Le
propre de l'authentique scientifique
est de ne pas se satisfaire
seulement de comprendre
le plus profondément possible le réel mais de s'évertuer aussi à
l'expliquer
le plus distinctement et le plus
précisément possible à ses semblables.
C'est ce qui le distingue du poète, du prêtre, du prophète ou
du sage, pour qui comprendre et faire
comprendre est plus important qu'expliquer, de l'habile, du mage, ou
du mystique pour qui comprendre suffit. Voilà
pourquoi Platon, Aristote, Averroès,
Galilée, Descartes, Pascal, Leibniz, Newton, Lavoisier, Einstein,
Schrödinger,
etc. ont été des scientifiques et,
en
même temps,
des épistémologues.
En effet, "si
l'on traduit par notre mot « science » le mot grec
ἐπιστήμη, l'épistémologie est, étymologiquement, la
théorie de la science. Bien que la forme anglaise
du vocable ait existé avant que le français ne l'assimile, c'est
pourtant avec le sens différent et plus large de « théorie de
la connaissance » qu'il est généralement utilisé par
les Anglo-Saxons. Ce décalage sémantique n'intéresse
pas seulement le linguiste ; il évoque une différence
d'orientation significative, qui se retrouve aussi bien à
l'intérieur même de l'épistémologie entendue au sens français.
Sans doute ne
qualifierions-nous pas volontiers d'« épistémologiques »
des considérations sur la connaissance en
général, ou sur des modes de connaissance s'éloignant
manifestement de ceux qu'un large consensus désigne
comme scientifiques. Néanmoins, l'épistémologie ne saurait non
plus se réduire à l'examen purement technologique des méthodes
spécifiques des sciences. Elle vise aussi à situer la science
dans une expérience du
savoir qui la déborde, à en évaluer la portée, à en dégager le
sens pour l'ensemble de la pratique humaine. Il convient donc de dire
que le mot français lui-même renvoie à deux styles de théorie de
la science ; l'un, plus proche de la philosophie d'obédience
américaine ou britannique, met l'accent sur les processus les plus
généraux de la connaissance, sur leur logique,
sur leur fondement ; l'autre, assez caractéristique des
épistémologues français, et même continentaux, depuis la fin
du XIXe siècle,
privilégie volontiers l'étude spécifique des sciences, voire du
développement historique concret de leurs problèmes"(G.-G.
Granger, Encyclopaedia
Universalis,
VII, 61, 2, article "Épistémologie").
En
tout cas, quelle
que soit l'acception que l'on privilégie,
dire
que tous les grands scientifiques ont été des épistémologues,
c'est insister
sur
leur
capacité à
"situer
la science dans une expérience du
savoir qui la déborde, à en évaluer la portée, à en dégager le
sens pour l'ensemble de la pratique humaine",
autrement dit à
donner un fondement légitime à leur
explication.
Bref,
le vrai scientifique
est,
avant toutes choses, un philosophe.
Il
n'est que de faire un peu d'histoire de la philosophie
pour
se rendre compte que, jusque très récemment encore (en gros, les
Lumières), elle se confond avec l'histoire de la science.
Voilà
ce
qui
distingue, en outre, le scientifique
du
scientiste.
Tout
à l'opposé du scientifique,
en
effet, le
scientiste
serait,
dans
le meilleur des cas,
une sorte d'habile, de mage ou de mystique honteux qui, n'arrivant à
se
comprendre
lui-même,
tenterait
désespérément d'y parvenir,
dans
le pire des cas,
à
l'instar de Bouvard et de Pécuchet, un
imbécile qui
accumulerait
les concepts comme d'autres enfilent des perles ou,
si l'on préfère, un clown qui s’empêtrerait dans un habit trop
grand pour lui. Alors, pour faire pièce au lobby scientiste
qui
colonise
aujourd'hui l'opinion,
je voudrais à présent développer une réflexion épistémologique
autour
de deux axes complémentaires
: la notion d'hypothèse
en
science et la notion de modèle
explicatif.