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dimanche 13 janvier 2002

EST-CE LA CONSCIENCE QUI DETERMINE L'EXISTENCE OU LE CONTRAIRE ?

    De quelqu’un qui ne prend pas le temps de la réflexion nous disons qu’il est inconscient pour dire qu’il sera nécessairement le jouet des circonstances, bonnes ou mauvaises. Et inversement, de quelqu’un qui a mûrement réfléchi une décision, longuement pesé le pour et le contre, nous dirons qu’il agit en pleine conscience pour dire qu’il semble parfaitement maîtriser les enjeux de sa décision. Or, en admettant que les êtres humains sont capables, contrairement aux animaux, de déterminer consciemment leur existence, peut-on être sûr que cette faculté consciente n’est pas préalablement déterminée par les conditions concrètes de l’existence des êtres humains ? Mais alors quelle serait la fonction d’une conscience qui déterminerait l’existence avoir été déterminée par elle ? Bref, est-ce la conscience qui détermine l’existence ou l’inverse ?
 

I - La pensée consciente n’est pas déterminée par la nécessité de survivre.

    A - l’induction animale est l’association des perceptions nécessaires à la survie.

    L’animal semble posséder la capacité d’accorder à ses expériences passées d’autant plus de pertinence que celles-ci auront eu pour lui une importance vitale et qu’elles auront été constituées de perceptions en conjonction constante. En effet, il ne serait pas pertinent de mémoriser toute expérience passée, fût-elle vitale. Car cela demanderait un effort de mémorisation puis un effort de traitement de l’information incompatible avec l’urgence vitale des problèmes à résoudre. Le comportement adaptatif idéal consiste donc pour l’animal à faire comme si l’avenir sera, grosso modo, semblable au passé. Sur la base de ce pari, l’animal s’attend à un événement futur (le but) dès qu’il en a l’indice dans le présent (la perception). Ce qui suppose que, dans le passé, deux impressions d’importance vitale ont été souvent conjointes (p.ex. la sensation de faim et le comportement de prédation) de telle sorte que désormais la présence de l’une induit l’organisme à s’attendre à l’autre. L’animal possède donc une disposition à inférer ce qui n’est pas encore donné (le but) à partir de ce qui est déjà donné (la perception). Cette inférence consiste ainsi à étendre au futur une association d’expériences vitales passées : c’est une inférence inductive.

    Or “les qualités qui sont à l’origine de cette association et qui conduisent d’une [représentation] à une autre sont [...] la ressemblance, la contiguïté dans le temps ou dans l’espace et la relation de cause à effet”(Hume, Traité de la Nature Humaine, I, iv) : la ressemblance, ou le fait pour deux images perceptives différentes d’avoir des traits pertinents communs, c’est-à-dire des aspects instinctivement reconnaissables par l’individu (la vitesse de déplacement par ex.) dans des contextes instinctivement attractifs pour lui (nourriture, accouplement, etc.) ; la contiguïté, ou le fait que les différents aspects des images perceptives ressemblantes sont suffisamment proches dans le temps ou dans l’espace pour être spontanément mémorisées ;  la causalité, ou le fait que plusieurs impressions ressemblantes et contiguës se succèdent toujours dans le même ordre de sorte que la représentation de la première entraîne immédiatement celle de toutes les autres. “Dans tous les cas [...] l’animal infère un fait qui dépasse ce qui frappe immédiatement ses sens, [...] cette inférence se fonde entièrement sur l’expérience passée pour autant que la créature attend de l’objet présent le mêmes conséquences qui [...] résultèrent d’objets semblables”(Hume, Enquête sur l'Entendement Humain, IX). 

Bref, l’inférence inductive de l’animal se fonde sur des relations naturelles de ressemblance, de contiguïté et de causalité existant entre des informations perceptives mémorisées par l’individu sur l’état de son biotope. Pourtant, “il est impossible que cette inférence animale puisse se fonder sur aucune démarche d’argumentation et de raisonnement”(E.E.H., IX), car précisément l’enjeu de cette inférence est l’adaptation individuelle de l’organisme qui en est l’auteur dans un biotope où la survie dépend de la rapidité de la réaction et où donc la sanction de l’erreur est, dans le meilleur des cas la douleur, dans le pire des cas la mort. C’est donc un avantage pour la survie d’une espèce que d’autoriser les individus à faire un apprentissage inductif qui le rende capable d’anticipations vitales. Etre capable pour un être vivant de se représenter des buts permet à l’individu doué de cette capacité d’agir en fonction de ces représentations et donc d’anticiper une situation vitale, ce qui est un avantage adaptatif considérable par rapport à l’animal qui est incapable d’anticiper la survenance d’événements vitaux mais seulement y réagir avec retard. En ce sens, “il est évident que les animaux aussi bien que les hommes apprennent beaucoup de l’expérience et infèrent que les mêmes événements suivront toujours des mêmes causes”(E.E.H., IX). Les animaux, comme les hommes sont manifestement capables de tirer de l’expérience de leur milieu de vie des règles implicites de comportement qui dépassent la perception et la mémoire. Tout cela suffit-il à faire des anticipations inductives animales une forme de pensée consciente ?

    B - la pensée consciente est l’expression du loisir.


    L’adaptation à l’urgence vitale est optimisée par une faculté instinctive à faire des inférences inductives à partir d’une association d’impressions sensibles ressemblantes, contiguës et causalement reliées. Face à un tel mécanisme inductif qui maximise les chances de survie de l’individu et par conséquent de l’espèce, on doit conclure que c’est la pression sélective qui détermine causalement la nécessité de faire de telles anticipations inductives. A l’inverse, on est en droit de supposer que moins la pression sélective se fera sentir, moins l’induction sera utile à la survie des membres de cette espèce. Or, c’est précisément le cas de l’homme, car “ce n’est pas seulement en vue de vivre, mais plutôt en vue de bien vivre que les hommes s’assemblent en une Cité”(Aristote, Politique, III, 1280a). Ce qui veut dire que les hommes ont la capacité de s’affranchir de l’esclavage de la nécessité vitale, la preuve en est qu’ils ont une organisation politique tournée vers le bien vivre. Là où la faim, la soif, le besoin de protection et de reproduction tenaillent l’animal dans l’urgence en rendant nécessaire son adaptation inductive, l’homme, dans la mesure où il est vraiment homme et non pas une bête traquée, vit dans une Cité dont l’organisation sociale assume la satisfaction de tels besoins et libère donc partiellement l’homme d’un tel souci.

    En d’autre termes, “l’homme est un animal politique”(Politique, I, 1253a), il possède des fonctions qui autorisent le loisir, c’est-à-dire des activités non commandées par la nécessité vitale : “la vie se divise en loisir et en labeur, en guerre et en paix, en ce qui est une nécessité et en ce qui est un bien”(Politique, VII, 1333a). Aux animaux la vie de labeur, la guerre, la nécessité. Aux hommes la vie de loisir, la paix et le bien. Ce qui veut dire que ce qui caractérise l’homme, c’est le loisir, c’est le temps débarrassé de l’urgence vitale le contraignant à s’adapter par inférences inductives. Voilà pourquoi “le but principal de l’éducation est de devenir apte à mener une vie de loisir”(Politique, VIII, 1337b), c’est-à-dire une vie d’homme débarrassé de la nécessité de survivre (étymologie de “école”). A cette fin “alors que le cri animal est le signe du douloureux et de l’agréable [...] le langage existe afin de manifester l’avantageux et le nuisible ”(Politique, I, 1253a) : l’homme utilise ses capacités perceptives et phonatoires, non pas comme l’animal dont le signal n’a de pertinence qu’en liaison causale avec des événements vitaux, mais pour signifier par le langage ce dont l’enjeu n’est pas la survie immédiate de l’individu, mais le mieux-être collectif en relation avec des jugements de valeur partagés. Donc, il y a continuité entre l’animal et l’homme dans le sens où l’apprentissage est chez l’un comme chez l’autre une affaire d’habitude. Mais cette habitude est vitale chez l’un, "loisible" ou "scolaire" chez l’autre. Ce qui détermine une association perceptive uniquement fondée sur des images dont la pertinence est vitale chez l’un, devient expérience scolaire du langage tournée vers l’aménagement d’un mieux-être commun. Dès lors l’inférence humaine ressemble à l’inférence animale, commence comme elle (l’habitude), utilise les mêmes voies qu’elle (les sens), mais en fin de compte est un aboutissement évolutif spécifiquement humain. Et c’est à cette forme spécifique d’inférences autorisées par le loisir via le langage et le langage qu’on appelle la pensée consciente. Celle-ci se confond-elle alors avec le langage ?
 

II- La pensée consciente détermine le comportement à travers l’usage du langage.

    A - la pensée consciente se confond avec l’usage public du langage.

    “A première vue, ce qui caractérise la pensée, c’est qu’il s’agit d’une suite d’états mentaux dont le processus se déroule dans l’esprit”(Wittgenstein, the Blue Book, 5). En effet, délivré de l’urgence biologique d’avoir à s’adapter à son biotope, l’homme a le loisir de penser, c’est-à-dire de parler sans être pressé par la nécessité. On pourrait croire que chaque homme est capable de s’abstraire de son environnement au point de s’isoler dans un milieu privé accessible à lui seul. Or, “supposons que vous vouliez enseigner à un enfant à faire une multiplication dans sa tête : lorsque vous lui demandez de multiplier, vous lui demandez d’abord de parler à voix haute, puis de murmurer, enfin de ne même plus murmurer”(Wittgenstein, Leçons sur la Philosophie de la Psychologie). Pour apprendre à un enfant à calculer mentalement, il faut lui montrer, par le langage ce qu’il faut faire, lui donner la possibilité de vous montrer, par le langage, qu’il a compris et ensuite seulement, lui demander d’anticiper l’enchaînement des paroles constituant le discours en s’interdisant de les prononcer réellement. A quoi voit-on que ce qu’il pense dans sa tête est correct ? “Il fournit la réponse et il est capable de dire ce qu’il a fait”(-id-). Avant l’apprentissage de la pensée mentale, il y a donc l’usage public et socialement contrôlé d’un jeu de langage et, après un usage intériorisé, il y a toujours la sanction du langage public. Bref, “c’est seulement à qui a appris à calculer par écrit ou oralement que l’on peut, à l’aide du concept de calcul, rendre compréhensible ce que c’est que calculer de tête”(Recherches Philosophiques, II).

    Il n’est donc pas exclu que l’usage public puisse être intériorisé, que nous puissions penser seul sans personne pour nous écouter ou nous répondre, seulement “l’on ne peut apprendre à penser seul qu’après avoir appris à penser publiquement : on ne peut apprendre à calculer de tête qu’en apprenant à calculer”(-id-). Ce qui veut d’abord dire que la signification première du terme “penser” est celle d’une activité qui se confond avec l’usage public et externe du langage, et la pensée au sens d’une soi-disant activité mentale indépendante de cet usage n’est qu’une signification seconde car “on ne peut pas faire de tête ce que l’on ne peut pas faire de façon perceptible”(Remarques sur la Philosophie de la Psychologie). Ce qui implique ensuite que la pensée muette n’est qu’une manière instinctive d’économiser ses gestes en anticipant inductivement l’enchaînement des paroles dans le discours. La pensée muette n’est que la survivance dans la pensée consciente de l’instinct animal d’association inductive, étant entendu que ce qui est anticipé ici, ce sont des paroles scolaires et non des images vitales. Mais “la pensée est essentiellement l’activité qui consiste à opérer avec des signes, par la main lorsque nous écrivons, par la bouche et le larynx quand nous parlons”(the Blue Book, 6), ou par le geste, le toucher, etc. Voilà pourquoi “un animal, comme une machine est incapable de penser, nous ne pouvons l’affirmer que de l’homme et de ce qui lui ressemble”(Recherches ..., §360). L’attribution anthropomorphique de pensées aux animaux ou aux machines n’est donc qu’un usage second du terme “penser”, au même titre que l’attribution des pensées muettes aux hommes. Mais alors la pensée consciente n’est-elle pas déterminée par l’existence sociale  ?

    B -  la fonction du langage est l’uniformisation sociale des formes de vie.


    D’un côté, la pensée consciente s’oppose radicalement à l’association inductive en ce qu’elle manifeste de la part de l’être conscient une indépendance à l’égard de la nécessité vitale. C’est pour cela que son expression par le langage se distingue de celle de l’association perceptive par le signal animal qui est liée de manière causale aux conditions vitales. Tandis que “ce qui est remarquable avec le langage, c’est que nous pouvons faire des choses que nous n’avons jamais apprises”(Leçons sur la Philosophie de la Psychologie) : c’est parce que le langage est une activité "scolaire" (au sens d'Aristote) sans relation causale avec une situation vitale qu’il possède cette souplesse d’utilisation caractéristique de la pensée consciente. Mais d’un autre côté, la pensée consciente n’est pas si éloignée que cela de l’association inductive en ce qu’elles supposent toutes deux un apprentissage dans des conditions matérielles bien déterminées. Ainsi “le phénomène du langage repose sur la régularité, sur la concordance dans l’action”(Remarques sur les Fondements des Mathématiques) : il n’y aurait pas en effet de langage et donc de pensée consciente sans une certaine régularité dans la correspondance entre ce qui est dit et ce qui est perçu, bref, sans une certaine stabilité de l’usage des mots, puisque “l’on enseigne le sens par l’usage”(Recherches ..., II). Dès lors, tout comme l’induction animale exprimée par le signal, la conscience humaine exprimée par le langage est un puissant facteur de coordination sociale dans le comportement des individus à l’égard de leur milieu. Et dans un cas comme dans l’autre, l’important “ce n’est pas une conformité d’opinion, mais de forme de vie”(
Recherches ..., I, §241), c’est-à-dire que l’accord qu’exige le langage humain, ou le signal animal, ne vise pas la représentation en tant que telle, mais l’acte, le comportement et finalement une forme de vie tout entière.

    En ce sens, on doit dire que “dans le langage est déposée toute une mythologie”(Remarques sur le Rameau d’Or de Frazer), c’est-à-dire que tout un ensemble de représentations inconditionnellement partagées, de croyances inquestionnables nécessaires pour assurer la cohésion d’un groupe social, se trouve qu’on le veuille ou non cristallisé dans le langage. La conscience, à travers le langage est, à ce titre, le miroir de notre milieu social au même titre que les associations perceptives des animaux sont le miroir de leur biotope naturel. En particulier, la pensée consciente va se trouver constituée de toute une ontologie qui contraint le locuteur de voir le monde et de s’y comporter à travers le langage qu’il emploie. Wittgenstein note par exemple que “s’il est exact de dire que sous l’Allemagne nazie l’humour a été anéanti, ce qui a disparu n’est pas simplement un sentiment de bonne humeur mais quelque chose de beaucoup plus profond : l’humour n’est pas un état d’âme mais une façon de parler, c’est-à-dire une façon de voir le monde”(Remarques Mêlées) : la disparition de l’humour, c’est la transformation d’une forme de vie. Pour autant, même s’il y a une détermination entre la pensée consciente et les actes des sujets conscients via le langage, ce n’est jamais une détermination causale. En effet, “aucune manière d’agir ne peut être déterminée causalement par les règles du langage, car si toute manière d’agir peut se conformer à une règle, elle peut tout aussi bien la contredire”(
Recherches ..., I, §201). Ce qui ne pourrait être le cas si la vie du locuteur était en jeu et si le langage se réduisait à un ensemble de signaux. A l’inverse, “nous aurions tendance à dire que toute action suivant une règle du langage fait suite à une interprétation”(-id-), c’est-à-dire une réflexion consciente qui “substitue une formulation claire de la règle à une autre plus obscure”(-id-). Cela dit, de quelle manière la pensée consciente peut-elle déterminer notre comportement ?
 

III - La pensée consciente justifie idéologiquement les relations sociales établies.

    A - la pensée consciente est le miroir des relations économiques.

    Si, comme le souligne Aristote, c’est la vie bonne et non pas la vie tout court qui constitue la préoccupation naturelle de l’homme, c’est que le stade des besoins liés à la survie est toujours déjà supposé avoir été dépassé. Or, comme l’homme est une espèce biologique, le dépassement de ce stade suppose la satisfaction des conditions de sa survie biologique dans le passé, mais aussi l’optimisation de ses conditions de survie pour l’avenir. Ce n’est qu’à cette double condition que l’être humain pourra être supposé délivré de l’urgence vitale. Si l’on veut comprendre comment la pensée consciente est capable de déterminer le comportement des êtres humains, c’est donc à ces deux conditions de possibilité qu’il faut s’intéresser. En réalité, ce par quoi les hommes “se distinguent des animaux, ce n’est pas qu’ils pensent, mais qu’ils se mettent à produire leurs moyens d’existence”(Marx, l'Idéologie Allemande), bref, qu’ils créent les conditions de l’émergence d’une pensée consciente dont la survie n’est plus la préoccupation première. En d’autres termes, ce sont les conditions historiques de l’émergence de toute pensée consciente qui importent et “la première présupposition de toute histoire humaine, c’est naturellement l’existence d’individus humains vivants : le premier état de fait à constater, c’est donc l’organisation corporelle de ces individus et la relation qui en résulte pour eux avec le reste de la nature”(
l'Idéologie Allemande). Ce sont les relations que les hommes vont tisser entre eux et celles qu’ils vont établir entre eux et leur biotope afin de se mettre  à l’abri de la nécessité de survivre, qui vont déterminer l’émergence de la pensée consciente.

    Et c’est cela qui est proprement humain : l’invention d’une infrastructure stable qui permette de subvenir par avance aux besoins vitaux, là où les animaux sont condamnés à réagir toujours dans l’urgence. Aussi, “le premier acte historique, c’est la création des moyens pour satisfaire ces besoins”(
l'Idéologie Allemande). Le problème est que, contrairement à l’animal qui est informé immédiatement de la réussite ou de l’échec du processus de satisfaction de ses besoins, une infrastructure n’est jamais pleinement satisfaisante, son efficacité peut toujours être améliorée, de sorte que “une fois satisfait le premier besoin lui-même, le geste de le satisfaire et l’instrument créé à cette fin conduisent à de nouveaux besoins”(l'Idéologie Allemande). Parallèlement au surgissement de nouveaux besoins destinés à optimiser la satisfaction des besoins vitaux, le besoin de reproduction se fait sentir, non pas tant comme un aveugle instinct animal de perpétuation de l’espèce, mais plutôt comme le projet de fonder une structure humaine qui rende la vie plus facile. Ainsi, “les hommes, tout en renouvelant quotidiennement leur propre vie, commencent à créer d’autres hommes, à se reproduire, c’est la relation entre l’homme et la femme, entre parents et enfants, c’est la famille”(l'Idéologie Allemande). Il apparaît donc clairement que les hommes ne réussissent à se mettre à l’abri de l’urgence vitale qu’en créant des des infrastructures stables dans lesquelles ils sont impliqués par des relations humaines et matérielles bien déterminées : “il en résulte qu’un mode de production est toujours lié à un mode déterminé de coopération, de sorte que l’histoire de l’humanité doit être étudiée et traitée en relation avec l’histoire de l’industrie et du commerce”(l'Idéologie Allemande). Les conditions d’émergence de la pensée consciente vont donc être des conditions économiques, c’est-à-dire un ensemble de relations humaines et matérielles de base (infrastructure) visant à optimiser à long terme la satisfaction des besoins. Or l’optimisation des processus économiques de production exige que soit garantie la pérennité de ces infrastructures : celles-ci réclament donc des superstructures, c’est-à-dire des structures souples permettant de les maintenir et de les réguler. C’est donc le besoin de faciliter les échanges matériels entre les hommes dans le cadre d’infrastructures durables qui engendre le besoin de superstructures ayant pour base commune la conscience, c’est-à-dire le langage : “le langage est aussi vieux que la conscience, il est la conscience réelle, il naît du seul besoin de la nécessité du commerce avec d’autres hommes”(l'Idéologie Allemande). Mais en quoi va consister l’efficacité de la superstructure consciente à l’égard de l’infrastructure économique ?

    B - la pensée consciente dissimule idéologiquement les rapports de force économiques.

    La conscience est primordialement “une conscience purement animale de la nature, mais aussi la conscience de la nécessité d’entrer en communication avec d’autres individus alentour”(
l'Idéologie Allemande), c’est-à-dire d’abord la conscience d’une double nécessité : celle de se dresser contre une nature extérieure en la domestiquant à satisfaire un certain nombre de besoins, et celle de coopérer avec autrui pour maximiser les chances de réussite d’une telle entreprise. Bref, la conscience est d’abord conscience de la nécessité de réitérer un certain nombre d’efforts de satisfaction des besoins déjà couronnés de succès puisque l’être humain ayant le loisir de penser, c’est qu’il n’est plus dans une situation d’urgence vitale. Donc la pensée consciente renforce l’infrastructure économique existante en justifiant a posteriori l’ensemble des relations matérielles et humaines qui la constituent, c’est-à-dire en la faisant apparaître comme nécessaire. “Dès cet instant, la conscience peut vraiment s’imaginer qu’elle est autre chose que la conscience pratique établie, la conscience est capable de s’émanciper du monde et de passer à la formation de la théorie pure, théologie, philosophie, morale, etc.”(l'Idéologie Allemande). Une fois cette tâche accomplie, la pensée consciente a le loisir de se présenter comme autonome par rapport à cette infrastructure en prétendant la déterminer, ce qui est crédible puisque les infrastructures économiques et la superstructure consciente se complètent, se renforcent et donc se justifient mutuellement. Par cette apparence d’autonomie, la conscience apparaît donc comme l’arbitre impartial qui convainc le sujet conscient de la nécessité des infrastructures existantes.

    Apartir de là, l’apparence d’autonomie de la conscience est d’autant plus perverse  qu’elle convainc de la nécessité d’un ordre social fondé sur la domination et sur la reproduction de cette domination. La domination car, “à toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes : les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes”(
l'Idéologie Allemande), à savoir les conditions réelles d’une production économique qui peut être efficace, mais dont les relations humaines sont, de fait, des relations de domination engendrées par la division sociale du travail. De sorte que “l’activité spirituelle et l’activité matérielle, la jouissance et le travail, la production et la consommation échoient à des individus différents”(l'Idéologie Allemande) : certains individus qui sont le plus à l’abri de l’urgence vitale, ceux donc qui ont le plus de loisir, qui ont le plus tendance à user du langage pour justifier la nécessité des infrastructures qui les ont placés en position dominante, sont ceux qui, comme par hasard, tirent le plus grand profit de ces infrastructures. De là l’utilité et l’efficacité de tout discours tendant à rendre nécessaire un certain ordre social inégalitaire dans le but de le reproduire à l’identique. L’exemple limite est celui du discours religieux : “peu à peu, tout rapport dominant fut proclamé rapport religieux et changé en culte, culte du droit, culte de l’Etat, etc. . partout on n’avait plus affaire qu’à des dogmes et à des croyances en des dogmes”(l'Idéologie Allemande). En sacralisant un certain type de rapport de domination, en le déclarant conforme à une volonté divine, le discours religieux convainc, fait croire à la domination absolue de la conscience (volonté divine) sur les relations matérielles et humaines, et assure la reproduction des privilèges de la caste d’intellectuels oisifs que constituent les prêtres. C’est la fonction idéologique de la pensée consciente qui consiste à dissimuler les rapports sociaux en les inversant : “dans toute idéologie, les hommes et leurs conditions apparaissent sens dessus dessous”(l'Idéologie Allemande). Telle est la contribution idéologique de la superstructure consciente au renforcement de l’infrastructure économique : la nécessité de celle-ci est présentée comme résultant d’une volonté, alors qu’en réalité l’infrastructure n’est que le fruit de tâtonnements historiques aléatoires qui ont créé un ordre social que certains ont simplement intérêt à voir se perpétuer et qu’ils entendent exploiter à leur profit. En ce sens, “ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, c’est la vie qui détermine la conscience”(l'Idéologie Allemande).
 
Conclusion.

    Ce qui distingue l’induction perceptive animale et la pensée consciente humaine, c’est que la première est toujours au service d’une adaptation biologique à une situation d’urgence vitale, tandis que la seconde manifeste le loisir dont jouit l’être qui est capable de parler sans que sa survie soit en jeu. En ce sens, la pensée consciente est indissociable du langage public comme activité destinée à harmoniser les formes de vie dans la perspective d’un mieux-être en pré-déterminant la manière dont les membres d’un groupe social doivent voir un monde commun. Ce sont donc les structures économiques de base destinées à mettre les hommes à l’abri du besoin qui déterminent la pensée consciente en lui faisant prendre pour une nécessité absolue un ensemble de relations matérielles et humaines qui n’est que l’effet d’un développement historique.
  

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