à une action violente, fût-elle révolutionnaire, d’avoir plus d’efficacité politique que les institutions légitimes déjà largement dotées des moyens d’atteindre leurs objectifs. Si la violence est une action illégitime dirigée contre l’absence d’action légitime, elle lui est en revanche étrangement assimilée en ce qui concerne l’inefficacité politique consistant à édifier un avenir commun. Dans le cas de l’action violente, la fuite en avant dans la débauche de moyens techniques pour renverser l’ordre établi est l’exact correspondant de l’immobilité dans la débauche de moyens techniques pour le conserver. Donc même si “la violence est l’accoucheuse de toute vieille société qui en porte une nouvelle dans ses flancs”(Engels, Anti-Dühring), l’action révolutionnaire semble n’être pas plus rationnelle que la gestion conservatrice. Car “la violence, instrumentale par nature, est rationnelle dans la mesure où elle atteint le but qu’elle s’était fixé”(M.M., III). Et si être rationnel consiste à se donner les moyens d’atteindre une fin donnée, alors il y a nécessairement ce que Weber appelle une rationalité instrumentale (Economie et Société) de la violence. Alors, dans la mesure où les conséquences à long terme d’une action violente sont imprévisiblesla violence ne saurait être rationnelle que si elle se fixe des objectifs à très court terme”(-id-). La rationalité de la violence est alors le degré le plus faible possible de la rationalité. Bref, c’est la rationalité minimale de ceux qui “n’ont aucune place dans le monde qui soit reconnue et garantie par les autres”(le Système Totalitaire, IV), c’est-à-dire de ceux que l’absence d’avenir politique exclut de la rationalité élargie qui caractérise l’homme comme animal politique.

Conclusion.

La violence se distingue à la fois de la puissance naturelle par laquelle une entité tend à se conserver et de la force ou énergie naturelle qui résulte de l’application concrète de cette puissance. Mais s’il ne suffit pas non plus qu’un acte intentionnel soit destructeur pour qu’il soit violent, en revanche la violence doit avoir de l’affinité avec les formes d’existence politique typiquement humaines que sont le pouvoir et l’autorité. Pour autant, il est inexact de prétendre que l’autorité politique est le lieu normal d’exercice de la violence, car cela voudrait dire que le détenteur du pouvoir légitime autorise l’instance déléguée à se doter d’un ensemble de moyens susceptibles de le priver de son pouvoir. La violence est plutôt la réaction illégitime et désespérée d’une partie du pouvoir politique contre l’inefficacité de l’autorité à tenir des promesses qui apparaissent alors comme des mensonges.

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