samedi 2 décembre 2023

LE SIONISME, PARADIGME DU CAPITALISME MONDIALISÉ.


En réponse à la question d'un journaliste lui demandant pourquoi il considérait que l'État d'Israël était l'agresseur bien que ce fût l'Égypte qui, militairement, déclencha la Guerre des Six Jours, le Général de Gaulle exprima une position restée célèbre : "l'établissement entre les deux guerres mondiales, car il faut remonter jusque là, l'établissement d'un foyer sioniste en Palestine, et puis après la deuxième guerre mondiale, l'établissement d'un État d'Israël soulevait à l'époque un certain nombre d'appréhensions. On pouvait se demander, en effet, et on se demandait, même chez beaucoup de Juifs, si l'implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui sont foncièrement hostiles, n'allaient pas entraîner d'incessants, d'interminables frictions et conflits. Et certains même redoutaient que les Juifs, jusqu'alors dispersés, et qui étaient restés ce qu'ils avaient été de tout temps, c'est-à-dire un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur, n'en viennent une fois qu'ils seraient rassemblés dans les sites de son ancienne grandeur, n'en viennent à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu'ils formaient depuis 19 siècles"(de Gaulle, Conférence de Presse, 27/11/67)1. Peut-être le général pressentait-il déjà que la Résolution 242 du Conseil de Sécurité de l'O.N.U., adoptée à l'unanimité cinq jours auparavant et exigeant notamment le "retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du récent conflit [et la] fin de toute revendication ou de tout état de belligérance, [le] respect et [la] reconnaissance de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique de chaque État de la région et de son droit de vivre en paix à l'intérieur de frontières sûres et reconnues, à l'abri de menaces ou d'actes de violence"2 resterait lettre morte. De fait, les violences exercées par les forces sionistes contre les voisins arabes depuis la Déclaration Balfour de 19173 et devenues des actes de guerre officiels après la création de l'État d'Israël le 14 mai 1948, n'ont fait que croître et, si l'on ose dire, embellir, confirmant hélas les craintes du général. J'essaierai, pour ma part, de montrer la justesse de cette vision du sionisme lequel, effectivement, a bien fini par "changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu'ils [les Juifs] formaient depuis 19 siècles". À la lumière de quoi je tâcherai de montrer que les réactions indignées auxquelles cette position a donné lieu à l'époque et, plus encore, la fascination qu'exerce aujourd'hui sur les media occidentaux dominants la nature ambiguë, tout à la fois post-romantique et agressive du sionisme, tiennent à ce que le sionisme, loin de n'être qu'une banale idéologie, est le paradigme du capitalisme mondialisé.


L'indice le plus immédiat de l'importance de la question à débattre est sans doute ce climat de terrorisme intellectuel qui couve et qui est systématiquement réactivé chaque fois qu'il s'agit de jeter une lumière critique sur la nature du sionisme. Rien de bien étonnant cependant. D'abord, comme l'avait déjà souligné Platon, d'une manière générale, dès qu'un quidam s'avise d'aborder un sujet dérangeant pour l'ordre social établi, il est manifeste que "les plus ardents discourent et s’agitent, les autres, près de la tribune bourdonnent et ferment la bouche au contradicteur, de sorte que, dans un tel gouvernement, les affaires sont réglées par eux"(Platon, République, VIII, 564e). De plus, ainsi que le remarquent Dray et Sieffert, "ici plus qu'ailleurs, la conquête de l'opinion publique est un enjeu. La raison en est évidente : le conflit israélo-palestinien est faussement régional"(la Guerre Israélienne de l'Information). En effet, la conquête rhétorique de l'opinion publique a, en l'occurrence, pour enjeu, non pas seulement un avantage en terme d'image localisée et momentanée (profit symbolique), ni même en terme de comportement localisé et momentané (profit matériel, par exemple électoral ou économique), mais le conflit israélo-palestinien a une dimension, si j'ose dire "métaphysique"4 en terme d'essence5 éternelle et immuable d'une certaine communauté humaine. C'est à croire que le conflit israélo-palestinien opère comme un véritable transcendantal, au sens kantien de ce terme, c'est-à-dire un paradigme originel qui, rendant possible et structurant a priori notre conception du monde extérieur, prétend à la nécessité et à l'universalité. Tout le récit que la communauté juive, c'est-à-dire de la communauté humaine fédérée par la croyance au caractère sacré de la Torah, se plaît à faire d'elle-même peut, en effet, se lire comme le récit des persécutions incessantes dont cette communauté a été victime dans sa quête du mythe6 de la Terre Promise, en l'occurrence promise par Dieu à Abraham : "c’est à ta descendance que je donne ce pays, du fleuve d’Égypte au grand fleuve, le fleuve Euphrate"(Genèse, 15-18). Et comme la proche descendance d'Abraham consistant en un fils légitime (Isaac), deux petits-fils (Jacob dit aussi Israël et Ésaü) et douze arrière petits-fils (chacun prenant la tête d'une tribu distincte), ladite Terre Promise a pris le nom de Terre d'Israël (Eretz Israel) et est censée correspondre, grosso modo, à l'actuelle Palestine7. Pour la communauté juive, l'amoncellement de ces obstacles à l'accession à la Terre Promise est d'autant plus scandaleuse qu'elle va contre la volonté de Dieu de considérer cette communauté comme la communauté choisie par Dieu entre toutes les communautés humaines pour L'honorer et Le glorifier : "désormais, si vous êtes dociles à Ma voix, si vous gardez Mon alliance, vous serez Mon trésor entre tous les peuples ! Car toute la terre est à Moi, mais vous, vous serez pour Moi une dynastie de pontifes et une nation sainte"(Exode, 19 ; 5-6). "Dynastie de pontifes", "nation sainte", "Mon trésor entre tous les peuples", même associées à un conditionnel ("si vous êtes dociles ...") sont des expressions qui notent bien sans ambiguïté "un peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur". Bref, élection et persécution, persécution malgré l'élection, élection en raison de la persécution, sont bien, me semble-t-il les deux grands invariants de l'identité narrative8 de la communauté juive ou, si l'on préfère, de l'essence du judaïsme.

Le problème numéro un est que le judaïsme est une religion et reste une religion. Ni plus, ni moins. Et, "[une religion] n’est tout simplement pas une théorie. Ou encore, si c’est une vérité, alors ce n’est pas celle qui semble, au premier abord, être exprimée par là. Plutôt qu’une théorie, c’est un soupir ou un cri"(Wittgenstein, Remarques Mêlées, 30). Marx ira jusqu'à réduire soupir et cri à soupir de détresse et cri de douleur : "la misère religieuse est à la fois l’expression de la misère réelle et, d’autre part, la protestation contre cette mi­sère. La religion est le soupir de la créature accablée, le cœur d’un homme sans cœur, comme elle est l’esprit des temps pri­vés d’esprit. Elle est l’opium du peuple"(Marx, Critique de la Philosophie de Hegel)9. Mais l'important reste qu'une religion n'est pas une théorie. Une religion ne décrit pas la réalité. Tandis qu'une description (qu'elle soit, d'ailleurs, théorique ou, a fortiori, technique) de la réalité extérieure à notre psychisme doit pouvoir se justifier, se confirmer, se vérifier par comparaisons et ajustements successifs à celle-ci, "le fidèle possède une croyance inébranlable qui ne repose pas sur des justifications"(Wittgenstein, Leçons sur la Croyance Religieuse, i), une essence, ce qu'est une chose, une identité narrative, ce qu'on dit d'une chose, tout cela relève du postulat. D'où le caractère mythique, comme nous le soulignions plus haut, des croyances religieuses : "une croyance religieuse ne repose pas sur des preuves historiques, car rien de ce qu’on appelle normalement ’’preuves’’ ne serait de nature à l’influencer le moins du monde"(Wittgenstein, Leçons sur la Croyance Religieuse, i). Ce qui n'implique pas pour autant qu'une croyance religieuse ou qu'un système de croyances religieuses soient dépourvus de valeur. Bien au contraire, puisque, en effet, "l’on distingue une croyance religieuse à ce que tout dans la vie d’un individu obéit à la règle que fournit cette croyance"(Wittgenstein, Leçons sur la Croyance Religieuse, i). Mais la valeur d'une religion, dans la mesure, justement où elle contribue à postuler ce qui compte pour et dans la vie du fidèle, est éthique et non pas théorique10. Les croyances religieuses n'ont rien à voir avec les croyances épistémiques, celles qui sont susceptibles d'être vraies ou fausses après expérimentation11. Bien plutôt, nous dit Wittgenstein, "il me semble qu'une foi religieuse pourrait n'être qu'une sorte de décision passionnée en faveur d'un système de référence. Que, par conséquent, bien que ce soit une foi, c'est cependant une manière de vivre"(Wittgenstein, Remarques Mêlées, 64). Une religion est un guide pour la vie, un "système de référence" donc auquel on adhère (ou on n'adhère pas) par "décision passionnée", non parce qu'elle est vraie ou juste, mais parce que l'on croit, d'une croyance inébranlable, qu'une vie bonne (ou, en tout cas, meilleure) en dépend. Réduire une religion à une série de prescriptions morales (vestimentaires, sexuelles, alimentaires, hygiéniques, etc.), c'est déjà la dénaturer, c'est l'éloigner de sa destination éthique12. Mais que dire alors de son instrumentalisation idéologico-politique ? Que penser de l'interférence des évangiles chrétiens avec les questions législatives à propos du mariage des personnes de même sexe ou de la fin de vie ? Que penser des soi-disants diktats de la charia' musulmane en matière de tenue vestimentaire ou en matière de mixité dans les lieux publics ? Dans les deux cas, il est manifeste que l'intrusion de l'argumentation religieuse dans des questions "sociétales", comme on dit, nous apparaît, à nous occidentaux et aujourd'hui13, comme de nature à polluer les débats, à brouiller les pistes. Pourquoi n'en va-t-il pas de même lorsque Theodor Herzl écrit en 1896 : "que nous le voulions ou non, nous sommes et nous restons un groupe historique reconnaissable à ses caractéristiques homogènes. Nous sommes un peuple, et c’est l’ennemi qui nous y contraint malgré nous […]. Quelle que soit la coloration qu’elle prenne, je considère la question juive comme n’étant ni religieuse ni sociale, mais bien nationale. Pour la résoudre, il nous faut avant tout la poser en termes politiques, à l’échelle mondiale"(Herzl, l'État des Juifs) ? Pourquoi cela semble-t-il, aujourd'hui, être une évidence ? Pourquoi une évidence aussi ce glissement sémantique subreptice de "l'État des Juifs14" (der Judenstaat, en allemand) vers "l'État juif" (der jüdische Staat) chez le même auteur en moins d'une année lorsque celui-ci déclare, à l'issue du premier Congrès Sioniste réuni à Bâle du 29 au 31 août 1897, : "si je devais résumer le Congrès de Bâle en un mot, ce serait celui-ci : à Bâle j'ai fondé l'État juif [...]. Peut-être dans cinq ans et certainement dans cinquante ans, chacun le saura"(in Gresh, Israël, Palestine : Vérité sur le Conflit) ? En prétendant en tirer des conséquences idéologico-politiques, le sionisme commence donc clairement par instrumentaliser la religion juive, c'est-à-dire par la détourner de sa fonction éthique pour n'en retenir que l'aspect mythique constitutif de son identité narrative. Comme l'explique l'historien Shlomo Sand dans un article du Monde Diplomatique d'août 2008, celle-ci "est l’œuvre, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, de talentueux reconstructeurs du passé, dont l’imagination fertile a inventé, sur la base de morceaux de mémoire religieuse, juive et chrétienne, un enchaînement généalogique continu pour le peuple Juif"(loc. cit.)15.

Toutefois, le fond de l'imposture sioniste ne consiste pas à poser l'axiome "les juifs-Juifs sont les élus", ou l'axiome "les juifs-Juifs ont toujours été persécutés". Ils ne sont évidemment pas la seule ni même la première communauté dans l'histoire de l'humanité à se constituer mythiquement en "peuple". L'imposture est ailleurs : elle consiste, dans un premier temps, à transformer ces axiomes en faits pour, dans un second temps, en tirer des conséquences politiques. De sorte que l'on joue sur deux tableaux : celui de la nécessité logique de la conclusion qui provient de l'axiomatique, et celui de la vérité empirique du discours en général qui dérive de sa soi-disant factualité. Développons le premier point : le sionisme transforme les axiomes en faits. D'abord, profitant de la difficulté à s'entendre sur une formulation satisfaisante ("État juif", "État des juifs", "État Juif", "État des Juifs" ?) sur laquelle Herzl lui-même a hésité, tout se passe comme si "juif" et "Juif" devaient être subrepticement confondus, donc comme si l'ethnicisation de la religion juive était une évidence logique. Or, même en admettant que, dans les faits, les termes "Juif" (nom propre du peuple juif) et "juif" (qualité de qui se réclame de la religion juive), sont effectivement coréférentiels, c'est-à-dire dénotent la même entité humaine (de même que l'Église et l'ensemble des chrétiens ou l'Oumma et la communauté des musulmans), ils n'ont pourtant pas le même sens. Cette coréférentialité est purement contingente (historique) et l'on devrait pouvoir porter un jugement sur la religion juive en tant que religion sans, pour autant, s'entendre accuser de juger les Juifs en tant que peuple, et réciproquement. Nombreuses ont été les communautés chrétiennes ou musulmanes qui, au long de l'histoire, se sont évertuées, tout en revendiquant sans ambiguïté leur héritage religieux, à montrer leur Volksgeist, comme disait Hegel, c'est-à-dire le "génie de leur peuple" à intégrer synthétiquement les apports culturels d'autres peuples, prouvant par là que l'essence religieuse spirituelle et immuable de ces communautés est distincte de leur existence historique temporelle et variable. Bien entendu, il en va de même pour le peuple Juif dont le génie d'adaptation et d'assimilation n'est plus à démontrer. Néanmoins l'ethnicisation de la religion juive par le sionisme conduit Herzl à prétendre que, "que nous le voulions ou non, nous sommes et nous restons un groupe historique reconnaissable à ses caractéristiques homogènes". Et quelles peuvent bien être ces "caractéristiques homogènes" ? Certainement pas les caractères "raciaux" que les Drumont et autre Vacher de Lapouge prétendront leur avoir "découverts". Les "caractéristiques homogènes" dont parle Herzl ne peuvent être, comme nous l'avons dit plus haut, que l'élitisme et la victimité constitutifs de l'identité narrative de la communauté religieuse juive. Et voilà comment un mythe "devient" réalité ! L'un des avantages rhétoriques les plus considérables de cette éthnicisation de la religion juive par le sionisme réside dans ses possibles implications ethno-racialistes16. Peu importe, après tout, comme Jonathan Littell le fait dire à un de ses personnages, que le racialisme repose sur une monstrueuse imposture intellectuelle, que les "anthropologues raciaux [...] sont des fumistes [...]. Cette philosophie de vétérinaires, comme disait Herder, a volé tous ses concepts à la linguistique17, la seule science de l'homme jusqu'à ce jour qui ait une base théorique scientifiquement validée"(Littell, les Bienveillantes, 435-436). En effet, il n'y a qu'un pas de l'ethnie ou du peuple à la race, notamment à la fin du XIX° siècle, dans le contexte intellectuel qui est celui de la naissance du sionisme, mais qui est encore aujourd'hui très vivace, comme le remarque encore Shlomo Sand : "depuis les années 1970, en Israël, une succession de recherches « scientifiques » s’efforce de démontrer, par tous les moyens, la proximité génétique des Juifs du monde entier. La « recherche sur les origines des populations » représente désormais un champ légitimé et populaire de la biologie moléculaire, tandis que le chromosome Y mâle s’est offert une place d’honneur aux côtés d’une Clio juive dans une quête effrénée de l’unicité d’origine du « peuple élu »"(loc. cit.). Or, si le sionisme réussit à établir la "judéité" sur une base ethno-racialiste18, alors, comme nous allons le voir, l'antisionisme aura alors effectivement un fort goût de racisme.

D'où, deuxième point que nous devons développer : si tous ceux qui sont juifs (au sens religieux) sont aussi nécessairement des Juifs (au sens ethnique, voire "biologique") et réciproquement, des textes sacrés de ceux qui sont juifs on va être tenté de tirer des conséquences politiques valables nécessairement pour le peuple des Juifs, et plus seulement (ce que fait le Talmud) des conséquences éthiques ou morales destinées à la communauté juive. Nous avons vu que l'identité narrative du peuple des Juifs se justifie, comme toute identité narrative, qu'elle soit individuelle ou bien collective, par un certain nombre de mythes fondateurs dont le mode d'existence est la narration, en l'occurrence narration dans et par les textes sacrés de ceux qui sont juifs. Or il n'y a pas de confirmation (ni, bien entendu, de réfutation) empirique possible d'un mythe. De même, celui qui fait de la physique ne confirme pas la validité des mathématiques. Les phénomènes physiques ne se déduisent pas des règles mathématiques. Pour faire de la physique, il ne faut pas se contenter de jongler avec des équations. Toutefois, la physique de celui qui se laisse guider par les mathématiques est meilleure que la physique de celui qui s'y refuse. De la même façon, l'histoire ne confirme aucun précepte religieux. Les événements sociaux et politiques ne se déduisent pas des préceptes de quelque religion que ce soit. Toutefois, il est vraisemblable que la vie politique et sociale des communautés qui se laissent guider par de tels préceptes est meilleure que celle des communautés qui en sont dépourvues19. Mais confondre mathématique et physique, confondre mythe et hypothèse, prophétie et prévision20, rêve et prémonition ou roman et récit historique, de même que confondre judaïsme et politique de l'État d'Israël sont, au mieux des erreurs, au pire des manipulations grossières. Manipulations d'autant plus tentantes d'ailleurs que, de même qu'il est très facile au physicien chevronné de faire croire au béotien que tel phénomène physique était mathématiquement prévisible, de même il est aisé pour le sioniste de faire admettre au quidam que les événements constitutifs de l'histoire du peuple des Juifs ont été prophétisés par et dans les textes sacrés. Sauf que, ce qui n'est, après tout, qu'une ruse pédagogique de bon aloi pour l'un, peut tout à fait se transformer, chez l'autre, en machine à formater l'opinion publique. Voici ce qu'on peut lire, à titre d'exemple, sur le site sioniste Beth Yeshua : "savez-vous que le premier sioniste de l'histoire biblique, n'est pas Théodore Herzl, qui n'est qu'un exécutant de la volonté divine, mais Elohim, le Dieu Tout-Puissant, qui comme le dit ce texte d'introduction, en est l'Auteur qui agit selon son plan divin. Savez-vous que nous vivons des temps extraordinaires ? Puisque sous nos yeux, en ce 20ème  siècle des textes entiers de la Bible sont en train de s'accomplir ! Le signe particulier, qui depuis 1948 ne cesse de provoquer dans les nations, étonnement, intérêt, colère ... ou prière c'est la résurrection du pays d'Israël. Menace de toutes parts, en but à des problèmes graves, ce petit pays reste et demeure par la volonté divine"(Paul Ghennassia, Messages concernant Israël). Ce qui va dans le sens de Herzl qui "considère la question juive comme n’étant ni religieuse ni sociale, mais bien nationale" : l'instrumentalisation politique du judaïsme est en marche. Car, pour le sionisme post-herzlien, il est évident que ces trois événements majeurs de l'histoire du XX° siècle qu'ont été, successivement, l'affaire Dreyfus, le génocide perpétré par les nazis et la création de l'État d'Israël par l'Assemblée Générale des Nations Unies21 sont la confirmation empirique de cette double composante mythique, à la fois victimaire et élitiste, de l'identité narrative de la communauté juive-Juive. Bref, tandis que les chrétiens ont, tant bien que mal, réussi à maintenir une stricte distinction entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel (y compris dans la monarchie absolue), ou, les musulmans à établir, plus récemment, une différenciation entre l'islamisme (politique) et l'islam (religieux)22, les juifs devraient voir dans "ce 20ème  siècle23 [où] des textes entiers de la Bible sont en train de s'accomplir !" les preuves de l'accomplissement des textes sacrés un peu à la manière dont les calvinistes dont parle Weber voyaient dans leur réussite ou leur échec personnel la preuve de leur prédestination divine24. Mais si Weber montre à travers cet exemple que l'on peut toujours tirer d'un mythe un certain nombre de conséquences pratiques rationnelles, on ne saurait conclure que c'est nécessairement le cas, notamment lorsque cela conduit une communauté à se doter de l'arme nucléaire pour se prémunir contre un péril biblique réputé déjà partiellement advenu. Toujours est-il que, désormais, "un sioniste est un individu qui désire ou soutient la création d’un État juif en terre d’Israël [Eretz Israel] à cause de l’attachement historique du peuple Juif à cette terre [...] et l’expression obligatoire qui en découle est «la loi du retour»"(Avraham B. Yehoshua, Entretien à Libération, 30/05/2013). C'est sans ambiguïté : le sioniste réclame un État pour les Juifs, autrement dit pour ceux qui sont de confession juive, et exige que cet État25 ait la terre "historique" d'Israël pour territoire comme destination de "retour" : "vierge, la Palestine attendait que son peuple originel vienne la faire refleurir. Car elle lui appartenait, et non à cette minorité arabe, dépourvue d’histoire, arrivée là par hasard "(Shlomo Sand, loc.cit.). Une telle définition du sioniste fait clairement du sionisme une idéologie. Que l'on prenne le terme "idéologie" au sens que Marx et Engels lui donnent dans l'Idéologie Allemande : "en toute idéologie, les hommes et leurs condi­tions apparaissent sens-dessus-des­sous". Ce qui est bien le cas ici, puisque ce n'est pas à cause de leur attachement "historique" à la "terre d'Israël" que les juifs-Juifs y ont droit à un État, mais au contraire parce que le "droit au retour" est posé comme un axiome qu'il faut bien, pour retourner quelque part, un endroit d'où l'on a été chassé. Ou qu'on le prenne dans le sens qu'Hannah Arendt lui donne dans le Système Totalitaire : "une idéologie est précisément ce que son nom indique : elle est la logique d’une idée. L’émancipation de la pensée à l’égard de l’expérience". Ce qui est également le cas, puisque la "loi du retour" est visiblement inférée de la notion de "terre d'Israël" (Eretz Israel) et non de quelque fait historique que ce soit. En tout cas, la machine rhétorique fonctionne plutôt bien puisque l'assimilation du sionisme (idéologico-politique) et du judaïsme (religieux) est apparue, très tôt, comme une évidence à bon nombre d'intellectuels. Martin Luther King n'écrit-il pas, en août 1967 : "tu déclares, mon ami, que tu ne hais pas les Juifs, que tu es seulement antisioniste. À cela je dis, que la vérité sonne du sommet de la haute montagne, que ses échos résonnent dans les vallées vertes de la terre de Dieu : quand des gens critiquent le sionisme, ils pensent Juifs. [...] L'antisémitisme, la haine envers le peuple Juif, a été et reste une tache sur l'âme de l'humanité. Nous sommes pleinement d'accord sur ce point. Alors sache aussi cela : antisioniste signifie de manière inhérente antisémite, et il en sera toujours ainsi"(Lettre à un Ami Antisioniste) ?

Nous voici donc parvenus au point Godwin26 de toute attitude méfiante, soupçonneuse ou critique à l'égard de la nature du sionisme : puisque sionisme = judaïsme, si tu n'approuves pas le sionisme, tu es l'ennemi du judaïsme, et, comme le judaïsme est réputé, nous l'avons vu, une propriété exclusive du peuple Juif (juif = Juif), tu es donc aussi l'ennemi du peuple Juif, bref, tu es antisémite ! CQFD. En d'autres termes ceux qui osent élever des objections à l'égard de la politique israélienne sont des racistes. Encore une fois, les sionistes n'ont pas inventé ce genre de prestidigitation rhétorique consistant, au fond, à instrumentaliser médiatiquement une religion à des fins idéologiques (notamment racialistes) et/ou politiques (notamment expansionnistes) : les mêmes amalgames sont manifestement aussi présents dans l'islamisme radical (islam = théocratie), dans l'anti-islamisme de comptoir (musulman = Arabe = terroriste) et dans le fondamentalisme chrétien (croisades, guerres de religions, etc.). Cependant, il est frappant de constater à quel point le sionisme fait tout de même, du point de vue de l'amalgame médiatique entre religion, idéologie et politique, figure d'exception. Exception déjà la notion d'antisémistisme que la signification de l'acronyme "L.I.C.R.A." (Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme) distingue, à l'évidence, du racisme "ordinaire" par la conjonction et. Exception d'autant plus surprenante que ce racisme "spécial" que constituerait, selon la L.I.C.R.A., l'antisémitisme ne concerne plus, aujourd'hui, que les Juifs ... et non pas les Arabes, par exemple, alors que l'origine linguistique de l'adjectif "sémite" (cf. note 17) devrait, en toute bonne logique, inclure aussi ces derniers. En ce sens, s'il ne fait pas de doute que les Juifs ont été et sont encore souvent en butte à l'insondable bêtise antisémite, il saute aux yeux aussi que les Arabes l'ont été et le sont tout autant, notamment de la part des Juifs eux-mêmes d'ailleurs. Mais, en restreignant le sens du terme "antisémitisme" au seul racisme anti-Juif, les lobbies sionistes (au premier rang desquels la L.I.C.R.A. et le C.R.I.F. en France) entendent, à l'évidence, établir une différence de nature entre les persécutions dont a été et est encore victime le "peuple" Juif et celles qui ont touché ou touchent les autres communautés. Exception aussi et par conséquent cette posture victimaire systématique dont, seuls, bénéficient a priori les juifs-Juifs-Israéliens. Ce n'est, en effet, le cas pour aucune autre communauté humaine historiquement persécutée, ni pour les Palestiniens auxquels les sionistes ont tout de même infligé une nakba27, ni même pour les autres peuples tels que les Arméniens ou les Tutsis qui, tout comme les Juifs, ont eu à subir un génocide28. Exception d'autant plus hallucinante que, depuis la guerre de 1948 jusqu'aujourd'hui, la plupart des conflits armés dans lesquels est impliqué l'état d'Israël sont des guerres d'agression médiatiquement présentées comme des guerres préventives29. Exception encore l'appropriation et le détournement de la notion de juste qui, dans son acception judaïque30, désigne les gentils (ceux qui sont non-juifs) qui craignent et prient le Dieu de la Torah et qui, par un tour de passe-passe idéologico-politique31, devient une distinction honorifique destinée à récompenser, après passage devant une commission juridictionnelle israélienne, ceux et celles qui, au péril de leur vie, ont tenté de soustraire des griffes des nazis des êtres humains voués à l'extermination. Non pas, bien entendu, que de telles manifestations d'héroïsme ne méritent pas hommage et récompense, mais il est probable que c'est parce que ces personnes possédaient une certaine idée de la justice (qui, d'ailleurs, ne correspond pas nécessairement au sens restreint que le judaïsme donne à ce ce terme) qu'ils ont contribué à sauver leurs frères en humanité et non pas parce qu'ils les ont sauvés qu'ils sont "justes". Exception enfin, et sans doute la plus remarquable de toutes, que celle qui fait du sionisme comme idéologie politique dénaturant la religion juive, un sujet de réprobation de la part de certaines autorités cléricales de cette même religion. Voici, à titre d'exemple32, ce qu'écrit le rabbin Joseph Agassi : "cette idéologie considère l'antisémitisme comme inéluctable et Israël comme le seul endroit au monde où les juifs puissent se trouver en sécurité. [...] La plupart des dirigeants de la diaspora n'ont pas de meilleur programme que de défendre Israël en se fondant sur le principe vicié suivant : « mon pays, qu'il ait raison ou tort » [...]. Étant donné que les sionistes, tant juifs que chrétiens, nient toute légitimité à l'antisionisme, ce débat demeure étouffé de nos jours. L'importance de se familiariser avec l'antisionisme fondé sur la Torah n'est que trop évidente ; l'ignorer ne fait que renforcer le culte de la vache sacrée du sionisme moderne. [...] Quand on parle d'État juif pour désigner Israël, par exemple, cela donne lieu à une confusion aussi réelle que dangereuse entre la foi et la nationalité"(au Nom de la Torah, une Histoire de l'Opposition Juive au Sionisme, préf.). Ce qui, grosso modo, résume nos propres arguments. Mais, comme le dit le rabbin Agassi, "étant donné que les sionistes, tant juifs que chrétiens, nient toute légitimité à l'antisionisme, ce débat demeure étouffé de nos jours". Ce sont les raisons de cet obscurantisme universel dans les media occidentaux à l'égard de la figure du juif-Juif, autrefois paradigme de la fourberie et de la perversité33 et aujourd'hui paré de toutes les vertus, que nous allons tenter d'approcher à présent.

Dans mon article intitulé Actualité de la Phylakocyônie (les Chiens de Garde aboient ...), je tentais de souligner à quel point nos institutions médiatiques se comportent, le plus souvent, comme les chiens de garde d'un espace socio-économique mondialisé et caractérisé par la sanctification d'un capitalisme présenté comme l'horizon indépassable de l'essence de l'humanité. Et je citais Paul Nizan qui, le premier, a utilisé l'expression "chiens de garde" en ce sens : "étant les productions de la démocratie bourgeoise, [les chiens de garde] édifient avec reconnaissance tous les mythes qu'elle demande"(Nizan, les Chiens de Garde, iv). L'exemple le plus récent de cette évidente collusion est le traitement médiatique auquel a donné lieu l'opération belliqueuse euphémiquement dénommée "Bordure Protectrice" (guerre "préventive" oblige) que l'État d'Israël a menée du 8 juillet au 26 août 2014 dans la bande de Gaza. En effet, tandis que le bilan numérique "humain" de ladite opération se monte, du côté gazaoui, à 2147 morts (dont 81% de civils) et à 72 morts (dont 6 civils) du côté israélien, tandis que l'opération lancée par l'armée israélienne dans la bande Gaza en représailles des attentats meurtriers (2000 victimes israéliennes) perpétrés et revendiqués par le Hamas le 7 octobre 2023 a déjà fait, deux mois après son déclenchement, près de 16000 victimes, presque toutes civiles,  tous les grands media occidentaux se sont livrés à une relation à sens unique34 dont la partialité ferait hurler de rire si l'affaire n'était pas si grave, traitement qui consiste à s'apitoyer longuement sur le sort des uns, invariablement considérés comme les victimes en passant sous silence la détresse des autres, forcément les bourreaux, oubliant au passage que lorsque les "victimes" riches et surarmées font plus de victimes que les "bourreaux" réduits à user d'armes artisanales (des roquettes, des cocktails molotov, voire des pierres, comme dans la Première Intifada de 1987), il y a, pour dire le moins, un problème de logique du langage. Mais il se pourrait bien que la complaisance caricaturale avec laquelle lesdits media promeuvent, entretiennent et perpétuent, d'une manière générale, le mythe sioniste de la victimité vertueuse ne soit, en fin de compte, que la conséquence nécessaire d'une communauté d'intérêts économiques entre celui-ci et ceux-là. Le sionisme, avons-nous dit, n'est qu'une récupération à des fins idéologiques et politiques des grands mythes fondateurs de la religion juive, notamment celui de la persécution d'une communauté élue. Or, dans l'environnement capitaliste mondialisé qui caractérise la deuxième moitié du XX° siècle, un signe manifeste d'"élection" consiste dans la "réussite économique" au sens du capitalisme, cela va de soi, c'est-à-dire au sens d'une propension à "créer de la richesse", autrement dit à maximiser les profits des entrepreneurs privés. Si, comme par hasard, quelques milliardaires américains, et non des moindres (Bille Gates, Warren Buffett, Donald Trump) se sont extasiés devant la "réussite économique" israélienne35, c'est que l'expansionnisme politique36 et militaire37 de l'État (des) juif(s)-Juif(s) ne sont que la vitrine de l'impérialisme sioniste qui, comme tout impérialisme moderne, est avant tout un impérialisme économique. En effet, "si l'on devait définir l'impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu'il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette définition embrasserait l'essentiel, car, d'une part, le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d'industriels ; et, d'autre part, le partage du monde est la transition de la politique coloniale, s'étendant sans obstacle aux régions que ne s'est encore appropriée aucune puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopolisée de territoires d'un globe entièrement partagé"(Lénine, l'Impérialisme, Stade Suprême du Capitalisme). Bien entendu, une telle définition de l'impérialisme comme tendance irrésistible du capitalisme financier à conquérir, dans un premier temps de nouveaux marchés, pour, dans un second temps, s'octroyer le monopole d'exploitation d'une part toujours croissante du marché existant, cette définition, donc, vaut pour toutes les firmes capitalistes en général. Mais on doit reconnaître que, de ce point de vue, en concentrant leurs efforts à la fois dans l'espace (les territoires occupés pour l'expérimentation et la démonstration de l'efficacité de leurs produits high-tech, les États-Unis et l'Europe pour l'exportation des mêmes produits), dans le temps (ces vingt dernières années) et sur des secteurs bien identifiés (armement, informatique, télécommunication) certaines entreprises israéliennes sont tout à fait exemplaires.

Ce n'est certainement pas un hasard si, comme le soulignent Senor et Singer dans un livre paru en 2009 et intitulé (en traduction française) Israël, la Nation Start-up, Israël est au second rang mondial par le nombre de ses firmes cotées au Nasdaq38, juste derrière les États-Unis et au premier pour le nombre de ses start-up rapporté au nombre de sa population. Ce n'est pas un hasard non plus si "la bourse de Tel Aviv était plus élevée le dernier jour de la guerre du Liban que le premier, comme cela avait été le cas après l’opération militaire à Gaza en 2009"(op. cit.). Explication avancée par les auteurs de l'ouvrage pour un tel "dynamisme" économique : "l’adversité comme la nécessité de survivre sont mère de l’inventivité. Mais cela ne peut suffire à expliquer le mystère israélien. Il existe quelque chose de spécifiquement « Juif » là dedans. [Mais] Israël est en fait l’opposé d’un pays juif unidimensionnel … C’est un melting-pot monothéiste issu d’une diaspora qui a apporté avec elle des cultures, des langues et des coutumes des quatre coins du monde"(op. cit.). Nous retrouvons là deux thèmes bien connus et qui sont chers au sionisme militant : d'une part l'"adversité" et la "nécessité de survivre" pour une population par nature en butte à l'hostilité généralisée, d'autre part l'"inventivité" et ce petit "quelque chose de spécifiquement « Juif »", bref, le génie d'une population d'élite. Voilà comment on fabrique du "racisme positif", si j'ose dire, c'est-à-dire du racisme valorisant pour la communauté humaine qui en est l'objet. Comme le dit Abraham Léon en 1942 (avant d'être déporté à Auschwitz et d'y mourir) : "c'est le développement effréné des forces productives se heurtant aux limites étroites de la consommation qui constitue la force motrice véritable de l'impérialisme, le stade suprême du capitalisme. Mais c'est la Race qui semble être sa force apparente la plus caractéristique. La racisme, c'est donc d'abord le déguisement idéologique de l'impérialisme moderne. La « race luttant pour son espace vital » n'est rien d'autre que le reflet de la nécessité permanente d'expansion qui caractérise le capitalisme financier ou le capitalisme des monopoles"(Léon, la Conception Matérialiste de la Question Juive, vii). Après tout, le racisme anti-juif des nazis, tout comme le racisme anti-arabe des sionistes peut être lu comme le corrélat du "racisme positif" dont a été, jadis, revêtu le "peuple" Aryen et, aujourd'hui, le "peuple" Juif, l'un et l'autre étant réputés lutter pour leur Lebensraum. Pour autant, nous assurent Senor et Singer, cet élitisme dans l'adversité reste très convivial puisque compatible avec "des cultures, des langues et des coutumes des quatre coins du monde". Paradoxe ? Pas du tout. C'est que, contrairement au racisme nazi, qui était uniquement agressif, le racisme sioniste peut compter sur l'amalgame apaisant entre le mythe du "cosmopolitisme" Juif et celui du "village mondial" cher à Marshall Mc Luhan (le "village mondial" n'étant d'ailleurs que la traduction de la cosmopolis grecque). Finalement, il n'y a rien d'étonnant à ce que l'idéologie sioniste bénéficie d'une telle cote de popularité médiatique puisque, d'une part elle exprime l'expansionnisme militaro-industriel agressif dont les aspects financiers ne sont rien moins que nécessaires à la survie du capitalisme, mais, d'autre part, elle donne une image positive, à travers la multiculturalité de sa diaspora, de la notion toujours un peu floue de mondialisation. La révérence des media occidentaux à l'égard du sionisme se comprend alors parfaitement : le sionisme, au fond, apparaît comme de nature à réhabiliter ce capitalisme, certes un peu brutal dans ses aspects financiers, mais tellement consensuel du point de vue culturel, ce capitalisme qui, précisément, les fait vivre, eux, les media. Or nul n'est tenu de scier la branche sur laquelle il est assis. Cela vaut bien quelque complaisance au sujet des exactions sionistes qui sont immanquablement requalifiées en simples bavures collatérales commandées par la nécessité de se défendre contre le terrorisme. Entendons-nous bien : il n'y a, de la part des media, ni admiration béate, ni complot, mais simple convergence objective d'intérêts économiques. On ne peut pas dire que les media admirent (au sens d'Adam Smith) le sionisme : "notre déférence à l’égard de ceux qui nous sont supérieurs naît plus souvent de l’admiration pour les avantages de leur situation que d’une secrète espérance d’un bienfait provenant de leur bon vouloir, lequel ne peut concerner qu’un petit nombre, tandis que leur fortune intéresse presque tout le monde"(Smith, Théorie des Sentiments Moraux, I, iii, 3). Car, pour Smith, ce sont les pauvres qui admirent les riches. Et dans notre cas d'espèce, ce sont des riches (les grandes entreprises de communication cotées au Nasdaq) qui encensent des riches (d'autres firmes cotées au Nasdaq). On reste donc entre soi. Pour autant, il n'y a pas non plus de complot. Il n'y a pas d'accord rationnel qui serait conclu entre les media et je ne sais quel pouvoir sioniste occulte, mais plutôt ce que Bourdieu appelle un habitus : "l’habitus, nécessité faite vertu, produit des stratégies qui, bien qu’elles ne soient pas le produit d’une visée consciente de fins explicitement posées sur la base d’une connaissance adéquate des conditions objectives, ni d’une détermination mécanique par des causes, se trouvent être objectivement ajustées à la situation. L’action que guide le "sens du jeu" a toutes les apparences de l’action rationnelle que dessinerait un observateur impartial [...], et pourtant, elle n’a pas la raison pour principe"(Bourdieu, Choses Dites). Rien d'étonnant, derechef, à ce qu'il existe un habitus professionnel spontané des media occidentaux à être en empathie avec ces entités économiques qui, tout en étant l'expression économique du sionisme, occupent la même position qu'eux sur le marché des produits et services à très forte valeur ajoutée et qui, pour cette raison, se serrent mutuellement les coudes pour en perpétuer des règles du jeu qui leur réussit plutôt bien. Voilà pourquoi les media ont irrésistiblement tendance à promouvoir implicitement l'impérialisme sioniste.

Là, en revanche, où on pourrait admettre que les media occidentaux manifestent, effectivement, une admiration sans borne à l'égard du sionisme, c'est en considération du caractère cynique de celui-ci. Expliquons-nous. Peter Sloterdijk définit le cynisme39 de la manière suivante : "les mass-media modernes veillent à un nouveau conditionnement artificiel des consciences dans l’espace social. [...] Des informations inondent la conscience « téléifiée » avec du matériel du monde sous forme de particules d’information ; en même temps, les mass-media dissolvent le monde en paysages fluorescents de nouvelles qui apparaissent sur le petit écran de la conscience du moi. Les media possèdent en effet la force de réorganiser ontologiquement la réalité comme réalité dans notre tête"(Sloterdijk, Critique de la Raison Cynique). En "téléifiant", notamment, les massacres perpétrés par la soldatesque sioniste, c'est-à-dire en concevant à leur sujet des sortes de video clips dans lesquels les images se succèdent de manière haletante et fantastique, les media occidentaux remplissent une fonction essentielle pour la survie du capitalisme : le spectacle. Les media, en effet, savent bien qu'ils s'adressent à des consommateurs d'images abreuvés, dès leur plus jeune âge, à un flux permanent d'images. Ce que sachant, il s'agit, pour chaque network, de se livrer à une concurrence effrénée au sensationnel afin de ne par perdre (et même, si possible, de gagner) de ces précieuses parts du marché publicitaire dont la manne financière est irrévocablement proportionnelle au résultat des mesures d'audience. Or, ce que souhaite le téléspectateur ou le lecteur moyen abruti par son addiction au divertissement hallucinogène, ce qui conditionne donc sa fidélité à un canal médiatique donné, c'est qu'il y ait du spectacle, de l'entertainement. Pas forcément gore, d'ailleurs, pas forcément trash. En tout cas, pas au moment du repas, pas au moment où les gosses regardent ! Mais du spectacle qui, comme on dit, "vous scotche", "vous vide la tête", "vous fait monter l'adrénaline" et autres expressions tirées du champ lexical de la médecine psychotrope. Or, rien n'est plus spectaculaire, en ce sens, que l'information sur l'"actualité", cette fameuse "réalité" dont les commentaires journalistiques se plaisent à souligner à quel point elle "dépasse la fiction", ne fût-ce qu'en raison de son caractère imprévisible (d'où le succès du "direct"). Ce qui ne veut pas dire, d'ailleurs, que l'efficacité cynique de l'infotainment (l'info-spectacle) réside dans son contenu (massacres de Gaza et match du PSG sont, de ce point de vue, tout à fait interchangeables), mais plutôt dans sa forme spectaculaire même. Car "le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes [dans lequel] toute activité est niée"(Debord, la Société du Spectacle, §27). Ou, comme le fait dire Ray Bradbury à son héros Montag, "bourrez les gens de données incombustibles, gorgez-les de "faits", qu'ils se sentent gavés, mais absolument "brillants" côté information. Ils auront alors l'impression de penser, ils auront le sentiment du mouvement tout en faisant du sur-place"(Bradbury, Farenheit 451). Bref, l'"information" au sens spectaculaire que lui donnent nos media isole, rend passif et interdit de penser. Et, précisément, avec ces flux d'images vendues systématiquement par le service d'information et de communication de l'armée israélienne, on est dans du sérieux, du solide. L'impact sur le spectateur est garanti, pour peu qu'il soit accompagné d'un commentaire lénifiant rabâchant, avec quelques éléments de langage appropriés, non pas directement les fondamentaux idéologiques du sionisme (élitisme et victimité du Juif, identification du juif et du Juif, identification de l'État (des) juif(s)-Juif(s) à la Terre d'Israël), mais plutôt leurs conséquences cyniques : l'État d'Israël ne fait que se défendre contre le terrorisme, et elle fait avec un maestria qui force le respect. Et c'est là, sans doute que l'on peut parler d'admiration médiatique pour la perfection formelle de ces images que les media complices n'eussent probablement pas pu concevoir par eux-mêmes et que les services de communication de l'armée israélienne leur vendent "clés en main"40. De la sorte, l'ordre géopolitique ou économique (c'est la même chose) règne, et pour longtemps. Car ce qu'il y a derrière ces images bien léchées, c'est que les bons soldats israéliens ne se contentent pas de défendre leur territoire perfidement attaqué par les méchants terroristes palestiniens, mais ils défendent aussi nos valeurs occidentales menacées par l'islamisme. De même que l'opinion doit confondre Israélien, Juif et juif, elle doit confondre aussi Palestinien, Arabe, musulman et islamiste. Voilà, en l'occurrence, en quoi consiste le "conditionnement" médiatique, c'est-à-dire le cynisme dont parle Sloterdijk et qu'on pourrait, avec une bonne dose d'humour noir, requalifier en cyonisme !

Déjà, à une époque où l'on ne parlait pas de media mais, simplement, de rhétorique sur l'Agora, Platon soulignait que "la rhétorique exige une âme perspicace et naturellement habile dans les relations humaines. [La flatterie] a pris le masque de l'art sous lequel elle se trouvait, [elle] n'a aucun souci du meilleur état de son objet, et c'est en agitant constamment l'appât du plaisir qu'elle prend au piège la bêtise, qu'elle l'égare"(Platon, Gorgias, 463b-464d). Plus que jamais, en effet, le genre d'"information" que nous avons évoqué a clairement pour fonction rhétorique de "pièger la bêtise", d'"égarer", de dissimuler ce qui, étant problématique, risquerait de donner à penser. À penser aux enjeux humains de la guerre41, par exemple. Par "enjeux humains", je n'entends pas le seul décompte des morts et des blessés, à quoi les media réduisent la plupart du temps les bilans "humains" des conflits armés, mais plutôt ce qui fait que, à l'issue d'un acte de guerre, ceux qui ont survécu à ces opérations, en général, vivent plus mal qu'avant. Or, depuis les premières destructions sionistes des années 1920 en Palestine jusqu'aux derniers (last but not least !) massacres à Gaza, l'état de guerre permanente qu'un occupant surarmé a imposé à des populations traditionnellement rurales ne peut pas ne pas avoir profondément et durablement (ça fait presque un siècle que ça dure !) déterminé une impossibilité de vivre, je veux dire de vivre une vie authentiquement humaine et non seulement de survivre au sens animal du terme. On admet généralement, depuis Aristote42, qu'une vie humaine digne de ce nom consiste à vivre, sinon heureux, sinon bien, du moins le mieux possible. En d'autres termes, une vie authentiquement humaine doit, par définition, être grosse d'un avenir meilleur que le présent. C'est ce que, s'adressant à l'occupant sioniste, le grand poète palestinien Mahmoud Darwich proclame, tout à la fois avec rage et modestie, lorsqu'il dit : "nous avons à faire dans notre terre. Nous avons à cultiver le blé, à l’abreuver de la rosée de nos corps. Nous avons ce qui ne vous agrée pas ici, pierres et perdrix. Alors, portez le passé, si vous le voulez, au marché des antiquités [...]. Nous avons ce qui ne vous agrée pas. Nous avons l’avenir. Et nous avons à faire dans notre pays"(Darwich, Palestine, mon Pays). Or, quel avenir a-t-il, ce paysan que la guerre a privé d'un œil, ou d'une jambe, ou d'un bras, ou d'une main ? Déjà, dans les tranchées de 1914-1918, Gabriel Chevallier soulignait à quel point le soldat mutilé voit se rétrécir pour lui l'éventail des possibles : "il a les deux mains emportées, ses deux mains de cultivateur ou d'ouvrier, ses machines, son gagne-pain [...]. Elles lui manquent déjà pour souffrir, pour satisfaire ce besoin si naturel, si habituel qui consiste à les porter à l'endroit douloureux qu'elles serrent, afin de calmer. Elles lui manquent pour se tordre, se crisper et supplier. Celui-là ne pourra plus jamais toucher. Je réfléchis que c'est peut-être le plus précieux des sens"(Chevallier, la Peur, I, v). De même, Jean Giono : "en pleurant, il [Jérôme, le papé] regarde sa grosse main droite toute déformée [...]. - Alors, comme ça, [dit Julia] on a coupé le bras de Joseph. Le droit. C'est fait, ça n'est plus une chose à faire, c'est écrit dessus la lettre que c'est fait ... Le bras ! La main et tout ! On lui a coupé le bras ! C'est possible, ça ? Comment on a fait ça ? Pourquoi ? Il a souffert ! .... Oh, Joseph ! Mon pauvre ! ... Et alors maintenant, de ce côté, tu n'as plus rien ? Plus de bras ? [...] Ce bras qu'on a coupé ! Mon bras, celui qui venait là autour de moi, si chaud, si dur, si bien solide dans la valse et tout ! Cette main qui était sur moi ! [...] C'est avec cette main qu'il m'a touchée la première fois. Elle a touché tout le rond de ma joue. Elle est venue sur ma bouche et sur mes yeux. C'est avec cette main qu'il m'a connue, après ... Joseph ! Mon pauvre ! Alors, maintenant, tu vas t'en aller tout de moitié dans la vie? Alors maintenant, tu ne me toucheras plus de cette main, dis ?"(Giono, le Grand Troupeau, 160-164)43. Certes, ceci vaut pour toutes les victimes de toutes les guerres sans exception. Sauf que le cynisme, cette "force de réorganiser ontologiquement la réalité comme réalité dans notre tête" dont parle Sloterdijk, atteint sans doute des sommets vertigineux lorsque le site officiel Armée de Défense d'Israël n'hésite pas à parler, à propos des interventions armées "défensives" des soldats israéliens, de "code éthique de conduite", d'"esprit de Tsahal", de "pureté des armes" (sic !), en ces termes : " Pureté des armes — les hommes et femmes de Tsahal n'utiliseront leurs armes et leur force que dans l'objectif et dans le cadre strict de leur mission et conserveront leur humanité même durant les combats. Les soldats de Tsahal n'utiliseront pas leurs armes et leur force pour faire du mal à des êtres humains qui ne sont ni combattants ni prisonniers de guerre et ils feront tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter de causer des dommages à leurs vies, leurs corps, leur dignité et leur propriété"(loc. cit.).44 C'est sans doute la première fois, dans l'histoire de l'humanité, qu'une force armée enrobe ses exactions d'une telle dose de "moraline", comme disait Nietzsche : assurément, ni les Huns, ni les Croisés, ni la Wehrmacht n'y eussent pensé ! Cynisme des media occidentaux vis à vis du sionisme à l'œuvre, cynisme du sionisme à l'œuvre vis à vis des media occidentaux. Là encore, pas de hasard : le capitalisme a besoin de ce déni permanent de réalité. D'un côté l'image idéalisée d'une guerre "défensive, juste et propre" gorgée de cette idéologie sentimentale des "droits de l'homme" dont la démocratie bourgeoise est si friande, de l'autre, la réalité de la colonisation, de l'humiliation, de la mutilation, de la destruction : ""Nous vous annonçons la bonne nouvelle de la civilisation" a dit l'Étranger, et il a dit "Je suis le seigneur du temps, venu recevoir la terre de vos mains" [...]. Ô, maître des Blancs, où emportes-tu mon peuple et le tien ? Vers quel gouffre ce robot hérissé d'avions et de porte-avions entraîne-t-il la terre ? Vers quel gouffre béant montez-vous ? Et tout ce que vous désirez vous échoit. La nouvelle Rome, la Sparte de la technologie et l'idéologie de la folie"(Darwich, au Dernier Soir sur cette Terre). Car, la vérité dernière du capitalisme, c'est que "l’enrichissement capitaliste a pour condition l’appauvrissement du travailleur ; il y a une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère"(Marx, le Capital, I, xiv)45. En clair, la prospérité économique de l'État d'Israël, c'est-à-dire, en fait, celle des riches milieux d'affaires israéliens, qui, comme nous l'avons vu, fait partie de l'élite du capitalisme mondialisé, dépend, entre autres facteurs (l'autre étant l'existence de débouchés en Europe et en Amérique), de la misère économique de ses voisins, ne fût-ce qu'en raison de la faiblesse des coûts de main d'œuvre clandestine et frontalière qu'induit cette situation46. Voilà pourquoi il ne fait guère de doute que les media occidentaux soient admiratifs devant le cynisme de la Weltanschauung sioniste.
 
Mais il y a probablement une troisième raison à l'indulgence systématique de nos media à l'égard de la réalité profonde du sionisme. C'est que le sionisme est le modèle le plus achevé de la société capitaliste (dont les media sont les plus fidèles chiens de garde) d'un autre point de vue encore : en ce que celle-ci comme celui-là sont irrémédiablement condamnés à la fuite en avant. C'est tragique. Au sens littéral du terme : leur destin ne leur laisse pas le choix, il leur faut fuir ou périr. Marx et Engels avaient déjà établi que ce soi-disant amour du progrès qui anime la bourgeoisie n'est rien d'autre que la nécessité, pour subsister en tant que classe dominante, de trouver toujours de nouveaux débouchés commerciaux afin de rentabiliser son capital47. Marcuse a montré que le mouvement de modernisation comme valeur cardinale de la société capitaliste n'était rien d'autre qu'un processus sans fin d'augmentation, non seulement de la productivité du travail, mais aussi de la propension à consommer48. Processus infini dont Hannah Arendt a d'ailleurs expliqué en quoi le totalitarisme constitue, in fine, la seule issue possible49. Cette fuite en avant, et toute la phraséologie de valorisation du mouvement et de la nouveauté qui va avec, et qui se retrouve, notamment, dans l'obsession de l'économie politique à voir maximiser des "taux de croissance", est la conséquence nécessaire de la règle fondamentale du capitalisme : toujours plus50. Ce qui suppose qu'il faut bien se résoudre à exercer, contre la nature en général et la nature humaine en particulier, une violence sans fin. En effet, comme le dit Aristote, "les êtres naturels sont ceux qui ont en eux-mêmes un principe de mouvement ou de repos [...] ; la violence permet de mettre en mouvement ce qui ne possède pas en soi-même le principe de son propre mouvement"(Aristote, Physique, II, 192b)51. Certes, de ce point de vue, toute culture est une anti-nature, donc une violence, mais "la culture cherche toujours à reproduire l'état d'esprit le plus favorable à la perpétuation de l'ordre différencié"(Girard, la Violence et le Sacré, xi). Sauf que "les hommes sont maintenant parvenus si loin dans la domination des forces de la nature qu'avec l'aide de ces dernières il leur est facile de s'exterminer les uns les autres jusqu'au dernier"(Freud, Malaise dans la Culture, viii). Or, si on appelle "capitalisme" la forme optimale qu'a, jusqu'à présent, revêtu la domination des forces de la nature, on doit reconnaître alors que le sionisme est à la pointe du capitalisme : agressivité économique des entreprises israéliennes, agressivité idéologique des media israéliens, agressivité colonisatrice du gouvernement israélien dans les territoires occupés52, agressivité diplomatique des lobbies israéliens sur les négociations de "paix", et, bien entendu, agressivité militaire de l'armée israélienne équipée des meilleurs drones et chars de combat du monde. En d'autres termes, et c'est par cela que je voudrais terminer, le sionisme me semble essentiellement se caractériser par une violence cumulative et infinie, violence qui, étant intégrée, en quelque sorte, au paysage capitaliste ambiant, n'est jamais problématisée par les media. D'ailleurs, si l'idéologie sioniste s'évertue à contester rhétoriquement les imputations d'impérialisme ou de cynisme qu'on lui adresse périodiquement, en revanche, son déni de réalité ne va pas jusqu'à nier le caractère violent de ses relations avec le monde. Comment le pourrait-elle lorsque l'on sait que la guerre civile de résistance des populations arabes de Palestine débute dès le 29 novembre 1947 et le vote du Plan de Partage de la Palestine (Résolution 181) par l'ONU (bien qu'elle reste plus ou moins "contenue" par les forces britanniques jusqu'au retrait de celles-ci le 14 mai) et que la première guerre israélo-arabe débute le 15 mai 1948, c'est-à-dire dès le lendemain de la proclamation de l'indépendance d'Israël par David ben Gourion53 ! Certes, ce sont les armées arabes (égyptienne, irakienne, syrienne, jordanienne, libanaise) qui pénètrent sur le territoire du nouvel État (des) juif(s)-Juif(s) et qui, d'une certaine manière, peuvent être tenus pour responsables des violences qui vont s'ensuivre54. Mais enfin, il s'agit d'une réaction tenue pour inacceptable par celui-là même des protagonistes au conflit qui détermine et impose la colonisation sioniste (entre 1881 et 1948, près de 500 000 colons juifs dépossèdent les Palestiniens de leurs terres) et le terrorisme sioniste (qui commence en 1920 et qui culmine avec les massacres de Deir Yassin perpétrés par les miliciens sionistes le 9 avril 1948). Tout le monde connaît la suite, c'est-à-dire les faits saillants de l'histoire d'Israël en tant qu'État55 : massacres de Kibya en 1953, Guerre des Six jours en 1967, prise d'otages aux Jeux Olympiques de Münich en 1972, Guerre du Kippour en 1973, Guerre civile libanaise en 1975, massacres de Sabra et de Chatila en 1982, première Intifada en 1987, seconde Intifada en 2000, encerclement de Ramallah et destruction du QG de Yasser Arafat en 2002, massacres de Jénine en 2002, bombardements de Gaza en 2008, 2009, 2012, 2014, 2023, etc. pour n'en citer que quelques uns. Ce qui frappe, dans cette énumération, c'est que, quel que soit le "héros tragique" que l'on se donne, que ce soit le peuple des Juifs ou bien le peuple des Palestiniens, il semble bien qu'il soit implacablement entraîné dans l'enchaînement fatal des représailles infinies.

Est-ce à dire que l'enjeu de la vengeance violente est le même des deux côtés ? Certainement pas. Certes, on peut dire avec René Girard que, dans les deux camps, "la société cherche à détourner vers une victime [...] ''sacrifiable'' une violence qui risque de frapper ses propres membres, ceux qu'elle entend à tout prix protéger"(Girard, la Violence et le Sacré, i). Autrement dit que, d'un côté comme de l'autre, la guerre n'est qu'une façon particulière de faire de la politique, donc d'administrer une communauté en en régulant le lien social56. Quant au terrorisme, c'est aussi une manière de faire de la politique dans une situation d'urgence extrême pour la sauvegarde ou le péril de la communauté en question57. Le choix de la "cible", de la victime n'étant alors qu'une conséquence d'options politiques belliqueuses ou terroristes. Il y a cependant une différence profonde entre la nécessité de résister à l'envahisseur pour une communauté essentiellement rurale qui a déjà tissé en son sein des liens de solidarité pluri-séculaires qu'elle ne cherche qu'à préserver, et la nécessité, pour une diaspora mythiquement constituée en "peuple d'élite dominateur et sûr de lui" pour reprendre une formule qui a fait florès, par l'érection rhétorique des faits de persécutions effectivement subies en confirmation tout à la fois de son élection divine et de son destin victimaire. Le problème n'est pas seulement de savoir lequel de ces deux enjeux est le plus légitime mais lequel a le plus de chance d'entretenir et de perpétuer le cycle infini des vengeances et des représailles. À cet égard, il est probable que l'une et l'autre communauté sera encore et encore souvent instrumentalisée au services d'enjeux géo-politiques qui les dépassent, et que la solidité du lien social n'est pas mieux assurée dans une communauté dominante dont le passé est pour partie fantasmé et dont l'avenir dépend des succès commerciaux aléatoires de quelques start-up pour lesquelles, d'ailleurs, la guerre représente une formidable opportunité publicitaire que dans une communauté dominée perpétuellement asservie, humiliée, décimée, déshumanisée. De sorte que "toute communauté en proie à la violence ou accablée par quelque désastre auquel elle est incapable de remédier se jette dans une chasse aveugle au ''bouc émissaire'' [par lequel] les hommes veulent se convaincre que leurs maux relèvent d'un responsable unique dont il sera facile de se débarrasser"(Girard, la Violence et le Sacré, iii). Bref, la communauté des Palestiniens et leurs soutiens a tout autant besoin d'un "bouc émissaire" que la communauté des Juifs et leurs soutiens. Sauf que, là encore, les maux de l'une et de l'autre communauté ne sont pas de même nature : bien réels et conscients, donc, dans une certaine mesure solubles à terme, pour l'une, en partie fantasmés (le mythe biblique de l'exode perpétuel) ou inconscients (l'exacerbation des conflits de classe58 dans une société qui, nous l'avons vu, se revendique l'avant-garde du capitalisme) pour l'autre. Il s'ensuit que l'on ne voit pas très bien pourquoi ni comment le cycle tragique des provocations et des réactions belliqueuses et terroristes devrait prendre fin. Il faudrait pouvoir compter sur une institution judiciaire "qui écarte la menace de la vengeance, [qui] ne supprime pas la vengeance [mais] la limite effectivement à une représaille unique dont l'exercice est confié à une autorité souveraine et spécialisée dans son domaine. Les décisions de l'autorité judiciaire s'affirment toujours comme le dernier mot de la vengeance"(Girard, la Violence et le Sacré, i). Or d'une part l'on sait, par expérience, hélas, le poids et l'autorité que possèdent les décisions (par exemple les "résolutions" du Conseil de Sécurité de l'ONU) d'une telle institution, par hypothèse supra-nationale, faute d'avoir, comme le dit Max Weber, le "monopole de la violence physique légitime"59. Et surtout, d'autre part, on peut évidemment compter sur la diligence des media pour jeter de l'huile sur le feu, pour que les gens "s'imaginent que la guerre est seulement un gigantesque match de boxe auquel ils assistent de loin, grâce aux journaux"(Proust, le Temps Retrouvé, 2206), bref, pour soigner leur Audimat. La guerre fait vendre, et pas seulement des armes. La guerre, surtout lorsqu'elle n'en finit pas, est bonne pour la "croissance". Voilà pourquoi les media ont toutes les raisons de continuer à entretenir les meilleures relations avec la poule sioniste aux œufs d'or.

Finalement, le sionisme n'est pas seulement une idéologie qui, comme toutes les idéologies, a pour fonction de produire un discours dont la nébulosité conceptuelle tient lieu de profondeur et la répétitivité rhétorique d'évidence. C'est beaucoup plus que cela : une idéologie à la base, certes, mais une techno-idéologie ultra-moderne qui fait siens les trois piliers sur lesquels repose le capitalisme de la fin du XX° et du début du XXI° siècles : l'impérialisme économique, le cynisme médiatique et la fuite en avant militaire et colonisatrice. Loin donc que le capitalisme mondialisé et dévastateur soit, comme le prétendent les thèses complotistes d'extrême-droite, l'accomplissement d'un soi-disant "projet sioniste", c'est au contraire le sionisme qui peut s'enorgueillir d'être, jusqu'à présent, la plus parfaite réussite de la logique capitaliste.

1Propos qui ne peuvent, évidemment, être réduits à une formule choc extraite de son contexte où la paranoïa de certains commentateurs a naturellement vu une preuve de l'antisémitisme de son auteur (cf. Raymond Aron dans de Gaulle, Israël et les Juifs). Cf. transcription complète de la conférence.
2Cf. le texte complet (version française) de la Résolution 242. Son contenu sera rappelé et confirmé par la Résolution 338 prise à l'unanimité moins une abstention le 22 octobre 1973 à l'issue de l'échec de l'offensive égypto-syrienne dite "du Yom Kippour" et menée, précisément, dans le but d'obliger Israël à respecter la Résolution 242.
3"Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays". Pour une historiographie sommaire des conflits armés impliquant les forces sionistes, cf. conflit israélo-arabe et conflit israélo-palestinien sur le site Wikipedia (les références à ce site se justifient essentiellement par la quantité des hyper-liens qu'il permet).
4J'emploie le terme "métaphysique" dans son sens le plus banal et le plus classique d'une intuition parfaitement claire et absolument robuste à tous les contre-arguments quoique insusceptible de confirmation empirique.
5"L’essence d’une chose, c’est l’usage grammatical du mot correspondant [...]. C’est la grammaire qui dit quel genre d’objet est une certaine chose (la théologie n’est qu’une affaire de grammaire)"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, § 371-373)". Dire qu'il appartient à "l'essence" d'une communauté d'être ceci ou cela, c'est donc dire que c'est là une règle fondamentale du jeu de langage que joue celui qui narre les péripéties de cette communauté.
6Le terme de "mythe" indique ici un ensemble de représentations qui ne peuvent revendiquer un statut historique. C'est le cas des croyances religieuses, mais également (cf. notes supracelui des notions logiques, mathématiques, métaphysiques, grammaticales et, d'une manière générale, de toute forme d'affirmation tautologique ou self evident, c'est-à-dire qui suscite une adhésion ou un rejet immédiats qu'aucune preuve empirique n'est susceptible de réviser. Ce qui ne veut, évidemment, pas dire qu'un mythe appartient, ipso facto, au domaine du délire, notamment en matière religieuse (cf. les Croyances Religieuses sont-elles Irrationnelles ?).
7On pourrait ajouter ici qu'Ismaël le premier fils d'Abraham, fils naturel et, partant, maudit, appartient naturellement aussi à la descendance d'Abraham et donc que la Terre Promise est aussi la sienne et celle de ses descendants ... arabes ! Toute la tragédie de l'histoire dans l'ambiguïté d'un mythe !
9Confondant ainsi religion et superstition et oubliant que "la foi religieuse et la superstition sont tout à fait différentes. L’une d’entre elles provient de la peur et est une sorte de fausse science. L’autre est une confiance"(Wittgenstein, Remarques Mêlées, 22).
10Rappelons au passage que, pour Wittgenstein, les problèmes éthiques sont beaucoup plus importants que les problèmes théoriques : "à supposer que toutes les questions théoriques possibles soient résolues, les problèmes de notre vie demeurent encore intacts"(Wittgenstein, Tractatus, 6.53-6.52).
11Sinon elles seraient toutes fausses et n'auraient réellement aucun intérêt. Mais "Augustin était-il donc dans l’erreur quand il s’adressait à Dieu à chaque page de ses Confessions ?"(Wittgenstein, Remarques sur ‘‘le Rameau d’Or’’ de Frazer, 1).
12Pour la différence entre éthique et morale, cf. Éthique, Identité Narrative et Conscience de Soi.
13J'insiste sur ces deux restrictions : il s'agit bien de comparer ce qui est comparable, à savoir les réactions (qui ne sont manifestement pas de même nature à l'égard du judaïsme qu'à l'égard des deux autres monothéismes) de l'opinion majoritaire lorsqu'un lobby donné entend s'approprier rhétoriquement un argumentaire d'origine religieuse.
14Notons que le fait d'écrire "État (des) Juif(s)" en français, suppose que le mot "Juif(s)" désigne un peuple et non une religion (sinon on doit écrire "État (des) juif(s)" sans majuscule). C'est, en tout cas, la convention que j'adopterai tout au long de cet article.
15La position de Shlomo Sand à cet égard est sans ambiguïté : "les juifs [notons l'absence de majuscule dans la traduction française] ne constituent pas un peuple ; en effet, dans l'acception moderne du terme, un peuple désigne un groupe humain vivant sur un territoire spécifique où s'est développée une culture quotidienne commune à l'ensemble, de la langue parlée aux coutumes et modes de vie"(comment le Peuple Juif fut inventé, préf. à la 2° éd.).
16Raison majeure pour laquelle Hannah Arendt a rompu, dès 1943, avec un sionisme auquel elle avait adhéré en 1933 mais en quoi elle voyait désormais "un nationalisme inspiré de l’Allemagne, [qui] soutient qu’une nation est un corps organique éternel, le produit de la croissance naturelle et inévitable de qualités inhérentes et [qui] explique les peuples non pas en termes d’organisations politiques mais de personnalités biologiques supra-humaines, [bref] un chauvinisme raciste [qui] ne diffère pas d’autres théories de la race des maîtres"(Arendt, Réexamen du Sionisme). Jonathan Littell va encore plus loin en inversant le rapport de cause à effet que Hannah Arendt établit entre le national-socialisme et le sionisme en faisant dire à un dignitaire nazi : "- Sais-tu, d'ailleurs, que le terme même de "national-socialisme" a été forgé par un Juif, un précurseur du sionisme, Moïse Hess ? Lis son livre Rome et Jérusalem et tu verras. C'est très instructif. Et ce n'est pas un hasard : quoi de plus völkisch que le Sionisme ? Comme nous, ils ont reconnu qu'il ne peut y avoir de Volk et de Blut sans Boden, sans terre, et donc qu'il faut ramener les Juifs à la terre, Eretz Israel pure de toute autre race"(Littell, les Bienveillantes, 650-651).
17De fait, l'adjectif "sémitique" fut inventé par l'historien philologue allemand du XVIII° siècle August Ludwig Schlözer pour caractériser un groupe de langues comme l'araméen, l'hébreu ou l'arabe qui ont entre elles de fortes ressemblances à la fois formelles (trilitéralité des radicaux, écriture non entièrement vocalisée, écriture de droite à gauche, etc.) et lexicales.
18Position que Shlomo Sand défend explicitement : "Israël peut être caractérisé comme une ethnocratie juive aux traits libéraux, à savoir un Etat dont la mission principale n'est pas de servir un demos civil et égalitaire, mais un ethnos biologique et religieux"(comment le Peuple Juif fut inventé, v).
19D'où l'intransigeance parfois fanatique à l'égard du respect de la vie qu'affichent les communautés qui accordent un sens religieux profond au premier commandement du Décalogue ("tu ne tueras point"), et ce, quel que soit le contenu de la législation positive en la matière.
20Dostoïevski dépeint ironiquement ce que pourrait être, par exemple, une confirmation empirique de la prophétie du retour du Christ sur la terre (première épître de Paul aux Thessaloniciens, xiv, 13) : "à ce moment passe sur la place le Cardinal Grand Inquisiteur [...]. Il fronce ses épais sourcils et ses yeux brillent d'un éclat sinistre. Il Le désigne du doigt et ordonne aux gardes de Le saisir [...]. On conduit le Prisonnier au sombre et vieux bâtiment du Saint-Office, on L'y enferme dans une étroite cellule voûtée [...]. Le Grand Inquisiteur paraît, [...] considère longuement la Sainte Face, [...] et Lui dit : ''[...] Ne dis rien, tais-Toi [...]. Tu n'as pas le droit d'ajouter un mot à ce que Tu as dit jadis. Pourquoi es-Tu venu nous déranger ? Car Tu nous déranges, Tu le sais bien''"(les Frères Karamazov, V, v). "Christ reviendra sur Terre pour juger les vivants et les morts" est, ou bien une profession de foi, ou bien une proposition susceptible d'être vraie ou fausse, mais pas les deux.
21Cf. le texte complet de la Résolution 181 de l'O.N.U. du 29 novembre 1947 prévoyant le partage de la Palestine en deux états indépendants, l'un pour les Juifs, l'autre pour les Arabes de Palestine.
22Non pas que tout cela aille toujours de soi. Il s'en faut de beaucoup. Cependant, le prix à payer pour l'effacement de telles distinctions est, en tout cas dans les pays occidentaux et aujourd'hui, la critique, voire la polémique. Ce qui n'est visiblement pas le cas pour l'assimilation sioniste de la religion et de la politique et, par conséquent, pour la confusion du sionisme avec le judaïsme.
23Mais pourquoi avoir attendu le XX° siècle pour voir des preuves de l'essence victimaire du peuple Juif dans des faits historiques de persécution ? Car après tout, sans qu'on puisse parler dans tous les cas d'antisémitisme (comme l'antisémitisme est un racisme, il n'y a pas d'antisémitisme avant l'existence d'un discours idéologique pseudo-scientifique se voulant une "théorie" des races, c'est-à-dire avant la parution, en 1853, de l'Essai sur l'Inégalité des Races Humaines d'Arthur de Gobineau, ni, bien entendu, avant l'invention du terme "antisémite", quelques années plus tard, par l'intellectuel juif autrichien Moritz Steinschneider à propos du racisme spécial d'Ernest Renan qui affuble les "peuples sémites" d'un certain nombre de tares) l'anti-judaïsme, ou, si l'on préfère, la "judéophobie" comme la nomme Pierre-André Taguieff, est une constante littéraire, religieuse, sociale et politique dans le monde occidental depuis le moyen-âge (les premiers pogroms datent du XI° siècle).
25Rappelons qu'un État, du point de vue du droit international, se définit comme une entité juridique (une personne morale) dotée d'un territoire délimité par des frontières, une population stable, un ensemble d'institutions souveraines et des relations avec les autres États. Apparemment, depuis sa création, l'État d'Israël satisfait ces quatre critères. Pourtant, qu'est-ce qu'un État qui n'appartient pas à ses citoyens actuels (les Israéliens) mais à une diaspora érigée en peuple mythique (les Juifs) par l'instrumentalisation des textes sacrés d'une certaine religion (celle des juifs) ? Si tous les juifs sont des Juifs, donc des citoyens potentiels de l'État d'Israël, que répondre à un antisémite militant qui, à l'instar du baron de Charlus dans la Recherche du Temps Perdu, ferait remarquer, à propos du capitaine Dreyfus, que "son crime est inexistant, [il] aurait commis un crime contre sa patrie s'il avait trahi la Judée, mais qu'est-ce qu'il a à voir avec la France ?"(Proust, le Côté de Guermantes, I, 966) ?
26Le "point Godwin" (du nom de l'avocat américain qui a théorisé le phénomène) est le point à partir duquel une discussion ne donne plus lieu qu'à un seul type d'argument : celui de la reductio ad Hitlerum ! Si antisioniste (au sens idéologico-politique) est synonyme d'antisémite (au sens éthnico-biologique), alors celui qui est réputé antisioniste est réputé nazi. Ce qui est un argument a priori (une "règle du jeu") compréhensible (en raison de sa redoutable efficacité rhétorique) lorsqu'il est proféré par un idéologue sioniste. Toutefois, il faut souligner que le même argument est, sur le plan historique cette fois-ci, rigoureusement faux. Premièrement, parce qu'il convient de rappeler que l'accord Haavara (littéralement, "de transfert"), conclu le 25 août 1933 entre les sionistes allemands et les autorités nazies, visait tout de même à favoriser l'émigration des juifs allemands vers la Palestine. Preuve qu'il a existé des nazis pro-sionistes. Deuxièmement, parce que, comme le montre l'historien israélien Tom Segev dans un ouvrage de 1993 intitulé le Septième Million : les Israéliens et le Génocide, certains milieux sionistes militants ont traité avec le plus grand mépris la soi-disant résignation des juifs européens au moment de leur extermination. Preuve qu'il a existé des sionistes anti-sémites. Troisièmement, parce que la résolution 3379 de l'Assemblée Générale des Nations Unies du 10 novembre 1975 a conclu sans ambiguïté que "le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale" ! Et, bien que cette dernière résolution fût abrogée seize ans plus tard sous la pression de l'État d'Israël qui en faisait une condition sine qua non de sa participation à la Conférence de Madrid de 1991 (qui débouchera sur les fameux "accords" d'Oslo de 1993) l'histoire témoigne, en tout cas, que la prétendue synonymie entre antisionisme et antisémitisme, donc entre antisionisme et racisme, n'est qu'un mythe. Dans son premier roman intitulé la Place de l'Étoile, Patrick Modiano illustre avec un humour particulièrement grinçant cette porosité historiquement manifeste entre sionisme et antisémitisme.
27Mot arabe qui signifie "désastre" ou "catastrophe" (tout comme shoah en hébreu). En effet, la guerre que l'État (des) juif(s)-Juif(s) dès sa déclaration d'indépendance en 1948 et en violation de la Résolution 181 (cf. note 21) qui prévoyait un partage de la Palestine en deux États, a fait 750 000 morts ou déplacés sur une population palestinienne initiale d'environ un million d'habitant, de sorte qu'à son issue, il ne reste plus que 20% de Palestiniens en Palestine ! L'historien israélien Ilan Pappé n'hésite d'ailleurs pas à qualifier la guerre de 1948, dans un ouvrage au titre éponyme, de nettoyage ethnique de la Palestine.
28Entre avril 1915 et juillet 1916 1 200 000 Arméniens, soit les deux tiers de la population arménienne d'Anatolie, ont été exterminés par les partisans des Jeunes Turcs au pouvoir dans l'Empire Ottoman. Entre avril et juillet 1994, près d'un million de Tutsis, soit les trois quarts de leur population, ont été massacrés par le pouvoir majoritairement Hutu du Rwanda. Précisons que le terme de "génocide" est un terme de droit international et dont l'imputation n'intervient qu'au terme d'une analyse juridique des conditions d'un crime de guerre "commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel"(Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide, 9 décembre 1948).
29D'autres, tels que la Guerre des Six Jours de 1967 ou la Guerre du Kippour en 1973 ne le sont pas mais font suite aux provocations expansionnistes de l'État (des) juif(s)-Juif(s).
30Le Dieu de la Torah est un Dieu de justice, comme celui des Évangiles est un Dieu d'amour et celui du Coran un Dieu de vérité. Le terme de "juste" (en hébreu, tsadik, apparenté à l'arabe sadiq qui a, à peu près, le même sens) apparaît pour la première fois en Genèse, 18-25 lorsqu'Abraham tente de sauver les "justes" de Sodome et Gomorrhe.
31Loi votée le 19 août 1953 par la Knesset et instituant le mémorial Yad Vashem.
32On n'en finirait pas d'énumérer les juifs et les Juifs, qui, de Stefan Zweig aux actuels militants de l'U.J.F.P. (Union des Juifs Français pour la Paix), en passant par Hannah Arendt et Judith Butler, ont été ou sont horrifiés par le sionisme. Cf. aussi la conférence prononcée par le rabbin Shmiel Borreman et disponible sur le site du Parti Anti-Sioniste.
33Cf. note 23.
35Et ils l'ont fait, notamment, sur le site de l'AIPAC (The American Israel Public International Commitee) qui se présente lui-même comme America's pro-Israel Lobby !
36La colonisation systématique des territoires occupés lors des conflits armés avec les voisins de l'État d'Israël et qui aboutit à une annexion de fait desdits territoires, ce qui est contraire au droit international (IV° Convention de Genève) et explicitement condamné par la Résolution 446 du Conseil de Sécurité des Nations Unies votée le 22 mars 1979.
37L'Armée de Défense (sic !) d'Israël, en hébreu Tsva Haganah Leisrael, (acronyme : Tsahal) insiste donc sur la notion de défense, ce qui n'a rien pour nous étonner, et d'autant moins que le terme de "défense", haganah en hébreu, désigne aussi la principale milice clandestine sioniste créée en 1920. Tsahal naît en 1948 de la fusion des trois principales organisations sionistes paramilitaires : la Haganah, l'Irgoun et le Lehi.
38Acronyme de la National Association of Securities Dealers Automated Quotation qui est le deuxième marché boursier des États-Unis et qui concerne les industries de pointe (informatique, communication transport, biotechnologies, nanotechnologies, armement, etc.), secteurs dans lesquels apparaissent des start-up, entreprises à forts potentiels de développement immédiat et dans lesquels investissent prioritairement les "capital-risqueurs" (venture capitalists), confirmant l'analyse de Lénine selon laquelle, dans le capitalisme moderne, l'industrie n'est qu'un moyen au service de finalités financières.
39Qu'il distingue du "kunisme", c'est-à-dire du cynisme antique qui, lui, possède une réelle dimension éthique là où, pour le cynisme, au sens moderne du terme, il n'a, comme le dit Musil, "pas été nécessaire de chercher d'autre morale que la prospérité du commerce"(Musil, l'Homme sans Qualités, II, §111)".
40Spinoza définit l'admiration (admiratio) en disant qu'"il y a Admiration quand à l’imagination d’une chose l’esprit demeure attaché, parce que cette imagination singulière n’a aucune connexion avec les autres"(Éthique, III, déf.4), insistant sur le saisissement qui l'accompagne et sur la fascination qui en résulte, ce qui rend impossible toute pensée intelligente (celle qui intelligit, met en relation, en connexion, les idées les unes avec les autres).
41Il est tout de même extraordinaire qu'en cette année (2014) de célébration du centenaire du déclenchement de la Grande Guerre, il n'ait, apparemment, été jugé utile par personne, en tout cas en France, d'organiser de grands débats et de grandes réflexions publiques (par exemple dans l'Éducation Nationale), sur les enjeux d'une guerre en général !
42"L’homme est naturellement un animal politique [zôon politikon] destiné à vivre en société et que celui qui, par sa nature et non par l’effet de quelque circonstance, ne fait partie d’aucune Cité [polis], est une créature dégradée ou supérieure à l’homme"(Aristote, Po­litique, I, 1252b). Or, "quel est le but que nous assignons à la vie politique [zôè politikè] et quel est le souverain bien [praktos agathos] de notre activité ? Sur son nom du moins il y a assentiment presque général : c'est le bonheur [eudaïmonia]"(Aristote, Ethique à Nicomaque, 1094a-1097b).
43C'est encore Aristote qui, le premier, a insisté sur la spécificité humaine de la main : "ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais c’est parce qu’il est le plus intelligent qu’il a des mains. […] Car la main est pour ainsi dire un instrument qui tient lieu des autres instruments"(Aristote, Parties des Animaux, 687a).
44Rappelons qu'officiellement, 80% des victimes palestiniennes de la dernière opération dite "Bordure Protectrice" à Gaza, notamment les réfugiés et les enfants de ces quatre écoles de l'O.N.U. qui ont été bombardées sont, précisément, des "des êtres humains qui ne sont ni combattants ni prisonniers de guerre".
45Pour la démonstration de la nécessité de la misère pour la survie du système capitaliste, cf. le Progrès Technique entraîne-t-il Liberté et Bonheur pour tous ?
46"Les Palestiniens sont employés à des travaux non-qualifiés. Leurs salaires sont plus bas que ceux des citoyens israéliens. Cela est caractéristique des pays développés" expliquent, cyniquement, les rédacteurs d'un manuel de géographie destiné aux lycéens israéliens (in Israël-Palestine, le Conflit dans les Manuels Scolaires, p.41).
47"La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire [en ce qu’elle] ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, donc les rapports de production, donc l’ensemble des conditions sociales. [En particulier], poussée par le besoin de débouchés toujours plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la surface du globe. Partout elle doit s’incruster, partout il lui faut bâtir, partout elle établit des relations. En exploitant le marché mondial, la bourgeoisie a donné une forme cosmopolite à la production et à la consommation"(Marx et Engels, Manifeste Communiste de 1848, i).
48"L’innovation technologique concerne non seulement le travail, mais aussi le moyen de se procurer des biens de consommation et les augmenter [...]. La civilisation, c’est avant tout le progrès dans le travail, plus précisément, le travail pour se procurer les biens de consommation et les augmenter, et ce travail ne contient aucune satisfaction par lui-même [...]. Les gains de productivité deviennent un instrument de domination universelle"(Marcuse, Éros et Civilisation, IV)
49"L’objectif du mouvement totalitaire est donc d’encadrer autant de gens que possible dans son organisation, et de les mettre et les maintenir en mouvement. Quant à l’objectif politique qui constituerait la fin de ce mouvement, il n’existe tout simplement pas"(Arendt, le Système Totalitaire, i, 1).
50À comparer avec l'aeï aristeueïn, "toujours meilleur", des Grecs.
51De là, la violence tragique. Comme l'a justement remarqué René Girard, la violence qu'exerce le destin sur le héros tragique fait toujours suite à une modification des rapports naturels et réguliers entre les êtres.
52En l'occurrence, les territoires conquis par l'armée israélienne lors de la Guerre des Six Jours de juin 1967 (Cisjordanie, Jérusalem-Est, bande de Gaza, plateau du Golan, Sinaï).
53La défaite des forces arabes anti-sionistes enterre le projet de partage de la Palestine en deux États (auquel la Conférence de Lausanne substituera, dès 1949, l'UNRWA, the United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East en lieu et place du Plan de Partage de la Palestine prévue par la Résolution 181 !) et entérine définitivement l'hégémonie israélienne sur la région.
54Comme ils peuvent être tenus pour responsables des actes de rébellion qui, entre 1936 et 1939, étaient dirigés contre l'autorité britannique, laquelle avait reçu, dès 1923 et à la suite de la Déclaration Balfour de 1917, mandat de la Société des Nations pour administrer la Palestine et y favoriser l'implantation d'un "foyer national juif".
55Déjà, en octobre 1944, Hannah Arendt pensait que "les Juifs “victorieux” vivraient environnés par une population arabe entièrement hostile, enfermés entre des frontières constamment menacées, occupés à leur auto-défense physique au point d’y perdre tous leurs autres intérêts et leurs autres activités. Le développement d’une culture juive cesserait d’être le souci du peuple entier ; l’expérimentation sociale serait écartée comme un luxe inutile ; la pensée politique serait centrée sur la stratégie militaire"(Arendt, Réexamen du Sionisme).
56"La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens : elle consiste à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté"(Clausewitz, de la Guerre).
57"La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible [...] appliqué[e] aux besoins les plus pressants de la patrie"(Robespierre, Discours à la Convention, 5 février 1794).
58L'histoire de la colonisation juive-Juive en Palestine peut et doit se lire aussi en termes de conflits de classe entre, d'une part, les ashkénazes économiquement et intellectuellement dominants émigrés d'Europe centrale, de Russie et des États-Unis, et d'autre part les sépharades plus pauvres et moins cultivés issus des pays d'Europe du Sud et d'Afrique du Nord. À noter que le sionisme est né dans le milieu ashkénaze et que c'est aussi de ce milieu que provenaient la grande majorité des Juifs exterminés durant l'Holocauste.

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