À
la suite de l'événement
médiatiquement
connu sous la barbare appellation de
"Brexit"1
et à la veille de deux autres grands shows
hollywoodiens
(la campagne américaine de l'automne 2016 et la campagne française
du printemps 2017) qui eussent certainement apporté de l'eau à son
moulin,
Katharine
Viner,
rédactrice en chef du Guardian
écrit
: "this
was the first major vote in the era of post-truth politics : the
listless remain campaign attempted to fight fantasy with facts, but
quickly found that the currency of fact had been badly debased"(the
Guardian,
12 juillet 2016)2.
L'affirmation
selon laquelle nous vivrions, désormais, dans une ère de
post-vérité,
pour pertinente qu'elle semble, mérite toutefois d'être questionnée
et approfondie. C'est ce que fait, par exemple, Patrick Michel sur
le site d'ACRIMED :
"nous
vivrions actuellement dans l’ère de la « post-vérité »,
dans laquelle la vérité a perdu sa valeur de référence dans le
débat public, au profit des croyances et des émotions suscitées ou
encouragées par les fausses nouvelles devenues virales grâce aux
réseaux sociaux. Sans
doute la diffusion de fausses nouvelles est-elle une réalité, mais
la façon dont certains journalistes des grands médias, et en
particulier les cadres des rédactions, posent le problème, ne nous
en apprend pas tant sur l’idée bancale de « post-vérité »
que sur les croyances de ces mêmes journalistes et les points
aveugles de la conception du rôle qu’ils jouent dans les
événements politiques en général, et dans la situation actuelle
en particulier "(Patrick Michel, "Post-Vérité"
et "Fake News" : Fausses Clartés et Points Aveugles)3.
Ce
passage présente l'avantage de résumer parfaitement ce que
nous considérons être les deux principaux problèmes que recèle la
notion, apparemment très explicite et très commode, de
"post-vérité" : d'une part elle décrit bien un phénomène
important mais, ce faisant, d'autre part, elle en dissimule
symptomatiquement un autre au moins aussi important.
vendredi 7 avril 2017
vendredi 6 janvier 2017
L'ETERNITE DU PRESENT.
L'une
des affirmations les plus déconcertantes de l'Éthique
se trouve sans doute être celle selon laquelle "nous
sentons et expérimentons que nous sommes éternels [sentimus experimurque nos aeternos esse]"(Spinoza,
Éthique,
V, 23). Qu'est-ce
donc que cette "éternité" dont il nous crédite avec
d'autant plus de certitude que, nous assure-t-il, elle est, par nous,
"sentie et expérimentée" ? C'est
d'autant plus surprenant que Spinoza semble reprendre à son compte l'un
des grands invariants de la superstition théologique qu'il n'a eu de
cesse de combattre, notamment dans le Traité
Théologico-Politique. Si ce n'est pas le cas,
en
quoi peut bien
consister
une éternité
qui ne
soit
pas une vie
sans fin après la mort ? Nous commencerons donc par sonder les soubassements métaphysiques
de la confusion des notions
d'"éternité" et d'"immortalité",
puis nous évoquerons quelques-unes des tentatives philosophiques
pour concilier la mortalité humaine avec, néanmoins, une
possibilité humaine de viser l'éternité, et enfin nous essaierons
de montrer, à travers la philosophie de Spinoza, notamment mais pas
uniquement,
que l'expérience que nous faisons de l'éternité est, non seulement
bien réelle, mais, en
un certain sens,
assez banale.
mardi 18 octobre 2016
WITTGENSTEIN, EXPRESSIVITE VERBALE ET EXPRESSIVITE MUSICALE.
Dans
son grand roman consacré à l'apprentissage de la musique et
intitulé Corps et
Âme1,
Franck Conroy met en scène un jeune
pianiste
prodige, Claude Rawlings, qui, à un certain moment
doit jouer une pièce de Mozart en étant accompagné par Peter, un
enfant qui lui a été présenté comme un violoniste
particulièrement précoce. L'un et l'autre se livrent donc, de
concert, à l'interprétation d'un
passage
des Sonatines
Viennoises
: "Claude
joua facilement, presque machinalement, concentrant toute son
attention sur le violon et premièrement pour connaître la raison
pour laquelle il sonnait de manière si bizarre. L'enfant savait
jouer -il était certainement en train de jouer les notes, avec un
son ténu et pratiquement pas de vibrato-
et, cependant, le résultat était complètement mécanique. Le
rythme
était correct mais les notes ne formaient pas une ligne continue.
Elles tombaient l'une après l'autre, uniformément. "Ravissant"
s'exclama [la mère de Peter] lorsqu'ils eurent terminé. Claude
demeura perplexe. L'enfant n'avait fait aucune erreur, il avait même
respecté les indications et nuances, quoique de manière
rudimentaire, et, de toute évidence, consacré des centaines
d'heures à l'instrument. Mais pourquoi, et comment, avait-il pu se
livrer à un tel
travail sans le moindre sentiment musical ?"(op.
cit.,
vii).
Au fond, la question que se pose le pianiste à propos du violoniste
est : comment est-il possible de jouer d'un instrument, tout à la
fois sans qu'on puisse y déceler la moindre infraction aux règles
de l'exécution, mais, en même temps, sans
rien exprimer
du tout ? Posée d'une autre manière, la question revient à se
demander comment
et
pourquoi,
tout en étant nécessaire,
la
parfaite maîtrise des règles d'un jeu ne suffit apparemment pas
pour que le joueur puisse être dit comprendre
ce
qu'il joue.
Ce qui suppose qu'au-delà des règles du jeu explicites dont la
fonction de l'apprentissage est,
au premier chef,
de garantir la maîtrise, il y a quelque chose d'implicite qui, sans
faire peut-être l'objet d'un apprentissage systématique, est
néanmoins pragmatiquement
attendu
lors de l'exécution d'une phase de ce jeu,
attente qui, lorsqu'elle est déçue, incline à l'imputation de
surdité (ou
de cécité)
du joueur à un aspect
d'autant
plus important de
la pratique du jeu
que son défaut semble abolir la distinction entre le joueur humain
et la machine.
Ce "quelque chose", Franck Conroy l'appelle ici sentiment
musical.
Nous verrons que Wittgenstein le nomme, plus simplement, expression,
ce qui, outre de couper court à l'ambiguïté psychologisante
du
terme "sentiment", possède l'avantage d'inscrire
l'expressivité
musicale
dans le cadre de l'expressivité
dans un jeu en général et dont le paradigme est, pour lui, le jeu
de langage.
jeudi 23 juin 2016
WITTGENSTEIN ET LA MUSICALITE NON-TOXIQUE DU LANGAGE.
Dans un article intitulé "Actes de Parole et Confession" consacré à la dénonciation du bavardage et de la démagogie, Gilles Herlédan écrit dans un article, par ailleurs fort intéressant, paru dans le numéro 434 de l'hebdomadaire Golias daté du 26 mai 2016 : "que dit un homme qui parle à un autre homme ? [...] Le publiciste et le démagogue ne se soucient pas du sujet. Ils cherchent seulement à influencer des masses : les jeunes, la "ménagère de 50 ans", les cadres ou les automobilistes, les fumeurs, etc., ce sont des matières premières, des surfaces d'application de l'influence"(loc. cit.). Ce qui nous fait réagir n'est finalement, qu'un point de détail qui ne met pas en cause le contenu de l'article mais qui nous semble, néanmoins, illustrer une conception typiquement toxique du langage. Non pas tant au sens où une telle conception serait nécessairement nocive ou perverse, mais plutôt dans un sens étymologique. En grec, toxeuô signifie viser avec un arc ou tirer à l'arc (to toxon, c'est l'arc). Or l'auteur de l'article parle, de manière tout à fait significative, de "cibles" que le publicitaire ou le démagogue "viseraient", champ lexical qui prête inévitablement le flanc à une analogie sous-jacente : s'il y a des "cibles" que le langage doit atteindre, c'est bien parce que celui-ci est implicitement considéré comme une sorte d'arme de tir. Nous voudrions montrer ici qu'une telle analogie n'est pas seulement réductrice mais qu'elle est contradictoire avec ce que le langage a de proprement humain, à savoir sa musicalité.
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