B2 – Les propositions
mathématiques sont-elles vraies ?
Dire qu’une proposition est
vraie ou fausse, à proprement parler, cela veut dire seulement qu’il
faut qu’il y ait possibilité de décider en sa faveur ou contre
elle. [Or, par exemple], je ne peux pas me tromper au sujet de la
proposition "12.12=144".
Mais on ne peut pas opposer la certitude des mathématiques au manque
de certitude des propositions empiriques. En effet, la proposition
mathématique a été obtenue par une série d’actions qui ne se
différencient d’aucune façon du reste des actions de la vie
et qui sont tout aussi sujettes à l’oubli, l’inadvertance et
l’illusion. [Plutôt], le tampon de l’incontestabilité est en
quelque sorte officiellement apposé sur la proposition
mathématique. C’est comme si on disait : "Disputez
d’autre chose, quant à ceci, c’est intangible, c’est un point
fixe sur lequel votre dispute peut tourner."
[…] Cette proposition, je ne peux pas la mettre en doute sans
renoncer à tout jugement. [Elle fait partie] de cette image du monde
que je possède, non pas parce que je suis convaincu de sa rectitude,
mais plutôt parce qu’elle constitue l’arrière-plan dont j’ai
hérité et sur le fond duquel je peux distinguer le vrai du faux.
Les propositions qui décrivent cette image du monde [...], leur rôle
est semblable à celui des règles d’un jeu. [Aussi, si je me
trompe], ce ne sera pas une erreur qui a pour ainsi dire sa place
dans le jeu, mais une infraction complète aux règles, ce qui ne
peut apparaître qu’exceptionnellement.
Wittgenstein – de
la Certitude
1 - A quelle idée l'auteur
s'oppose-t-il et quelle idée défend-il ?
L'auteur s'oppose à l'idée que
les propositions mathématiques puissent être tenues pour vraies. Il
défend l'idée que les propositions mathématiques ne peuvent être
dites ni vraies ni fausses mais incontestables.
2
- Quelle condition doivent remplir les propositions qui prétendent
être vraies-ou-fausses (donner un exemple). Comment Wittgenstein les
appelle-t-il ? Que doit-on en déduire pour les propositions au sujet
desquelles "je
ne peux pas me tromper"
?
Pour
qu'une proposition puisse être tenue pour vraie-ou-fausse, nous dit
Wittgenstein, "il
faut qu’il y ait possibilité de décider en sa faveur ou contre
elle".
Autrement dit, une proposition de cette sorte doit pouvoir se prêter
non seulement à une vérification, mais aussi à une décision.
P1 "il fait beau aujourd'hui" appartient à cette catégorie
parce que, si j'entends quelqu'un la prononcer, d'une part j'ai la
possibilité de la vérifier, d'autre part, après vérification,
j'ai la possibilité de la valider ou de la contester pour tout un
tas de raisons (le
moment où je vérifie, l'endroit d'où je vérifie, mon
humeur, mon expérience, ma connaissance de la météo, etc.). Dire
que P1 est vraie, c'est donc admettre qu'elle pourrait aussi
être
fausse. Dire qu'elle est fausse, c'est admettre qu'elle pourrait être
vraie. Wittgenstein appelle "empiriques" (du grec empeïria,
"expérience sensible") ce genre de propositions. En
revanche P2 "12 fois 12 font 144" n'est pas une proposition
empirique susceptible d'être vraie-ou-fausse parce que, à supposer
qu'il soit besoin de la vérifier, lorsque c'est fait (par exemple, à
l'aide d'une calculatrice), je n'ai aucune décision à prendre :
elle est correcte ou incorrecte, et c'est tout.
Il y a des gens pour qui un ciel nuageux est un ciel de beau temps,
d'autres pour qui le même ciel est signe de mauvais temps, mais on
ne saurait imaginer quelqu'un qui trouve correct de dire "12
fois 12 égalent 145". Une proposition comme P2 est donc une
proposition au sujet de laquelle "je
ne peux pas me tromper",
sous-entendu, au sujet de laquelle il n'y a aucune décision à
prendre. En conséquence, ce genre de proposition ne saurait être
vraie-ou-fausse.
3
- Il y a
deux
sens au verbe "pouvoir".
Lesquels ? Donner des exemples. A la lumière des 3° et 4° phrase,
en quel sens doit-on comprendre ici "je
ne peux pas"
?
Soit
P3 : "je ne
peux pas
dépasser les 50 km/h avec mon véhicule". Cela peut vouloir
dire que je n'ai pas la capacité
d'aller
plus vite (parce que mon véhicule est très endommagé, par
exemple). Mais cela peut vouloir dire aussi que je n'ai pas le droit
d'aller plus vite (c'est le cas si je traverse une agglomération,
par exemple).
Le verbe "pouvoir" indique donc, soit la capacité,
soit
la permission.
Alors, quel est le sens de ce verbe dans la phrase "je
ne peux pas me tromper au sujet de la proposition "12.12=144""
? Tout le monde fait, de temps en temps, des erreurs de calcul. C'est
pourquoi un
enfant d'âge scolaire, par exemple, aura
raison de
demander qu'on lui prouve
P2
tout autant que P1. Les deux propositions sont susceptibles d'être
vérifiées, comme on l'a dit précédemment. Donc, comme le dit
Wittgenstein, "on
ne peut pas opposer la certitude des mathématiques au manque de
certitude des propositions empiriques"
: P2 n'est pas plus certaine
que P1.
Donc, dire que "je
ne peux pas me tromper au sujet de la proposition "12.12=144"",
ce n'est pas dire que je n'ai pas la capacité
de me tromper
au motif que la proposition aurait je ne sais quoi de "magique"
qui nous empêche de nous tromper,
mais plutôt que je n'en ai pas le droit.
4
- Que signifie "le
tampon de l’incontestabilité est en quelque sorte officiellement
apposé sur la proposition mathématique"
? Sur quoi, ordinairement appose-t-on un tampon, par qui est-il
apposé et à quoi cela sert-il ?
La
différence principale entre P1 et P2, c'est, nous dit l'auteur, que
"le
tampon de l’incontestabilité est en quelque sorte officiellement
apposé sur la proposition mathématique".
Qu'est-ce que ça veut dire ? D'ordinaire, un tampon est apposé par
une personne autorisée à le faire, sur un document qui a été
authentifié par cette même personne, afin que la validité de ce
document ne puisse plus être contestée
par
quiconque.
Lorsque le tampon est mis, personne n'a plus le droit
de
contester
la validité du document. "C’est
comme si on disait : "Disputez
d’autre chose, quant à ceci, c’est intangible, c’est un point
fixe sur lequel votre dispute peut tourner""
: on a le droit
de
dire tout ce qu'on veut à propos de ce document, mais sa valeur
reste incontestable.
Il en va de même pour la proposition mathématique : une fois
authentifiée (par un professeur de mathématiques, un mathématicien,
un logiciel, etc.), elle est réputée incontestable.
5 - Que se passerait-il si on
mettait en doute la validité des propositions mathématiques ? N'y
aurait-il que les connaissances scientifiques qui deviendraient
impossibles ? Pourquoi ? Donner des exemples ?
Si
on se mettait à contester la validité des propositions
mathématiques, nous dit Wittgenstein, il faudrait "renoncer
à tout jugement". Pourquoi
? Eh bien, précisément parce que de telles propositions nous
servent à juger. Pourquoi mesure-t-on, évalue-t-on, pèse-t-on,
etc. si ce n'est pour nous aider à prendre une décision
quant à la valeur des choses.
On dira, par exemple, au-delà de telle moyenne, le candidat aura la
mention "très bien", ou bien au-dessus de tel prix, je
n'achète pas le produit. Etc. Du coup, il n'y a pas que les
connaissances scientifiques qui seraient impossibles si on contestait
la validité des propositions mathématiques. C'est toute
connaissance. On ne pourrait plus juger de rien. On ne pourrait plus
rien connaître du tout.
6
- En fait, peut-on
(examiner les deux sens du verbe, cf. question 2) mettre en doute les
propositions mathématiques ? Pourquoi ?
Voilà
donc pourquoi on n'a pas le droit
de
contester la validité des propositions mathématiques. C'est que
celles-ci font "[partie]
de cette image du monde que je possède, non pas parce que je suis
convaincu de sa rectitude, mais plutôt parce qu’elle constitue
l’arrière-plan dont j’ai hérité et sur le fond duquel je peux
distinguer le vrai du faux".
Ce qui veut dire qu'il y a, entre P1 (la proposition empirique) et P2
(la proposition mathématique) une véritable différence de statut :
c'est grâce à des propositions comme P2 que je peux juger de vérité
ou de la fausseté de propositions comme P1. Par
exemple, si je refusais de reconnaître la validité d'une moyenne
mensuelle de précipitations, si je refusais de reconnaître la
validité d'une comparaison chiffrée, il n'y aurait aucun sens à
dire que tel mois a été pluvieux dans tel département. Pluvieux
par rapport à quoi, à quelles normes ? Or, pour répondre à de
telles questions, il faut s'aider
de propositions mathématiques.
Cependant,
il reste que "la
proposition mathématique a été obtenue par une série d’actions
qui ne se différencient d’aucune façon du reste des actions
de la vie et qui sont tout aussi sujettes à l’oubli,
l’inadvertance et l’illusion"
: celui qui
fait
un calcul, même s'il est très doué, a toujours la capacité
d'oublier, d'être fatigué, d'être troublé, etc.
Donc,
on
a toujours la capacité
de
se tromper
et, par conséquent, de soupçonner une erreur de calcul ou de
raisonnement dans une proposition mathématique.
7
- Quelle différence Wittgenstein fait-il entre erreur
et infraction
(donner des exemples dans des jeux quelconques, puis dans les "jeux"
dont parle l'auteur dans le texte A3) ? Lorsqu'on se trompe, en
mathématiques, commet-on une erreur
ou une infraction
?
Pour
reprendre un exemple que nous avons pris à propos du texte A3, au
football, toucher involontairement la balle de la main est une
erreur,
mais la prendre volontairement dans la main est une infraction.
La différence est que l'erreur
est
prévue et codifiée par le règlement : elle est, par exemple,
sanctionnée par un coup-franc.
Tandis que l'infraction
ne
l'est pas. Cela n'aurait aucun sens de se demander ce qui pourrait se
passer, dans le jeu de football, si un joueur décidait de courir
avec la balle sous le bras comme on fait au rugby, car "ce
ne sera pas une erreur qui a pour ainsi dire sa place dans le jeu,
mais une infraction complète aux règles".
Faire une erreur
est reconnu et admis par toutes les règles de tous le jeux. Mais
enfreindre,
c'est toujours enfreindre
les règles,
donc violer les règles, passer outre. "Ce
qui ne peut apparaître qu’exceptionnellement"
: lorsque l'infraction
est
commise, le jeu
s'arrête
(pensez à l'automobiliste "arrêté" par les forces de
l'ordre lorsqu'il commet une infraction
au Code de la Route), de sorte que si l'infraction
est
trop fréquente, le jeu n'a plus lieu d'être. Il en va de même pour
les propositions mathématiques, car, nous dit l'auteur, "leur
rôle est semblable à celui des règles d’un jeu".
Que quelqu'un trouve,
par
erreur,
145
en
calculant le produit de 12 par 12, c'est parfaitement
admissible.
En revanche, s'il
tient pour incontestable
la
proposition "12 fois 12 font 145", c'est une infraction
complète aux règles mathématiques. Si cela reste exceptionnel,
cela n'est pas trop grave. Mais si une telle attitude se généralise,
il n'y a plus de mathématiques et, donc, de jugement possible. On
remarquera que c'est exactement la position des pyrrhoniens
ou
sceptiques
dont nous avons parlé à propos du texte A2.
8 - Comment appelle-t-on le
procédé argumentatif par lequel l'auteur met en relation la
certitude mathématique avec un tampon, puis l'activité mathématique
avec les règles d'un jeu ? Quelle est sa fonction ?
On
appelle cela une analogie.
Wittgenstein, comme beaucoup de philosophes, aime bien les
raisonnements par analogie.
Cela consiste à dire : A est à B ce que C est à D. Par exemple,
ici : l'incontestabilité est aux mathématiques ce que le tampon est
au document officiel. Ou bien : les propositions mathématiques sont
à nos jugements empiriques ce que les règles du jeu sont au
football. Ou encore (cf. A3),
dire qu'une affirmation
est irrationnelle
(ou déraisonnable) en science, c'est dire que
les règles n'ont pas été respectées dans un jeu quelconque. C'est
un mode de raisonnement extrêmement utile puisqu'il nous permet
d'apprendre ce qu'est A lorsqu'on connaît déjà B, C et D.