A111 « L’orateur
n’est pas l’homme qui fait connaître aux tribunaux ou à toute
autre assemblée ce qui est juste ou injuste [...] ; de toute façon
il ne pourrait pas, dans le peu de temps qu’il a, informer pareille
foule et l’amener à connaître des questions si
fondamentales [...]. La rhétorique n’a pas besoin de savoir
ce que sont les choses dont elle parle ; elle a découvert
un procédé qui sert à persuader ; devant un public d’ignorants,
elle a l’air d’en savoir plus que n’en savent les
connaisseurs. [Tandis que] les vérités sont enchaînées
les unes aux autres au moyen d’arguments de fer et de diamant, [il
n'est pas nécessaire à l'orateur de connaître ce qui est vraiment
juste, mais ce qui semble tel, car c'est de la vraisemblance, non de
la vérité que sort l’opinion [...], ce qui conduit
insensiblement, de ressemblance en ressemblance, [...] à louer
l'ombre d'un âne sous le nom de "cheval".]
»(Platon, Gorgias,
455a-509a)
A112 «
Tant que les philosophes ne seront pas rois dans les Cités,
ou que ceux qu’on appelle aujourd’hui rois ne seront pas vraiment
et sérieusement philosophes, […] il n’y aura de cesse aux maux
de la Cité. [Car], il est dans la nature des philosophes de
s’attacher à cette essence immuable, inaccessible aux vicissitudes
de la génération et de la corruption [...]. Les vrais philosophes
sont ceux qui aiment le spectacle de la vérité. [Or] il existe une
sorte d’œil de l’esprit par lequel l’âme peut fixer son
regard sur la vérité [et] qui répand sur les objets de la
connaissance la lumière de la vérité, c’est l’Idée du Bien.
[Donc] l’Idée du Bien est l’objet de connaissance le plus
sublime, au point que la justice et les autres vertus qui réalisent
cette Idée, empruntent d’elle leur utilité et tous leurs
avantages, [car] ce que le Bien est à la sphère
intelligible par rapport à l’intelligence et à ses objets, le
soleil l’est dans la sphère visible par rapport à la vue et
à ses objets. »(Platon,
République, VI, 474a-511b)
A113 «
Socrate
: Or, sommes-nous à même de dire qu'il y ait dans l'âme quelque
réalité plus divine que celle qui se rattache à la connaissance et
à la pensée ? Alcibiade
: Nous n'en sommes pas capables. Socrate
: C'est donc au Divin que ressemble cette capacité de l'âme, et
quand on jette le regard vers elle et que l'on reconnaît tout ce
qu'elle a de divin, Dieu et la pensée, c'est alors qu'on est bien
prêt de se connaître parfaitement soi-même. Alcibiade
: Sans aucun doute. Socrate
: Or se connaître soi-même, ne convenons-nous pas que c'est là ce
qui constitue la sagesse ? Alcibiade
: Parfaitement. »(Platon,
Alcibiade
Majeur)
A121 « On
envisage souvent l'opposition du vrai et du faux d'une façon
statique [...]. Or, le bouton disparaît dans l'éclosion de la
fleur. De même, [...] le fruit prend la place de la fleur comme sa
vérité. [On n’a là cependant] que des moments de l'unité
organique du vrai dans laquelle elles ne s'opposent pas seulement,
mais dans laquelle l'une est aussi nécessaire que l'autre. »(Hegel,
Phénoménologie
de l’Esprit,
préf.)
A122 «
La forme concrète que revêt l'Esprit (comme Conscience de
soi) n'est pas celle d'un individu humain singulier. L'Esprit est
essentiellement individu ; mais dans l'élément de l'Histoire
Universelle nous n'avons pas affaire à des personnes singulières
réduites à leur individualité particulière [...]. Ne sont
intelligents que ceux qui ont pris conscience de l'Esprit de leur
peuple et se conforment à lui. Ce sont les grands hommes de ce
peuple et ils le conduisent selon l'Esprit général. Les individus
disparaissent pour nous et n'ont de valeur que dans la mesure où ils
ont réalisé ce que réclamait l'Esprit du peuple. »(Hegel,
la Raison dans
l’Histoire,
ii)
A123 «
C'est ainsi que l'aspect historique de la philosophie est
nécessairement lié à l'Histoire politique ; car, pour que
l'on cultive la philosophie, il faut qu'un peuple ait atteint un
certain degré de formation intellectuelle ; il faut être
assuré contre le besoin, l'angoisse du désir a dû disparaître, le
simple intérêt pour les choses finies a dû s'user à la peine et
la Conscience avoir progressé jusqu'au point de prendre de l'intérêt
aux généralités. »(Hegel,
Leçons sur la
Philosophie de l’Histoire,
I)
A124 «
La philosophie doit nécessairement être enseignée et apprise,
aussi bien que toute autre science. [...]. Autant l'étude
philosophique est en et pour soi une activité personnelle, tout
autant est-elle un apprentissage, l'apprentissage d'une science déjà
existante, formée. [...] La représentation originelle,
propre, que la jeunesse a de ses objets essentiels, est, pour une
part, tout à fait indigente et vide, et, pour une autre part, elle
n'est qu'opinion, illusion, demi-pensée, pensée boiteuse et
indéterminée. Grâce à l'apprentissage, la vérité vient prendre
la place de cette pensée qui s'illusionne. »(Hegel,
Phénoménologie de l'Esprit,
préf.)
A131 «
Le
système scolaire entend façonner complètement des habitus
sociaux à partir de l’inculcation du langage [...]. Comme dans
toutes les manifestations de l’habitus
[produit de l’incorporation inconsciente des structures objectives
de l’espace social, ce qui incline les agents à prendre le monde
social tel qu’il est, plutôt qu’à se rebeller contre lui],
l’histoire est devenue nature. Le rapport au langage est, pour la
perception ordinaire, révélation de la personne dans sa vérité
naturelle [...]. Les discours ne sont pas seulement des signes
destinés à être compris, mais aussi des signes de richesses
destinés à être évalués, appréciés, et des signes d’autorité
destinés à être crus et obéis. Les écarts sociaux sont notamment
reproduits du fait que [...] les moins enclins et les moins aptes à
accepter et à adopter le langage scolaire étant aussi les moins
longtemps exposés à ce langage, ainsi qu’aux contrôles, aux
corrections et aux sanctions scolaires. [Cela] détermine, du point
de vue des dominants, l’opposition entre distingué et vulgaire.
»(Bourdieu,
Langage et Pouvoir
Symbolique, i, 1-2)
A132 «
Le désaccord [du philosophe] avec le sens commun n’est pas
celui du scientifique en désaccord avec les vues rudimentaires de
l’homme de la rue. Le langage ordinaire [...] imprègne notre vie
tout entière, maintient pour ainsi dire fermement notre esprit dans
une seule position. La philosophie est un combat contre la
fascination que ces formes d’expression exercent sur
nous.»(Wittgenstein, le Cahier Bleu, 59, 27)
A133 « Platon
établit une opposition entre ceux qui sont engagés dans la
philosophie [...] et ceux qui parlent toujours dans l’urgence [...]
: le philosophe adopte un rapport distant et distinctif aux mots et
aux choses. [En effet], la conquête du regard souverain qui
voit loin, au sens spatial mais aussi temporel donnant ainsi la
possibilité de prévoir et d’agir en conséquence au prix
d’un refoulement des appétits à courte vue ou d’un ajournement
de leur satisfaction (par un ascétisme propre à procurer un fort
sentiment de supériorité sur le commun des mortels condamné à
vivre au jour le jour), a pour contrepartie un divorce
intellectualiste entre l’intellect perçu comme supérieur et le
corps tenu pour inférieur. »(Bourdieu, Méditations
Pascaliennes, i)
A211 « J’ai
quelquefois éprouvé que mes sens étaient trompeurs. […] Combien
de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce
lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu,
quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? […] Il n’y a point
d’indices concluants ni de marques assez certaines par où on
puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil.
»(Descartes, Méditations
Métaphysiques, I, 3-5)
A212 « Mais
je n’imite pas les sceptiques, qui ne doutent que pour douter et
affectent d’être toujours irrésolus, car au contraire, tout mon
dessein ne tend qu’à m’assurer. [Aussi], je pensai qu’il
fallait [...] que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi
je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne
resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fût
absolument indubitable. [Donc] je me résolus de feindre que toutes
les choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non
plus vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après,
je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était
faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, je fusse
quelque chose. »(Descartes, Discours de la Méthode, IV)
A213 « J’ai
pris l’être ou l’existence de [ma] pensée pour le premier
principe duquel j’ai déduit clairement les suivants : à savoir
qu’il y a un Dieu qui est auteur de tout ce qui est au monde et
qui, étant la source de toute vérité, n’a point créé notre
entendement de telle nature qu’il se puisse tromper au jugement
qu’il fait des choses dont il a une perception fort claire et fort
distincte ; ce sont là tous les principes [...] Métaphysiques
desquels je déduis très clairement ceux des choses Physiques.
»(Descartes,
Principes de la
Philosophie,
préf.)
A214 « Voici
le recensement de tous les actes de notre entendement qui nous
permettent de parvenir à la connaissance des choses, sans aucune
crainte de nous tromper. Il n’y en a que deux à admettre, savoir
l’intuition et la déduction. Par intuition, j’entends non
la confiance flottante que donnent les sens ou le jugement trompeur
d’une imagination aux constructions mauvaises, mais le concept
que l’intelligence pure et attentive [la raison] forme avec tant de
facilité et de distinction qu’il ne reste absolument aucun
doute sur ce que nous comprenons. [Par déduction], nous entendons
toute conclusion nécessaire tirée d’autres choses connues avec
certitude. Il a fallu le faire parce qu’on sait la plupart des
choses sans qu’elles soient évidentes, pourvu seulement qu’on
les déduise de principes vrais et connus. »(Descartes,
Règles pour la Direction
de l’Esprit, III)
A221 « Nous
connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par
le cœur ; c'est de cette dernière sorte que nous connaissons les
premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement qui n'y
a point de part essaye de les combattre. Les pyrrhoniens qui
n'ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que
nous ne rêvons point ; quelque impuissance où nous soyons de le
prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que
la faiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes
nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance
des premiers principes, comme qu'il y a espace, temps,
mouvements, nombres, est aussi ferme qu'aucune de celles que nos
raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du
cœur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle
y fonde tout son discours. Le cœur sent qu'il y a trois dimensions
dans l'espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre
ensuite qu'il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit double
de l'autre. Les principes se sentent, les propositions se
concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes
voies. »(Pascal, Pensées,
B282)
A222 « Nous
sommes automate autant qu'esprit ; et de là vient que l'instrument
par lequel la persuasion se fait n'est pas la seule démonstration.
Combien y a-t-il peu de choses démontrées ! Les preuves ne
convainquent que l'esprit. La coutume fait nos preuves les plus
fortes et les plus crues ; elle incline l'automate, qui entraîne
l'esprit sans qu'il y pense. [...] La raison agit avec lenteur, et
avec tant de vues, sur tant de principes, lesquels il faut qu'ils
soient toujours présents, qu'à toute heure elle s'assoupit ou
s'égare, manque d'avoir tous ses principes présents. Le sentiment
n'agit pas ainsi : il agit en un instant, et toujours est prêt à
agir. Il faut donc mettre notre foi dans le sentiment ; autrement,
elle sera toujours vacillante. »(Pascal,
Pensées,
B252)
A223 « Rien,
suivant la seule raison, n'est juste de soi, tout branle avec le
temps. La coutume fait toute l'équité, par cette seule raison
qu'elle est reçue ; c'est le fondement mystique [mystérieux] de son
autorité. Qui la ramène à son principe l'anéantit [car] qui
voudra examiner le motif de la coutume le trouvera si faible et si
léger, que, s'il n'est accoutumé à contempler les prodiges de
l'imagination humaine, il admirera qu'un siècle [une époque] lui
ait tant acquis de pompe et de révérence.
»(Pascal, Pensées,
B294)
A231 « La
signification d’un mot, c'est son mode d'utilisation, c’est ce
que nous apprenons au moment où le mot est incorporé dans le
langage. [...] Qu'est-ce qui m'empêche
de supposer que cette table, hors la vue de quiconque, ou disparaît
ou se modifie quant à sa forme et à sa couleur et qu'elle revient à
son état ancien dès qu'on la regarde à nouveau ? "Mais qui
ira bien supposer une chose de ce genre ?", serait-on
disposé à dire. [Donc] l’argument du rêve est dénué de
signification car si je rêve alors la phrase "je rêve"
l’est aussi et ses mots n’ont pas de signification [...].
Celui qui n’est certain de rien ne peut pas être certain du sens
de ses mots [...]. La possibilité du doute présuppose la certitude.
»(Wittgenstein, de
la Certitude,
§61-383)
A232 « Une
proposition n'est douée de sens, ne peut être vraie ou fausse, que
si elle est une image que l’on compare à la réalité. [C'est
pourquoi] la plupart des propositions
[métaphysiques] qui ont été écrites touchant les matières
philosophiques ne sont pas [vraies ou] fausses mais dépourvues
de sens. [En particulier], une tautologie n'est pas une proposition
[vraie ou fausse] car elle est inconditionnellement vraie. La
tautologie est donc vide de sens. [Finalement], la
certitude d’une situation ne s’exprime pas au moyen d’une
proposition [vraie ou fausse], mais par le fait qu’une expression
est une tautologie. »(Wittgenstein,
Tractatus,
4.003-5.525)
A233 « La
certitude n’est pas la présupposition non fondée, mais la manière
non fondée de procéder [...] qui ne s’apparente pas à une
conclusion mais à une forme de vie [...]. Toute notre certitude
s’apparente à une décision : ma vie
montre que je suis sûr qu’il y a là un siège, une porte, je dis
par exemple à un ami “prends ce siège", “ferme la porte",
etc. [mais] il serait absurde de dire que nous savons ce que nous
allons faire, [car] savoir, c'est avoir une proposition vraie, et
dire qu’une proposition est vraie ou fausse suppose qu’il y
a possibilité de décider pour ou contre. [Ma certitude] est
l’arrière plan dont j’ai hérité et sur le fond duquel je
distingue le vrai du faux. Son rôle est semblable à celui des
règles d’un jeu. »(Wittgenstein, de la Certitude,
§7-362)
A311 « Ce
qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que
les bêtes ne parlent point comme nous, est qu'elles n'ont aucune
pensée, et non point que les
organes
leur manquent. Et on ne peut dire qu'elles parlent entre elles, mais
que nous ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques
autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous
exprimeraient aussi bien leurs pensées, s'ils en avaient
[...].
Il n'y a aucune de nos actions extérieures qui puisse assurer
ceux qui les examinent, que
notre corps n'est pas seulement une machine qui se remue de soi-même,
mais qu'il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les
paroles, ou
autres signes
faits à
propos des sujets
qui se présentent, sans
se rapporter à aucune passion.
»(Descartes,
Lettre
au Marquis de Newcastle,
23 nov. 1646)
A312 « [Les
passions suivent [...] de la seule disposition des organes ni plus ni
moins que font les mouvements
d’une horloge ou autre automate] : tous les objets tant des sens
extérieurs que des appétits intérieurs excitent quelques
mouvements en les nerfs, qui passent par leur moyen jusqu’au
cerveau. [En tout cas], ce
n’est pas notre âme qui les fait telles qu’elles sont
»(Descartes,
Traité des
Passions,
art.13-17)
A313 « Je
ne suis donc précisément parlant qu’une chose qui pense,
c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison [...], la
pensée seule ne peut être détachée de moi. [...] Qu’est-ce
qu’une chose qui pense ? c’est-à-dire une chose qui doute, qui
conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui
imagine aussi, et qui sent »(Descartes,
Méditations
Métaphysiques,
II, 9)
A314 « Ce
qui fait l’un des plus grands avantages de l’homme au-dessus de
tous les autres animaux, c’est l’usage que nous faisons de la
parole pour signifier nos pensées. [...] Les hommes ayant eu besoin
de signes pour marquer tout ce qui se passe dans leur esprit, il
faut aussi que [les mots] signifient les objets de nos pensées, et
ainsi faire entendre à ceux qui n’y peuvent pénétrer tout ce que
nous concevons et tous les divers mouvements de notre âme.
»(Arnauld et Lancelot, Grammaire
Générale et Raisonnée,
II, 1)
A321 « [A
première vue], l'expression
de la conscience de soi c'est Moi=Moi, liberté abstraite, idéalité
pure. Elle est donc sans
réalité,
car elle-même, étant son objet, n'en est pas un puisqu'il n'y a pas
de différence entre lui et elle. [Or] dans une
lutte pour la reconnaissance [...] chacune des deux consciences de
soi met en péril la vie de l'autre et accepte pour soi cette
condition, mais se met seulement en péril ; en effet, chacune a
aussi en vue la conservation de sa vie comme étant l'être-là de sa
liberté. La mort de l'une qui résout la contradiction d'un côté
par la négation abstraite, grossière par conséquent de
l'immédiateté, est ainsi, du côté essentiel, l'être-là de la
reconnaissance qui y est en même temps mise de côté, une nouvelle
contradiction, supérieure à la première. La
vérité de la conscience,
c'est la conscience de soi et celle-ci est le fondement de
celle-là, en sorte que dans l'existence, toute conscience d'un autre
objet est conscience de soi. Je connais l'objet comme mien
(c'est ma représentation), donc en lui, je me connais. »(Hegel,
Encyclopédie
des Sciences Philosophiques,
§424-432-433)
A322 « Nous
n'avons conscience de nos pensées, nous n'avons des pensées
déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme
objective, que nous les différencions de notre intériorité, et que
par suite nous les marquons de la forme externe, mais d'une forme qui
contient aussi le caractère de l'activité interne la plus haute.
C'est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où
l'externe et l'interne sont si intimement unis. Par conséquent,
vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensée [...]. On
croit ordinairement que ce qu'il y a de plus haut c'est l'ineffable.
Mais c'est là une opinion superficielle, car en réalité
l'ineffable c'est la pensée obscure, à l'état de fermentation, et
qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. »(Hegel,
Philosophie
de l’Esprit)
A323 « Le
but de l'art, son besoin originel, c'est de produire aux regards une
représentation, une conception née de l'Esprit, de la manifester
comme son oeuvre propre ; de même que, dans le langage, l'homme
communique ses pensées et les fait comprendre à ses semblables.
Seulement, dans le langage, le moyen de communication est un simple
signe, à ce titre, quelque chose de purement extérieur à l'idée
et d'arbitraire. L'art au contraire, ne doit pas simplement se servir
de signes, mais donner aux idées de l'Esprit une existence sensible
qui leur corresponde.
»(Hegel, Esthétique)
A331 « Il
pourrait sembler que nous avons deux types de mondes, construits avec
des matériaux différents, [...] que le monde mental est
aérien, ou plutôt éthéré. [Mais] l’idée d’“objets
éthérés”
est un subterfuge quand l’utilisation de certains mots nous laisse
perplexes, et quand tout ce que nous savons, c’est qu’ils ne
sont pas utilisés comme des noms d’objets matériels. [Or
penser n’est pas un processus incorporel que l’on puisse détacher
de la parole. Il faut rompre radicalement avec l’idée que le
langage [...] sert toujours le même but : transmettre des pensées.]
»(Wittgenstein, le
Cahier Bleu,
47)
A332 « Supposez
que chacun ait une boîte avec quelque chose dedans appelé
"scarabée"
; personne ne pourra regarder dans la boîte d’un autre et chacun
dira qu’il ne sait ce qu’est un scarabée que pour avoir regardé
le sien propre ; or il se pourrait bien que chacun eût dans sa
boîte quelque chose de différent. [...] De
même qu'on ne peut apprendre à calculer de tête qu’en apprenant
à calculer, on ne peut apprendre à penser seul qu’après avoir
appris à penser publiquement.
»(Wittgenstein, Recherches
Philosophiques,
§293-339)
A333 « "Une
machine ou un animal est incapable de penser”,
est-ce là une proposition basée sur l’expérience ?
Non, mais c’est seulement de l’être humain et de ce qui lui
ressemble que l’on peut dire qu’il parle, qu’il a des
sensations, qu’il voit, qu’il a des états de conscience, etc.
[...]. On
dit parfois que les animaux ne parlent pas parce que les
facultés intellectuelles leur font défaut, parce qu’ils ne
pensent pas ; or, s’ils ne se servent pas du langage comme forme de
communication, c’est qu’ils ne sont pas capables de
commander, d’interroger, de raconter, de bavarder, de
mentir, etc., [c'est-à-dire de pratiquer] des jeux
de langage [...].
C’est en eux que les hommes s’accordent, mais cet accord n’est
pas un consensus d’opinion mais de forme de vie. Plutôt
que de dire "sans
langage nous ne pourrions nous comprendre mutuellement"
nous devrions dire "sans
langage, nous ne pourrions nous influencer mutuellement".
»(Wittgenstein,
Recherches
Philosophiques,
§23-570)
Il
est évident que la Cité [polis]
est
du nombre des choses qui sont dans la nature [phusis],
que l’homme est naturellement un animal politique [zôon
politikon]
destiné à vivre en société et que celui qui, par sa nature et non
par l’effet de quelque circonstance, ne fait partie d’aucune Cité
[polis],
est une créature dégradée ou supérieure à l’homme. Il mérite,
comme dit Homère, le reproche sanglant d’être sans famille, sans
lois, sans foyers ; car celui qui a une telle nature est avide de
combats et, comme les oiseaux de proie, incapable de se soumettre à
aucun joug. On voit d’une manière évidente pourquoi l’homme est
un animal sociable à un plus haut degré que les abeilles et tous
les animaux qui vivent réunis. La nature [phusis,
ce vers quoi tend un être, la forme qui est tirée de sa matière],
comme nous disons, ne fait rien en vain. Seul, entre les animaux,
l’homme a l’usage de la parole [logos]1
; le cri [phonè]
est le signe de la douleur et du plaisir et c’est pour cela qu’il
a été donné à tous les animaux. Leur organisation va jusqu’à
éprouver des sensations de douleur et de plaisir et à se le faire
comprendre les uns aux autres ; mais la parole [logos]
a pour but de faire comprendre ce qui est utile ou nuisible et, par
conséquent aussi, ce qui est juste ou injuste. Or, avoir de telles
notions en commun, c’est ce qui fait une famille [oïkos]
et une Cité [polis].
(Aristote,
Politique,
I, 1252b, 1253a)
1 En grec, logos signifie tout à la fois "parole" et "raison".