D'où, deuxième conséquence, de loin la plus lourde : l'effet politique (au sens étymologique de πόλις, "Cité" comme écosystème spécifiquement humain), autrement dit pragmatique, de la valeur de vérité. À cet égard, tout est déjà dans Platon : "le genre humain ne mettra pas fin à ses maux avant que l’espèce de ceux qui, dans la rectitude et la vérité s’adonnent à la philosophie, ait accédé à l’autorité politique, ou que ceux qui sont au pouvoir ne s’adonnent véritablement à la philosophie"(Platon, Lettre VII, 326b). Ce qui, pour l'inventeur de la philosophie, n'est pas simplement la marque d'une élitisme politique de principe qui va connaître un beau succès (notamment dans la très moderne idéologie "méritocratique"), mais se trouve correspondre aussi à une certaine conception du pouvoir. Par exemple, lorsqu'il met dans la bouche de Socrate ce conseil destiné au futur prince-philosophe : "vous êtes tous frères dans la Cité, leur dirons-nous, [...] mais le dieu qui vous a formés a fait entrer de l’or dans la composition de ceux d’entre nous qui sont capables de commander, aussi sont-ils les plus précieux, de l’argent dans la composition des gardiens, du fer et de l’airain dans celle des laboureurs et des autres artisans"(Platon, République, III, 415a). Il est donc clair que le pouvoir décisionnaire dans la Cité, celui-ci fût-il dévolu à qui de droit éclairé qu'il est censé être par la "lumière de la vérité", ne peut s'exercer sans une certaine dose de "formatage" rhétorique de l'opinion (δόξα) lui faisant prendre des vessies pour des lanternes, en l'occurrence, des mythes pour des faits avérés. En passant de la vérité au pouvoir et du pouvoir au "formatage" rhétorique, la sub-fonction étroitement "politique" de la valeur de vérité semble alors manifeste : "il
n'y a pas d'exercice du pouvoir sans une certaine économie des
discours de vérité fonctionnant dans, à partir de et à travers ce
pouvoir. Nous sommes soumis par le pouvoir à la production de la
vérité et nous ne pouvons exercer le pouvoir que par la production
de la vérité
[...].
Nous sommes astreints à produire la vérité par le pouvoir qui
exige cette vérité et qui en a besoin pour fonctionner ; nous avons
à dire la vérité, nous sommes contraints, nous sommes condamnés à
avouer la vérité ou à la trouver. Le pouvoir [...]
institutionnalise la recherche de la vérité, il la
professionnalise, il la récompense. Nous avons à produire la vérité
comme, après tout, nous avons à produire des richesses"(Foucault,
il
faut défendre la Société). C'est donc précisément à travers la disposition spécifiquement humaine de la croyance en la légitimité du pouvoir comme dispensateur de vérité qu'il va s'agir de garantir l'invariance du corps social.
D'une manière plus générale, il semble même qu'"en l’absence de croyance, le faux n’existerait pas, le vrai non plus dans la mesure où le vrai est corrélatif du faux"(Russell, Problèmes de Philosophie, xii). C'est-à-dire que, pour a s'adressant à b en énonçant p, décerner, explicitement ou non, la médaille de la vérité à l'énoncé p trahit l'intention première de la part de a d'induire en b une croyance. En l'occurrence, la croyance en la respectabilité de p et, corrélativement, en la pureté "philosophique" (au sens de Platon) des intentions de a, d'une part de faire agir b en fonction de p (c'est-à-dire du "Bien), d'autre part d'étendre le champ social de la croyance que p est vrai en induisant en b l'intention de colporter p. C'est typiquement ainsi que fonctionne la calomnie mais aussi toute forme d'idéologie. Par exemple, "dans une société chrétienne, il ne peut y avoir de légitimité politique sans constitution d'une doctrine articulant sans défaillance l'adhésion doctrinale au dispositif institutionnel qui légitime le pouvoir temporel [par le mythe d'un pouvoir spirituel transcendant]. Croire et obéir sont les deux versants d'un même montage symbolique, qui met en œuvre l'équivalence du faire croire et du gouverner"(Mondzain, Image, Icône, Économie, I, i). Mutatis mutandis, on peut dire la même chose de toute société "religieuse" c'est-à-dire, au sens de Durkheim, fondée sur le caractère sacré de certains rites et certaines "valeurs", y compris, bien entendu, de la société dite "démocratique". Or, si faire croire et gouverner, croire et obéir, sont couples à la fois équivalents et corrélatifs ("lorsqu’on dit d’une question qu’elle est politique, il faut entendre par là que les intérêts de la répartition, de la conservation ou du transfert du pouvoir sont déterminants" dit aussi Max Weber dans le Savant et le Politique, ii) et si on ajoute, d'une part que le gouvernant "n’aura comme objectif que sa propre conservation et celle de son État, [de sorte qu']il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup de qualités, mais plutôt de paraître les avoir ; il s’agit, grâce à la ruse, de tromper l’esprit des hommes"(Machiavel, le Prince, xviii), d'autre part que le gouverné n'a pas, en général, d'autre choix que d'obéir, notamment dans "l’État
moderne [qui] est un groupement de domination de caractère légal-rationnel
qui cherche avec succès à monopoliser, dans les limites d’un
territoire, la violence physique légitime"(Weber,
le
Savant et le Politique,
ii), alors apparaît crûment le péché originel attaché à l'aspect pragmatique de la notion de "vérité" : lorsque a, adressant à b une injonction, s'évertue à justifier celle-ci, en général, b ne retient que l'injonction et ignore complètement la justification, voire soupçonne celle-ci d'être la preuve que a a l'intention de le tromper. De là, évidemment, les philosophies dites "du soupçon" à l'égard de la sub-fonction métaphysiquement, politiquement ou psychologiquement mystificatrice de la valeur de vérité. On est alors en droit de se demander si la valeur de vérité est, en soi, non seulement sémantiquement inutile (énoncer "p est vrai", c'est énoncer p), mais pragmatiquement contre-productive en matière de maintien de l'invariance organisationnelle de l'écosystème humain dans le cadre duquel elle s'exerce. Car, comme le dit ironiquement Michel Foucault, "il
s’agirait de savoir si la volonté de vérité n’exerce pas, par
rapport au discours, un rôle d’exclusion analogue à celui que
peut jouer l’opposition de la folie et de la raison, ou le système
des interdits"(Foucault,
Leçons
sur la Volonté de Savoir). Or, si gouverner, c'est toujours enjoindre au nom du vrai ou au nom du raisonnable, alors, gouverner c'est aussi frapper d'ostracisme, donc exclure en quelque manière, les structures que le commandement à justement pour fonction de fédérer. En ce sens, il paraît clair, et l'histoire récente le montre assez, que la superposition du pouvoir politique avec le pouvoir rhétorique soit un ferment de dissolution entropique de l'écosystème humain.
De plus, si on considère que la structure de quoi dépend, de facto, la valeur ("vérité", "rationalité") de la communication langagière est une structure inter-individuelle plutôt qu'individuelle, alors, "à toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes : les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes [...]. Il en va de même de la production intellectuelle telle qu’elle se manifeste dans le langage de la politique, des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique, etc. d’un peuple"(Marx-Engels, l’Idéologie Allemande). Il est clair que, si "l’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des classes"(Marx, Manifeste Communiste de 1848, i), c'est bien parce que la communication entre a et b, l'une et l'autre structure étant des classes sociales antagonistes (nous noterons [a/b] une telle situation), n'entretient l'organisation commune [a/b] qu'à la condition nécessaire et suffisante que la néguentropie de la structure dominante corresponde à peu près à l'entropie de la structure dominée sans aucun bénéfice néguentropique intentionnellement escompté pour l'écosystème commun [ab]. Très concrètement, la jouissance du maître, c'est la souffrance de l'esclave, la survaleur que s'approprient les actionnaires, c'est la fatigue des salariés et la part de salaires qui leur fera défaut, le profit de l'annonceur sera l'argent dépensé par les consommateurs pour satisfaire des besoins factices, le pouvoir dont va se prévaloir l'élu, ce sera autant de liberté en moins pour l'électeur, la ressource naturelle dont profite le colonisateur à vil prix constitue un manque à gagner et un retard de développement pour le colonisé, etc. Voilà qui ressemble fort au parasitisme biologique par lequel a subsiste aux dépens de b sans pour autant le détruire ou, par analogie avec l'organisme individuel, à l'hypertrophie d'un tissu au prix de l'atrophie d'un autre, voire, carrément, à la prédation lorsque l'organisation commune asymétrique [a/b] se fait via la désignation d'un bouc émissaire c dont l'existence est proprement sacrifiée. Sauf que, dans de telles conditions où "l’illusion d’un intérêt général est la forme par laquelle les individus d’une classe dominante font valoir leurs intérêts [...] il existe des idéologues actifs chargés de forger les illusions que se fait la classe dominante sur elle-même, de sorte que même la classe dominante croit sur parole tout ce que son époque affirme à son propre sujet"(Marx, l’Idéologie Allemande). Ce qui semble paradoxal, dans ce que dit Marx c'est que lorsque, dans une situation [a/b] où a s'adresse à b pour lui faire croire que a œuvre au bien-être (à la néguentropie) de b alors qu'il n'en est rien puisque a ne vise que ses propres intérêts (sa propre néguentropie) et augmente au contraire dangereusement le mal-être (l'entropie) de a, sans le moins du monde se préoccuper d'un éventuel écosystème commun [ab], c'est a tout autant que b qui est dupé. Le processus psycho-social qui est en jeu dans ce paradoxe et dans la description duquel nous n'entrerons pas ici (cf. pour cela ne pas croire ce que l'on sait : mensonge à soi-même, schizophrénie et capitalisme), c'est ce que certains auteurs ont nommé "mauvaise foi", d'autres "cynisme", "schizophrénie" ou "self-deception". Et cela se comprend fort bien : dans une situation de type [a/b] a dissimule son intérêt immédiat en faisant croire à l'intérêt de b, éventuellement à l'intérêt commun de [ab], alors qu'il est manifeste que l'argument de la modernisation de l'entreprise ne vise que l'augmentation de la rémunération des actionnaires, que la publicité ne vise que le chiffre d'affaire de l'annonceur, que la campagne électorale ne vise que l'élection du politicien candidat, etc. Du coup, "le discours véhicule et produit du pouvoir ; il le renforce mais aussi le mine, l’expose, le rend fragile et permet de le barrer"(Foucault, Histoire de la Sexualité) : pour le trompeur (a) le mensonge est toujours un jeu nécessaire mais dangereux, nécessaire parce qu'il y a beaucoup d'énergie néguentropique à gagner dans le fait de garantir la "pureté" de ses intentions, mais dangereux parce qu'il y a aussi beaucoup à perdre. Car, outre que le profit néguentropique n'est jamais acquis d'avance, le risque entropique pour a est élevé : perte de considération de la part des structures dominantes homologues (à cet égard, la communication sioniste est un modèle du genre, cf. le Sionisme, Paradigme du Capitalisme Mondialisé), perte de l'estime de soi, perte du pouvoir, voire perte de la vie. Tandis que pour le trompé (b), il y a, paradoxalement, plus à gagner qu'à perdre : pour peu qu'il ait éventé la supercherie et qu'il en conçoive une colère à la fois canalisée et organisée (donc de nature néguentropique), il pourrait se créer un rapport de forces sous forme de rébellion, de révolte, d'émeute, ou de révolution dans lequel la néguentropie intentionnellement visée par b ou accidentellement occasionnée en b par réaction à l'entropie intentionnellement infligée par a sur-compense celle-ci au point que, pendant une période plus ou moins longue, l'agressé dominé devient l'agresseur dominant et vice versa (cf. la notion marxiste de "dictature du prolétariat" ou la notion maoïste de "révolution permanente", cf. aussi la raison d'être du carnaval en Occident). Bref, l'antagonisme de classes n'est pas nécessairement, comme, disent les théoriciens des jeux, "un jeu à somme nulle" .
La colère de b comme corrélat de la mise en accusation de a dans une situation [a/b] semble même, à cet égard, le véritable "moteur" de l'histoire lorsque a et b sont des classe sociales antagonistes. Cette colère qui, dit-on en Occident, serait une courte folie (ira brevis furor est) et que le taoïsme chinois considère au contraire comme, sinon un aspect important de la communication animale, du moins un moyen de la rétablir lorsque, précisément, elle ne remplit plus sa fonction d'invariance néguentropique dans l'écosystème où elle s'exerce. Doit-on rappeler que l'on doit les arts martiaux chinois, 武术, wǔ shù, pour une part aux moines bouddhistes de Shaolin, pour une autre part aux moines taoïstes du mont Wudang ? En chinois, "colère" se dit 生气, shēng qì, littéralement "énergie-souffle vital-e") et l'un des mouvements du 气功, qì gōng, dit des "Huit Pièces de Brocart" (八段锦, 外丹气功 bā duàn jǐn, wài dān qì gōng) est intitulé 攒拳怒目增气力, zǎn quán nù mù zēng qì lì, "concentrer la fureur dans les poings pour augmenter l'énergie" (cf. la page d'accueil de notre blog), preuve que la fureur a bien un rôle à jouer lorsqu'il importe de maintenir-rétablir la circulation des énergies vitales dans une organisation où elle fait gravement défaut, autrement dit de débloquer une situation qui, autrement, aboutirait à la nécrose d'un tissu, voire à une crise potentiellement mortelle. "Ne frappe pas ton voisin au ventre, dit Zhuāng
Zǐ, sauf si c'est le seul moyen de lui faire vomir le poison qu'il a ingéré". On comprend alors l'utilité pour le menteur de commencer par se mentir à soi-même, c'est-à-dire par se cacher à soi-même le risque que lui fait courir son insincérité, risque dont la conscience est facteur d'inquiétude, donc d'entropie. Notons qu'il est aussi souvent fait usage d'un tel subterfuge (se mentir à soi-même), et pour les mêmes raisons (limiter l'entropie subie), par la structure dominée (b) dans la mesure où, le rapport de force lui étant manifestement défavorable, la lassitude et la résignation remplacent la colère au point que b s'évertue à faire semblant de croire sans vraiment y croire à la sincérité du langage de a (p.ex. lorsque les salariés exploités, les consommateurs abusés, les électeurs floués, les colonisés opprimés reprennent à leur compte les "éléments de langage" qui leur ont été inculqués par l'encadrement, la publicité ou la propagande). Mais, même alors, le risque d'embrasement entropique reste suspendu comme une épée de Damoclès au-dessus de l'organisation de type [a/b], crainte pour a, espoir pour b. Car, "qui imagine détruit ce qu'il a en haine sera joyeux. [Or] avoir quelqu'un en haine, c'est imaginer quelqu'un comme cause de tristesse [c'est-à-dire d'affaiblissement vital] et, par suite, qui a quelqu'un en haine s'efforcera de l'éloigner ou de le détruire, sauf s'il a peur qu'en naisse un mal plus grand pour lui [...]. La colère est le désir qui nous incite, par haine, à faire du mal à celui que nous haïssons"(Spinoza, Éthique, III, XX-XXXIX-LIX). Il en résulte un équilibre social précaire où tout le monde ment à tout le monde, à commencer par soi-même, et où les trompeurs comme les trompés participent à une néguentropie minimaliste de l'organisation commune, minimaliste car à peine égale à l'entropie générée (comme le remarque Nietzsche, mentir est physiquement épuisant) et donc loin de la néguentropie optimale que procureraient des relations humaines fondées, toutes choses égales par ailleurs, sur la sincérité.
A contrario, il semble que si l'unique fonction de toute communication entre structures a et b au sein d'une organisation [ab] est l'in-formation (l'invariance locale) directe ou non de l'écosystème commun, alors ce ne soit pas au vrai mais au dire-vrai (véracité, sincérité) qu'il appartienne d'optimiser cette fonction. Car, avec cette forme spécifique de communication abstraite et symbolique qu'est le langage, l'organisation humaine possède une arme à double tranchant. D'un côté, lorsque l'on considère l'avantage adaptatif procuré à l'espèce humaine par le langage (qu'on appelle parfois "conscience", parfois "esprit", lequel "est frappé de la malédiction d’être entaché de la matière, d'emprunter la forme des couches d’air agitées, de sons, bref, la forme du langage" disent Marx et Engels dans l'Idéologie Allemande), elle est capable de démultiplier sa puissance néguentropique puisqu'il n'y aurait ni culture ni civilisation sans langage. De l'autre, lorsqu'on considère les ravages historiques engendrés par le défaut de sincérité du langage, toute organisation humaine accroît vertigineusement les risques de désagrégation sociale par le mensonge, la traitrise, la fourberie, l'hypocrisie, la tromperie, la dissimulation, la mauvaise foi, la félonie, la corruption, etc. On se consolera en constatant que ce défaut de sincérité dans la communication n'a rien de spécifiquement humain puisque, pour a, adopter à l'égard de b une ruse qui dissimule son intention d'exploiter b se retrouve tout à la fois dans le commensalisme (p. ex. le végétal qui "attire" avec le nectar de sa fleur l'insecte qui va le polliniser et, partant, le reproduire), dans la prédation (le prédateur se cache et fond le plus tard possible sur sa proie) et, bien entendu, dans le parasitisme qui implique toujours, de la part du parasite, le risque de miner, voire de détruire [ab]. C'est ce que nous soulignions lorsque nous parlions d'effet secondaire indirect potentiellement entropique de la communication. C'est d'ailleurs de cette manière que le virus infecte la cellule saine et se nourrit d'elle en trompant les lymphocytes d'un organisme vivant par la sécrétion d'une protéine que le vigile immunitaire prend pour une substance domestique et donc inoffensive. Il s'ensuit un équilibre sous-optimal lorsque le parasite n'a pas suffisamment affaibli sa proie pour la tuer mais qu'il continue de tromper les défenses de l'organisme qui finissent par "tolérer" la présence d'une version pas trop virulente dudit parasite (cf. l'étiologie du COVID). Par là, la nature de notre problème a changé : si la valeur de vérité est, avons-nous vu, sémantiquement inutile et politiquement dissolvante, la valeur de véracité, elle, possède une pertinence manifeste pour le vivant doté de langage. Car si, comme le disait Aristote, l'être humain ne se contente pas de vivre mais envisage de vivre le mieux possible, lorsque a communique avec b par le langage, il est patent que la fonction néguentropique de la communication sera moins perturbée par le risque d'erreur du message ("lorsqu'on
ne sait pas la vérité d'une chose, il
est bon qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des hommes" dit Pascal, Pensées, B18) que par le risque de dissimulation intentionnelle de l'intention du message ("l'union qui est entre les hommes n'est fondée que sur cette mutuelle tromperie [...]. L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l'égard des autres" - Pascal, Pensées, B100). Nous dirons donc que la véracité assume une sub-fonction spécifiquement éthique (de ἔθος, "comportement", ou ἦθος, "habitude, coutume") à la fonction néguentropique générale du langage. En ce sens, l'enjeu, la sub-fonction éthique de la véracité ou de la sincérité serait d'être une assurance contre un conflit potentiel ou avéré opposant des parties complémentaires mais antagonistes au sein d'un même écosystème. C'est ce que les pensées orientales (notamment indienne ou chinoise) ont compris pour qui l'idée d'attestation comme propriété d'une intention se substitue à la notion de vérité comme propriété d'une croyance.
En effet, si "l’attestation se présente d’abord comme une sorte de croyance [...] ce n’est pas une croyance doxique [qui] s’inscrit dans la grammaire du « je crois que », l’attestation relève plutôt de celle du « je crois en ». Par là, elle se rapproche du témoignage, comme l’étymologie le rappelle, dans la mesure où c’est en la parole du témoin que l’on croit. De la croyance ou, si l’on préfère, de la créance [...] du soi-même et de l'autre que soi-même"(Ricœur, soi-même comme un Autre, préf.). La profession de foi, l'acte de foi fondamental de la religion musulmane s'appelle ٱلشَّهَادَة, ach-chahâda, c'est-à-dire, littéralement, "le témoignage" ou l'"attestation" : le musulman ne "croit" pas, à proprement parler, qu'il n'y a qu'un seul dieu et que Mohammed est son prophète, il l'atteste. Et la différence est flagrante. Wittgenstein fait remarquer que, dans la vie courante, le verbe "croire" n'a pas le même sens que dans les sciences : lorsque le chercheur "croit" que sa conclusion est bien fondée, il fait une hypothèse (c'est ce que Ricœur appelle la "croyance doxique") qu'il va par la suite vérifier. C'est en ce sens restreint (doxique), et en ce sens seulement, qu'il convient de comprendre l'affirmation de Russell selon laquelle, en l'absence de croyance, il n'y aurait ni vrai ni faux. Tandis qu'en général, lorsque nous "croyons" que telle ou telle chose va arriver ou est arrivée, en fait, nous "croyons en" celui ou celle qui nous l'a attesté, nous avons "foi", nous avons "confiance" (même racine latine fides) en lui ou elle, sans pouvoir ni même vouloir le vérifier. En chinois, "croire en", "avoir confiance" se dit xìn et s'écrit 信. Dans ce caractère, il y a quatre composants : à gauche 亻, l'homme, en bas à droite 口, la parole, en haut à droite 宀, le couvercle, au milieu à droite 二, la dualité. Avoir confiance, en chinois, c'est donc, étymologiquement, mettre le couvercle sur la duplicité humaine de la langue (rappelons-nous Pascal : "il faut avoir une pensée de derrière, et juger de tout par là, en parlant cependant comme le peuple" - Pensées, B336) ! L'attestation est bien incontestablement un engagement éthique, celui de la transparente simplicité des intentions (tout au moins des intentions conscientes), celui de la justement nommée "bonne foi" du locuteur. D'où, corrélativement, la confiance qui lui est accordée par l'interlocuteur et qui, avons-nous vu, est si souvent trahie, notamment par les structures censément dédiées à la bonne circulation et la bonne répartition de l'in-formation dans l'organisation sociale humaine (école, médias, justice, administration), ces institutions censées connaître et faire connaître le vrai et qui font oublier que ce n'est pas la vérité qui procure le pouvoir mais que c'est le pouvoir qui "produit la vérité par le jeu d’une falsification
première et toujours reconduite qui pose la distinction du vrai et
du faux"(Foucault,
Leçons
sur la Volonté de Savoir). Comment s'étonner alors qu'une organisation humaine telle que la société dite "post-moderne", d'autant plus obsédée par la "vérité" et la "transparence" (cf. Post-vérité, Post-politique, Post-humanité) qu'elle est plus minée par la fourberie et l'opacité, soit de plus en plus souvent secouée par des bouffées de fièvre, des flambées d'entropie conjoignant révolte (des salariés, des chômeurs, des femmes, des étudiants, des homosexuels, des immigrés, etc.) et répression (policière, militaire, administrative, judiciaire, etc.), autant de spasmes qui la dé-forment chaque fois un peu plus en la privant de cette harmonie sociale qui, dit-on, fait les remparts de la Cité (harmonia civium, mœnia civitatum) ? Dérive que toutes les sagesse humaines ont toujours dénoncée et qui est illustrée à merveille, si l'on peut dire, par soixante-quinze ans de mensonges officiels systématiques à propos de la légitimité de l'État d'Israël (cf. le Sionisme, Paradigme du Capitalisme Mondialisé).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Votre commentaire est-il vraiment nécessaire ?