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lundi 2 octobre 2023

COMMUNICATION, LANGAGE ET VÉRITÉ.

Rousseau écrit que "l'effet naturel des premiers besoins fut d'écarter les hommes et non de les rapprocher. Il le fallait ainsi pour que l'espèce vînt à s'étendre, et que la terre se peuplât promptement, sans quoi le genre humain se fût entassé dans un coin du monde, et tout le reste fût demeuré désert. De cela seul il suit avec évidence que l'origine des langues n'est point due aux premiers besoins des hommes , il serait absurde que de la cause qui les écarte vînt le moyen qui les unit. D'où peut donc venir cette origine ? Des besoins moraux, les passions. Toutes les passions rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force à se fuir. Ce n'est ni la faim ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère, qui leur ont arraché les premières voix. Les fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s'en nourrir sans parler, on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître : mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes"(Rousseau, Essai sur l’Origine des Langues, ii). Le langage serait donc destiné, selon lui, à résoudre des problèmes vitaux, certes, mais non pas ceux qui consistent à être tenaillé par la faim, la soif ou le froid, juste ceux qui préludent à la perpétuation de l'espèce ou à l'auto-défense ! Nous allons voir qu'il y a dans cette conception naïvement pré-romantique du langage une intuition néanmoins exacte, à savoir que "les premières langues furent chantantes et passionnées avant d'être simples et méthodiques"(Rousseau, Essai sur l’Origine des Langues, ii) en ce sens que la fonction du langage est indissociable des affects humains. 


Rien ne nous paraît, à cet égard, plus ridicule et condamnable que ces conceptions angéliques du langage qui font de celui-ci une sorte de miracle dans l'éthologie animale en instaurant entre communication animale et langage humain une différence non de degré mais de nature. À commencer par le préjugé du caractère fondamentalement constatif du langage humain que Platon établit, dans le dialogue où il est question de la nature du langage, en faisant dériver l'étymologie d'ἄνθρωπος, "homme" de la locution "celui qui relate ce qu'il a vu" : "ce nom d'homme [ἄνθρωπος] signifie que, tandis que les autres animaux ne savent ni observer, ni étudier, ni contempler ce qu'ils voient, l'homme a cet avantage que tout en voyant [ὅπωπε], il observe et contemple [ἀναθρεῖce qu'il voit. C'est donc avec raison qu'on a tiré le nom d'homme de cette faculté qui lui appartient exclusivement entre tous les animaux, de savoir contempler ce qu'il voit [ἀναθρῶν ἃ ὅπωπ]"(Platon, Cratyle, 399c). Il y a là l'idée que seul parmi les vivants, l'être humain est capable d'interposer entre la perception et le mouvement relatif à la perception, un temps mort d'une durée indéfinie qui lui permettrait d'observer, d'étudier, de contempler et, subséquemment, de commenter ce qu'il a perçu en s'abstenant de déclencher en le destinataire du message quelque mouvement, donc d'engager de sa part quelque  dépense d'énergie que ce soit.  De là la prétendue perfection idéale du langage humain. Or, de toute évidence "certaines phrases ne décrivent, ne rapportent, ne constatent absolument rien, donc ne sont pas vraies ou fausses mais sont l'exécution d'une action"(Austin, quand Dire c'est Faire, i). Austin, Searle et quelques autres nomment "énoncés performatifs" (performative statements, de to perform, "accomplir") de telles phrases dont l'intention directe et immédiate consiste, précisément, à déclencher un mouvement de la part du ou des destinataire(s) du message, par exemple dans le cas ou donne un ordre ou profère une menace ou une interdiction. Par ailleurs, si l'on peut parler d'énoncés constatifs, c'est dans le sens où a entend in-former (p. ex. en l'instruisant) ou, éventuellement, dé-former (p. ex. en le mettant en garde) directement ou [ab] sans pour autant avoir l'intention de créer un mouvement perceptible immédiat dans l'écosystème. Or, l'absence de mouvement perceptible n'est jamais une absence de mouvement tout court : dans les romans de Dostoïevski, les interlocuteurs n'ont de cesse d'avoir chaud, d'avoir froid, de sentir leur cœur s'emballer, leur estomac se nouer, etc. autrement dit d'avoir, au cours de leurs discussions, la perception cœnesthésique de quelque mouvement corporel interne, preuve que leur organisation corporelle est affectée d'un surcroît (joie) ou au contraire d'un défaut (peine) de vitalité (cf. Spinoza supra), bref, d'une in-formation néguentropique ou bien d'une dé-formation entropique (l'une et l'autre se succédant d'ailleurs souvent à un rythme effréné). De plus, l'absence, de la part de a d'intention première de susciter une réaction corporelle manifeste et immédiate de la part de son ou ses interlocuteur(s) n'exclut nullement le mouvement indirect médiat comme effet secondaire intentionnel (a prépare b à se comporter d'une certaine manière lors d'un examen ou d'un concours) ou accidentel (typiquement, les Croisades comme effet secondaire de la lecture des Évangiles, ou bien l'islamisme politique comme effet secondaire de la lecture du Coran, ou encore le sionisme comme effet secondaire de la lecture de la Thora). Bref, toute communication est fondamentalement performative en ce que "tout le corps qui répond par sa posture et sa réaction aux exigences du jeu exprime tout le rapport au monde social"(Bourdieu, Langage et Pouvoir Symbolique, i, 2) au point que la retenue, la contention, la raideur, l'immobilité même peuvent être considérées comme des réactions comportementales maîtrisées de la même façon que le silence n'est pas nécessairement un indice d'incompréhension ou d'indifférence. Et, s'agissant du cas particulier de la communication humaine, "ce qui, dans les signes, ne parvient pas à l’expression linguistique, l’usage des signes le montre [was in den Zeichen nicht zum Ausdruck kommt, das zeigt ihre Anwendung]"(Wittgenstein, Tractatus, 3.262), c'est-à-dire que leur usage social coutumier statistiquement le plus fréquent dans l'écosystème commun est aussi l'indice le plus pertinent de l'aspect fondamentalement performatif du langage, lequel en est, essentiellement, un effet indirect à plus ou moins long terme. 

À la nature prétendument constative du langage, on a corrélé son caractère soi-disant pacifique, pacifique parce que constatif et constatif parce que pacifique. Ce qui est manifeste dans l'irénisme linguistique d'Aristote selon lequel "il est évident que l’homme est naturellement un animal politique [ὁ ἄνθρωπος φύσει πολιτικὸν ζῷον] destiné à vivre en dans une Cité [πόλις] [tandis que les autres animaux] sont  avides de combats [μα γὰρ φύσει τοιοῦτος καὶ πολέμου ἐπιθυμητής]. [De sorte que] seul, entre les animaux, l’homme a l’usage du langage [λόγον δὲ μόνον ἄνθρωπος ἔχει τῶν ζῴων] ; le cri [ἡ φωνὴ] est le signe de la douleur et du plaisir et c’est pour cela qu’il a été donné à tous les animaux. Leur organisation va jusqu’à éprouver des sensations de douleur et de plaisir et à se le faire comprendre les uns aux autres ; mais le langage [ὁ λόγος] a pour but de faire comprendre ce qui est utile ou nuisible et, par conséquent aussi, ce qui est juste ou injuste [ὁ δὲ λόγος ἐπὶ τῷ δηλοῦν ἐστι τὸ συμφέρον καὶ τὸ βλαβερόν, ὥστε καὶ τὸ δίκαιον καὶ τὸ ἄδικον]"(Aristote, Politique, I, 1253a). Autrement dit, contrairement à la communication animale qui, remplissant une fonction vitale apolitique, est nécessairement agressive, le langage humain accomplirait une fonction politique non-vitale et, par conséquent, essentiellement pacifique à travers l'expression de ce qu'il est convenu d'appeler "les valeurs" (le juste, le bon, le beau, l'utile, etc.). Or il nous semble encore plus évident que, de même que l'in-formation génétique assure directement la survie locale du corps biologique, donc de la plupart des tissus de ce corps tout en prescrivant la destruction de certains (apoptose), de même l'in-formation linguistique assure directement l'invariance du corps social (πόλις), donc la survie de la plupart de ses structures au mépris de certaines. Après tout, n'est-ce pas toujours au nom du "juste", du "bien", de l'"utile", etc. que l'on emprisonne, torture, tue, "réforme" ou "modernise" ? Comme Clément Rosset le souligne finement, "c'est faire preuve de superficialité que d'opposer la violence au langage, à la raison au sens de se représenter l'homme comme écartelé entre la possibilité d'une communication pacifique fondée sur le discours et la tentation d'un rapport de violence fondé sur le non-discours. La vérité est, semble-t-il, exactement inverse : c'est précisément dans la mesure où l'homme est susceptible de discours qu'il est susceptible de violence"(Rosset, le Réel : Traité de l'Idiotie, II, ii) : toute guerre est précédée, entretenue et suivie par des propos belliqueux, toute agression fait suite à une provocation langagière, quant à la "bonne" résolution bien connue "mettons-nous autour d'une table et discutons plutôt que de nous battre", chacun sait qu'elle est toujours énoncée, non pas a priori, mais a posteriori sur fond d'agression avérée (cessez-le-feu, traité de paix, rapport de force établi) ou potentielle (menaces). Et, dans la mesure où "la guerre ne consiste pas seulement dans des combats effectifs, mais dans un espace de temps où la volonté de s’affronter en des batailles est suffisamment avérée"(Hobbes, Léviathan, XIII), lorsque le langage n'engendre pas directement une violence actuelle, c'est de ce que Pierre Bourdieu appelle une "violence symbolique" indirecte qu'il est question : "les discours ne sont pas seulement des signes destinés à être compris, mais aussi des signes de richesse destinés à être évalués, appréciés, et des signes d’autorité destinés à être crus et obéis [...]. La discussion, loin de combler l’écart entre les rangs sociaux, le maintient et l’aggrave"(Bourdieu, Langage et Pouvoir Symbolique, i, 2). En ce sens, la fonction néguentropique du langage consiste moins à établir ou maintenir la paix sociale que d'éviter à la guerre d'éclater ouvertement en engageant chaque structure à ne pas sortir de la logique que la société leur a assignée.

Il est temps de rappeler que le sens des "valeurs" prétendument véhiculées par le langage n'est ni inné ni acquis par l'opération du Saint-Esprit mais que "si vous vous demandez comment un enfant apprend “beau”, “magnifique”, “bon”, etc., vous trouvez qu’il les apprend en gros comme des interjections"(Wittgenstein, Leçons sur l’Esthétique, I, 5). Des interjections et non des concepts ! C'est que, "pour ce que nous avons été enfants avant que d'être hommes" (pour parler comme Descartes), il n'est pas nécessaire d'avoir lu Freud, Proust ou Modiano pour comprendre qu'il nous reste nécessairement quelque chose de notre enfance, et quelque chose d'autant plus prégnant que l'acquisition en a été faite plus précocement et dont, pour cela, nous n'avons pas gardé le moindre souvenir conscient. L'apprentissage du langage est, à cet égard, le candidat idéal au statut d'acquisition pré-consciente. Wittgenstein  nous en donne un exemple significatif :  "comment apprendre la signification du mot ‘‘douleur’’ par exemple ? En voici une possibilité : […] un enfant s’est blessé, il crie ; alors des adultes lui parlent et lui apprennent […] une nouvelle manière de se comporter face à la douleur. De sorte que l’expression verbale de la douleur remplace le cri et ne décrit rien du tout"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §244). Certes, direz-vous, mais comment apprend-on les expressions qui expriment plutôt l'état du monde extérieur au corps vivant ? Eh bien de la même manière : par exemple, "on présente simultanément à l’enfant des émissions du mot et des exemples d’objets rouges ; on applaudit aussi à son propre babillage lorsqu’il émet un son qui ressemble à ‘rouge’ en présence du rouge ; au bout du compte, l’enfant acquiert l’art d’utiliser le mot conformément au goût de la société"(Quine, le Domaine et le Langage de la Science, ii). Dans tous les cas,  "ce qu’il y a d’extrêmement important quand on enseigne [le langage], ce sont les gestes et les mimiques exagérées [qui] sont des manifestations d’approbation"(Wittgenstein, Leçons sur l’Esthétique, I, 5). Remplaçons maintenant les termes "douleur" ou "rouge" par la variable et les termes "cri" ou "applaudir" par le paramètre "mouvement corporel" et formulons notre thèse : l'expression verbale x remplace ou accompagne le mouvement corporel et ne décrit rien du tout. Nous affirmerons donc qu'il n'existe pas de langage essentiellement contemplatif au sens de Platon ni de langage essentiellement pacifique au sens d'Aristote, de sorte que les calmes énoncés descriptifs attachés au mythe grec de la σχολή ne sont, en réalité, que des énoncés à effets performatifs différés ou discrets. Bref, comme le dit Wittgenstein, "plutôt que de dire ‘sans langage nous ne pourrions nous comprendre mutuellement’, nous devrions dire ‘sans langage, nous ne pourrions nous influencer mutuellement"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §491). 

Fondamentalement, cette influence est celle de la communication mutuelle de structures physiques vivantes intégrées à la même organisation locale (p.ex. la famille ou la classe ou la Cité ou l'État) qui, continuellement menacée par l'entropie, tend néanmoins à maintenir son invariance à la manière d'un navire balloté par la tempête. Comme toute forme de communication, le langage est une relation physique et, à ce titre, un échange de signaux physiques destiné à produire intentionnellement des effets d'in-formation dont le tout premier, avant même la modification néguentropique de l'écosystème, est la perception du communiqué par le communiquant. En fait, "la perception et l'action ne peuvent pas être séparés parce que la perception exprime la clôture du système nerveux [ou de la structure coordonnatrice des structures communicantes, quelle qu'elle soit]. En termes plus positifs, percevoir équivaut à construire des invariants par un couplage sensori-moteur qui permet à l'organisme de survivre dans son environnement"(Varela, la Clôture Opérationnelle du Système Nerveux, iii, in Autonomie et Connaissance, Essai sur le Vivant). Ce qui implique notamment que l'émetteur du message est toujours en même temps son premier (et parfois son unique) récepteur par couplage sensori-moteur d'un signal sensible efférent (p. ex. ce qui est dit ou pensé par un locuteur humain) et d'un signal sensible afférent (p. ex. ce qui est "ressenti" en disant ou en pensant). Mieux encore, dans la mesure où "les comportements propres [eigenbehaviorssont des invariants engendrés de façon interne par les processus coopératifs qui définissent la clôture du système"(Varela, Comportement Propre, Autoréférence et Coopérativité, i, in Autonomie et Connaissance, Essai sur le Vivant), on peut dire que non seulement l'invariance organisationnelle locale est l'unique fonction du comportement de communication des structures communicantes, mais encore que cette invariance ne peut être assurée que par la communication desdites  structures. En ce sens, toute communication est comportement et tout comportement est communication, y compris pour les humainsDonc, pour un locuteur humain a, "avoir le sens des valeurs", c'est, sinon agir, du moins avoir agi ou devoir agir soit directement (lorsque lui-même perçoit ce qu'il dit ou ce qu'il pense) soit indirectement (lorsque  subit la perturbation de l'écosystème [ab] du fait de sa communication, [ab] étant l'organisation commune de laquelle participent les structures et b). Bref, "avoir le sens des valeurs" est une expression vide de sens puisque dire "ceci est bon" revient, au fond, à dire "ceci est comestible" et/ou à se comporter en exprimant son appétit, ce que la "danse" des abeilles réussit tout aussi bien (mieux ?) que le récit de la Genèse

Dans ces conditions, que penser du statut apparemment exorbitant de l'une d'entre ces "valeurs", à savoir la valeur de vérité ? Nous avons dit que l'invariance organisationnelle de l'écosystème dans lequel elle s'exerce est l'unique fonction de la communication d'une structure vivante en général, et par conséquent, du langage en particulier. Or, quand nous parlons de fonction, nous entendons "fonction" au sens mathématique du terme comme une mise en relation d'un domaine de départ (généralement associé à la variable x) avec un domaine d'arrivée (y) par une règle de concordance qui permet de connaître, a priori, le sens de variation de et les extrema entre lesquels sera contenue. Ainsi dire que l'invariance organisationnelle de (n')est fonction (que) d'un comportement de communication mutualisée à la fois entre les structures internes à et à la fois entre et tout ou partie des structures d'une organisation commune [ab]c'est dire que le comportement de vise l'oscillation de entre deux extrema de variation. Et, de même qu'une fonction périodique (p.ex. les fonctions trigonométriques) voit ses varier entre ses deux extrema (p.ex. -1 et +1 pour les fonctions sinus ou cosinus) suivant une régularité qui dépend de la fréquence de ses (p. ex. 2 π rad pour sinus ou cosinus), de même l'invariance organisationnelle (y) de variera entre un excès et un défaut d'énergie néguentropique en fonction de la fréquence de la communication. En particulier, un excès de langage est, certes, aussi préjudiciable à l'in-formation qu'un défaut de langage, cependant, un sur-excès (sous forme, par exemple d'une paraphrase ou d'un commentaire) ou un sous-défaut (sous forme, par exemple, d'un mysticisme) peuvent, de nouveau, être in-formants. Ce qui permet de voir que, de même qu'une fonction récursive (p. ex. la fonction "successeur" d'un entier dans l'arithmétique de Peano) s'appelle elle-même et s'applique à elle-même, les devenant des puis des y et ainsi de suite (p.ex. dans la géométrie des fractales), de même aussi le langage s'appelle lui-même et s'applique à lui-même sous la forme d'un méta-langage dès que l'on sort du "langage-objet" ("le ciel est bleu" est du langage-objet, "bleu est une couleur" est du méta-langage). Enfin, il est courant, en analyse mathématique d'appeler la "valeur" de la fonction f(x), ce qui contribuerait à faire de l'ensemble des modifications structurelles de l'organisation humaine comprises dans sa marge d'invariance organisationnelle le parcours de "valeurs" de la fonction langagière. En ce sens, en disant "ceci est bon" ou "ceci est injuste" "vous ne signifiez rien d’autre que, selon la constitution de votre nature, vous éprouvez un sentiment d’approbation ou de blâme en considérant l’objet"(Hume, Traité de la Nature Humaine, III, i, 1), vous n'indiquez rien d'autre que, littéralement, la valeur que vous accordez à un objet, vous n'adoptez rien de plus qu'un comportement de satisfaction comme indice irrécusable d'une in-formation néguentropique. Pour toutes ces raisons, l'analogie de la fonctionnalité du langage avec l'acception mathématique nous semble parfaitement justifiée. Tout aussi justifiée, par conséquent, nous paraît être l'approche mathématicienne de la proposition affirmative par Frege : "l’on analyse la proposition ‘César conquit les Gaules’ en ‘César’ et ‘( ) conquit les Gaules’ : la seconde partie est insaturée, elle traîne une place vide avec elle, et ce n’est qu’après avoir rempli cette place par un nom propre ou une expression équivalente qu’on voit naître un sens fermé sur lui-même"(Frege, Fonction et Concept). Autrement dit, pour Frege, l'expression "conquérir les Gaules" est du type f(x), et le sujet dont on va prédiquer cette expression va jouer le rôle de la variable (x). De sorte que, une fois donné le domaine de définition de la fonction "conquérir les Gaules" (en l'occurrence, il doit s'agir d'une organisation humaine, et non pas d'une planète ou d'un nombre réel) et une fois la variable remplacée par une constante appartenant à ce domaine (Alexandre le Grand, Gengis Khan, César, Napoléon, le Troisième Reich, etc.), nous obtenons une "valeur" de la fonction. Pour Frege, qui est l'héritier scrupuleux de la logique bivalente d'Aristote, le parcours de valeurs d'une telle fonction langagière affirmative (qu'il nomme aussi "concept") se résume à l'ensemble {Vrai ; Faux}. D'où la définition : "un concept [une fonction langagière affirmative] est une fonction dont la valeur est toujours une valeur de vérité"(Frege, Fonction et Concept). Peu nous importe ici le nombre de "valeurs de vérité" retenues pour la fonction langagière affirmative (deux pour la logique frégéenne, trois pour la logique intuitionniste, une infinité comprise entre 0 et 1 pour la logique floue). La seule question qui, pour finir, va retenir notre attention est celle-ci : s'agissant d'une proposition affirmative p, en quoi le fait de dire "est vraie" diffère-t-il du fait de dire "p" ? Ou, dit autrement, puisque l'invariance locale d'une organisation humaine est, avons-nous dit, la seule fonction possible assignable au langage, en quoi la valeur de vérité de la proposition affirmative p relève-t-elle d'une sub-fonction bien particulière de la fonction générale d'invariance organisationnelle ?

Il va de soi qu'à la suite de ce que nous avons exposé supra, on peut généraliser à toutes les valeurs la remarque de Spinoza selon laquelle "la connaissance du bien et du mal n’est rien d’autre qu’un sentiment de joie ou de tristesse, en tant que nous en sommes conscients"(Spinoza, Éthique, IV, 8). En particulier, donc, la valeur de vérité (le vrai ou le faux, pour nous en tenir à une logique bivalente) n'a rien à voir avec l'adaequatio rei et intellectus chère à Thomas d'Aquin, sous-entendu de l'intellect des "vrais philosophes, ceux qui aiment la contemplation de la vérité"(Platon, République, V, 475e), en l'occurrence la contemplation d'un objet éminent (l'Idée platonicienne) au moyen d'"une sorte d’œil de l’esprit par lequel l’âme peut fixer son regard sur la vérité, [car] ce qui répand sur les objets de la connaissance la lumière de la vérité [...] c’est l’idée du bien"(Platon, République, VI, 508e-509a). Or, si, comme nous l'avons suggéré, il n'existe pas de langage purement constatif, purement contemplatif (ni des choses, ni des valeurs, ni de quoi que ce soit), nous aurions tendance à abonder dans le sens de Nietzsche pour qui la valeur de vérité, loin d'"éclairer" en toute neutralité des objets idéaux, est plutôt accordée à "une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d'anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement haussées, transposées, ornées, et qui, après un long usage, semblent à un peuple fermes, canoniques et contraignantes"(Nietzsche, Vérité et Mensonge au sens Extra-Moral). Donc, ce qui est réputé "vrai" (ou "faux"), ce sont, non des "idées" au sens intellectuel (platonicien) de ce terme, mais des "relations humaines", donc des comportements par lesquels des structures vivantes tentent d'optimiser la néguentropie de l'organisation commune à laquelle elles participent. Dès lors, la valorisation de certains de ces comportements (que l'on qualifiera de "langagiers") par l'attribution du label de vérité relève d'une sorte de fétichisation des comportements qui doivent être considérés sinon comme sacrés, du moins comme particulièrement "fermes, canoniques, contraignants". D'où, deux conséquences extrêmement importantesD'abord"attribuer la vérité à l’énoncé "la neige est blanche", c’est attribuer la blancheur à la neige ; l’attribution de vérité se borne à effacer les guillemets : la vérité c’est la décitation [disquotation]"(Quine, la Poursuite de la Vérité, §33). Ce qui veut dire que l'effet sémantique de la valeur de vérité est nul  : on passe de à "p est vrai" en "citant" (quoting), c'est-à-dire en parlant de parler DE p au lieu de laisser parler p. Insistons sur le fait que, lorsque nous disons que les conditions d'assertion de l'énoncé p sont les mêmes que celles de l'énoncé "est vrai", et donc que l'ascension méta-linguistique est inutile, c'est de l'effet sémantique de la vérité qu'il est question, non de son effet pragmatique. Car, de ce point de vue, attribuer la vérité à un comportement langagier, c'est comme accrocher une médaille à la poitrine d'un vieux soldat : on lui témoigne de la reconnaissance pour ses états de service afin d'éviter de lui verser une pension. De même, dire "est vraie", c'est, en général, prévenir toute objection en se dispensant d'en dire plus sur p.  



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