Dans
Schmock ou le
Triomphe du Journalisme
(Seuil, 2001, p.33), Bouveresse écrit : "la
seule de forme de liberté que la grande bataille pour la liberté de
la presse a permis de conquérir est [...] contrairement à ce que
l'on prétend, bien différente de la liberté de l'esprit, avec
laquelle elle n'a plus guère de rapport, et se réduit en fait
essentiellement à celle du marché, avec
toutes les possibilités d'exploitation cynique de la crédulité de
l'acheteur, de manipulation, de fraude, d'escroquerie et de tromperie
sur la marchandise qui en résultent"(c'est
moi qui souligne). Redeker a, de toute évidence, parfaitement
compris comment tirer profits matériels et/ou symboliques du marché
de la presse écrite et de la presse parlée, lui qui a signé pas
moins de 469 articles ou émissions de radio depuis novembre 1993,
dont 65 depuis le 1° janvier 2005 et 27 depuis le 1° janvier 2006
(source : http//www.robertredeker.net) ! Et comme il n'est guère de
sujet qu'il n'ait abordé (du Tour de France à Internet, du coup de
boule de Zidane à la Shoah, du film "les Choristes" à
Antonin Artaud), la probabilité pour qu'il finisse par dire des
conneries (ou plutôt des conneries lues par d'autres que lui-même)
s'approchait asymptotiquement de 1. C'est ce que semble dire le
Canard Enchaîné
du 04/10/06 lorsque son éditorialiste commence son article (une
Affaire Islamentable)
par : "défendons
le droit de dire des âneries".
Or, dans le Figaro
du 19/09/06, Redeker n'écrit pas des âneries ! Celui qui dit ou
écrit des âneries ne maîtrise ni son sujet ni les règles de la
communication de celui-ci, c'est un peu la grenouille qui veut se
faire aussi grosse que le boeuf, et qui enfle si bien qu'elle en
crève. Aussi l'ânerie suscite-t-elle le branlement de chef ou le
haussement d'épaules, mais pas l'indignation, encore moins les
menaces de mort. Contrairement à ce que semble croire le
Canard Enchaîné,
Redeker n’est pas, au sens de Pascal un demi-habile, mais bel et
bien un habile. Car c'est très habilement qu’il exploite avec un
art consommé les trois leviers de l’efficacité médiatique que
sont la démagogie, la malhonnêteté et le goût du martyre.
La
démagogie. D’abord
Redeker hurle avec la meute anti-Arabe qui se déchaîne notamment
depuis les attentats du 11/09/01, et dont les leaders ont pour nom
Fallacci, Houellebecq et Ratzinger. Fallacci écrit dans la
Rage et l’Orgueil
(Plon, 2002, p.105-106) : "Ils
sont partout et les plus aguerris sont précisément chez nous. La
Croisade à l’Envers dure depuis trop longtemps, mon cher. Et elle
est bien trop nourrie par la faiblesse de l’Occident, par la
timidité de l’Occident, par la non-clairvoyance de l’Occident
[…]. Ses soldats, ses croisés, ont désormais conquis leurs
positions et les tiennent comme leurs ancêtres tenaient l’Espagne
et le Portugal du IX° au XIV° siècle. Ils sont de plus en plus,
ils seront de plus en plus, ils voudront de plus en plus, et ceux
qui, aujourd’hui, vivent sur notre territoire ne peuvent être
considérés que comme des pionniers. Donc, négocier avec eux est
impossible. Raisonner avec eux impensable. Les traiter avec
indulgence ou tolérance ou bien espoir, un suicide. Et qui croit le
contraire est un pauvre con".
Et Redeker (le
Figaro du
19/09/06) : "Ce
sont des faiblesses qu’il [l'Islam] veut exploiter au moyen
«d’idiots utiles», les bonnes consciences imbues de bons
sentiments, afin d’imposer l’ordre coranique au monde occidental
lui-même".
Houellebecq affirme (Lire,
septembre 2001, cité dans Geisser, la
Nouvelle Islamophobie,
la Découverte, 2003, p.43-44) : "La
religion la plus con, c'est quand même l'islam. Quand on lit le
Coran, on est effondré ... effondré ! La Bible au moins, c'est très
beau, parce que les juifs
ont un sacré talent
littéraire ... ce qui peut excuser beaucoup de choses. Du coup, j'ai
une sympathie résiduelle pour le catholicisme, à cause de son
aspect polythéiste. Et puis il y a toutes ces églises, ces vitraux,
ces peintures, ces sculptures ...".
Et Redeker : "Quand
le judaïsme et le christianisme sont des religions dont les rites
conjurent la violence, la délégitiment, l’islam est une religion
qui, dans son texte sacré même, autant que dans certains de ses
rites banals, exalte violence et haine".
Ratzinger explique (discours du 12 septembre 2006 à l'université
de Ratisbonne, texte intégral sur www.Nouvelobs.com) : "L'empereur
[Manuel II Paléologue]savait certainement que dans la sourate 2.256,
il est écrit: "Pas de contrainte en matière de foi".
Selon les spécialistes, il s'agit-là d'une des sourates primitives,
datant d'une époque où Mahomet était encore sans pouvoir et se
trouvait menacé. Mais l'empereur devait naturellement connaître
aussi les instructions inscrites dans le Coran à une époque plus
tardive, au sujet de la guerre sainte. Sans s'attarder sur les
détails [sic!],
telle que la différence de traitement entre les "Gens du Livre"
et les "incroyants", il interpelle son interlocuteur d'une
façon étonnamment abrupte au sujet des relations entre la religion
et la violence en général, déclarant: "montre moi ce que
Mahomet a apporté de neuf, et alors tu ne trouveras rien que de
mauvais et d'inhumain, tel que son ordre de répandre par l'épée la
foi qu'il prêchait." Après s'être exprimé avec tant de
force, l'empereur s'attache à expliquer par le détail les raisons
pour lesquelles propager la foi par la violence est absurde. La
violence est incompatible avec la nature de Dieu et la nature de
l'âme".
Et Redeker :
"Exaltation
de la violence : chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de
juifs et polygame, tel se révèle Mahomet à travers le Coran [...].
Haine et violence habitent le livre dans lequel tout musulman est
éduqué, le Coran".
On voit bien que Redeker n'invente rien : sous couvert d'expertise
(journalistique, littéraire, théologique, philosophique), les
uns et les autres ne font que servir au public le discours
sécuritaire dans lequel il se reconnaîtra et dont il leur sera
reconnaissant,
sinon en achetant leur camelote, du moins en se soumettant à leur
autorité. Comme le dit Geisser dans la
Nouvelle Islamophobie
(p.64) : "ce
qui apparaissait, il y a encore quelques années, comme l'émanation
d'une pensée xénophobe et marginale [...] acquiert désormais une
publicité, voire une notoriété qui s'exercent comme une forme de
"contrainte sociale" : tout intellectuel français, homme
public ou penseur médiatique, se doit d'avoir un discours
"responsable" sur l'islam et les musulmans, au risque
d'être taxé d'islamophilie ou d'angélisme".
Discours "responsable" qui consiste ici à faire une
analyse comparative des "produits" proposés au
consommateur sur le marché des religions (le citoyen moyen qui se
pense comme idéal-type de modernité rationnelle adore ça !) en
concluant, comme par hasard, que le meilleur est le produit déjà
majoritairement choisi par le public ciblé par le message !
La
malhonnêteté. A
l'orateur qui se vante de parler de manière plus persuasive que
quiconque sur quelque sujet que ce soit, Socrate répond séchement
que "la
rhétorique n’a
aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle ;
elle a découvert un procédé qui sert à convaincre ; devant
un public d’ignorants,
elle a l’air
d’en
savoir plus que n’en
savent les connaisseurs"(Platon,
Gorgias,
459b). Il a l'air d'en savoir plus que les connaisseurs, précisément,
celui qui prétend que "les
réactions suscitées par l’analyse
de Benoît XVI sur l’islam
et la violence s’inscrivent
dans la tentative menée par cet islam d’étouffer
ce que l’Occident
a de plus précieux qui n’existe
dans aucun pays musulman : la liberté de penser et de s’exprimer"
en réduisant l'islam (que le public visé assimile déjà
spontanément au monde arabe) à la violence et en passant sous
silence l'extraordinaire richesse intellectuelle du monde
arabo-musulman dans des domaines aussi différents que la poésie, la
littérature, l'architecture, la médecine, les mathématiques ou la
philosophie. Pour être libre de penser et de s'exprimer, encore
faut-il avoir matière à penser et à exprimer, et il n'est pas du
tout certain que celle-ci soit hic
et nunc mieux
partagée que dans les contextes historico-géographiques des
Omeyyades et des Abbassides. Et d'omettre que si les musulmans
d'aujourd'hui sont en effet très largement privés de liberté de
penser et de s'exprimer, c'est aussi peut-être parce que "ce
sont les hommes qui sont les producteurs de leurs représentations,
de leurs idées, etc., mais ce sont les hommes réels, au travail,
tels qu’ils
sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces
productives et du commerce qui leur correspond"(Marx
et Engels, l'Idéologie
Allemande).
Malhonnêteté donc qu'insinuer sans gloire ni difficulté dans
l'esprit d'un public tout prêt à y assentir, que c'est à
cause du Coran que
les musulmans ne peuvent ni penser ni s'exprimer, là où
l'impérialisme
occidental explique à
soi seul tout à la fois le joug historique et la misère économique
qui leur sont imposés. Cette malhonnêteté tourne au scandale
lorsque Redeker n'hésite pas à souiller la mémoire de Rodinson,
l'un des grands et des plus respectés islamologues de notre époque,
en prétendant que "Maxime
Rodinson énonce, dans l’Encyclopédia
Universalis, quelques vérités aussi importantes que taboues en
France. D’une
part, Muhammad révéla à Médine des qualités insoupçonnées de
dirigeant politique et de chef militaire (...) Il recourut à la
guerre privée, institution courante en Arabie (...) Muhammad envoya
bientôt des petits groupes de ses partisans attaquer les caravanes
mekkoises, punissant ainsi ses incrédules compatriotes et du même
coup acquérant un riche butin".
Ce qui a suscité cette réaction immédiate de Gresh, rédacteur au
Monde
Diplomatique
: "quiconque
connaît un peu l’oeuvre
de Rodinson, sait à quel point ce résumé ne reflète absolument
pas sa pensée. Rodinson, juif et agnostique, a écrit un livre sur
le prophète de l’islam,
Mahomet (Points, Le Seuil), dans lequel il tente d’expliquer
l’action
de Mahomet à travers une grille d’analyse
matérialiste. Cet ouvrage, souvent censuré dans le monde musulman,
n’en
présente pas moins une vision respectueuse de l’homme
que fut Mahomet, de son action. Rien à voir avec les raccourcis
haineux de Robert Redeker"(www.monde-diplomatique.fr).
A part le viol de sépulture, ce que Redeker pratique couramment,
c'est l'oubli sélectif, par exemple que "la
misère religieuse est à la fois l’expression
de la misère réelle et, d’autre
part, la protestation contre cette misère [...] ; la critique
de la religion est ainsi virtuellement la critique de la vallée de
larmes dont la religion est l’auréole"(Marx,
Critique de la
Philosophie du Droit de Hegel).
Autrement dit que si des déshérités sont prêts à se jeter dans
quelque forme de fanatisme religieux que ce soit, c'est peut-être
aussi parce que l'Islam est la
seule institution sociale qui leur reste quand
ils sont abandonnés par toutes les autres : n'est-il pas
significatif que ce soit le Hezbollah (en arabe "parti de Dieu")
qui assume toutes les fonctions d'un Etat libanais fantôme, y
compris l'une des plus anciennes et spectaculaires, celle de faire la
guerre ?
Le
goût du martyre.
Redeker stigmatise les Arabes et les Musulmans. Mais son statut
d'intellectuel lui interdit d'ignorer qu'il s'expose à des réactions
de la part de ceux qui, soit en raison de leur ignorance des
processus institutionnels de recours contre la démagogie et la
malhonnêteté, soit en raison de la confiance très limitée que
ceux qui les connaissent leur accordent, ont toutes les chances
d'être paroxystiques. Aussi compense-t-il ce risque, sans doute bien
réel, en essayant de s'attirer la sympathie qui échoit
naturellement à la victime et dont ne peut se prévaloir le
bourreau. Dira-t-on que l'article incriminé est un brûlot
islamophobe ? Pas si vite, car "un
néologisme vient de tailler sa place de façon fracassante sur notre
scène politique: " islamophobie ". Ce mot, proche
accoustiquement de " xénophobie ", est autant destiné à
faire peur - en évoquant subliminalement la haine, les persécutions,
les discriminations - qu'à culpabiliser. Quelques uns voudraient le
voir devenir synonyme de " racisme " et symétrique d' "
antisémitisme ""(la
Dépêche du Midi,
21/09/03). Redeker commence par insinuer le doute : attention,
"islamophobie" sonne comme "xénophobie", mais
c'est l'effet Canada Dry, l'islamophobie a la couleur, l'odeur et le
goût de la xénophobie, mais ce n'est peut-être pas de la
xénophobie. La preuve ? "L'amalagame
entre l'islamophobie et le racisme est destiné à se retourner
contre toute critique de la religion, si importante dans notre
culture depuis Bayle et Voltaire, si importante aussi dans
l'élaboration de l'idée républicaine"(ibid.).
Autrement dit, moi (Redeker),
représentant de l'universalité an-historique qui culmine dans notre
modèle juridico-politico-socio-économique,
et, en tant que tel, mandaté par l'humanité pour la sauver de la
barbarie qui la menace, je
suis, certes, islamophobe.
Mais "l'attitude
accusée d' islamophobie n'est pas du racisme dans la mesure où loin
d'être la haine de tel ou tel peuple, elle est le refus véhément
de ce que certains prêchent et veulent imposer au nom de l'Islam.
Elle est le refus des aspects archaïques et incompatibles avec les
valeurs républicaines que véhicule une certaine interprétation
l'Islam"(ibid.).
Donc : je suis islamophobe, mais je ne suis pas raciste. Ça
ne vous rappelle rien, ça ? Souvenez-vous : "il
est certain que d'avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais
travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d'avoir des
musulmans et des Noirs [...] Comment voulez-vous que le travailleur
français qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent
environ 15000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM,
entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre
épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50000 francs de
prestations sociales, sans naturellement travailler... si vous
ajoutez le bruit et l'odeur, hé bien le travailleur français sur le
palier devient fou. Et ce n'est pas être raciste que de dire
cela"(Chirac,
Discours,
19/06/91). Bien sûr que non ! A la limite même celui qui le dit qui
l'est ! Mais alors, si ce n'est pas être raciste que de dire que les
arabes nous emmerdent, c'est que les accusations de racisme sont des
manipulations idéologiques perpétrées par les barbares eux-mêmes
qui avancent masqués : "l’islam
essaie d’imposer à l’Europe ses règles : ouverture des piscines
à certaines heures exclusivement aux femmes, interdiction de
caricaturer cette religion, exigence d’un traitement diététique
particulier des enfants musulmans dans les cantines, combat pour le
port du voile à l’école, accusation d’islamophobie contre les
esprits libres"(le
Figaro, 19/09/06).
Le fin mot de l'histoire est lâché. Moi (Redeker), esprit libre
devant l'Eternel, je suis victime d'un complot islamiste : "les
islamistes voient dans la bataille du vocabulaire un enjeu
d'importance. Le terme d'islamophobie cache le piège tendu aux
institutions laïques par les intégristes musulmans pour empêcher
la critique de la religion tout en soumettant des segments de
l'existence sociale (spécialement celle des femmes) à une emprise
totalitaire"(la
Dépêche du Midi,
21/09/03). Et bien entendu, ce complot est d'une ampleur insoupçonnée
! Comme avant-hier les Juifs et hier les staliniens, aujourd'hui ce
sont les islamistes qui infectent les esprits : "Hier,
la voix des pauvres prétendait venir de Moscou, aujourd’hui elle
viendrait de La Mecque ! Aujourd’hui à nouveau, des intellectuels
incarnent cet oeil du Coran, comme ils incarnaient l’oeil de Moscou
hier. Ils excommunient pour islamophobie, comme hier pour
anticommunisme"(le
Figaro, 19/09/06).
Bref, Redeker est un martyr. C.Q.F.D. Et comme déjà Fallacci,
Houellebecq, Ratzinger, ou Chirac, sa fortune (ici-bas ou dans
l'autre monde) est faite !
As-salâmu
'alaykum ! Que la paix soit sur vous ! C'est ainsi que se saluent
les barbares !