Rousseau écrit que "l'effet naturel des premiers besoins
fut d'écarter les hommes et non de les rapprocher. Il le fallait
ainsi pour que l'espèce vînt à s'étendre, et que la terre se
peuplât promptement, sans quoi le genre humain se fût entassé dans
un coin du monde, et tout le reste fût demeuré désert. De cela seul
il suit avec évidence que l'origine des langues n'est point due aux
premiers besoins des hommes , il serait absurde que de la cause qui
les écarte vînt le moyen qui les unit. D'où peut donc venir cette
origine ? Des besoins moraux, les passions. Toutes les passions
rapprochent les hommes que la nécessité de chercher à vivre force
à se fuir. Ce n'est ni la faim ni la soif, mais l'amour, la haine,
la pitié, la colère, qui leur ont arraché les premières voix. Les
fruits ne se dérobent point à nos mains, on peut s'en nourrir sans
parler, on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître :
mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur
injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes"(Rousseau,
Essai
sur l’Origine des Langues,
ii). Le langage serait donc destiné, selon lui, à résoudre des problèmes vitaux, certes, mais non pas ceux qui consistent à être tenaillé par la faim, la soif ou le froid, juste ceux qui préludent à la perpétuation de l'espèce ou à l'auto-défense ! Nous allons voir qu'il y a dans cette conception naïvement pré-romantique du langage une intuition néanmoins exacte, à savoir que "les
premières langues furent chantantes et passionnées avant d'être
simples et méthodiques"(Rousseau,
Essai
sur l’Origine des Langues,
ii) en ce sens que la fonction du langage est indissociable des affects humains.