En
réponse à la question d'un journaliste lui demandant pourquoi il
considérait que l'État d'Israël était l'agresseur bien que ce fût
l'Égypte qui, militairement, déclencha la Guerre des Six Jours, le
Général de Gaulle exprima une position restée célèbre :
"l'établissement
entre les deux guerres mondiales, car il faut remonter jusque là,
l'établissement d'un foyer sioniste en Palestine, et puis après la
deuxième guerre mondiale, l'établissement d'un État d'Israël
soulevait à l'époque un certain nombre d'appréhensions. On pouvait
se demander, en effet, et on se demandait, même chez beaucoup de
Juifs, si l'implantation de cette communauté sur des terres qui
avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables
et au milieu des peuples arabes qui lui sont foncièrement hostiles,
n'allaient pas entraîner d'incessants, d'interminables frictions et
conflits. Et certains même redoutaient
que les Juifs, jusqu'alors dispersés, et qui étaient restés ce
qu'ils avaient été de tout temps, c'est-à-dire un peuple d'élite,
sûr de lui-même et dominateur, n'en viennent une fois qu'ils
seraient rassemblés dans les sites de son ancienne grandeur, n'en
viennent à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits
très émouvants qu'ils formaient depuis 19 siècles"(de
Gaulle, Conférence
de Presse,
27/11/67)1.
Peut-être le général pressentait-il déjà que la Résolution 242
du Conseil de Sécurité de l'O.N.U., adoptée à
l'unanimité cinq
jours auparavant et exigeant notamment
le
"retrait
des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du
récent conflit [et la] fin de toute revendication ou
de tout état de belligérance, [le] respect et [la]
reconnaissance de la souveraineté, de l'intégrité
territoriale et de l'indépendance politique de chaque État de la
région et de son droit de vivre en paix à l'intérieur de
frontières sûres et reconnues, à l'abri de menaces ou d'actes de
violence"2
resterait lettre morte.
De fait, les
violences
exercées
par les forces sionistes contre les voisins arabes depuis la
Déclaration
Balfour
de 19173
et devenues
des actes de guerre officiels
après
la création de l'État d'Israël le 14 mai 1948,
n'ont fait que croître et, si l'on ose dire, embellir, confirmant
hélas les craintes du général.
J'essaierai,
pour
ma part,
de montrer la
justesse de cette
vision du sionisme
lequel,
effectivement, a bien fini par "changer
en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants
qu'ils [les Juifs]
formaient depuis 19 siècles".
À la lumière de quoi je tâcherai de montrer
que les
réactions indignées auxquelles cette position a donné lieu à
l'époque et, plus
encore,
la
fascination qu'exerce aujourd'hui sur les media
occidentaux
dominants la
nature ambiguë, tout à la fois post-romantique et agressive
du sionisme,
tiennent à ce que le sionisme, loin de n'être qu'une banale
idéologie, est le paradigme du capitalisme mondialisé.
L'indice le plus immédiat de l'importance de la question à débattre est sans doute ce climat de terrorisme intellectuel qui couve et qui est systématiquement réactivé chaque fois qu'il s'agit de jeter une lumière critique sur la nature du sionisme. Rien de bien étonnant cependant. D'abord, comme l'avait déjà souligné Platon, d'une manière générale, dès qu'un quidam s'avise d'aborder un sujet dérangeant pour l'ordre social établi, il est manifeste que "les plus ardents discourent et s’agitent, les autres, près de la tribune bourdonnent et ferment la bouche au contradicteur, de sorte que, dans un tel gouvernement, les affaires sont réglées par eux"(Platon, République, VIII, 564e). De plus, ainsi que le remarquent Dray et Sieffert, "ici plus qu'ailleurs, la conquête de l'opinion publique est un enjeu. La raison en est évidente : le conflit israélo-palestinien est faussement régional"(la Guerre Israélienne de l'Information). En effet, la conquête rhétorique de l'opinion publique a, en l'occurrence, pour enjeu, non pas seulement un avantage en terme d'image localisée et momentanée (profit symbolique), ni même en terme de comportement localisé et momentané (profit matériel, par exemple électoral ou économique), mais le conflit israélo-palestinien a une dimension, si j'ose dire "métaphysique"4 en terme d'essence5 éternelle et immuable d'une certaine communauté humaine. C'est à croire que le conflit israélo-palestinien opère comme un véritable transcendantal, au sens kantien de ce terme, c'est-à-dire un paradigme originel qui, rendant possible et structurant a priori notre conception du monde extérieur, prétend à la nécessité et à l'universalité. Tout le récit que la communauté juive, c'est-à-dire de la communauté humaine fédérée par la croyance au caractère sacré de la Torah, se plaît à faire d'elle-même peut, en effet, se lire comme le récit des persécutions incessantes dont cette communauté a été victime dans sa quête du mythe6 de la Terre Promise, en l'occurrence promise par Dieu à Abraham : "c’est à ta descendance que je donne ce pays, du fleuve d’Égypte au grand fleuve, le fleuve Euphrate"(Genèse, 15-18). Et comme la proche descendance d'Abraham consistant en un fils légitime (Isaac), deux petits-fils (Jacob dit aussi Israël et Ésaü) et douze arrière petits-fils (chacun prenant la tête d'une tribu distincte), ladite Terre Promise a pris le nom de Terre d'Israël (Eretz Israel) et est censée correspondre, grosso modo, à l'actuelle Palestine7. Pour la communauté juive, l'amoncellement de ces obstacles à l'accession à la Terre Promise est d'autant plus scandaleuse qu'elle va contre la volonté de Dieu de considérer cette communauté comme la communauté choisie par Dieu entre toutes les communautés humaines pour L'honorer et Le glorifier : "désormais, si vous êtes dociles à Ma voix, si vous gardez Mon alliance, vous serez Mon trésor entre tous les peuples ! Car toute la terre est à Moi, mais vous, vous serez pour Moi une dynastie de pontifes et une nation sainte"(Exode, 19 ; 5-6). "Dynastie de pontifes", "nation sainte", "Mon trésor entre tous les peuples", même associées à un conditionnel ("si vous êtes dociles ...") sont des expressions qui dénotent bien sans ambiguïté "un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur". Bref, élection et persécution, persécution malgré l'élection, élection en raison de la persécution, sont bien, me semble-t-il les deux grands invariants de l'identité narrative8 de la communauté juive ou, si l'on préfère, de l'essence du judaïsme.
Le
problème numéro
un est
que le
judaïsme est
une religion et reste
une religion. Ni
plus, ni moins. Et,
"[une
religion] n’est tout simplement pas une théorie. Ou encore, si
c’est une vérité, alors ce n’est pas celle qui semble, au
premier abord, être exprimée par là. Plutôt qu’une théorie,
c’est un soupir ou un cri"(Wittgenstein,
Remarques
Mêlées,
30). Marx ira jusqu'à réduire soupir et cri à soupir de détresse
et cri de douleur : "la
misère religieuse est à la fois l’expression de la misère réelle
et, d’autre part, la protestation contre cette misère. La
religion est le soupir de la créature accablée, le cœur d’un
homme sans cœur, comme elle est l’esprit des temps privés
d’esprit. Elle est l’opium du peuple"(Marx,
Critique
de la Philosophie de Hegel)9.
Mais l'important reste qu'une religion n'est
pas une théorie.
Une religion ne
décrit pas la réalité.
Tandis qu'une
description
(qu'elle
soit, d'ailleurs, théorique ou, a
fortiori,
technique) de
la réalité
extérieure à notre psychisme doit pouvoir se justifier, se
confirmer, se vérifier par comparaisons et ajustements successifs à
celle-ci, "le
fidèle possède une croyance inébranlable qui ne repose pas sur des
justifications"(Wittgenstein,
Leçons
sur la Croyance Religieuse,
i),
une essence,
ce qu'est une chose, une identité
narrative,
ce qu'on dit d'une chose, tout cela relève du postulat.
D'où le caractère mythique, comme
nous le soulignions plus haut, des croyances religieuses : "une
croyance religieuse ne repose pas sur des preuves historiques, car
rien de ce qu’on appelle normalement ’’preuves’’ ne serait
de nature à l’influencer le moins du monde"(Wittgenstein,
Leçons
sur la Croyance Religieuse,
i). Ce
qui n'implique
pas pour autant qu'une
croyance religieuse ou qu'un système de croyances religieuses soient
dépourvus de valeur.
Bien
au contraire,
puisque,
en effet, "l’on
distingue une croyance religieuse à ce que tout dans la vie d’un
individu obéit à la règle que fournit cette
croyance"(Wittgenstein,
Leçons
sur la Croyance Religieuse,
i).
Mais
la
valeur d'une religion,
dans la mesure, justement où elle contribue à postuler
ce qui compte pour et dans la vie du fidèle,
est éthique
et
non
pas théorique10.
Les croyances religieuses n'ont rien à voir avec les croyances
épistémiques, celles qui sont susceptibles d'être vraies ou
fausses
après expérimentation11.
Bien
plutôt, nous
dit Wittgenstein, "il
me semble qu'une foi religieuse pourrait n'être qu'une sorte de
décision passionnée en faveur d'un système de référence. Que,
par conséquent, bien que ce soit une foi,
c'est cependant une manière de vivre"(Wittgenstein,
Remarques
Mêlées,
64).
Une
religion est un guide pour la vie, un "système de référence"
donc auquel on adhère (ou on n'adhère pas) par "décision
passionnée",
non parce qu'elle est vraie
ou
juste,
mais parce que l'on croit,
d'une croyance inébranlable, qu'une vie
bonne
(ou,
en tout cas, meilleure)
en
dépend. Réduire une religion à une série de prescriptions morales
(vestimentaires, sexuelles, alimentaires, hygiéniques, etc.), c'est
déjà la dénaturer,
c'est l'éloigner de sa destination éthique12.
Mais que dire alors de son instrumentalisation
idéologico-politique
?
Que penser de l'interférence des évangiles chrétiens avec les
questions
législatives
à propos du mariage des personnes de même sexe ou de la fin de vie
? Que penser des soi-disants diktats de la charia'
musulmane en matière de tenue vestimentaire ou en matière de mixité
dans les lieux publics ? Dans les deux cas, il est manifeste que
l'intrusion de l'argumentation religieuse dans
des
questions "sociétales",
comme on dit,
nous
apparaît,
à
nous occidentaux et aujourd'hui13,
comme de nature à polluer les débats,
à brouiller les pistes. Pourquoi n'en va-t-il pas de même lorsque
Theodor Herzl écrit en 1896
: "que
nous le voulions ou non, nous sommes et nous restons un groupe
historique reconnaissable à ses caractéristiques homogènes. Nous
sommes un peuple, et c’est l’ennemi qui nous y contraint malgré
nous […]. Quelle que soit la coloration qu’elle prenne, je
considère la question juive comme n’étant ni religieuse ni
sociale, mais bien nationale. Pour la résoudre, il nous faut avant
tout la poser en termes politiques, à l’échelle mondiale"(Herzl,
l'État
des Juifs)
? Pourquoi cela semble-t-il, aujourd'hui,
être une évidence
?
Pourquoi une évidence
aussi
ce glissement sémantique subreptice de "l'État des Juifs14"
(der
Judenstaat,
en allemand) vers "l'État juif"
(der
jüdische Staat)
chez le même auteur en moins d'une année lorsque celui-ci déclare,
à l'issue du premier Congrès Sioniste réuni à Bâle du 29 au 31
août 1897,
:
"si
je devais résumer le Congrès de Bâle en un mot, ce serait celui-ci
: à Bâle j'ai fondé l'État juif
[...]. Peut-être dans cinq ans et certainement dans cinquante ans,
chacun le saura"(in
Gresh,
Israël,
Palestine : Vérité sur le Conflit)
?
En
prétendant en tirer des conséquences idéologico-politiques, le
sionisme commence
donc clairement
par
instrumentaliser la religion juive, c'est-à-dire par la détourner
de sa fonction éthique pour n'en retenir que l'aspect mythique constitutif de son identité narrative. Comme l'explique l'historien Shlomo Sand dans un article du Monde Diplomatique d'août 2008, celle-ci "est l’œuvre, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, de
talentueux reconstructeurs du passé, dont l’imagination fertile a
inventé, sur la base de morceaux de mémoire religieuse, juive et
chrétienne, un enchaînement généalogique continu pour le peuple Juif"(loc. cit.)15.
Toutefois,
le
fond de l'imposture sioniste
ne
consiste pas à poser l'axiome "les juifs-Juifs sont les élus",
ou l'axiome "les juifs-Juifs ont toujours été persécutés". Ils ne sont évidemment pas la seule ni même la première
communauté dans l'histoire de
l'humanité à se constituer mythiquement en "peuple". L'imposture est
ailleurs : elle consiste, dans un premier temps, à transformer ces
axiomes en faits pour, dans un second temps, en tirer des
conséquences politiques. De sorte que l'on joue sur deux tableaux :
celui de la nécessité
logique
de la conclusion
qui provient de l'axiomatique, et celui de la vérité
empirique du
discours en général qui dérive de sa
soi-disant
factualité.
Développons
le premier point : le sionisme transforme les axiomes en faits.
D'abord,
profitant
de la
difficulté à s'entendre sur une formulation satisfaisante ("État
juif", "État des juifs", "État Juif",
"État des Juifs" ?) sur
laquelle Herzl lui-même a hésité, tout
se passe comme si "juif"
et "Juif" devaient être subrepticement confondus, donc
comme si l'ethnicisation de la religion juive était une évidence
logique. Or, même en admettant que, dans les faits, les termes
"Juif" (nom propre du peuple juif) et "juif" (qualité de qui se réclame de la religion juive), sont effectivement
coréférentiels,
c'est-à-dire dénotent la même entité humaine (de même que
l'Église et
l'ensemble
des
chrétiens ou
l'Oumma et
la communauté des
musulmans), ils n'ont pourtant pas le même sens.
Cette coréférentialité est purement contingente
(historique) et l'on devrait pouvoir
porter un jugement sur la religion juive en
tant que religion sans,
pour autant, s'entendre
accuser de juger
les Juifs en tant que peuple, et réciproquement. Nombreuses
ont été les communautés chrétiennes ou musulmanes qui, au long de
l'histoire, se sont évertuées, tout en revendiquant sans
ambiguïté leur
héritage religieux, à
montrer leur Volksgeist,
comme disait Hegel, c'est-à-dire le "génie de leur peuple"
à intégrer synthétiquement les apports culturels d'autres peuples,
prouvant par
là
que l'essence
religieuse spirituelle et immuable de
ces communautés est distincte de leur
existence historique temporelle et variable.
Bien
entendu, il en va de même
pour
le peuple Juif
dont le génie d'adaptation et d'assimilation n'est plus à
démontrer.
Néanmoins l'ethnicisation de la religion juive par le
sionisme
conduit Herzl à prétendre que, "que
nous le voulions ou non, nous sommes et nous restons un groupe
historique reconnaissable à ses caractéristiques homogènes".
Et quelles peuvent bien être ces "caractéristiques homogènes"
? Certainement pas les caractères "raciaux" que les
Drumont
et autre Vacher de Lapouge prétendront leur avoir "découverts".
Les
"caractéristiques homogènes" dont parle Herzl ne peuvent
être,
comme nous l'avons dit plus haut, que
l'élitisme
et la victimité
constitutifs de l'identité narrative de la communauté religieuse
juive.
Et voilà comment un mythe
"devient"
réalité
!
L'un des avantages rhétoriques les plus considérables de cette
éthnicisation de la religion juive par le sionisme réside dans ses
possibles implications ethno-racialistes16.
Peu
importe, après tout, comme Jonathan Littell le fait dire à un de
ses personnages,
que
le racialisme repose sur une monstrueuse imposture intellectuelle,
que les
"anthropologues
raciaux [...]
sont
des fumistes [...]. Cette philosophie
de vétérinaires,
comme disait Herder, a
volé tous ses concepts à la linguistique17,
la seule science de l'homme jusqu'à ce jour qui ait une base
théorique scientifiquement validée"(Littell,
les
Bienveillantes,
435-436).
En
effet, il n'y a qu'un pas de l'ethnie ou du peuple à la race,
notamment à la fin du XIX° siècle, dans le contexte intellectuel
qui
est celui de la naissance du sionisme, mais qui est encore aujourd'hui très vivace, comme le remarque encore Shlomo Sand : "depuis
les années 1970, en Israël, une succession de recherches
« scientifiques » s’efforce de démontrer, par tous les
moyens, la proximité génétique des Juifs du monde entier. La
« recherche sur les origines des populations » représente
désormais un champ légitimé et populaire de la biologie
moléculaire, tandis que le chromosome Y mâle s’est offert une
place d’honneur aux côtés d’une Clio juive dans une quête
effrénée de l’unicité d’origine du « peuple
élu »"(loc. cit.). Or, si le sionisme réussit à établir la "judéité" sur une base ethno-racialiste18, alors, comme nous allons le voir, l'antisionisme aura alors effectivement un fort goût de racisme.
D'où,
deuxième point que nous devons développer : si
tous ceux qui sont juifs (au sens religieux) sont aussi nécessairement
des
Juifs (au sens ethnique, voire "biologique") et réciproquement, des textes
sacrés de ceux qui sont juifs
on
va être tenté de tirer des
conséquences politiques valables nécessairement
pour
le peuple des Juifs, et plus seulement (ce que fait le Talmud) des conséquences éthiques ou morales destinées à la communauté juive.
Nous avons vu
que l'identité narrative du peuple des Juifs se justifie, comme toute
identité
narrative, qu'elle soit individuelle ou bien collective,
par un certain nombre de mythes fondateurs
dont le mode d'existence est la narration, en l'occurrence narration dans et par les textes sacrés de ceux qui sont juifs. Or il
n'y a pas de confirmation
(ni,
bien entendu, de réfutation)
empirique
possible d'un mythe.
De
même, celui
qui fait de la physique ne confirme
pas la validité des mathématiques. Les phénomènes physiques ne se
déduisent
pas des règles mathématiques. Pour
faire de la physique, il ne faut pas se contenter de jongler
avec des équations. Toutefois,
la physique de celui qui se
laisse guider
par les mathématiques est meilleure
que la physique de celui qui s'y refuse.
De la
même
façon,
l'histoire
ne confirme
aucun
précepte religieux. Les événements sociaux et politiques ne se
déduisent
pas
des préceptes de quelque religion que ce soit. Toutefois, il est
vraisemblable que la vie politique et sociale des communautés qui se
laissent guider
par de tels préceptes est meilleure
que celle des communautés qui en sont dépourvues19.
Mais confondre mathématique et physique, confondre
mythe
et
hypothèse, prophétie et
prévision20,
rêve et
prémonition ou roman et
récit
historique,
de
même que confondre judaïsme et
politique de l'État d'Israël
sont,
au mieux des erreurs, au pire des manipulations grossières.
Manipulations d'autant plus tentantes
d'ailleurs
que,
de même qu'il est très facile au physicien chevronné de faire
croire au béotien que tel
phénomène physique était
mathématiquement prévisible,
de même il est aisé pour le sioniste de faire admettre au quidam
que les événements constitutifs de l'histoire du peuple des Juifs ont
été prophétisés
par
et dans les textes sacrés.
Sauf que, ce qui n'est, après tout, qu'une ruse pédagogique de bon
aloi pour l'un, peut tout à fait se transformer,
chez l'autre,
en machine à formater
l'opinion publique.
Voici ce qu'on peut lire, à titre d'exemple, sur le
site sioniste Beth Yeshua
: "savez-vous
que le premier sioniste de l'histoire biblique, n'est pas Théodore
Herzl, qui n'est qu'un exécutant de la volonté divine, mais Elohim,
le Dieu Tout-Puissant, qui comme le dit ce texte d'introduction, en
est l'Auteur qui agit selon son plan divin. Savez-vous
que nous vivons des temps extraordinaires ?
Puisque
sous nos yeux, en ce 20ème siècle des textes entiers de la
Bible sont en train de s'accomplir
! Le signe particulier, qui
depuis 1948 ne cesse de provoquer dans les nations, étonnement,
intérêt, colère ... ou prière c'est la résurrection du pays
d'Israël. Menace de toutes parts, en but à des problèmes graves,
ce petit pays reste et demeure par la volonté divine"(Paul
Ghennassia, Messages
concernant Israël).
Ce
qui va dans le sens de Herzl
qui
"considère
la question juive comme n’étant ni religieuse ni sociale, mais
bien nationale"
: l'instrumentalisation politique du judaïsme est en
marche.
Car,
pour le sionisme
post-herzlien,
il est
évident
que ces
trois
événements majeurs de l'histoire du XX° siècle qu'ont été,
successivement, l'affaire Dreyfus,
le génocide perpétré par les nazis et la création de l'État
d'Israël par l'Assemblée Générale
des
Nations Unies21
sont la confirmation
empirique de
cette
double composante mythique, à la fois victimaire et élitiste, de
l'identité narrative
de la communauté juive-Juive.
Bref,
tandis que les chrétiens ont,
tant bien que mal, réussi
à maintenir une stricte distinction
entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel (y
compris dans la monarchie absolue),
ou, les musulmans
à établir, plus récemment, une
différenciation entre
l'islamisme
(politique) et l'islam (religieux)22,
les juifs devraient voir dans "ce
20ème siècle23
[où]
des textes entiers de la Bible sont en train de s'accomplir
!"
les preuves
de l'accomplissement des textes sacrés un peu à la manière dont
les calvinistes dont parle Weber voyaient dans leur réussite ou leur
échec personnel la preuve
de
leur prédestination divine24.
Mais
si Weber montre à travers cet exemple que l'on peut toujours tirer d'un mythe un certain nombre de conséquences pratiques rationnelles,
on ne saurait conclure que c'est nécessairement le cas, notamment lorsque cela
conduit une communauté à se doter de l'arme nucléaire pour se prémunir contre un péril biblique réputé déjà partiellement advenu.
Toujours est-il que, désormais, "un
sioniste est un individu qui désire ou soutient la création d’un
État
juif
en terre d’Israël [Eretz
Israel]
à
cause de l’attachement historique du peuple Juif
à cette terre
[...] et l’expression obligatoire qui en découle est «la
loi du retour»"(Avraham
B. Yehoshua, Entretien
à Libération,
30/05/2013).
C'est sans ambiguïté : le sioniste réclame un État
pour les Juifs, autrement dit pour ceux qui sont de confession juive, et exige que cet État25
ait la terre "historique" d'Israël pour territoire comme destination de "retour" : "vierge,
la Palestine attendait que son peuple originel vienne la faire
refleurir. Car elle lui appartenait, et non à cette minorité arabe,
dépourvue d’histoire, arrivée là par hasard "(Shlomo
Sand, loc.cit.). Une
telle définition du sioniste
fait
clairement du
sionisme une idéologie.
Que l'on prenne le terme "idéologie" au
sens que Marx et Engels lui
donnent dans l'Idéologie
Allemande
: "en
toute
idéologie, les hommes et leurs conditions apparaissent
sens-dessus-dessous".
Ce qui est bien le cas ici, puisque ce
n'est pas à cause de leur attachement "historique" à la
"terre d'Israël" que les juifs-Juifs y ont droit à un
État, mais au contraire parce que le "droit au retour"
est posé comme un axiome
qu'il
faut bien, pour retourner quelque part, un endroit d'où l'on a été
chassé.
Ou
qu'on le prenne dans le sens qu'Hannah Arendt lui donne dans le
Système Totalitaire
: "une
idéologie est précisément ce que son nom indique : elle est la
logique d’une idée. L’émancipation de la pensée à l’égard
de l’expérience".
Ce qui est également le cas, puisque la
"loi du retour" est visiblement inférée de la notion de
"terre d'Israël" (Eretz
Israel)
et non de quelque fait historique que ce soit. En
tout cas, la
machine rhétorique
fonctionne
plutôt bien puisque l'assimilation du sionisme
(idéologico-politique)
et du judaïsme (religieux) est apparue,
très tôt,
comme une évidence à bon nombre d'intellectuels. Martin Luther King
n'écrit-il pas, en août 1967 : "tu
déclares, mon ami, que tu ne hais pas les Juifs, que tu es seulement
antisioniste. À
cela je dis, que la vérité sonne du sommet de la haute montagne,
que ses échos résonnent dans les vallées vertes de la terre de
Dieu : quand
des gens critiquent le sionisme, ils pensent Juifs. [...]
L'antisémitisme, la haine envers le peuple Juif, a été et reste
une tache sur l'âme de l'humanité. Nous sommes pleinement d'accord
sur ce point. Alors sache aussi cela : antisioniste signifie de
manière inhérente antisémite, et il en sera toujours ainsi"(Lettre
à un Ami Antisioniste)
?
Nous voici donc parvenus au point Godwin26 de toute attitude méfiante, soupçonneuse ou critique à l'égard de la nature du sionisme : puisque sionisme = judaïsme, si tu n'approuves pas le sionisme, tu es l'ennemi du judaïsme, et, comme le judaïsme est réputé, nous l'avons vu, une propriété exclusive du peuple Juif (juif = Juif), tu es donc aussi l'ennemi du peuple Juif, bref, tu es antisémite ! CQFD. En d'autres termes ceux qui osent élever des objections à l'égard de la politique israélienne sont des racistes. Encore une fois, les sionistes n'ont pas inventé ce genre de prestidigitation rhétorique consistant, au fond, à instrumentaliser médiatiquement une religion à des fins idéologiques (notamment racialistes) et/ou politiques (notamment expansionnistes) : les mêmes amalgames sont manifestement aussi présents dans l'islamisme radical (islam = théocratie), dans l'anti-islamisme de comptoir (musulman = Arabe = terroriste) et dans le fondamentalisme chrétien (croisades, guerres de religions, etc.). Cependant, il est frappant de constater à quel point le sionisme fait tout de même, du point de vue de l'amalgame médiatique entre religion, idéologie et politique, figure d'exception. Exception déjà la notion d'antisémistisme que la signification de l'acronyme "L.I.C.R.A." (Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme) distingue, à l'évidence, du racisme "ordinaire" par la conjonction et. Exception d'autant plus surprenante que ce racisme "spécial" que constituerait, selon la L.I.C.R.A., l'antisémitisme ne concerne plus, aujourd'hui, que les Juifs ... et non pas les Arabes, par exemple, alors que l'origine linguistique de l'adjectif "sémite" (cf. note 17) devrait, en toute bonne logique, inclure aussi ces derniers. En ce sens, s'il ne fait pas de doute que les Juifs ont été et sont encore souvent en butte à l'insondable bêtise antisémite, il saute aux yeux aussi que les Arabes l'ont été et le sont tout autant, notamment de la part des Juifs eux-mêmes d'ailleurs. Mais, en restreignant le sens du terme "antisémitisme" au seul racisme anti-Juif, les lobbies sionistes (au premier rang desquels la L.I.C.R.A. et le C.R.I.F. en France) entendent, à l'évidence, établir une différence de nature entre les persécutions dont a été et est encore victime le "peuple" Juif et celles qui ont touché ou touchent les autres communautés. Exception aussi et par conséquent cette posture victimaire systématique dont, seuls, bénéficient a priori les juifs-Juifs-Israéliens. Ce n'est, en effet, le cas pour aucune autre communauté humaine historiquement persécutée, ni pour les Palestiniens auxquels les sionistes ont tout de même infligé une nakba27, ni même pour les autres peuples tels que les Arméniens ou les Tutsis qui, tout comme les Juifs, ont eu à subir un génocide28. Exception d'autant plus hallucinante que, depuis la guerre de 1948 jusqu'aujourd'hui, la plupart des conflits armés dans lesquels est impliqué l'état d'Israël sont des guerres d'agression médiatiquement présentées comme des guerres préventives29. Exception encore l'appropriation et le détournement de la notion de juste qui, dans son acception judaïque30, désigne les gentils (ceux qui sont non-juifs) qui craignent et prient le Dieu de la Torah et qui, par un tour de passe-passe idéologico-politique31, devient une distinction honorifique destinée à récompenser, après passage devant une commission juridictionnelle israélienne, ceux et celles qui, au péril de leur vie, ont tenté de soustraire des griffes des nazis des êtres humains voués à l'extermination. Non pas, bien entendu, que de telles manifestations d'héroïsme ne méritent pas hommage et récompense, mais il est probable que c'est parce que ces personnes possédaient une certaine idée de la justice (qui, d'ailleurs, ne correspond pas nécessairement au sens restreint que le judaïsme donne à ce ce terme) qu'ils ont contribué à sauver leurs frères en humanité et non pas parce qu'ils les ont sauvés qu'ils sont "justes". Exception enfin, et sans doute la plus remarquable de toutes, que celle qui fait du sionisme comme idéologie politique dénaturant la religion juive, un sujet de réprobation de la part de certaines autorités cléricales de cette même religion. Voici, à titre d'exemple32, ce qu'écrit le rabbin Joseph Agassi : "cette idéologie considère l'antisémitisme comme inéluctable et Israël comme le seul endroit au monde où les juifs puissent se trouver en sécurité. [...] La plupart des dirigeants de la diaspora n'ont pas de meilleur programme que de défendre Israël en se fondant sur le principe vicié suivant : « mon pays, qu'il ait raison ou tort » [...]. Étant donné que les sionistes, tant juifs que chrétiens, nient toute légitimité à l'antisionisme, ce débat demeure étouffé de nos jours. L'importance de se familiariser avec l'antisionisme fondé sur la Torah n'est que trop évidente ; l'ignorer ne fait que renforcer le culte de la vache sacrée du sionisme moderne. [...] Quand on parle d'État juif pour désigner Israël, par exemple, cela donne lieu à une confusion aussi réelle que dangereuse entre la foi et la nationalité"(au Nom de la Torah, une Histoire de l'Opposition Juive au Sionisme, préf.). Ce qui, grosso modo, résume nos propres arguments. Mais, comme le dit le rabbin Agassi, "étant donné que les sionistes, tant juifs que chrétiens, nient toute légitimité à l'antisionisme, ce débat demeure étouffé de nos jours". Ce sont les raisons de cet obscurantisme universel dans les media occidentaux à l'égard de la figure du juif-Juif, autrefois paradigme de la fourberie et de la perversité33 et aujourd'hui paré de toutes les vertus, que nous allons tenter d'approcher à présent.
Nous voici donc parvenus au point Godwin26 de toute attitude méfiante, soupçonneuse ou critique à l'égard de la nature du sionisme : puisque sionisme = judaïsme, si tu n'approuves pas le sionisme, tu es l'ennemi du judaïsme, et, comme le judaïsme est réputé, nous l'avons vu, une propriété exclusive du peuple Juif (juif = Juif), tu es donc aussi l'ennemi du peuple Juif, bref, tu es antisémite ! CQFD. En d'autres termes ceux qui osent élever des objections à l'égard de la politique israélienne sont des racistes. Encore une fois, les sionistes n'ont pas inventé ce genre de prestidigitation rhétorique consistant, au fond, à instrumentaliser médiatiquement une religion à des fins idéologiques (notamment racialistes) et/ou politiques (notamment expansionnistes) : les mêmes amalgames sont manifestement aussi présents dans l'islamisme radical (islam = théocratie), dans l'anti-islamisme de comptoir (musulman = Arabe = terroriste) et dans le fondamentalisme chrétien (croisades, guerres de religions, etc.). Cependant, il est frappant de constater à quel point le sionisme fait tout de même, du point de vue de l'amalgame médiatique entre religion, idéologie et politique, figure d'exception. Exception déjà la notion d'antisémistisme que la signification de l'acronyme "L.I.C.R.A." (Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme) distingue, à l'évidence, du racisme "ordinaire" par la conjonction et. Exception d'autant plus surprenante que ce racisme "spécial" que constituerait, selon la L.I.C.R.A., l'antisémitisme ne concerne plus, aujourd'hui, que les Juifs ... et non pas les Arabes, par exemple, alors que l'origine linguistique de l'adjectif "sémite" (cf. note 17) devrait, en toute bonne logique, inclure aussi ces derniers. En ce sens, s'il ne fait pas de doute que les Juifs ont été et sont encore souvent en butte à l'insondable bêtise antisémite, il saute aux yeux aussi que les Arabes l'ont été et le sont tout autant, notamment de la part des Juifs eux-mêmes d'ailleurs. Mais, en restreignant le sens du terme "antisémitisme" au seul racisme anti-Juif, les lobbies sionistes (au premier rang desquels la L.I.C.R.A. et le C.R.I.F. en France) entendent, à l'évidence, établir une différence de nature entre les persécutions dont a été et est encore victime le "peuple" Juif et celles qui ont touché ou touchent les autres communautés. Exception aussi et par conséquent cette posture victimaire systématique dont, seuls, bénéficient a priori les juifs-Juifs-Israéliens. Ce n'est, en effet, le cas pour aucune autre communauté humaine historiquement persécutée, ni pour les Palestiniens auxquels les sionistes ont tout de même infligé une nakba27, ni même pour les autres peuples tels que les Arméniens ou les Tutsis qui, tout comme les Juifs, ont eu à subir un génocide28. Exception d'autant plus hallucinante que, depuis la guerre de 1948 jusqu'aujourd'hui, la plupart des conflits armés dans lesquels est impliqué l'état d'Israël sont des guerres d'agression médiatiquement présentées comme des guerres préventives29. Exception encore l'appropriation et le détournement de la notion de juste qui, dans son acception judaïque30, désigne les gentils (ceux qui sont non-juifs) qui craignent et prient le Dieu de la Torah et qui, par un tour de passe-passe idéologico-politique31, devient une distinction honorifique destinée à récompenser, après passage devant une commission juridictionnelle israélienne, ceux et celles qui, au péril de leur vie, ont tenté de soustraire des griffes des nazis des êtres humains voués à l'extermination. Non pas, bien entendu, que de telles manifestations d'héroïsme ne méritent pas hommage et récompense, mais il est probable que c'est parce que ces personnes possédaient une certaine idée de la justice (qui, d'ailleurs, ne correspond pas nécessairement au sens restreint que le judaïsme donne à ce ce terme) qu'ils ont contribué à sauver leurs frères en humanité et non pas parce qu'ils les ont sauvés qu'ils sont "justes". Exception enfin, et sans doute la plus remarquable de toutes, que celle qui fait du sionisme comme idéologie politique dénaturant la religion juive, un sujet de réprobation de la part de certaines autorités cléricales de cette même religion. Voici, à titre d'exemple32, ce qu'écrit le rabbin Joseph Agassi : "cette idéologie considère l'antisémitisme comme inéluctable et Israël comme le seul endroit au monde où les juifs puissent se trouver en sécurité. [...] La plupart des dirigeants de la diaspora n'ont pas de meilleur programme que de défendre Israël en se fondant sur le principe vicié suivant : « mon pays, qu'il ait raison ou tort » [...]. Étant donné que les sionistes, tant juifs que chrétiens, nient toute légitimité à l'antisionisme, ce débat demeure étouffé de nos jours. L'importance de se familiariser avec l'antisionisme fondé sur la Torah n'est que trop évidente ; l'ignorer ne fait que renforcer le culte de la vache sacrée du sionisme moderne. [...] Quand on parle d'État juif pour désigner Israël, par exemple, cela donne lieu à une confusion aussi réelle que dangereuse entre la foi et la nationalité"(au Nom de la Torah, une Histoire de l'Opposition Juive au Sionisme, préf.). Ce qui, grosso modo, résume nos propres arguments. Mais, comme le dit le rabbin Agassi, "étant donné que les sionistes, tant juifs que chrétiens, nient toute légitimité à l'antisionisme, ce débat demeure étouffé de nos jours". Ce sont les raisons de cet obscurantisme universel dans les media occidentaux à l'égard de la figure du juif-Juif, autrefois paradigme de la fourberie et de la perversité33 et aujourd'hui paré de toutes les vertus, que nous allons tenter d'approcher à présent.
Dans
mon article intitulé Actualité
de la Phylakocyônie (les Chiens de Garde aboient ...),
je tentais de souligner à quel point nos institutions médiatiques
se comportent, le plus souvent, comme les chiens de garde d'un espace
socio-économique mondialisé et caractérisé par la sanctification
d'un capitalisme présenté comme l'horizon indépassable de
l'essence de l'humanité. Et je citais Paul Nizan qui, le premier, a
utilisé l'expression "chiens de garde" en ce sens : "étant
les productions de la démocratie bourgeoise, [les chiens de garde]
édifient avec reconnaissance tous les mythes qu'elle demande"(Nizan,
les
Chiens de Garde,
iv). L'exemple
le plus récent de cette évidente collusion est le traitement
médiatique auquel
a donné lieu l'opération belliqueuse euphémiquement dénommée "Bordure Protectrice" (guerre
"préventive" oblige) que l'État d'Israël a menée du
8 juillet au 26 août 2014 dans la bande de Gaza.
En effet, tandis que le bilan numérique "humain" de ladite
opération se monte,
du
côté gazaoui,
à
2147 morts (dont 81% de civils)
et à
72
morts (dont 6 civils) du
côté israélien, tandis que l'opération lancée par l'armée israélienne dans la bande Gaza en représailles des attentats meurtriers (2000 victimes israéliennes) perpétrés et revendiqués par le Hamas le 7 octobre 2023 a déjà fait, deux mois après son déclenchement, près de 16000 victimes, presque toutes civiles, tous
les grands media
occidentaux
se
sont livrés à une
relation
à sens unique34
dont la partialité ferait hurler de rire si l'affaire n'était pas
si grave, traitement qui consiste à s'apitoyer longuement sur le
sort des uns, invariablement considérés comme les victimes en
passant sous silence la détresse des autres, forcément les
bourreaux, oubliant au passage que lorsque les "victimes"
riches
et surarmées
font
plus de victimes que les "bourreaux" réduits à user d'armes artisanales (des roquettes, des cocktails molotov, voire des pierres, comme dans la Première Intifada de 1987), il y a, pour dire le
moins, un problème de logique du langage.
Mais
il
se pourrait bien que la complaisance caricaturale avec laquelle
lesdits media
promeuvent,
entretiennent et perpétuent,
d'une manière générale,
le mythe sioniste
de la victimité vertueuse ne
soit, en
fin de compte, que la
conséquence nécessaire d'une communauté d'intérêts économiques
entre celui-ci
et ceux-là.
Le
sionisme, avons-nous dit, n'est qu'une récupération à des fins
idéologiques et politiques des grands mythes fondateurs de la
religion juive, notamment celui de la persécution d'une communauté
élue. Or, dans l'environnement capitaliste mondialisé qui
caractérise la deuxième moitié du XX° siècle, un signe manifeste
d'"élection" consiste dans la "réussite économique"
au sens du capitalisme, cela
va de soi, c'est-à-dire
au
sens d'une propension
à "créer de la richesse", autrement dit à maximiser les
profits des entrepreneurs
privés.
Si,
comme
par hasard, quelques milliardaires américains, et non des moindres
(Bille Gates, Warren Buffett,
Donald Trump) se sont extasiés devant
la "réussite économique" israélienne35,
c'est que l'expansionnisme
politique36
et militaire37
de
l'État (des) juif(s)-Juif(s) ne
sont que la vitrine de
l'impérialisme
sioniste qui,
comme tout impérialisme moderne,
est avant
tout un
impérialisme économique. En effet, "si
l'on devait définir l'impérialisme aussi brièvement que possible,
il faudrait dire qu'il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette
définition embrasserait l'essentiel, car, d'une part, le capital
financier est le résultat de la fusion du capital de quelques
grandes banques monopolistes avec le capital de groupements
monopolistes d'industriels ; et, d'autre part, le partage du monde
est la transition de la politique coloniale, s'étendant sans
obstacle aux régions que ne s'est encore appropriée aucune
puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession
monopolisée de territoires d'un globe entièrement partagé"(Lénine,
l'Impérialisme,
Stade Suprême du Capitalisme).
Bien entendu, une telle définition de l'impérialisme comme tendance
irrésistible du capitalisme financier à conquérir, dans un premier
temps de nouveaux marchés, pour,
dans un second temps,
s'octroyer le monopole d'exploitation d'une part toujours
croissante du
marché existant, cette définition, donc, vaut pour toutes les
firmes capitalistes en général. Mais on doit reconnaître que,
de ce point de vue, en concentrant leurs efforts à la fois dans
l'espace (les territoires occupés pour l'expérimentation et
la démonstration de l'efficacité de
leurs
produits
high-tech,
les États-Unis et
l'Europe pour
l'exportation des mêmes produits), dans le temps (ces vingt
dernières années) et sur des secteurs bien identifiés (armement,
informatique, télécommunication)
certaines entreprises israéliennes sont tout à fait exemplaires.
Ce
n'est certainement
pas
un
hasard si, comme le soulignent Senor et Singer dans un livre paru en
2009 et intitulé (en traduction française) Israël,
la Nation Start-up,
Israël est au second rang mondial par le nombre de ses firmes cotées
au Nasdaq38,
juste
derrière les États-Unis
et au premier pour le nombre de ses start-up
rapporté au nombre de sa population.
Ce n'est pas un hasard non plus si "la
bourse de Tel Aviv était plus élevée le dernier jour de la guerre
du Liban que le premier, comme cela avait été le cas après
l’opération militaire à Gaza en 2009"(op.
cit.).
Explication avancée par les auteurs de l'ouvrage pour
un tel "dynamisme" économique : "l’adversité
comme la nécessité de survivre sont mère de l’inventivité. Mais
cela ne peut suffire à expliquer le mystère israélien. Il existe
quelque chose de spécifiquement « Juif » là dedans.
[Mais] Israël
est en fait l’opposé d’un pays juif unidimensionnel
…
C’est un melting-pot monothéiste issu d’une diaspora qui a
apporté avec elle des cultures, des langues et des coutumes des
quatre coins du monde"(op.
cit.).
Nous retrouvons là deux thèmes bien connus et qui sont chers au
sionisme militant : d'une part l'"adversité"
et la
"nécessité
de survivre" pour une population par nature en
butte à l'hostilité
généralisée, d'autre part l'"inventivité"
et ce
petit "quelque
chose de spécifiquement « Juif »",
bref, le génie d'une population d'élite. Voilà comment on fabrique du "racisme positif", si j'ose dire, c'est-à-dire du racisme valorisant pour la communauté humaine qui en est l'objet. Comme le dit Abraham Léon en 1942 (avant d'être déporté à Auschwitz et d'y mourir) : "c'est
le développement effréné des forces productives se heurtant aux
limites étroites de la consommation qui constitue la force motrice
véritable de l'impérialisme, le stade suprême du capitalisme. Mais
c'est la Race qui semble être sa force apparente la plus
caractéristique. La racisme, c'est donc d'abord le déguisement
idéologique de l'impérialisme moderne. La « race luttant pour son
espace vital » n'est rien d'autre que le reflet de la nécessité
permanente d'expansion qui caractérise le capitalisme financier ou
le capitalisme des monopoles"(Léon, la Conception
Matérialiste de la Question Juive, vii). Après tout, le racisme anti-juif des nazis, tout comme le racisme anti-arabe des sionistes peut être lu comme le corrélat du "racisme positif" dont a été, jadis, revêtu le "peuple" Aryen et, aujourd'hui, le "peuple" Juif, l'un et l'autre étant réputés lutter pour leur Lebensraum. Pour autant, nous assurent Senor et Singer, cet
élitisme dans l'adversité reste très convivial puisque
compatible avec
"des
cultures, des langues et des coutumes des quatre coins du monde".
Paradoxe ? Pas du tout. C'est que, contrairement au racisme nazi, qui était uniquement agressif, le racisme sioniste peut compter sur l'amalgame apaisant entre le mythe du "cosmopolitisme" Juif et celui du "village mondial" cher à Marshall Mc Luhan (le "village mondial" n'étant d'ailleurs que la traduction de la cosmopolis grecque). Finalement, il n'y a rien d'étonnant à ce que l'idéologie
sioniste
bénéficie d'une telle cote de popularité médiatique puisque, d'une part elle exprime l'expansionnisme
militaro-industriel agressif dont les aspects financiers ne sont rien moins que nécessaires à la survie du capitalisme, mais, d'autre part, elle donne une image positive, à travers la multiculturalité de sa diaspora, de la notion toujours un peu floue de mondialisation. La
révérence des media
occidentaux
à
l'égard du sionisme se comprend alors parfaitement : le sionisme, au
fond, apparaît comme de nature à réhabiliter ce capitalisme, certes un peu brutal dans ses aspects financiers, mais tellement consensuel du point de vue culturel, ce capitalisme qui, précisément, les fait
vivre,
eux, les media.
Or nul n'est
tenu de scier la branche sur laquelle il est assis. Cela vaut bien
quelque complaisance au sujet des
exactions sionistes qui
sont immanquablement requalifiées en simples bavures collatérales
commandées par la nécessité de se défendre contre le terrorisme.
Entendons-nous
bien : il n'y a,
de la part des media,
ni admiration
béate,
ni complot,
mais simple convergence objective
d'intérêts
économiques.
On ne peut pas dire que les media
admirent
(au
sens d'Adam
Smith)
le sionisme
: "notre
déférence à l’égard de ceux qui nous sont supérieurs naît
plus souvent de l’admiration pour les avantages de leur situation
que d’une secrète espérance d’un bienfait provenant de leur bon
vouloir, lequel ne peut concerner qu’un petit nombre, tandis que
leur fortune intéresse presque tout le monde"(Smith,
Théorie
des Sentiments Moraux,
I, iii, 3). Car, pour Smith, ce sont les pauvres qui admirent les
riches. Et
dans
notre cas d'espèce, ce sont des
riches (les grandes entreprises de communication cotées au Nasdaq)
qui encensent des
riches (d'autres firmes cotées au Nasdaq). On
reste donc entre soi. Pour
autant,
il n'y a pas non
plus de complot. Il n'y a pas d'accord
rationnel qui serait conclu entre les media
et
je ne sais quel pouvoir sioniste occulte, mais plutôt ce que
Bourdieu appelle un habitus
: "l’habitus,
nécessité faite vertu, produit des stratégies qui, bien qu’elles
ne soient pas le produit d’une visée consciente de fins
explicitement posées sur la base d’une connaissance adéquate des
conditions objectives, ni d’une détermination mécanique par des
causes, se trouvent être objectivement ajustées à la situation.
L’action que guide le
"sens
du jeu"
a
toutes les apparences de l’action rationnelle que dessinerait un
observateur impartial [...], et pourtant, elle n’a pas la raison
pour principe"(Bourdieu,
Choses
Dites).
Rien d'étonnant, derechef,
à ce qu'il existe un habitus
professionnel
spontané des media occidentaux
à être en empathie avec ces entités économiques qui,
tout en étant l'expression économique
du sionisme, occupent la même position qu'eux sur le marché des
produits et services à très forte valeur ajoutée et qui, pour
cette raison, se serrent mutuellement les coudes pour en perpétuer
des
règles du jeu
qui leur réussit plutôt bien.
Voilà pourquoi les media
ont
irrésistiblement tendance à promouvoir implicitement
l'impérialisme
sioniste.
Là,
en revanche, où on pourrait
admettre que
les media
occidentaux
manifestent, effectivement, une admiration sans
borne
à l'égard du sionisme, c'est en considération
du caractère cynique de celui-ci. Expliquons-nous.
Peter Sloterdijk définit le cynisme39
de la manière suivante : "les
mass-media
modernes veillent à un nouveau conditionnement artificiel des
consciences dans l’espace social. [...] Des informations inondent
la conscience « téléifiée » avec du matériel du monde
sous forme de particules d’information ; en même temps, les
mass-media
dissolvent le monde en paysages fluorescents de nouvelles qui
apparaissent sur le petit écran de la conscience du moi. Les media
possèdent en effet la force de réorganiser ontologiquement la
réalité comme réalité dans notre tête"(Sloterdijk,
Critique
de la Raison Cynique).
En "téléifiant", notamment, les massacres perpétrés par
la soldatesque sioniste, c'est-à-dire en concevant à leur
sujet des sortes de video
clips
dans lesquels les images se succèdent de manière haletante et
fantastique,
les media
occidentaux
remplissent une fonction essentielle pour la survie du capitalisme :
le spectacle. Les
media,
en effet, savent bien qu'ils s'adressent à des consommateurs
d'images abreuvés, dès leur plus jeune âge, à
un
flux permanent d'images.
Ce que sachant, il s'agit, pour chaque network,
de se livrer à une concurrence effrénée au sensationnel afin de ne
par perdre (et même, si possible, de gagner) de ces précieuses
parts du marché publicitaire dont la manne financière est
irrévocablement proportionnelle au résultat des mesures d'audience.
Or, ce que souhaite le téléspectateur ou le lecteur moyen abruti
par son addiction
au divertissement hallucinogène,
ce
qui conditionne donc sa fidélité à un canal médiatique donné,
c'est
qu'il
y ait du
spectacle, de l'entertainement.
Pas forcément gore,
d'ailleurs, pas forcément trash.
En tout cas, pas au moment du repas, pas au moment où les gosses
regardent ! Mais du spectacle qui,
comme on
dit,
"vous
scotche", "vous
vide
la tête", "vous
fait
monter l'adrénaline" et autres expressions tirées du champ
lexical de la médecine psychotrope.
Or,
rien n'est plus spectaculaire, en ce sens, que l'information sur
l'"actualité", cette fameuse "réalité" dont
les
commentaires journalistiques se plaisent à
souligner à quel point elle "dépasse la fiction", ne
fût-ce qu'en raison de son caractère imprévisible
(d'où le succès du "direct").
Ce
qui ne veut pas dire,
d'ailleurs,
que
l'efficacité cynique
de l'infotainment
(l'info-spectacle)
réside
dans son
contenu
(massacres de Gaza et match du PSG sont, de ce point de vue, tout
à fait interchangeables),
mais plutôt
dans
sa forme spectaculaire même. Car "le
spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social
entre des personnes
[dans
lequel] toute
activité est niée"(Debord,
la
Société du Spectacle,
§27). Ou, comme le fait dire Ray Bradbury à son héros Montag,
"bourrez
les gens de données incombustibles, gorgez-les de
"faits",
qu'ils se sentent gavés, mais absolument
"brillants"
côté
information. Ils auront alors l'impression de penser, ils auront le
sentiment du mouvement tout en faisant du sur-place"(Bradbury,
Farenheit
451).
Bref, l'"information"
au sens spectaculaire
que
lui donnent
nos media
isole, rend passif et interdit de penser. Et,
précisément, avec
ces
flux d'images vendues systématiquement
par
le
service d'information et de communication de l'armée israélienne, on est dans du
sérieux, du solide. L'impact sur le spectateur est garanti, pour peu
qu'il soit accompagné d'un commentaire lénifiant rabâchant,
avec quelques éléments de langage
appropriés,
non
pas directement
les
fondamentaux idéologiques du sionisme
(élitisme
et
victimité
du Juif,
identification du juif et du Juif, identification
de l'État (des) juif(s)-Juif(s) à la Terre d'Israël), mais
plutôt leurs
conséquences cyniques :
l'État d'Israël ne fait que se défendre contre le terrorisme, et
elle fait avec un maestria
qui
force le respect.
Et
c'est là, sans doute que l'on peut parler d'admiration médiatique
pour la perfection formelle de ces images que les media
complices
n'eussent probablement pas pu concevoir par eux-mêmes
et que les services de communication de l'armée israélienne leur vendent "clés
en main"40.
De la sorte, l'ordre
géopolitique ou économique (c'est la même chose) règne, et pour
longtemps.
Car
ce qu'il y a derrière ces images bien léchées, c'est que
les bons
soldats
israéliens ne se contentent pas de défendre leur
territoire
perfidement attaqué par les méchants
terroristes
palestiniens, mais ils défendent aussi nos
valeurs occidentales
menacées
par l'islamisme. De
même que l'opinion doit
confondre
Israélien, Juif et juif, elle doit
confondre aussi
Palestinien, Arabe,
musulman
et islamiste. Voilà, en l'occurrence, en quoi consiste le
"conditionnement" médiatique, c'est-à-dire le cynisme dont
parle Sloterdijk et qu'on pourrait, avec une bonne dose d'humour noir, requalifier en cyonisme !
Déjà,
à une époque où l'on ne parlait pas de media
mais,
simplement,
de rhétorique sur l'Agora, Platon soulignait que "la
rhétorique exige une âme perspicace et naturellement habile dans
les relations humaines.
[La
flatterie] a pris le masque de l'art sous lequel elle se trouvait,
[elle] n'a aucun souci du meilleur état de son objet, et c'est en
agitant constamment l'appât du plaisir qu'elle prend au piège la
bêtise, qu'elle l'égare"(Platon,
Gorgias,
463b-464d). Plus que jamais,
en effet,
le
genre d'"information" que
nous avons évoqué a
clairement pour fonction rhétorique
de "pièger
la bêtise", d'"égarer", de
dissimuler ce qui, étant problématique, risquerait de donner à
penser. À penser aux enjeux humains de la guerre41,
par exemple. Par "enjeux humains", je n'entends pas le
seul décompte des
morts et des
blessés, à quoi les
media
réduisent la plupart du temps
les bilans "humains" des conflits armés,
mais plutôt
ce qui
fait que, à l'issue d'un acte de guerre, ceux
qui ont survécu à ces
opérations, en général, vivent
plus mal qu'avant.
Or,
depuis les premières destructions sionistes des années 1920 en
Palestine jusqu'aux derniers (last
but not least !)
massacres
à Gaza, l'état de guerre permanente qu'un occupant surarmé a
imposé à des populations traditionnellement
rurales ne peut pas ne pas avoir profondément et durablement (ça
fait presque un siècle que ça dure !) déterminé une impossibilité
de vivre, je
veux dire de vivre une vie authentiquement humaine et non seulement
de survivre au sens animal du terme.
On admet généralement, depuis Aristote42,
qu'une vie humaine digne de ce nom consiste à vivre, sinon heureux,
sinon bien, du moins le mieux possible.
En d'autres termes, une vie authentiquement humaine doit, par
définition, être grosse d'un avenir meilleur
que le présent.
C'est ce que, s'adressant à l'occupant sioniste, le grand poète
palestinien Mahmoud Darwich proclame,
tout à la fois avec rage et modestie, lorsqu'il dit : "nous
avons à faire dans notre terre.
Nous
avons à cultiver le blé,
à
l’abreuver de la rosée de nos corps.
Nous
avons ce qui ne vous agrée pas ici,
pierres
et perdrix.
Alors,
portez le passé, si vous le voulez,
au
marché des antiquités
[...]. Nous
avons ce qui ne vous agrée pas.
Nous
avons l’avenir.
Et
nous avons à faire dans notre pays"(Darwich,
Palestine,
mon Pays).
Or,
quel avenir a-t-il, ce paysan que
la guerre a privé
d'un
œil, ou d'une
jambe, ou d'un bras, ou d'une main ? Déjà, dans les tranchées de
1914-1918, Gabriel Chevallier soulignait à quel point le soldat
mutilé voit se rétrécir pour lui l'éventail des possibles : "il
a les deux mains emportées, ses deux mains de cultivateur ou
d'ouvrier, ses machines, son gagne-pain [...]. Elles lui manquent
déjà pour souffrir, pour satisfaire ce besoin si naturel, si
habituel qui consiste à les porter à l'endroit douloureux qu'elles
serrent, afin de calmer. Elles lui manquent pour se tordre, se
crisper et supplier. Celui-là ne pourra plus jamais toucher.
Je réfléchis que c'est peut-être le plus précieux des
sens"(Chevallier,
la
Peur,
I,
v).
De même, Jean Giono : "en
pleurant, il [Jérôme, le papé] regarde sa grosse main droite toute
déformée [...]. - Alors, comme ça, [dit
Julia] on a coupé le bras de Joseph. Le droit. C'est fait, ça n'est
plus une chose à faire, c'est écrit dessus la lettre que c'est fait
... Le bras ! La main et tout ! On lui a coupé le bras ! C'est
possible, ça ? Comment on a fait ça ? Pourquoi ? Il a souffert !
.... Oh, Joseph ! Mon pauvre ! ... Et alors maintenant, de ce côté,
tu n'as plus rien ? Plus de bras ? [...] Ce bras qu'on a coupé ! Mon
bras, celui qui venait là autour de moi, si chaud, si dur, si bien
solide dans la valse et tout ! Cette main qui était sur moi ! [...]
C'est avec cette main qu'il m'a touchée la première fois. Elle a
touché tout le rond de ma joue. Elle est venue sur ma bouche et sur
mes yeux. C'est avec cette main qu'il m'a connue, après ... Joseph !
Mon pauvre ! Alors, maintenant, tu vas t'en aller tout de moitié
dans la vie? Alors maintenant, tu ne me toucheras plus de cette main,
dis ?"(Giono,
le
Grand Troupeau,
160-164)43.
Certes,
ceci vaut
pour
toutes les victimes de toutes les guerres
sans exception.
Sauf que le
cynisme, cette "force
de réorganiser ontologiquement la réalité comme réalité dans
notre tête"
dont parle Sloterdijk, atteint sans doute des sommets vertigineux
lorsque
le site officiel
Armée
de Défense d'Israël
n'hésite pas à parler, à propos des interventions armées
"défensives" des soldats israéliens, de "code
éthique de conduite", d'"esprit de Tsahal", de
"pureté des armes" (sic
!),
en ces termes : " Pureté
des armes — les hommes et femmes de Tsahal n'utiliseront leurs
armes et leur force que dans l'objectif et dans le cadre strict de
leur mission et conserveront leur humanité même durant les combats.
Les soldats de Tsahal n'utiliseront pas leurs armes et leur force
pour faire du mal à des êtres humains qui ne sont ni combattants ni
prisonniers de guerre et ils feront tout ce qui est en leur pouvoir
pour éviter de causer des dommages à leurs vies, leurs corps, leur
dignité et leur propriété"(loc.
cit.).44
C'est sans doute la première fois, dans l'histoire de l'humanité,
qu'une force armée enrobe ses exactions d'une telle dose de
"moraline", comme disait Nietzsche
: assurément,
ni
les Huns, ni les Croisés, ni la Wehrmacht
n'y eussent pensé !
Cynisme
des media
occidentaux
vis
à vis du sionisme à l'œuvre, cynisme du sionisme à l'œuvre vis à
vis des media
occidentaux.
Là encore,
pas de hasard : le capitalisme a besoin de ce déni permanent
de réalité.
D'un côté l'image idéalisée
d'une guerre "défensive, juste et propre" gorgée de cette
idéologie sentimentale des "droits de l'homme" dont la
démocratie bourgeoise est si friande, de
l'autre, la réalité de la colonisation, de l'humiliation, de la
mutilation, de la destruction : ""Nous
vous annonçons la bonne nouvelle de la civilisation" a dit
l'Étranger, et il a dit "Je suis le seigneur du temps, venu
recevoir la terre de vos mains" [...]. Ô, maître des Blancs,
où emportes-tu mon peuple et le tien ? Vers quel gouffre ce robot
hérissé d'avions et de porte-avions entraîne-t-il la terre ? Vers
quel gouffre béant montez-vous ? Et tout ce que vous désirez vous
échoit. La nouvelle Rome, la Sparte de la technologie et l'idéologie
de la folie"(Darwich,
au
Dernier Soir sur cette Terre).
Car, la vérité dernière du capitalisme, c'est que
"l’enrichissement
capitaliste a pour condition l’appauvrissement du travailleur ; il
y a une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et
l’accumulation de la misère"(Marx,
le
Capital,
I, xiv)45.
En clair, la prospérité économique de l'État d'Israël,
c'est-à-dire, en fait, celle
des
riches milieux d'affaires israéliens, qui,
comme nous l'avons vu, fait partie de l'élite du capitalisme
mondialisé, dépend,
entre autres facteurs
(l'autre étant l'existence de débouchés en Europe et en Amérique),
de la misère économique de ses voisins, ne fût-ce qu'en raison de
la faiblesse des coûts de main d'œuvre
clandestine et frontalière qu'induit cette situation46.
Voilà
pourquoi il ne fait guère de doute que les
media
occidentaux
soient admiratifs devant le cynisme de
la Weltanschauung
sioniste.
Mais il y a probablement une troisième raison à l'indulgence systématique de nos media à l'égard de la réalité profonde du sionisme. C'est que le sionisme est le modèle le plus achevé de la société capitaliste (dont les media sont les plus fidèles chiens de garde) d'un autre point de vue encore : en ce que celle-ci comme celui-là sont irrémédiablement condamnés à la fuite en avant. C'est tragique. Au sens littéral du terme : leur destin ne leur laisse pas le choix, il leur faut fuir ou périr. Marx et Engels avaient déjà établi que ce soi-disant amour du progrès qui anime la bourgeoisie n'est rien d'autre que la nécessité, pour subsister en tant que classe dominante, de trouver toujours de nouveaux débouchés commerciaux afin de rentabiliser son capital47. Marcuse a montré que le mouvement de modernisation comme valeur cardinale de la société capitaliste n'était rien d'autre qu'un processus sans fin d'augmentation, non seulement de la productivité du travail, mais aussi de la propension à consommer48. Processus infini dont Hannah Arendt a d'ailleurs expliqué en quoi le totalitarisme constitue, in fine, la seule issue possible49. Cette fuite en avant, et toute la phraséologie de valorisation du mouvement et de la nouveauté qui va avec, et qui se retrouve, notamment, dans l'obsession de l'économie politique à voir maximiser des "taux de croissance", est la conséquence nécessaire de la règle fondamentale du capitalisme : toujours plus50. Ce qui suppose qu'il faut bien se résoudre à exercer, contre la nature en général et la nature humaine en particulier, une violence sans fin. En effet, comme le dit Aristote, "les êtres naturels sont ceux qui ont en eux-mêmes un principe de mouvement ou de repos [...] ; la violence permet de mettre en mouvement ce qui ne possède pas en soi-même le principe de son propre mouvement"(Aristote, Physique, II, 192b)51. Certes, de ce point de vue, toute culture est une anti-nature, donc une violence, mais "la culture cherche toujours à reproduire l'état d'esprit le plus favorable à la perpétuation de l'ordre différencié"(Girard, la Violence et le Sacré, xi). Sauf que "les hommes sont maintenant parvenus si loin dans la domination des forces de la nature qu'avec l'aide de ces dernières il leur est facile de s'exterminer les uns les autres jusqu'au dernier"(Freud, Malaise dans la Culture, viii). Or, si on appelle "capitalisme" la forme optimale qu'a, jusqu'à présent, revêtu la domination des forces de la nature, on doit reconnaître alors que le sionisme est à la pointe du capitalisme : agressivité économique des entreprises israéliennes, agressivité idéologique des media israéliens, agressivité colonisatrice du gouvernement israélien dans les territoires occupés52, agressivité diplomatique des lobbies israéliens sur les négociations de "paix", et, bien entendu, agressivité militaire de l'armée israélienne équipée des meilleurs drones et chars de combat du monde. En d'autres termes, et c'est par cela que je voudrais terminer, le sionisme me semble essentiellement se caractériser par une violence cumulative et infinie, violence qui, étant intégrée, en quelque sorte, au paysage capitaliste ambiant, n'est jamais problématisée par les media. D'ailleurs, si l'idéologie sioniste s'évertue à contester rhétoriquement les imputations d'impérialisme ou de cynisme qu'on lui adresse périodiquement, en revanche, son déni de réalité ne va pas jusqu'à nier le caractère violent de ses relations avec le monde. Comment le pourrait-elle lorsque l'on sait que la guerre civile de résistance des populations arabes de Palestine débute dès le 29 novembre 1947 et le vote du Plan de Partage de la Palestine (Résolution 181) par l'ONU (bien qu'elle reste plus ou moins "contenue" par les forces britanniques jusqu'au retrait de celles-ci le 14 mai) et que la première guerre israélo-arabe débute le 15 mai 1948, c'est-à-dire dès le lendemain de la proclamation de l'indépendance d'Israël par David ben Gourion53 ! Certes, ce sont les armées arabes (égyptienne, irakienne, syrienne, jordanienne, libanaise) qui pénètrent sur le territoire du nouvel État (des) juif(s)-Juif(s) et qui, d'une certaine manière, peuvent être tenus pour responsables des violences qui vont s'ensuivre54. Mais enfin, il s'agit d'une réaction tenue pour inacceptable par celui-là même des protagonistes au conflit qui détermine et impose la colonisation sioniste (entre 1881 et 1948, près de 500 000 colons juifs dépossèdent les Palestiniens de leurs terres) et le terrorisme sioniste (qui commence en 1920 et qui culmine avec les massacres de Deir Yassin perpétrés par les miliciens sionistes le 9 avril 1948). Tout le monde connaît la suite, c'est-à-dire les faits saillants de l'histoire d'Israël en tant qu'État55 : massacres de Kibya en 1953, Guerre des Six jours en 1967, prise d'otages aux Jeux Olympiques de Münich en 1972, Guerre du Kippour en 1973, Guerre civile libanaise en 1975, massacres de Sabra et de Chatila en 1982, première Intifada en 1987, seconde Intifada en 2000, encerclement de Ramallah et destruction du QG de Yasser Arafat en 2002, massacres de Jénine en 2002, bombardements de Gaza en 2008, 2009, 2012, 2014, 2023, etc. pour n'en citer que quelques uns. Ce qui frappe, dans cette énumération, c'est que, quel que soit le "héros tragique" que l'on se donne, que ce soit le peuple des Juifs ou bien le peuple des Palestiniens, il semble bien qu'il soit implacablement entraîné dans l'enchaînement fatal des représailles infinies.
Est-ce
à dire que l'enjeu de la vengeance violente est le même des deux
côtés ? Certainement pas. Certes, on peut dire avec
René Girard que,
dans les deux camps, "la
société cherche à détourner vers une victime [...]
''sacrifiable'' une violence qui risque de frapper ses propres
membres, ceux qu'elle entend à tout prix protéger"(Girard,
la
Violence et le Sacré,
i). Autrement dit que, d'un côté comme de l'autre, la guerre
n'est
qu'une
façon particulière de faire de la politique, donc d'administrer une
communauté en en régulant le lien social56.
Quant au terrorisme, c'est aussi une manière de faire de la politique dans une situation
d'urgence extrême pour la sauvegarde ou le péril de la communauté
en question57.
Le choix de la "cible", de la victime n'étant alors qu'une
conséquence
d'options
politiques belliqueuses
ou terroristes. Il y a cependant une différence profonde entre la
nécessité de résister à l'envahisseur pour une communauté
essentiellement rurale qui a déjà
tissé
en son sein des liens de
solidarité pluri-séculaires
qu'elle
ne cherche qu'à préserver,
et la
nécessité,
pour une diaspora
mythiquement
constituée en "peuple d'élite dominateur et sûr de lui" pour reprendre une formule qui a fait florès, par
l'érection
rhétorique
des
faits de persécutions effectivement subies
en
confirmation tout à la fois de son élection divine et de son destin victimaire. Le problème
n'est pas seulement de savoir lequel de
ces
deux enjeux est le plus légitime mais lequel a le plus de chance
d'entretenir et de perpétuer le cycle infini des vengeances et des
représailles. À cet égard, il est probable que l'une et l'autre communauté sera encore et encore souvent instrumentalisée au services
d'enjeux géo-politiques qui les dépassent, et que la solidité du lien social n'est pas mieux assurée dans une
communauté dominante dont le passé est
pour partie fantasmé et dont l'avenir dépend des succès
commerciaux aléatoires de quelques start-up
pour lesquelles, d'ailleurs, la guerre représente une formidable
opportunité publicitaire que dans une communauté dominée perpétuellement asservie, humiliée, décimée, déshumanisée. De sorte que "toute
communauté en proie à la violence ou accablée par quelque désastre
auquel elle est incapable de remédier se jette dans une chasse
aveugle au ''bouc émissaire''
[par lequel] les hommes veulent se convaincre que leurs maux relèvent
d'un responsable unique dont il sera facile de se
débarrasser"(Girard,
la
Violence et le Sacré,
iii).
Bref, la communauté des Palestiniens et leurs soutiens a tout autant besoin d'un
"bouc émissaire" que la communauté des Juifs et leurs soutiens. Sauf que, là
encore, les maux
de l'une et de l'autre communauté ne sont pas de même nature : bien
réels et conscients,
donc,
dans une certaine mesure solubles à terme, pour l'une, en partie
fantasmés (le mythe biblique de l'exode
perpétuel)
ou inconscients (l'exacerbation des conflits de classe58
dans une société qui,
nous l'avons vu, se revendique
l'avant-garde du capitalisme)
pour l'autre. Il
s'ensuit que l'on
ne voit pas très bien pourquoi ni comment le cycle tragique des
provocations et des réactions belliqueuses et
terroristes devrait
prendre fin. Il faudrait pouvoir compter sur une institution
judiciaire
"qui
écarte la menace de la vengeance, [qui] ne supprime pas la vengeance
[mais] la limite effectivement à une représaille unique
dont l'exercice est confié à une autorité souveraine et
spécialisée dans son domaine. Les décisions de l'autorité
judiciaire s'affirment toujours comme le dernier
mot de
la vengeance"(Girard,
la
Violence et le Sacré,
i).
Or
d'une part l'on sait, par expérience,
hélas,
le poids et l'autorité que possèdent les décisions (par exemple
les "résolutions" du Conseil de Sécurité de l'ONU) d'une
telle institution, par hypothèse supra-nationale,
faute
d'avoir,
comme le dit Max Weber, le
"monopole de la violence physique légitime"59.
Et surtout, d'autre part, on peut évidemment compter sur la
diligence des media
pour
jeter de l'huile sur le feu, pour que les gens "s'imaginent
que la guerre est seulement un gigantesque match de boxe auquel ils
assistent de loin, grâce aux journaux"(Proust,
le
Temps Retrouvé,
2206), bref, pour soigner
leur Audimat.
La
guerre fait vendre, et pas seulement des armes. La guerre, surtout lorsqu'elle n'en finit pas, est bonne
pour la "croissance". Voilà pourquoi les media
ont
toutes les raisons de continuer à entretenir les meilleures
relations avec la
poule sioniste aux œufs d'or.
Finalement, le sionisme n'est pas seulement une idéologie qui, comme toutes les idéologies, a pour fonction de produire un discours dont la nébulosité conceptuelle tient lieu de profondeur et la répétitivité rhétorique d'évidence. C'est beaucoup plus que cela : une idéologie à la base, certes, mais une techno-idéologie ultra-moderne qui fait siens les trois piliers sur lesquels repose le capitalisme de la fin du XX° et du début du XXI° siècles : l'impérialisme économique, le cynisme médiatique et la fuite en avant militaire et colonisatrice. Loin donc que le capitalisme mondialisé et dévastateur soit, comme le prétendent les thèses complotistes d'extrême-droite, l'accomplissement d'un soi-disant "projet sioniste", c'est au contraire le sionisme qui peut s'enorgueillir d'être, jusqu'à présent, la plus parfaite réussite de la logique capitaliste.
Finalement, le sionisme n'est pas seulement une idéologie qui, comme toutes les idéologies, a pour fonction de produire un discours dont la nébulosité conceptuelle tient lieu de profondeur et la répétitivité rhétorique d'évidence. C'est beaucoup plus que cela : une idéologie à la base, certes, mais une techno-idéologie ultra-moderne qui fait siens les trois piliers sur lesquels repose le capitalisme de la fin du XX° et du début du XXI° siècles : l'impérialisme économique, le cynisme médiatique et la fuite en avant militaire et colonisatrice. Loin donc que le capitalisme mondialisé et dévastateur soit, comme le prétendent les thèses complotistes d'extrême-droite, l'accomplissement d'un soi-disant "projet sioniste", c'est au contraire le sionisme qui peut s'enorgueillir d'être, jusqu'à présent, la plus parfaite réussite de la logique capitaliste.
1Propos
qui ne peuvent, évidemment, être réduits à une formule choc
extraite de son contexte où la paranoïa de certains commentateurs
a naturellement vu une preuve de l'antisémitisme de son auteur (cf.
Raymond Aron dans de Gaulle, Israël et les Juifs).
Cf. transcription
complète de la conférence.
2Cf.
le
texte complet (version française) de la Résolution 242. Son
contenu sera rappelé et confirmé par la
Résolution 338 prise à l'unanimité moins une abstention le 22
octobre 1973 à l'issue de l'échec de l'offensive égypto-syrienne
dite "du Yom Kippour" et menée, précisément, dans le
but d'obliger Israël à respecter la Résolution 242.
3"Le
gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement
en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera
tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif,
étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter
atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non
juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique
dont les Juifs jouissent dans tout autre pays". Pour une
historiographie sommaire des conflits armés impliquant les forces
sionistes, cf. conflit
israélo-arabe et conflit
israélo-palestinien sur le site Wikipedia (les références à
ce site se justifient essentiellement par la quantité des
hyper-liens qu'il permet).
4J'emploie
le terme "métaphysique" dans son sens le plus banal et le
plus classique d'une intuition parfaitement claire et absolument
robuste à tous les contre-arguments quoique insusceptible de
confirmation empirique.
5"L’essence
d’une chose, c’est l’usage grammatical du mot correspondant
[...]. C’est la grammaire qui dit quel genre d’objet est une
certaine chose (la théologie n’est qu’une affaire de
grammaire)"(Wittgenstein,
Recherches
Philosophiques,
§ 371-373)". Dire qu'il appartient à
"l'essence" d'une communauté d'être ceci ou cela,
c'est donc dire que c'est là une règle fondamentale du jeu de
langage que joue celui qui narre les péripéties de cette
communauté.
6Le terme de "mythe" indique ici un ensemble de représentations qui ne peuvent revendiquer un statut historique. C'est le cas des croyances religieuses, mais également (cf. notes supra) celui des notions logiques, mathématiques, métaphysiques, grammaticales et, d'une manière générale, de toute forme d'affirmation tautologique ou self evident, c'est-à-dire qui suscite une adhésion ou un rejet immédiats qu'aucune preuve empirique n'est susceptible de réviser. Ce qui ne veut, évidemment, pas dire qu'un mythe appartient, ipso facto, au domaine du délire, notamment en matière religieuse (cf. les Croyances Religieuses sont-elles Irrationnelles ?).
7On pourrait ajouter ici qu'Ismaël le premier fils d'Abraham, fils naturel et, partant, maudit, appartient naturellement aussi à la descendance d'Abraham et donc que la Terre Promise est aussi la sienne et celle de ses descendants ... arabes ! Toute la tragédie de l'histoire dans l'ambiguïté d'un mythe !
9Confondant
ainsi religion et superstition et oubliant
que "la
foi religieuse et la superstition sont tout à fait différentes.
L’une d’entre elles provient de la peur et est une sorte de
fausse science. L’autre est une confiance"(Wittgenstein,
Remarques
Mêlées,
22).
10Rappelons
au passage que, pour Wittgenstein,
les problèmes éthiques sont beaucoup plus importants que les
problèmes théoriques : "à
supposer que toutes les questions théoriques possibles soient
résolues, les problèmes de notre vie demeurent encore
intacts"(Wittgenstein,
Tractatus,
6.53-6.52).
11Sinon
elles seraient toutes fausses et n'auraient réellement aucun
intérêt. Mais "Augustin
était-il donc dans l’erreur quand il s’adressait à Dieu à
chaque page de ses Confessions ?"(Wittgenstein,
Remarques
sur ‘‘le Rameau d’Or’’ de Frazer,
1).
12Pour
la différence entre éthique et
morale, cf. Éthique,
Identité Narrative et Conscience de Soi.
13J'insiste
sur ces deux restrictions : il s'agit bien de comparer ce qui est
comparable, à savoir les réactions (qui ne
sont manifestement pas
de même nature à l'égard
du judaïsme qu'à l'égard des deux autres monothéismes)
de l'opinion majoritaire lorsqu'un lobby donné
entend s'approprier rhétoriquement un argumentaire d'origine
religieuse.
14Notons
que le fait d'écrire "État
(des) Juif(s)" en français, suppose que le mot "Juif(s)"
désigne un peuple et non une religion (sinon on doit
écrire "État (des) juif(s)"
sans majuscule). C'est, en tout cas, la convention que j'adopterai tout au long de cet article.
15La position de Shlomo Sand à cet égard est sans ambiguïté : "les juifs [notons l'absence de majuscule dans la traduction française] ne constituent pas un peuple ; en effet, dans l'acception moderne du terme, un peuple désigne un groupe humain vivant sur un territoire spécifique où s'est développée une culture quotidienne commune à l'ensemble, de la langue parlée aux coutumes et modes de vie"(comment le Peuple Juif fut inventé, préf. à la 2° éd.).
16Raison
majeure pour laquelle Hannah Arendt a rompu, dès 1943, avec un
sionisme auquel elle avait adhéré en 1933 mais en quoi elle voyait
désormais "un
nationalisme inspiré
de l’Allemagne, [qui]
soutient qu’une nation est un corps organique éternel, le produit
de la croissance naturelle et inévitable de qualités inhérentes
et [qui]
explique les peuples non pas en termes d’organisations politiques
mais de personnalités biologiques supra-humaines,
[bref] un
chauvinisme raciste [qui] ne diffère pas d’autres théories de la
race des maîtres"(Arendt,
Réexamen
du Sionisme).
Jonathan Littell va encore plus loin en inversant le rapport de cause à effet que
Hannah Arendt établit entre le national-socialisme et le sionisme
en faisant dire à un dignitaire nazi : "-
Sais-tu, d'ailleurs, que le terme même de "national-socialisme"
a été forgé par un Juif, un précurseur du sionisme, Moïse Hess
? Lis son livre Rome
et Jérusalem
et tu verras. C'est très instructif. Et ce n'est pas un hasard :
quoi de plus völkisch
que le Sionisme ? Comme nous, ils ont reconnu qu'il ne peut y avoir
de Volk
et de Blut
sans Boden,
sans terre, et donc qu'il faut ramener les Juifs à la terre, Eretz
Israel
pure de toute autre race"(Littell,
les
Bienveillantes,
650-651).
17De
fait, l'adjectif "sémitique" fut inventé par l'historien
philologue allemand du XVIII° siècle August Ludwig Schlözer pour
caractériser un groupe de langues comme l'araméen, l'hébreu ou
l'arabe qui ont entre elles de fortes ressemblances à la fois
formelles (trilitéralité des radicaux, écriture non entièrement
vocalisée, écriture de droite à gauche, etc.) et lexicales.
18Position que Shlomo Sand défend explicitement : "Israël peut être caractérisé comme une ethnocratie juive aux traits libéraux, à savoir un Etat dont la mission principale n'est pas de servir un demos civil et égalitaire, mais un ethnos biologique et religieux"(comment le Peuple Juif fut inventé, v).
19D'où
l'intransigeance parfois fanatique à l'égard du respect de la vie
qu'affichent les communautés qui accordent un sens religieux
profond au premier commandement du Décalogue ("tu ne tueras
point"), et ce, quel que soit le contenu de la législation
positive en la matière.
20Dostoïevski
dépeint ironiquement ce que pourrait être, par exemple, une
confirmation empirique de la
prophétie du retour du Christ sur la terre
(première
épître de Paul aux Thessaloniciens,
xiv, 13) : "à ce moment passe sur la place le
Cardinal Grand Inquisiteur [...]. Il fronce ses épais
sourcils et ses yeux brillent d'un éclat sinistre. Il Le désigne
du doigt et ordonne aux gardes de Le saisir [...]. On conduit le
Prisonnier au sombre et vieux bâtiment du Saint-Office, on L'y
enferme dans une étroite cellule voûtée [...]. Le Grand
Inquisiteur paraît, [...] considère longuement la Sainte Face,
[...] et Lui dit : ''[...] Ne dis rien, tais-Toi [...]. Tu n'as pas
le droit d'ajouter un mot à ce que Tu as dit jadis. Pourquoi es-Tu
venu nous déranger ? Car Tu nous déranges, Tu le sais bien''"(les
Frères Karamazov,
V, v).
"Christ
reviendra sur Terre pour juger les vivants et les morts" est,
ou bien une profession de foi,
ou
bien une proposition susceptible d'être vraie ou fausse, mais
pas les deux.
21Cf.
le texte complet de la
Résolution 181 de l'O.N.U. du 29 novembre 1947 prévoyant le
partage de la Palestine en deux états indépendants, l'un pour les
Juifs, l'autre pour les Arabes de Palestine.
22Non
pas que tout
cela aille
toujours de soi. Il s'en faut de beaucoup. Cependant, le prix à
payer pour l'effacement
de telles distinctions est, en tout cas dans
les pays occidentaux et aujourd'hui,
la
critique, voire la polémique.
Ce qui n'est visiblement
pas
le cas pour l'assimilation sioniste de la religion et de la
politique et, par conséquent, pour la confusion du sionisme avec le
judaïsme.
23Mais
pourquoi avoir attendu le XX° siècle pour voir des preuves de
l'essence victimaire du peuple Juif dans des faits historiques de
persécution ? Car après tout, sans
qu'on puisse parler dans tous les cas d'antisémitisme (comme
l'antisémitisme est un racisme, il
n'y a pas d'antisémitisme avant l'existence d'un discours
idéologique pseudo-scientifique se voulant une "théorie"
des races, c'est-à-dire avant la parution, en 1853, de l'Essai
sur l'Inégalité des Races Humaines
d'Arthur de Gobineau, ni,
bien entendu,
avant l'invention du terme "antisémite", quelques années
plus tard, par l'intellectuel
juif autrichien
Moritz Steinschneider à propos du racisme spécial d'Ernest Renan
qui
affuble les
"peuples sémites"
d'un certain nombre de
tares)
l'anti-judaïsme, ou, si l'on préfère, la "judéophobie"
comme la nomme Pierre-André Taguieff, est une constante littéraire, religieuse, sociale et politique dans le monde occidental depuis le moyen-âge (les premiers pogroms datent du XI° siècle).
25Rappelons
qu'un État, du point de vue du droit international, se définit
comme une entité juridique (une personne morale) dotée d'un
territoire délimité par des frontières, une population stable, un
ensemble d'institutions souveraines et des relations avec les autres
États. Apparemment, depuis sa création, l'État d'Israël
satisfait ces quatre critères. Pourtant, qu'est-ce qu'un État qui n'appartient pas à ses citoyens actuels (les Israéliens) mais à une diaspora érigée en peuple mythique (les Juifs) par l'instrumentalisation des textes sacrés d'une certaine religion (celle des juifs) ? Si tous les juifs sont des Juifs, donc des citoyens potentiels de l'État d'Israël, que répondre à un antisémite militant qui, à l'instar du baron de Charlus dans la Recherche du Temps Perdu, ferait remarquer, à propos du capitaine Dreyfus, que "son crime est inexistant, [il] aurait commis un crime contre sa patrie s'il avait trahi la Judée, mais qu'est-ce qu'il a à voir avec la France ?"(Proust, le Côté de Guermantes, I, 966) ?
26Le
"point Godwin" (du nom de l'avocat américain qui a
théorisé le phénomène) est le point à partir duquel une
discussion ne donne plus lieu qu'à un seul type d'argument : celui
de la reductio ad Hitlerum ! Si antisioniste (au sens idéologico-politique) est synonyme d'antisémite (au sens éthnico-biologique), alors celui qui est réputé antisioniste est réputé nazi. Ce qui est un argument a priori (une "règle du jeu") compréhensible (en raison de sa redoutable efficacité rhétorique) lorsqu'il est proféré par un idéologue sioniste. Toutefois, il faut souligner que le même argument est, sur le plan historique cette fois-ci, rigoureusement faux. Premièrement, parce qu'il convient de rappeler que l'accord Haavara (littéralement, "de transfert"), conclu le 25 août 1933 entre les sionistes allemands et les autorités nazies, visait tout de même à favoriser l'émigration des juifs allemands vers la Palestine. Preuve qu'il a existé des nazis pro-sionistes. Deuxièmement, parce que, comme le montre l'historien israélien Tom Segev dans un ouvrage de 1993 intitulé le Septième Million : les Israéliens et le Génocide,
certains milieux sionistes militants ont traité avec le plus grand mépris la
soi-disant résignation des juifs européens au moment de leur extermination. Preuve qu'il a existé des sionistes anti-sémites. Troisièmement, parce que la résolution 3379 de l'Assemblée Générale des Nations Unies du 10 novembre 1975 a conclu sans ambiguïté que "le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale" ! Et, bien que cette dernière résolution fût abrogée seize ans plus tard sous la pression de l'État d'Israël qui en faisait une condition sine qua non de sa participation à la Conférence de Madrid de 1991 (qui débouchera sur les fameux "accords" d'Oslo de 1993) l'histoire témoigne, en tout cas, que la prétendue synonymie entre antisionisme et antisémitisme, donc entre antisionisme et racisme, n'est qu'un mythe. Dans son premier roman intitulé la Place de l'Étoile, Patrick Modiano illustre avec un humour particulièrement grinçant cette porosité historiquement manifeste entre sionisme et antisémitisme.
27Mot
arabe qui signifie "désastre" ou "catastrophe" (tout comme shoah en hébreu).
En effet, la guerre que l'État (des) juif(s)-Juif(s) dès sa déclaration d'indépendance en 1948 et en violation de
la Résolution 181 (cf. note 21) qui prévoyait un partage de la Palestine en deux États, a fait 750 000 morts ou
déplacés sur une population palestinienne initiale d'environ un
million d'habitant, de sorte qu'à son issue, il ne reste plus que 20% de Palestiniens en Palestine ! L'historien israélien Ilan Pappé n'hésite d'ailleurs pas à qualifier la guerre de 1948, dans un ouvrage au titre éponyme, de nettoyage ethnique de la Palestine.
28Entre
avril 1915 et juillet 1916 1 200 000 Arméniens, soit les deux tiers
de la population arménienne d'Anatolie, ont été exterminés par
les partisans des Jeunes Turcs au pouvoir dans l'Empire Ottoman.
Entre avril et juillet 1994, près d'un million de Tutsis, soit les trois quarts de leur population, ont été massacrés par le pouvoir
majoritairement Hutu du Rwanda. Précisons que le terme de
"génocide" est un terme de droit international et dont
l'imputation n'intervient qu'au terme d'une analyse juridique des
conditions d'un crime de guerre "commis dans l'intention de
détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique,
racial ou religieux, comme tel"(Convention
pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide,
9 décembre 1948).
29D'autres,
tels que la Guerre des Six Jours de 1967 ou la Guerre du Kippour en
1973 ne le sont pas mais font suite aux provocations expansionnistes
de l'État (des) juif(s)-Juif(s).
30Le
Dieu de la Torah est un Dieu de justice, comme celui des Évangiles
est un Dieu d'amour et celui du Coran un Dieu de vérité. Le terme
de "juste" (en hébreu, tsadik,
apparenté à l'arabe sadiq qui
a, à peu près,
le même sens) apparaît
pour la première fois en Genèse,
18-25 lorsqu'Abraham tente de sauver les "justes"
de Sodome et Gomorrhe.
31Loi
votée le 19 août 1953 par la Knesset et instituant le mémorial
Yad Vashem.
32On
n'en finirait pas d'énumérer les juifs et les Juifs, qui, de
Stefan Zweig aux actuels militants de l'U.J.F.P.
(Union des Juifs Français pour la Paix), en passant par Hannah
Arendt et Judith Butler, ont été ou sont horrifiés par le
sionisme. Cf. aussi la conférence prononcée par le rabbin Shmiel
Borreman et disponible sur le site du Parti
Anti-Sioniste.
33Cf.
note 23.
34Cf.
l'article Massacre
de Gaza : le parti pris éhonté des médias dominants (anglophones)
sur le site d'Acrimed.
36La
colonisation systématique des territoires occupés lors des
conflits armés avec les voisins de l'État d'Israël et qui aboutit
à une annexion de fait desdits territoires, ce qui est contraire
au droit international (IV° Convention de Genève) et explicitement
condamné par la Résolution 446 du Conseil de Sécurité des
Nations Unies votée le 22 mars 1979.
37L'Armée
de Défense (sic !) d'Israël, en hébreu Tsva Haganah
Leisrael, (acronyme : Tsahal)
insiste donc sur la notion de défense, ce qui n'a rien pour nous
étonner, et d'autant moins que le terme de "défense",
haganah en hébreu,
désigne aussi la principale milice clandestine sioniste créée en
1920. Tsahal naît en 1948 de la fusion des trois principales
organisations sionistes paramilitaires
: la Haganah, l'Irgoun et le
Lehi.
38Acronyme
de la National Association of Securities Dealers Automated
Quotation qui est le deuxième
marché boursier des États-Unis et qui concerne les industries de
pointe (informatique, communication transport, biotechnologies,
nanotechnologies, armement,
etc.), secteurs dans
lesquels apparaissent des start-up,
entreprises à forts
potentiels de développement immédiat
et dans lesquels
investissent prioritairement
les "capital-risqueurs"
(venture capitalists),
confirmant l'analyse de Lénine selon laquelle,
dans le capitalisme moderne,
l'industrie n'est qu'un
moyen au service de finalités financières.
39Qu'il
distingue du "kunisme",
c'est-à-dire
du cynisme antique qui, lui, possède une réelle dimension éthique
là où,
pour
le cynisme, au sens moderne du terme, il
n'a,
comme le dit Musil, "pas
été nécessaire de chercher d'autre morale que la prospérité du
commerce"(Musil,
l'Homme
sans Qualités,
II,
§111)".
40Spinoza
définit l'admiration (admiratio)
en disant qu'"il y a Admiration
quand à l’imagination d’une chose l’esprit
demeure attaché, parce que cette imagination singulière n’a
aucune connexion avec les autres"(Éthique,
III, déf.4), insistant sur le saisissement qui l'accompagne et sur
la fascination qui en résulte, ce
qui rend impossible toute
pensée intelligente (celle qui intelligit,
met en relation, en
connexion, les idées les unes avec les autres).
41Il
est tout de même extraordinaire qu'en cette année (2014) de
célébration du centenaire du déclenchement de la Grande Guerre,
il n'ait, apparemment, été jugé utile par personne, en tout cas
en France, d'organiser de grands débats et de grandes réflexions
publiques (par exemple dans l'Éducation Nationale), sur les enjeux
d'une guerre en général !
42"L’homme
est naturellement un animal politique [zôon
politikon]
destiné à vivre en société et que celui qui, par sa nature et
non par l’effet de quelque circonstance, ne fait partie d’aucune
Cité [polis],
est une créature dégradée ou supérieure à l’homme"(Aristote,
Politique,
I, 1252b).
Or, "quel
est le but que nous assignons à la vie politique [zôè
politikè]
et quel est le souverain bien [praktos
agathos]
de
notre activité ? Sur son nom du moins il y a assentiment presque
général : c'est le bonheur
[eudaïmonia]"(Aristote,
Ethique
à Nicomaque,
1094a-1097b).
43C'est
encore Aristote qui, le premier, a insisté sur la spécificité
humaine de la main : "ce
n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus
intelligent des êtres, mais c’est parce qu’il est le plus
intelligent qu’il a des mains. […] Car la main est pour ainsi
dire un instrument qui tient lieu des autres instruments"(Aristote,
Parties
des Animaux,
687a).
44Rappelons
qu'officiellement, 80% des victimes palestiniennes de la dernière
opération dite "Bordure Protectrice" à Gaza, notamment
les réfugiés et les enfants de ces quatre écoles de l'O.N.U. qui
ont été bombardées sont, précisément, des
"des
êtres humains qui ne sont ni combattants ni prisonniers de guerre".
45Pour
la démonstration de la nécessité de la misère pour la survie du
système capitaliste, cf. le
Progrès Technique entraîne-t-il Liberté et Bonheur pour tous ?
46"Les
Palestiniens sont employés à des travaux non-qualifiés. Leurs
salaires sont plus bas que ceux des citoyens israéliens. Cela est
caractéristique des pays développés"
expliquent, cyniquement, les rédacteurs d'un manuel de géographie
destiné aux lycéens israéliens (in Israël-Palestine,
le Conflit dans les Manuels Scolaires,
p.41).
47"La
bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment
révolutionnaire [en ce qu’elle] ne peut exister sans
révolutionner constamment les instruments de production, donc les
rapports de production, donc l’ensemble des conditions sociales.
[En particulier], poussée par le besoin de débouchés toujours
plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la
surface du globe. Partout elle doit s’incruster, partout il lui
faut bâtir, partout elle établit des relations. En exploitant le
marché mondial, la bourgeoisie a donné une forme cosmopolite à la
production et à la consommation"(Marx
et Engels, Manifeste
Communiste de 1848,
i).
48"L’innovation
technologique concerne non seulement le travail, mais aussi le moyen
de se procurer des biens de consommation et les augmenter [...]. La
civilisation, c’est avant tout le progrès dans le travail, plus
précisément, le travail pour se procurer les biens de consommation
et les augmenter, et ce travail ne contient aucune satisfaction par
lui-même
[...]. Les
gains de productivité deviennent un instrument de domination
universelle"(Marcuse,
Éros et
Civilisation,
IV)
49"L’objectif
du mouvement
totalitaire est donc d’encadrer autant de gens que possible dans
son organisation, et de les mettre et les maintenir en mouvement.
Quant à l’objectif politique qui constituerait la fin de ce
mouvement,
il n’existe tout simplement pas"(Arendt,
le
Système Totalitaire,
i, 1).
50À
comparer avec l'aeï aristeueïn,
"toujours meilleur", des Grecs.
51De
là, la violence tragique. Comme l'a justement remarqué René
Girard, la violence qu'exerce le destin sur le héros tragique fait
toujours suite à une modification des rapports naturels et
réguliers entre les êtres.
52En
l'occurrence, les territoires conquis par l'armée israélienne lors
de la Guerre des Six Jours de juin 1967 (Cisjordanie,
Jérusalem-Est, bande de Gaza, plateau du Golan, Sinaï).
53La
défaite des forces arabes anti-sionistes enterre le projet de
partage de la Palestine en deux États (auquel la Conférence de
Lausanne substituera, dès 1949, l'UNRWA, the United Nations
Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East
en lieu et place du Plan de
Partage de la Palestine prévue par la Résolution 181 !) et
entérine définitivement l'hégémonie israélienne sur la région.
54Comme
ils peuvent être tenus pour responsables des actes de rébellion
qui, entre 1936 et 1939, étaient dirigés contre l'autorité
britannique, laquelle avait reçu, dès 1923 et à la suite de la
Déclaration Balfour de 1917, mandat de la Société des Nations
pour administrer la Palestine et y favoriser l'implantation d'un
"foyer national juif".
55Déjà,
en octobre 1944, Hannah Arendt pensait que "les
Juifs “victorieux” vivraient environnés par une population
arabe entièrement hostile, enfermés entre des frontières
constamment menacées, occupés à leur auto-défense physique au
point d’y perdre tous leurs autres intérêts et leurs autres
activités. Le développement d’une culture juive cesserait d’être
le souci du peuple entier ; l’expérimentation sociale serait
écartée comme un luxe inutile ; la pensée politique serait
centrée sur la stratégie militaire"(Arendt,
Réexamen du Sionisme).
56"La
guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens :
elle consiste à contraindre l’adversaire à exécuter notre
volonté"(Clausewitz,
de la
Guerre).
57"La
terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère,
inflexible [...] appliqué[e] aux besoins les plus pressants de la
patrie"(Robespierre,
Discours
à la Convention,
5 février 1794).
58L'histoire
de la colonisation juive-Juive en Palestine peut et doit se lire aussi en
termes de conflits de classe entre, d'une part, les ashkénazes
économiquement et
intellectuellement dominants émigrés d'Europe centrale, de Russie
et des États-Unis, et d'autre part les sépharades plus
pauvres et moins cultivés issus des pays d'Europe du Sud et
d'Afrique du Nord. À noter
que le sionisme est
né dans le milieu ashkénaze
et que c'est aussi
de ce milieu que provenaient la grande majorité des Juifs
exterminés durant l'Holocauste.
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