Nous avons vu avec Rousseau que les
passions sont des besoins moraux. Comment
en est-on arrivé à cette affirmation ? Il y a quatre étapes :
- d'abord chaque individu possède un
instinct de conservation sous forme d'un
sentiment naturel qui nous encourage à satisfaire nos besoins
physiques
- ensuite ce sentiment naturel devient
passion lorsque l'individu "se reconnaît
libre d'acquiescer ou de résister" à l'appel de ses besoins,
c'est ce
que Rousseau appelle l'amour de soi
- puis l'amour de soi devient pitié
naturelle, c'est-à-dire amour d'un autre
soi qui paraît nous ressembler et nous être aimable comme notre
propre corps
- enfin la pitié naturelle débouche sur
toutes les autres passions (haine,
amour, crainte, etc.) lorsque l'individu prend conscience du besoin moral
de s'associer à autrui ou de s'en dissocier à l'aide de la parole.
C'est pourquoi Rousseau affirme que
"toutes les passions rapprochent les hommes",
par opposition aux "nécessités de chercher à vivre" qui
les écartent. Donc,
pour Rousseau, les passions (comme indice des besoins moraux) sont à l'origine
de la coopération, tandis que les sensations (comme indice des besoins
physiques) sont à l'origine de la compétition.
Mais il y a un problème : c'est que la
passion est, originairement, amour
de soi (dans le premier état de nature), et finit comme amour propre (dans
l'état civil). Autrement dit la passion commence dans l'égoïsme et
finit dans
l'égoïsme. Ce n'est que dans le second état de nature que la
passion unit
véritablement les hommes en une communauté sociale : dans le
premier état de
nature la communauté est impossible, dans l'état civil la
communauté n'est
possible
que par l'institution des lois. C'est pourquoi Rousseau assimile les
passions à des besoins moraux : c'est
parce qu'elles sont la condition d'émergence de la communauté
sociale. Mais
en dehors de ce moment privilégié o— le besoin moral se satisfait
par la rencontre
(d'ailleurs symbolique, on l'a vu) de l'alter ego, on voit mal en quoi
ma passion comprise comme un intérêt sensible démesuré pourrait
me rapprocher
moralement d'autrui envisagé comme un étranger, voire un obstacle à
l'assouvissement de ma passion.
L'enjeu du débat est évidemment la
valeur que l'on doit accorder à ces manifestations
envahissantes, voire obsédantes de notre constitution sensible individuelle
dans une société fondée en droit sur la raison et sur la collectivité,
mais en fait sur l'irrationnel et l'individualité. En effet, si
les passions ont un effet dissolvant à l'égard de la communauté,
le
droit
et la morale auront tendance à leur assigner une valeur négative.
Mais si
cette valeur morale négative est contrebalancée par une rentabilité économique
convenable, on prendra le risque d'encourager les passions individuelles
au détriment de la raison collective.
Nous verrons donc successivement que :
- partager la souffrance de mon alter ego
me le rend sympathique
- la modération volontaire de mes
passions m'associe moralement à autrui
- la passion éduquée par la raison me
fait aimer autrui
- la passion comme besoin abstrait est
toujours égoïste.
I
- PARTAGER LA SOUFFRANCE DE MON ALTER EGO ME LE REND SYMPATHIQUE.
a - Partager une passion commune.
C'est un lieu commun que de dire que deux
individus qui s'entendent bien partagent
la même passion : passion artistique, passion sportive, voire passion
du crime, etc. Voilà un fait difficilement contestable. Cependant en
quoi consiste cette entente que l'on dit fondée sur la passion ?
Autrement dit,
quelle sorte de rapprochement le fait de partager une passion
autorise-t-elle
?
On a vu avec Rousseau que la conscience
d'appartenir à une communauté ne peut
pas être naturelle puisque tout individu naît dans l'isolement
moral : c'est
donc que l'entente est une conséquence de l'utilisation du langage
qui fait
naître un besoin d'appartenir à un groupe. Mais nous avons dit
également que
l'utilisation du langage est lui-même la satisfaction d'un besoin
moral, autrement
dit d'une passion. Ce serait donc parce que j'ai la même passion qu'autrui
que je m'entendrais avec lui. Oui mais on est conduit à une difficulté
: comment deux individus peuvent-ils
savoir qu'ils ont une passion commune ? Pour Rousseau, c'est la proximité
physique, l'habitude de la fréquentation, qui font conjecturer une proximité
morale dont on s'assure (et qu'on renforce le cas échéant) par l'usage
de la parole. Cette réponse n'est pas entièrement satisfaisante
parce qu'on
se doute bien que mon besoin d'aimer un autre moi-même ne s'adresse
pas à
n'importe qui, mais plut“t à quelqu'un de particulier : l'alter ego n'est pas un
autre en général, mais cet autre précisément que j'ai de bonnes
raisons de considérer
comme mon semblable. Mais alors, qu'est-ce qui me conduit à voir en l'autre
un autre moi-même ?
On dira que c'est l'habitude : mais nul
n'est obligé de trouver cet autre
moi-même au sein de sa propre famille, naturelle ou non. D'ailleurs,
on a
vu avec Rousseau que la proximité physique n'implique pas la
proximité morale.
On dira alors que c'est l'intuition, certes, mais l'intuition de quoi
? Schopenhauer
répond que ce qui nous rapproche d'autrui, c'est l'intuition de sa
souffrance.
b - La passion est une souffrance.
Schopenhauer dit que "la vie est
essentiellement et inséparablement unie à
la douleur" (le Monde IV §67). Dans le sens où, comme l'a
justement fait remarquer
Rousseau, la vie n'est que succession de besoins (naturels ou non) et
de satisfactions et que "la satisfaction n'est jamais qu'une
souffrance évitée"
(-id-). De sorte que la conscience de moi-même possède deux composantes
:
- l'intuition sensible d'une souffrance
positive (douleur) ou négative (plaisir),
ce que l'auteur appelle le vouloir-vivre
- la connaissance intellectuelle d'une
absurdité fondamentale de cette vie
de souffrance toujours finalement vaincue par la mort, ce que
l'auteur nomme
représentation.
Or cette conscience de moi-même comme
être souffrant et aux prises avec une
existence absurde, c'est la passion primitive que Schopenhauer
désigne, comme
Rousseau par le nom d'amour de soi. Et la conscience de l'existence d'autrui
comme victime de la même souffrance sensible et de la même représentation
d'absurdité, Schopenhauer l'appelle pitié ou compassion. Et toutes
les autres passions ne sont que des dosages, à des degrés divers, d'amour
de soi et de pitié. Autrement dit, toutes les passions ne sont que
des mixtes
de souffrance éprouvée et représentée d'une part dans son propre
corps, d'autre
part dans le corps d'autrui considéré comme alter ego.
Dès lors, que veut-on dire lorsqu'on
affirme qu'une passion commune rapproche
deux individus ? Eh bien on veut signifier que ces personnes se reconnaissent,
ou croient se reconnaître, comme des victimes communes de la même
souffrance (rappelons-nous que passion vient de passio, souffrance), c'est-à-dire,
en définitive, du même besoin difficile ou impossible à satisfaire.
Et ils ne se reconnaissent pas par le langage, puisque le langage, comme
on l'a vu, ne sera qu'une manière de satisfaire ce besoin, mais par
des signes
visibles non équivoques (par exemple vestimentaires) qui manifestent leur
désir d'être reconnus comme passionnés de moto, de musique, de
politique, de
religion, etc. C'est pourquoi les mordus, ceux qui se
disent dévorés par la même passion
sont, en un sens, très proches les uns des autres. Schopenhauer dit du
passionné que "personne moins que lui ne fait une différence
marquée entre soi-même
et les autres" (Fondements de la Morale, §22). Il veut dire que
celui qui
éprouve la pitié "prend une part directe au bien et au mal
d'autrui" (-id-)
c'est-à-dire éprouve directement sa souffrance, que celle-ci soit apaisée
(par le sentiment de plaisir) ou non (par le sentiment de douleur). Bref,
la pitié, au sens de Schopenhauer, c'est ce que nous appelons la compassion
ou sympathie (cum passio ou sun pathèïa = souffrance partagée).
Mais cette proximité d'autrui par la
passion, quelle sorte de communauté morale
fonde-t-elle ?
c- La sympathie comme rapprochement
précaire.
On peut dire, semble-t-il, que la
communauté morale qui découle de la compassion
ou de la sympathie est hypothétique, asymétrique et précaire. Hypothétique : qu'est-ce que cela
signifie, exactement, "prendre une part
directe au bien et au mal d'autrui" ? Si tout bien et tout mal,
dans l'absolu,
est ce qui satisfait ou non mon vouloir vivre individuel, si toute passion
est, en dernier ressort, éprouvé dans mon propre corps, comment puis-je
être assuré que le plaisir ou la douleur que je dis éprouver dans
le corps
d'autrui est éprouvé par autrui comme éprouvé par moi ? Lorsque
je prétends
éprouver la même passion qu'autrui, je veux dire que, des signes
que me
donne autrui de sa passion (linguistiques, ostensibles,
comportementaux), j'infère
que je dois probablement avoir la même. Asymétrique : lorsque je prétends
éprouver la même passion qu'autrui, j'implique
par mes propos qu'autrui doit éprouver la même passion que moi (la relation
de similarité étant symétrique). Mais dans la mesure même oùcette similarité
n'est qu'hypothétique, la proximité avec autrui peut être fondée sur
un malentendu et être source de déception, voire de conflits. Précaire : la proximité qui résulte
d'une passion prétendument partagée avec
autrui n'étant jamais ni certaine (puisqu'hypothétique), ni
réellement partagée
(puisqu'asymétrique), elle ne détermine qu'une association
précaire, toujours
révocable sans préavis, et non pas une communauté de droit.
Donc la passion ne me rapproche d'autrui
que dans la mesure où j'affirme ressentir
dans mon corps son besoin et me représenter dans mon esprit sa conscience
d'insatisfaction à l'égard de ce besoin. C'est sans doute ce que l'on
veut dire lorsqu'on prétend éprouver de la sympathie ou de la
compassion à
l'égard d'autrui. C'est donc dans la mesure où je me mets à la
place de l'autre
que je m'en rapproche moralement. Mais dans quelle mesure peut-on se mettre
à la place d'autrui ?
II
- LA MODERATION VOLONTAIRE DE MES PASSIONS M'ASSOCIE MORALEMENT A
AUTRUI.
a - Mon âme éprouve ma passion dans mon
corps.
En effet, partager la passion d'autrui
suppose que je souffre à la place d'autrui.
Mais cela n'est envisageable qu'à condition d'admettre que les corps sont
en quelque sorte interchangeables, que mon esprit peut, en
imagination, se
transporter dans le corps d'autrui pour éprouver les mêmes
sensations. Or, quelle
est exactement la fonction de l'imagination ?
L'imagination, dit Descartes, "n'est
autre qu'une certaine application de
la faculté qui connaît au corps qui lui est intimement présent" (Méditations
Métaphysiques VI). C'est donc la pensée qui se tourne vers le corps
auquel elle est jointe. Ceci implique deux conséquences :
- l'imagination n'appartient pas à
l'ordre corporel, ce n'est pas une sensation
mais une faculté intellectuelle destinée à interpréter les sensations
ressenties à même le corps, elle ne fournit donc aucune certitude
- l'imagination est, à ce titre, liée à
un corps et à un seul, elle est le
relais entre l'entendement qui conçoit et, non pas le monde
extérieur, mais le
milieu corporel interne.
Tout cela pour dire qu'être proche
d'autrui au point d'éprouver la même passion
qu'autrui ne peut être qu'une fa‡on de parler parce que l'on ne
peut pas,
même par l'imagination, se mettre à la place d'autrui. Si l'alter ego est
un autre moi, il n'est pas un autre moi en tant que corps, mais
plutôt en tant
qu'âme. Car après tout, si je me reconnais capable d'éprouver la
même passion
qu'autrui, c'est en tant que je sais que j'éprouve des passions et qu'autrui
en éprouve aussi. Or la passion est, en fait, éprouvée par l'âme
qui en
attribue consciemment l'origine et la cause au corps : en effet seuls
les êtres
conscients sont dits avoir des passions, les animaux n'en ont pas.
Donc si l'on admet comme Descartes qu'il
existe une différence de nature entre
le corps et l'âme, et si l'on admet que c'est l'âme et non le corps
qui éprouve
la passion, alors on ne peut pas dire que mon âme éprouve la
passion dans
le corps d'autrui. Mais alors, la passion m'isole-t-elle d'autrui ?
b - La passion comme indice de
l'indépendance du corps.
Descartes montre dans le Traité des
Passions que toutes les fonctions corporelles
peuvent être expliquées mécaniquement, c'est-à-dire sans intervention
de la volonté : la volonté n'est pas une cause mécanique du mouvement,
mais seulement une faculté de l'esprit. Il remarque alors qu'il "ne reste
rien en nous que nous devions attribuer à notre âme, sinon nos
pensées, lesquelles
sont principalement de deux genres, à savoir les unes sont les actions
de l'âme les autres ses passions" (I, art.17). Or si l'on sait
que pour Descartes
les actions de l'âme sont précisément les actes qui ne dépendent
que de
la seule volonté (c'est-à-dire les actes de jugement), il est
facile d'en déduire
que les passions vont manifester un état de passivité de l'âme. Si les passions sont, par opposition aux
actions, un état passif de la conscience
à l'égard de ce qui ne dépend pas entièrement de notre volonté, cela
signifie qu'elles constituent les informations sensibles reçues par l'âme
au sujet des besoins du corps. "Le principal effet de toutes les passions
dans les hommes est qu'elles incitent et disposent leur âme à
vouloir les
choses auxquelles elles préparent le corps" (Passions de l'Ame
I, art.41). Ce
qui suppose :
- que les passions, dans la mesure où
elles "incitent et disposent l'âme",
se manifestent toutes à l'âme sous la forme du désir (toute
passion est consciemment
désir de quelque chose, pourrait-on dire)
- que dans la mesure où elles "incitent
et disposent l'âme à vouloir", toutes
les passions sont, pour l'âme, des pressions que le corps exerce sur elle
pour obtenir un consentement et un encouragement volontaire, tendant ainsi
à se transformer en amour ou en haine
- que dans la mesure où elles
"préparent le corps", les passions sont le signe
de l'indépendance du corps qui n'a pas besoin de l'âme pour se
mouvoir mais
qui, dans le concours de l'âme, recherche une amplification de la saisfaction
naturelle (le plaisir s'accompagnant de joie, et la douleur de tristesse).
On voit donc bien que, de ce point de
vue, les passions sont un rappel permanent
à la conscience que le corps, en tant que substance distincte de l'âme,
est soumis à une causalité naturelle à laquelle l'âme peut certes refuser
sa caution, voire résister, mais certainement pas empêcher. Les passions
manifestent donc l'indépendance irréductible de tout corps et en
même temps
l'union définitive de l'âme et du corps. Comment, dans ces
conditions, prétendre
que la passion nous rapproche d'autrui ?
c - Maîtriser le désir me rend moral et
généreux.
Nous avons vu que la passion, comme
conscience particulière d'une indépendance
irréductible du corps, est isolante : elle nous coupe de notre environnement
moral pour nous ramener à des préoccupations physiques égoïstes. Mais
c'est précisément, nous dit Descartes, cela qui nous rapproche de
nos semblables
: nous ne partageons pas leurs passions, mais leur nature passionnelle.
Autrement dit la passion me rapproche d'autrui dans le sens où la
conscience de mes besoins physiques me conduit à une volonté de
modération à l'égard
de mes désirs, ce qui est source de moralité et de générosité
envers autrui.
Nous avons vu que toute passion se
manifeste à l'âme sous la forme du désir
: quelle que soit l'origine de ma passion, c'est par le désir de
quelque chose
qu'elle sollicite l'âme. Ainsi "c'est particulièrement ce
désir que nous devons
avoir soin de régler, et c'est en cela que consiste la principale utilité
de la morale" (Passions de l'Ame II, art.144). Mais pourquoi
devons-nous
modérer nos désirs ? Eh bien, nous dit Descartes, parce que tout
désir tend
à nous représenter son objet sous un jour favorable afin de
préparer le corps
à se l'approprier et inciter l'âme à encourager cette
appropriation. Mais l'objet du désir peut ne pas
dépendre de notre volonté. Il peut être possible
mais irréel, réel mais inaccessible, accessible mais manqué : dans tous
ces cas, si le désir n'a pas été maîtrisé, il se transforme en
amour puis en
tristesse. Mais si cet objet dépend au contraire de nous,
c'est-à-dire de notre
seule volonté, il faut au contraire lui laisser libre cours et
l'amour qui
s'ensuit s'accompagnera de joie. Et quels sont les objets qui
dépendent entièrement
de nous sinon les objets de l'âme (objets intellectuels et artistiques)
? Ce que veut dire Descartes, c'est que,
par une bonne gestion personnelle des
désirs, je réalise le bonheur (le contentement de l'âme), et je
suis la vertu
(la fermeté de l'âme). C'est par la recherche du bonheur et de la
vertu que
je suis un être moral et que je me rapproche d'autrui, or c'est la modération
du désir qui me donne l'occasion d'être heureux et vertueux. Donc c'est
bien en raison de ma nature passionnelle que je me rapproche
moralement de
mes semblables.
Concrètement, une parfaite maîtrise des
désirs, ce que Descartes nomme la
générosité, c'est-à-dire la pratique du bonheur et de la vertu,
entraîne les
conséquences éthiques suivantes :
- le généreux ne méprise personne dans
la mesure où, conscient de la faiblesse
de son corps et de la fermeté de son âme, il considère que chacun étant
doué d'un corps et d'une âme peut atteindre la même maîtrise que
lui-même
- le généreux est enclin à se mettre
au service d'autrui dans la mesure où,
confiant dans la fermeté de son âme et ne méprisant personne, il
est volontiers
entreprenant et désintéressé.
En somme, ce n'est pas ma passion
entendue comme une passivité de l'âme qui
me rapproche moralement d'autrui, puisqu'elle aurait plutôt
tendance à m'en
éloigner. Mais c'est parce que mon âme est définitivement unie à
un corps imparfait
que la modération de mes désirs
- en vue de mon propre bonheur fait de
moi un être moral
- dans la recherche de la vertu fait de
moi un être généreux.
Mais on pourrait objecter que ce n'est
pas notre nature passionnelle qui engendre
notre moralité et notre générosité, donc le rapprochement avec autrui,
mais plutôt l'occasion qui est donnée à la volonté de la
maîtriser. D'où
la question : ma volonté peut-elle maîtriser ma passion ?
III
- LA PASSION EDUQUEE PAR LA RAISON ME FAIT AIMER AUTRUI.
a - Le désir est l'essence de l'homme.
On a vu que, pour Descartes, la volonté
est en mesure, non pas d'empêcher
les désirs (comme chez Platon ou les stocïens), mais de les maîtriser,
c'est-à-dire de leur donner ou non son assentiment. De là, l'âme con‡oit
une sorte de satisfaction de pouvoir se rendre indifférente à la passion.
Et de cette satisfaction résultent la moralité et la générosité.
Mais cela
suppose qu'il y a une distinction rigide entre l'âme est le corps :
c'est le
corps qui a toujours le dernier mot dans l'ordre des faits, et c'est
l'âme dans
l'ordre du droit. Voilà pourquoi les passions qui séparent en fait, rapprochent
en droit. Mais une telle distinction entre fait et droit n'est-elle
pas un peu idéale ?
En effet, dit Spinoza, supposons que
l'âme, comme le corps, soient tous deux
des attributs de la même nature. Supposons, dit Spinoza, qu'il n'y
ait qu'une
seule nature avec des lois universelles et nécessaires, et que le
corps et
l'âme ne soient que des propriétés de cette nature unique : les
corps seront
alors les propriétés matérielles de la nature et les âmes ses
propriétés immatérielles.
Dans cette hypothèse on comprend qu'il est absurde de prétendre que
l'âme maîtrise le corps ou que le corps s'impose à l'âme, comme
il serait insensé
de dire qu'une couleur est plus forte qu'une odeur ou qu'un poids l'emporte
sur une longueur. Dès lors, tout être (qu'il soit humain,
animal, végétal ou minéral) est un
effet de la nature produit à partir des mêmes lois universelles et nécessaires.
De plus, puisque tout être est, par hypothèse, naturel, il doit son
individualité aux forces naturelles qui lui permettent d'exister.
C'est pourquoi
Spinoza dit que "chaque chose /.../ s'efforce de persévérer
dans son être"
("unaquaeque res/.../ in suo esse perseverare conatur"
(Ethique III,vi). Mais
il est bien evident que cet effort (conatus) est un effet naturel. Or cet effort que tout être manifeste
pour exister, Spinoza le nomme appétit
chez les êtres animaux, et désir chez l'homme : "le désir est l'appétit
avec la conscience de l'appétit" (Ethique III,ix). Mais alors,
si l'on
dit que l'essence de chaque chose est son effort pour persévérer
dans son être,
on doit conclure que, dans le cas particulier de l'homme, le désir constitue
la nature humaine.
En conséquence le désir ne peut pas
être maîtrisé par une volonté qui connaîtrait
le bien et le mal, puisqu'en effet désir et volonté sont synonymes.
Pour Descartes la volonté s'oppose au désir parce qu'elle sait ce qui
est bien ou mal alors que le désir ignore ces valeurs. Spinoza
montre que si
l'homme est un être naturel une telle distinction n'a pas de sens.
Est-ce à dire
que, puisqu'il est vain de s'opposer au désir, toutes les passions
sont moralement
convenables ?
b - Désir de passion et désir d'action.
Nous avons vu que tout désir est, par
hypothèse, légitime. Spinoza dit que
"tout ce que fait un homme suivant les lois de sa propre nature,
il le fait
en vertu d'un droit de nature souverain" (Traité Politique
ch.II §4). Autrement
dit, l'homme est nécessairement, naturellement, un être qui désire, c'est-à-dire
un être qui, comme les autres êtres, aspire à se maintenir en vie.
Mais, ajoute Spinoza, il y a deux
manifestations extrêmes du désir :
- la passion, qui est le désir le plus
facile en ce qu'il se contente du seul
effort du corps pour maintenir en état la nature vivante
particulière
- l'action, qui est le désir le plus
ardu en ce qu'il suppose un effort pour
dépasser son intérêt particulier vers la nature universelle
éternelle.
La passion est donc désir de vie, tandis
que l'action est désir d'éternité.
La passion est donc le sentiment que l'on a de désirer tout ce qui nous
est imposé par diverses causes extérieures immédiates dans la
mesure où celles-ci
intéressent notre vie d'individu particulier et isolé. Alors que l'action
est un sentiment de l'effort que l'on accomplit pour coïncider avec ce
qui nous dépasse, que ce soit par l'âme (connaissance) ou par le
corps (politique).
La passion consiste à se comporter au gré des circonstances sous l'effet
de simples croyances, tandis que l'action consiste à négliger les causes
extérieures au profit de la fermeté exigée par la connaissance. Or tout être humain est, dans des
proportions variables, un mélange de passion
et d'action. C'est dire que "tout homme est nécessairement
toujours soumis
aux passions" (Ethique IV, iv). En effet, il est aisé de
comprendre que tout
homme, en tant qu'être naturel, est nécessairement en accord avec
la nature
aux lois de laquelle il ne peut se soustraire.
Mais selon qu'il sera préoccupé
plutôt par sa seule nature particulière (sa vie), ou plutôt par
la nature
universelle (le monde), le comportement de l'homme sera plutôt une passion
qui l'isole de ses semblables, ou au contraire plutôt une action
qui l'en
rapproche. Donc il n'y a entre passion et action qu'une différence
de degré,
non de nature (comme chez Descartes). Comment dès lors évaluer les conséquences
morales de la passion ?
c - La joie me fait considérer autrui
comme un bien pour moi.
Donc puisque la passion ne se trouve
jamais à l'état pur chez aucun individu,
il est tout-à-fait légitime de se demander dans quelle mesure une passion
a plutôt tendance à nous rapprocher ou au contraire à nous
éloigner d'autrui.
La réponse de Spinoza est claire : la passion entendue comme désir-passion
de ce qui nous environne immédiatement, peut cependant nous rapprocher
d'autrui lorsque cette passion est une joie.
Spinoza veut dire par là que la passion
altruiste, celle qui malgré tout s'intéresse
à autrui, c'est celle qui fait effort vers autrui, c'est-à-dire celle
qui, tournée vers la conservation de ma propre vie, considère
autrui comme
un bien pour moi. Et cette bonne passion, qui tend à inclure autrui
dans la
conservation de mon être et donc qui augmente ma puissance d'action, Spinoza
la nomme une joie. Une joie est donc bien une passion qui me
rapproche d'autrui justement parce
qu'elle est une passion qui évolue, tant soit peu, vers l'action. La bonne
passion, celle qui me rapproche d'autrui, c'est donc celle qui, s'élargissant
à la coopération avec autrui, augmente ma puissance d'agir, mon désir
d'éternité. Et cette augmentation de puissance se manifeste par le sentiment
de joie. Puisque toute passion n'est qu'un désir d'être, la bonne passion,
la joie, c'est ce qui me rend un peu moins mortel, un peu plus éternel. Donc une passion me rapproche d'autrui
d'autant plus que la joie en est plus
grande. Ou, si l'on préfère, toute joie me rend, si peu que ce
soit, utile
à autrui. A contrario, toute tristesse m'éloigne d'autrui en me
rendant nuisible.
Cela dit, une passion reste une passion, donc le rapprochement et l'utilité
qui s'ensuivent d'une joie ne sont que relatifs : "la joie et la tristesse
de chacun discorde de la joie et de la tristesse d'un autre" (Ethique
III, lvii). En effet, par définition, toute passion est simple désir de
vie qui s'accomode des causes extérieures, c'est-à-dire de notre environnement
immédiat. Or tout environnement immédiat est particulier : il y a
alors peu de chances pour que ma joie, aussi grande soit-elle,
n'entre pas en
conflit avec les passions de mes semblables, que celles-ci soient des
joies ou
des tristesses. N'y a-t-il donc pas un degré de joie qui nous
rapproche définitivement
d'autrui ?
d - La passion intellectuelle du bien
m'unit à autrui.
Nous avons vu que la passion pure est le
degré extrême de l'isolement moral
et que l'action pure est le degré extrême de la communauté morale.
Mais nous
avons vu aussi que ni l'une ni l'autre de ces extrêmités n'existe
en réalité
et que l'homme éprouve des variations du désir vers plus de passion (tristesse)
ou plus d'action (joie). Mais ces variations sont aléatoires tant qu'elles
sont l'effet des causes extérieures. D'où la question : peut-on maîtriser
ces variations ?
Oui, répond Spinoza, mais pas par un
effet de volonté, on s'en doute, mais
par un effet de connaissance. Il s'agit, dit Spinoza, de savoir ce
qui nous
est véritablement utile et bon et, dès lors, de le désirer. On
obtiendra alors
une passion (désir de conserver son être) qui aura évolué vers
l'action (désir
de s'unir à ce qui est éternel) mais de manière irrévocable. En
effet, lorsqu'on
connaît, on est définitivement hors de portée de l'opinion et on
ne navigue
plus au gré des causes extérieures. Donc il y a un degré à partir duquel la
passion nous rapproche définitivement
d'autrui : c'est la fermeté, c'est-à-dire "le désir par
lequel chacun
s'efforce de conserver son être d'après le seul commandement de la raison"
(Ethique III, lix). Et cette fermeté, ce désir d'apprendre, cette passion
de la connaissance, nous conduit à la générosité qui est "le
désir par lequel
chacun s'efforce, d'après le seul commandement de la raison, d'aider les
autres hommes et de se lier avec eux d'amitié" (idem). En bref,
la générosité
est le désir d'apprendre ce qui est véritablement bon pour moi en tant
que je ne suis qu'une partie d'une communauté morale qui m'intègre,
et cela,
que je le veuille ou non.
Il est donc clair que la passion qui me
rapproche d'autrui est une passion
intellectualisée, c'est-à-dire une passion qui, sous la conduite de
la raison,
me fait désirer joyeusement ce que je sais être universellement
bien, et
pas seulement bien pour moi. D'accord mais la passion d'aimer autrui
telle que
Spinoza la décrit est-elle encore une passion ?
IV
- LA PASSION COMME BESOIN ABSTRAIT EST TOUJOURS EGOØSTE.
a - La passion est amour du passé.
Tous les points de vue examinés
jusqu'ici s'accordent sur ce que les passions
me rapprochent d'autrui dans la mesure où elles me font aimer
autrui. En
effet :
- pour Schopenhauer, prendre part à la
souffrance d'autrui, c'est le prendre
en pitié, c'est l'aimer autant qu'on peut
- pour Descartes, modérer volontairement
ses passions, c'est aimer la
nature humaine en général en tant que l'âme est indépendante du
corps
- pour Spinoza, la passion qui est
conduite par la raison nous fait désirer
le bien pour autrui et donc nous fait l'aimer.
On serait tenté de conclure que
certaines passions me rapprochent d'autrui
en ce qu'elles sont un amour ou une passion d'autrui. Ce qui, à la limite,
est une manière purement nominale de régler le problème. Car le
réel problème
qui subsiste est justement la possibilité de l'existence d'une telle passion.
Or, pour Alquié, amour d'autrui et passion sont contradictoires.
En effet, dit Alquié, la passion, quelle
qu'elle soit, est un amour du passé,
alors que l'amour d'autrui est amour de l'avenir. La passion est
amour du
passé dans la mesure où toute passion ne fait que manifester à la conscience
l'existence d'un terrain psycho-moteur propice ensemencé par des circonstances
favorables. Prenons par exemple la passion du football : si l'on essaie
d'en faire la généalogie, on trouvera en général quelque chose
comme des dispositions
naturelles (constitution physique, acuité sensorielle, etc.) qui ont
rencontré un environnement culturel (sexe, intérêt de la famille,
pratique scolaire,
etc.) et des circonstances particulières (concours gagné, objet offert,
spectacle vu, etc.). Autrement dit, même si ma passion est bien actuelle,
chaque fois que je l'évoque, j'évoque mon passé. Il suffit pour
s'en convaincre
d'écouter parler deux passionnés : ils parlent, chacun à leur
tour, de
leur expérience passée. La passion est donc évocation attendrie du
passé. Par contraste, à quoi voit-on que deux
personnes s'aiment vraiment ? A ce
qu'elles envisagent un avenir commun. "L'amour exerce, en
silence, une action
constructive dans le monde" dit K. Jaspers (Introduction à la Philosophie
p.62). Que l'on n'aime qu'une seule autre personne, ou toute une communauté,
ou l'humanité toute entière, dans tous les cas, l'amour est toujours
recherche d'un bien commun dans un avenir commun. Donc aimer quelqu'un,
cela signifie en-visager (donner un visage à) un avenir dans lequel chacun
promet à l'autre d'être un bien pour l'autre.
Mais, même en admettant que la passion
soit amour du passé et que l'amour d'autrui
soit amour de l'avenir, ne pourrait-on pas, dans la passion, aimer le passé
d'un autre ?
b - L'amour du passé est amour de soi.
D'abord, tout amour de soi est amour du
passé. En effet, que signifie l'expression
"s'aimer soi-même" ? Cela veut dire éprouver un sentiment
de satisfaction,
d'aise, de contentement, à l'égard de ce que je suis. Or qu'est-ce
que je suis, sinon ce que j'ai été jusqu'à présent, jusqu'au
moment où j'y pense.
Celui qui s'aime soi-même ne peut pas aimer l'avenir, car comme on
l'a vu
avec Aristote, le futur est contingent : il faut le construire, il
faut réaliser
un accord qui nécessite un dialogue, donc l'entente avec autrui.
Donc s'aimer
soi-même, c'est aimer son propre passé. Ensuite, tout amour du passé est amour
de soi. En effet, de quel passé est-il
question dans la généalogie de la passion, sinon de son propre
passé ? Le
passé personnel qui conditionne la passion, n'est ni une
connaissance, ni une
croyance : ce passé-là est enfoui à jamais dans notre propre
inconscient. Certes,
quelques bribes remontent parfois à la surface mais la raison d'être de
la passion reste définitivement inconsciente. En cela le passé se
distingue de
la mémoire qui est une intuition consciente, et de l'histoire qui
est une connaissance
rationnelle. Donc l'amour du passé est amour de son propre passé.
Donc passion, amour du passé et amour de
soi sont synonymes. Il est impossible
d'aimer l'autre dans la passion pour la simple raison, non pas seulement
que la passion n'affecte que notre propre corps, mais surtout parce que
sa généalogie est inconsciente : certes l'on sait qu'il y a des
facteurs favorisants
ou déclenchants, mais, en dehors de la cure psychanalytique, on ne sait
pas lesquels précisément. Pour cela la passion est "désir de
se retrouver" c'est-à-dire
désir de provoquer dans son propre corps les sensations agréables déjà
éprouvées par le passé en essayant d'en imiter inconsciemment les
causes. Cela
dit, si la passion ne peut pas être amour d'autrui, donc motif de rapprochement,
est-elle pour autant cause de conflit ?
c - L'amour de soi est violent et
inconstant.
Nous avons vu que les concepts de
passion, d'amour du passé et d'amour de
soi sont coextensifs. La passion entendue comme le besoin impérieux
de recréer
les conditions d'une satisfaction personnelle ancienne exclut dès
lors d'être
passion d'autrui. Pour autant la passion pourrait être neutre à
l'égard d'autrui,
c'est-à-dire conduire à un isolement moral comparable à celui du premier
état de nature décrit par Rousseau. Mais il n'en est rien, dit
Alquié, puisque
les passions sont source de violence et d'inconstance.
"La violence de la passion vient de
ce que sa source est l'égoïsme". Or qu'est-ce
que l'égoïsme sinon le sentiment inconscient que ce besoin
impérieux de
recréer les conditions d'un plaisir déjà éprouvé par le passé
doit être satisfait
à n'importe quel prix. En effet, les causes du plaisir passé que l'on
veut recréer dans le présent étant hors d'atteinte de la
conscience, on se
sent prêt à tout pour se faire plaisir : ainsi s'explique par
exemple la passion
de l'argent (l'appât du gain) lorsque quelqu'un, désireux de
recréer des
conditions de fierté personnelle qu'il a éprouvées dans son
enfance à l'occasion
de compétitions scolaires par exemple, et ayant remarqué que le gain
lui procure la même sensation, n'aura de cesse d'accumuler des gains
pour reproduire
cette sensation. C'est pourquoi Alquié dit que la passion est violence
: le passionné exige une satisfaction d'autant plus intransigeante qu'il
connaît le but à atteindre (le plaisir) mais non les moyens de l'atteindre.
Or, qu'est-ce qu'être violent sinon vouloir à toute force atteindre
son but ? D'où également l'inconstance des
passions. Le passionné éprouve le besoin
impérieux de se faire plaisir sans savoir vraiment comment y
parvenir puisque
les causes du plaisir qu'il entend se procurer sont d'une part inconscientes
(effacées de la mémoire) et d'autre part non naturelles (le besoin
est acquis, non inné). Il a donc tendance à changer de passion au
gré des
objets qui lui paraissent, accidentellement (c'est-à-dire en
apparence) symboliser
(c'est-à-dire imiter) la cause originelle du plaisir qu'il recherche.
C'est pourquoi "l'objet vers lequel /la passion/ se porte n'est jamais
que symbolique et accidentel".
La passion produit donc effectivement un
amour mais c'est un amour de soi
(que Pascal et Rousseau nomment amour propre) dans lequel l'objet
aimé est un
passé personnel inconscient. A ce titre, la passion comme besoin de
recréer les
conditions perdues d'un plaisir passé est un besoin abstrait,
c'est-à-dire
un besoin qui, parce qu'il est inconscient et non naturel s'interdit
à jamais
d'être satisfait. Ce qui explique que la passion soit violente et inconstante.
Ce qui implique alors que la passion soit potentiellement un ferment
de discorde parmi les hommes : la passion dit Kant "est une
manie de l'honneur,
du pouvoir ou de la possession" (Anthropologie §82 p.122).
CONCLUSION.
Récapitulons :
- le fait de partager une passion
commune, en tant que toute passion est
une souffrance éprouvée par le corps et représentée par l'âme,
produit un effet
de sympathie morale qui, certes, engendre un rapprochement, mais sur
des bases
extrêmement précaires
- mais si l'on admet qu'il est impossible
de me mettre à la place de
l'autre et de partager sa passion, donc si je ne peux être passionné
que par
son propre corps qui manifeste ainsi son indépendance à l'égard de
l'âme, ma
maîtrise volontaire de mes passions fait de moi un être moral et
généreux
- cependant, dans l'hypothèse où il
n'y aurait entre l'âme et le corps qu'une
différence d'attribution et non de nature, la passion entendue comme désir
de vivre qui m'isole des autres peut, non pas être dominée par la volonté,
mais éduquée par la raison à désirer le bien pour autrui et donc
à aimer
autrui
- enfin, si l'on considère que toute
passion est amour du passé, c'est-à-dire
désir obscur de recréer les conditions oubliées d'un plaisir ancien,
on se rend compte que cet amour est en fait amour de soi, ce qui implique
que toute passion est, par essence, violente, inconstante et
maniaque.
Or, nous avons remarqué que, de tous ces
points de vue, la passion est en concurrence
avec la raison comme critère de définition de la nature humaine. On
est donc fondé à se demander dans quelle mesure cette concurrence
se justifie
et jusqu'o— on peut opposer raison et passions.