1 "Un invariant anthropologique est, en première approximation, une configuration récurrente dégagée par l'analyse, une régularité qui n'est ni naturelle ni empirique, et qui prend la forme d'une gamme réduite de possibilités d'actualisation"(A.-C. Taylor, Invariants et Variabilité en Anthropologie, consultable sur le site des éditions de la Maison des Sciences de l'Homme).
2 "Seul, entre les animaux, l’homme a l’usage du langage. [Or] le langage [ὁ λόγος] a pour but de faire comprendre ce qui est utile ou nuisible et, par conséquent aussi, ce qui est juste ou injuste"(Aristote, Politique, I, 1252b, 1253a).
3 L'abduction est une forme de raisonnement tel que la conformité à la norme générale n se reconnaissant au critère (ou au symptôme) c, et l'action particulière a incluant le critère (ou le symptôme) c, il s'ensuit que l'action a doit être jugée conforme à n. Où l'on voit qu'il y a trois niveaux d'arbitraire. Au niveau de la première prémisse : qu'est-ce qui doit être retenu pour critère (ou symptôme) ? Au niveau de la seconde prémisse : la présence du critère (ou symptôme) est-elle ou non manifeste ? Au niveau de la conclusion : de ce que tous les corbeaux sont noirs et de ce que mon voisin de palier est noir, dois-je conclure que mon voisin de palier est un corbeau ? Bref, la vertu du raisonnement abductif ne réside pas dans la validité ni de ses prémisses, ni de sa conclusion mais dans le fait qu'elle permet d'établir des hypothèses. Par exemple dans le diagnostic clinique d'une maladie : en cas de maladie m on constate le symptôme s, or tel patient présente le symptôme s, donc on peut conjecturer qu'il est atteint de la maladie m (ce qui devra être confirmé par des investigations appropriées).
5 Il est indéniable qu'il existe des (auto-)biographies non-tragiques dans la narration desquelles "il ne se passe rien" ou presque. De fait, c'est une tendance récente de la littérature occidentale (Proust, Musil, Woolf, Joyce, Beckett, Ionesco, etc.) mais beaucoup plus ancienne de la littérature chinoise que d'évoquer des processus lents à la limite de l'inertie, à commencer par les flux de conscience eux-mêmes, dans le cours desquels les accidents sont passés sous silence ou bien, ce qui revient au même, tout n'est qu'accident. Mais de telles évocations ou (presque) rien n'est montré sont des exceptions à la tendance spontanée des humains à sublimer leur souffrance existentielle en se faisant narrateurs tragiques d'eux-mêmes.
6 En effet, si, pour Aristote, "tout homme a naturellement le désir de connaître"(Aristote, Métaphysique A, 980a), ce n'est pas pour les raisons mystico-religieuses généralement invoquées, mais parce que "l’art représente la nature [ἡ τέχνη μιμεῖται τὴν φύσιν]"(Aristote, Physique, II, 194b), c'est-à-dire que, si les hommes, comme tous les vivants, se présentent spontanément la nature à la bonne distance physico-sémantique (celle qui est déterminée par l'évolution), en revanche, à la différence des autres vivants, les humains en construisent des re-présentations, des modèles récursifs qui peuvent tout aussi bien être des événements mentaux que des constructions techniques (τέχναι). À la satisfaction de la perception spontanée, s'ajoute ainsi celle de la connaissance conceptuelle.
7 Cette multiplicité potentielle des "Soi" résulte de ce qu'il n'y a de Soi proprement dit que "séquentiel", autrement dit, toujours corrélé aux mille petites exigences contradictoires de l'existence quotidienne (cf. Soi ou non-Soi, le Débat). C'est cette séquentialité du Soi qui, comme le soulignent Marx et Engels (en en faisant, il est vrai, un idéal d'existence dans une société idéale), "me permet ainsi de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre chose, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir, et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique"(Marx-Engels, l'Idéologie Allemande).
8 Erving Goffman donne comme exemples "monstruosités du corps, diverses difformités, […] tares du caractère, [ou] stigmates tribaux que sont la race, la nationalité et la religion"(Goffman, Stigmate) qui prédisposent leur objet au "délit de faciès". Mais on pense aussi aux "tares" et aux "stigmates" culturels, économiques ou sociaux (accent, logement, profession, consommation, vêtement, etc.) comme facteurs de ce que Bourdieu appelle "la violence symbolique" .
9 Par ailleurs, si, comme le dit Bernard Williams, "la honte est directement liée à la nudité, en particulier avec ses présupposés sexuels [...], la réaction de l’intéressé est de se couvrir ou de se cacher et, en général, d’éviter de se mettre dans de telles situations"(Williams, la Honte et la Nécessité, IV), alors, effectivement, "qu'y a-t-il pour toi de plus humain ? Epargner la honte à quelqu'un"(Nietzsche, le Gai Savoir, §274), autrement dit, couvrir sa nudité, bref, lui offrir un "masque".
10 Rappelons que "l’homme est naturellement un animal politique [ὁ ἄνθρωπος φύσει πολιτικὸν ζῷον] destiné à vivre en société et que celui qui, par sa nature et non par l’effet de quelque circonstance, ne fait partie d’aucune Cité [πόλις], est une créature dégradée ou supérieure à l’homme. Il mérite, comme dit Homère, le reproche sanglant d’être sans famille, sans lois, sans foyers ; car celui qui a une telle nature est avide de combats [ἃμα γὰρ φύσει τοιοῦτος καὶ πολέμου ἐπιθυμητής] et, comme les oiseaux de proie, incapable de se soumettre à aucun joug"(Aristote, Politique, I, 1252b).
11 Ce passage est particulièrement significatif du caractère du poids de la notion de "péché" dans la morale binaire du bien et du mal des monothéismes. Au point que l'on peut se demander si les propos du Frère Archangias, qui sont ceux que Dieu adresse dans la Genèse à Adam après qu'il eut succombé à Éve, ne sont pas aussi ceux que l'Abbé Mouret s'adresse à lui-même juste après avoir commis le péché de chair !
12 Nous faisons là abstraction des multiples subterfuges psycho-sociaux plus ou moins pathologiques (déni, mauvaise foi, self defeating, Ichspaltung, refoulement, schizophrénie, etc.) qui sont censés masquer provisoirement au menteur le caractère mensonger de son mensonge. Nous y reviendrons à propos de l'utilité de la psychanalyse lorsque le mensonge est un mensonge par omission du passé.
13 Rappelons que le mot "hypocrite" vient du terme grec ὑποκριτής, qui signifie littéralement "celui qui ne peut être reconnu" et qui désigne l'acteur en général dans la tragédie grecque. Cf. Marivaux : "un mari porte un masque avec le monde, et une grimace avec sa femme"(le Jeu de l'Amour et du Hasard, I, ii). Il ne faut sans doute pas chercher plus loin le secret de l'élection et des réélections perpétuelles de nombre de politiciens véreux !
14 La pièce éponyme de Molière était, initialement sous-titrée le Tartuffe ou l'Hypocrite avant de devenir le Tartuffe ou l'Imposteur, glissement imposé par la "cabale des dévots" qui préféraient sans doute l'imposture politique à l'hypocrisie morale.
15 Outre Vautrin et Don Juan, on pourrait citer les personnages de Solal dans Belle du Seigneur d'Albert Cohen, de Valmont et Merteuil dans les Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos, d'Etéocle dans les Phéniciennes d'Euripide ou de Calliclès dans le Gorgias de Platon comme de parfaits exemples de cynisme.
16 Qui impute toute réussite sociale à la puissance de la volonté et tout échec à la faiblesse de la volonté au point que chacun(e) est, à tout instant, responsable de tout ce qui lui arrive de faste ou de néfaste. De là, l'idée que les faibles, les pauvres, les malades, les délinquants, les inadaptés, les chômeurs, les timides, les incultes, et même les vieux n'auraient que ce qu'ils méritent au motif qu'ils n'auraient pas fait l'effort suffisant de vouloir ce que les normes sociales les enjoint pourtant de vouloir !
17 Cf. Jean-Paul Sartre : "il n'y a pas d’accidents dans une vie ; un événement social qui éclate soudain et m’entraîne ne vient pas du dehors; si je suis mobilisé dans une guerre, cette guerre est ma guerre, elle est à mon image et je la mérite. Je la mérite d’abord parce que je pouvais toujours m’y soustraire, par le suicide ou la désertion ces possibles ultimes sont ceux qui doivent toujours nous être présents lorsqu’il s’agit d’envisager une situation. Faute de m’y être soustrait, je l’ai choisie ; ce peut être par veulerie, par lâcheté devant l’opinion publique, parce que je préfère certaines valeurs à celle du refus même de faire la guerre (l’estime de mes proches, l’honneur de ma famille, etc.). De toute façon, il s’agit d’un choix. […] Il n’y a eu aucune contrainte, car la contrainte ne saurait avoir aucune prise sur une liberté ; je n’ai eu aucune excuse, car, ainsi que nous l’avons dit et répété dans ce livre, le propre de la réalité-humaine, c’est qu’elle est sans excuse"(Sartre, l'Être et le Néant).
18 Il n'est pas possible d'explorer ici les innombrables enjeux existentiels du suicide. Qu'il suffise, pour notre propos, d'y transposer brièvement la classification sociologique qu'en propose Durkheim dans le Suicide. Celui-ci distingue, d'une part le suicide altruiste (excès d'intégration sociale) par opposition au suicide égoïste (défaut d'intégration), d'autre part le suicide fataliste (excès de régulation sociale) par opposition au suicide anomique (défaut de régulation). Suivant cette classification, il nous semble que les suicides romantiques de Werther, de Dorian Gray, de Polyeucte, etc. sont des suicides anti-tragiques en ce qu'ils sont à la fois égoïstes et anomiques, tandis que ceux d'Antigone, d'Ajax, d'Alceste, de Quasimodo, de Sénèque, etc., altruistes et fatalistes tout à la fois, sont des suicides tragiques. Le suicide romantique ou anti-tragique serait donc quelque chose comme l'ultime sursaut d'une dévotion au déterminisme causal du vouloir là où toutes les autres tentatives en ce sens auraient échoué, tandis que le suicide tragique serait une manifestation de la fatalité qui détermine de part en part le destin du héros ou de l'héroïne. Le héros romantique veut se suicider parce qu'il désespère de pouvoir jamais recouvrer son innocence dans le monde d'ici-bas (c'est le suicide de Polyeucte ou des fanatiques qui aspirent au martyre). Le héros tragique consent à se suicider conscient qu'il est de se trouver terrassé par une force invincible à laquelle son geste létal ne fait que prêter son concours (c'est le suicide d'Antigone après qu'elle a été emmurée vivante, ou celui du malade qui se sait condamné). Au point qu'il devient problématique de tracer une frontière nette entre le suicide tragique comme "coup de pouce" au destin et le simple consentement conscient du héros tragique à son destin : Ménécée (dans les Phéniciennes d'Euripide) qui s'"offre" au fer ennemi en victime propitiatoire se suicide-t-il vraiment ? Mais nous avons conscience qu'il faudrait approfondir considérablement cette analyse.
19 Nous voulons dire la posture tragique en général et non pas seulement celle qui consiste, comme Freud a l'air de le suggérer à plusieurs reprises, à considérer le "complexe d'Œdipe" comme le paradigme de LA fatalité existentielle par excellence, ce qui supposerait, comme le soulignent Vernant et Vidal-Naquet que l'Œdipe de Sophocle fût lui-même victime du "complexe d'Œdipe" ! Or, que pas moins de cinq des trente-et-une tragédies grecques soient consacrées (sans compter leurs innombrables variantes ultérieures), de près ou de loin, au mythe d'Œdipe, cela montre simplement que "l'homme n'est pas un être qu'on puisse décrire ou définir scientifiquement, il est un problème, une énigme"(J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Mythe et Tragédie en Grèce Ancienne, I, v). D'ailleurs, ce qui nous semble le plus psychanalytiquement significatif, dans la tragédie d'Œdipe, ce n'est pas le parricide et l'inceste, mais le fait que, dès la consultation de l'oracle de Delphes, Œdipe va se livrer à une enquête méthodique sur les séquences obscures de son Soi afin de tenter de découvrir "qui il est vraiment", enquête contre les périls de laquelle Jocaste ne cessera prémonitoirement de le mettre en garde !
20 Nombreux ont été les commentateurs de Freud à souligner que "chez [Freud], littérature et psychanalyse puisent aux mêmes sources et s'enrichissent l'une l'autre"(Yves Tadié, le Lac Inconnu, xviii). Comme le remarque Wittgenstein, "l’explication de Freud fait ce que fait l’esthétique [tragique] : elle met deux facteurs l'un à côté de l'autre"(Wittgenstein, Cours de Cambridge 1932-1935), voulant dire par là que, dans les deux cas, les facteurs déterminants qu'il s'agit de dire et de montrer sont, dans la figuration/narration tragique, juxtaposés, conjoints et non subordonnés, enchaînés dans et par une logique causale qui leur donnerait a priori une cohérence. Pour Freud lui-même, d'ailleurs, "les récits de nos patients sont de véritables œuvres d'art"(Freud, Lettre à Jung). C'est dans ce contexte de souffrance existentielle qu'éclate au grand jour la supériorité de l'art (et de la psychanalyse) sur la science : "l’art doit dissimuler ou réinterpréter tout ce qui est laid [...] et faire transparaître, dans la laideur inévitable ou insurmontable, son côté significatif"(Nietzsche, Humain, trop Humain).
21 Cf. aussi Héraclite : "le destin est un enfant qui joue au tric-trac : souveraineté d'un enfant"(Héraclite, Fragments, 52) ; et Lǎo Zǐ : "étant le flux universel, [le Sage] fait un avec le Tao et adopte la souplesse enfantine"(Lǎo Zǐ, Dào dé jīng, §28).
22 On songe aussi aux multiples tentatives des musiciens gazaouis à organiser des moments musicaux (on n'ose pas dire "concerts") au milieu des ruines fumantes de leur cadre de vie.
23 Nietzsche louait la légèreté non seulement de la musique de Bizet mais aussi celle d'Offenbach dans laquelle il reconnaissait, disait-il, le "génie juif". S'est-il rendu compte qu'Henri Meilhac et Ludovic Halévy, auteurs du livret de Carmen de Bizet, opéra qu'il vénérait par-dessus tout, étaient aussi les librettistes favoris d'Offenbach ? Pour le cas particulier du jazz, que Nietzsche ne pouvait évidemment pas connaître, cf. le Jazz comme Métaphore de la Condition Humaine.
24 Y compris les thèmes les plus pénibles comme, par exemple, celui du génocide juif dans la Place de l'étoile de Patrick Modiano ou l'Atelier de Jean-Claude Grumberg, ou celui du génocide palestinien dans le film de Mona Hammoud intitulé la Force du Coquelicot ("Liban, Gaza, Beyrouth, résister grâce au rire").
25 Aristote annonce, dans sa Poétique, vouloir consacrer un ouvrage spécifique au rire et à la comédie. Soit qu'il n'ait jamais été rédigé, soit qu'il se soit perdu, nous n'avons pas gardé trace d'un tel ouvrage.
26 Cf. Bergson : "le comique exprime avant tout une certaine inadaptation particulière de la personne à la société" (Bergson, le Rire, iii). Cf. aussi la formule de Jean de Santeuil, castigat ridendo mores, "elle (la comédie) corrige les mœurs en riant".
27 Ce que Platon avait déjà compris : "il appartient au même homme de savoir traiter la comédie et la tragédie, et que le vrai poète tragique qui l'est avec art est en même temps poète comique"(Platon, Banquet, 223d). Qui, mieux que Shakespeare, lui aura donné raison ?
28 De sorte que son impact social est difficilement prédictible et, par là, maîtrisable. Pour Marx, par exemple, il est clair que "l’arme de la critique ne peut pas remplacer la critique par les armes, la force matérielle doit être renversée par une force matérielle"(Marx, Critique de la Philosophie du Droit de Hegel).
29 En français, le terme "critique" est souvent réduit à son sens agressif. Or, en grec, l'adjectif κριτικός qualifie celui ou celle qui est capable de distinction, de réflexion, de jugement, le nom κριτής désigne le juge, et le nom κρίσις la séparation, la sélection, le discernement. D'où, encore une fois, l'ὑποκριτής, l'acteur ou l'hypocrite qui, s'avançant masqué, échappe à la distinction, au jugement, bref, à la critique sur sa propre personne. Le parallélisme du développement de l'institution judiciaire et de l'institution tragique dans l'Athènes démocratique sur lequel Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet insistent dans Mythe et Tragédie en Grèce Ancienne, et est, à cet égard, tout à fait éclairant (cf. les Euménides d'Eschyle) en ce qu'il tend à confirmer, contrairement à ce qu'avancent ces deux auteurs, que celle-ci est une antidote à celle-là.
30 Cf Marx : "tous les grands événements et personnages de l'histoire se produisent pour ainsi dire deux fois […] : la première fois comme une grande tragédie, la seconde fois comme une farce sordide"(Marx, le 18 Brumaire de Louis Bonaparte). Marx évoque évidemment la "répétition" de Napoléon I° en Napoléon III (cf. aussi Napoléon le Petit de Victor Hugo). On ne peut s'empêcher d'évoquer, hélas, la "répétition" actuelle du génocide juif dans le génocide palestinien.
31 La seule trilogie complète qui nous soit parvenue est celle de l'Orestie d'Eschyle (Agamemnon, les Choéphores, les Euménides). Quant aux drames satyriques, on n'en a conservé qu'un seul : le Cyclope d'Euripide. Notons qu'un drame satyrique est censé mettre en scène des satyres dans la tradition dithyrambique et n'est pas nécessairement satirique.
32 Jusque dans la Divine Comédie de Dante qui foisonne d'éléments parodiques (la description détaillée de l'Enfer, du Purgatoire et du Paradis, la présence de héros mythologiques, la lutte pour le pouvoir des Guelfi et des Ghibellini, la rédemption par l'amour de Béatrice, etc.).
33 Cf. aussi l'énumération hilarante que Clément Rosset fait, dans les dernières pages de la Logique du Pire, de l'enchaînement catastrophique qui a conduit au naufrage du Titanic.
34 Il n'est pas possible d'en faire l'énumération ici mais on peut signaler, entre autres, comme métaphore de l'Eternel Retour, l'alliance de la noblesse de l'aigle avec la ruse du serpent, parodie de la dualité homérique d'Achille et d'Ulysse, à moins que ce soit une parodie de l'Alliance biblique de Dieu avec le Peuple Elu !
35 Notons que l'effet de distance parodique peut aussi ne pas être intentionnel mais résulter d'une simple distance temporelle, spatiale ou culturelle accidentelle du spectateur à l'égard du contexte de la représentation. Pour un très jeune spectateur moderne, par exemple, le dilemme de Rodrigue entre son honneur et son amour peut paraître risible, de la même manière que les embarras de Paris paraissent ridicules aux Persans de Montesquieu.
36 Mémoire de maîtrise consultable sur le site de l'UQAM. Cf. aussi l'article de Loïc Waquant paru dans le numéro de septembre 2023 du Monde Diplomatique et intitulé l'émeute entre jacquerie et carnaval. D'où, évidemment l'exécration que leur voue l'esprit de sérieux.
37 Raison pour laquelle, par elle-même, "la violence n’est pas révolutionnaire, elle n’est pas un moyen en vue d’une fin : personne ne songe même à prendre le pouvoir"(Arendt, Penser l’Événement). Le récent mouvement populaire dit des "Gilets Jaune" en France en 2018-2019 est une bonne illustration du caractère à la fois festif, comique et potentiellement destructeur d'une posture tragique collective (cf. le film de François Ruffin et Gilles Perret intitulé j'veux du Soleil).
38 Cf. note 25.
39 "Est sacré ce que le profane ne doit pas, ne peut pas impunément toucher […]. Les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent ; les choses profanes, celles auxquelles ces interdits s'appliquent et qui doivent rester à distance des premières"(Durkheim, les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, i). À cet égard, considérer le rire tragique comme "sacré", voire comme un "droit", est une pure absurdité. Le rire tragique est un facteur de destruction du sacré déontique et, à ce titre, expose évidemment à des représailles quiconque en fait usage (cf. Rire, Rigolade, Ricanement à propos de l'"affaire" Charlie-Hebdo).
40 A contrario, toute tentative d'établir les conditions d'une efficacité causale intentionnelle des valeurs déontiques signe la défaite du rire : "que fut sur terre, jusqu'ici, le péché le plus grand ? Ne fut-ce pas la parole de ceux qui disaient "Malheur à ceux qui rient" ? […] "Malheur, vous qui riez maintenant parce que vous connaîtrez le deuil et les larmes" (Luc, VI, 25)"(Nietzsche, Fragments Posthumes, vi). En particulier, "l'histoire de la philosophie depuis Platon est l'histoire du désastre du rire […], du triomphe de la mélancolie"(Philonenko, Nietzsche, le Rire et le Tragique, v).
41 Cf. Wittgenstein : "si l’on entend par éternité non la durée infinie mais l’absence de durée [nicht unendliche Zeitdauer, sondern Unzeitlichkeit], alors il a la vie éternelle celui qui vit dans le présent"(Wittgenstein, Tractatus, 6.4311).
42 Ce rire gratuit, sans raison, est parfois qualifié de "fou rire", rappelant la corrélation du déterminisme déontique avec le sérieux d'une part et, d'autre part, de l'hilarité avec la grimace symptomatique de la maladie mentale.
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