CORRIGÉ DU D.M.F
F3 – Une décision
légale est-elle toujours juste ?
La loi est toujours
quelque chose de général et il y a des cas d’espèce pour
lesquels il n’est pas possible de poser un énoncé général qui
s’y applique avec rectitude. Dans les matières, donc, où on doit
nécessairement se borner à des généralités, et où il
est impossible de le faire correctement, la loi ne prend en
considération que les cas les plus fréquents, sans ignorer
d’ailleurs les erreurs que cela peut entraîner. La loi n’en est
pas moins sans reproche, car la faute n’est pas à la loi, ni au
législateur, mais tient à la nature des choses, puisque par leur
essence même, la matière des choses de l’ordre pratique revêt ce
caractère d’irrégularité. Quand, par la suite, la loi pose une
règle générale et que là-dessus survient un cas en dehors
de la règle générale, [le juge] est alors en droit, là où le
législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de
simplification, de corriger l’omission et de se refaire
l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il
avait été présent à ce moment et de ce qu’il aurait porté dans
sa loi s’il avait connu le cas en question. Ce qui fait que tout ne
peut s'exécuter dans la Cité par le seul moyen de la loi. [Car] la
nature de la justice équitable est en effet de compléter ou de
rectifier la justice légale là où la loi est insuffisante à cause
de la forme générale qu'elle doit toujours prendre.
Aristote
– Éthique
à Nicomaque
1 - A quelle idée
l'auteur s'oppose-t-il et quelle idée défend-il ?
Aristote
s'oppose à l'idée qu'une loi humaine (décidée par des hommes)
s'appliquerait en quelque sorte par elle-même aux affaires de la
Cité. Il défend au contraire l'idée qu'il appartient au juge
d'appliquer à chaque cas particulier une loi qui ne s'applique
jamais automatiquement en raison de son caractère nécessairement
général.
2 - Expliquer la deuxième
phrase.
Toute
loi a, par nature, une prétention à valoir universellement. Elle ne s'intéresse
jamais au cas particulier, ni même au cas d'espèce. Toute loi est
toujours de la forme "pour tout x
appartenant à E,
f(x)". Quelles sont donc
ces "matières [...] où on doit nécessairement se
borner à des généralités, et où il est impossible de
le faire correctement" ? De
toute évidence, ce ne sont pas les lois scientifiques ou
mathématiques. La loi de la gravitation universelle de Newton
concerne la chute de n'importe quel corps, quel qu'il soit et non pas
de tel ou tel corps, ou de telle ou telle catégorie de corps. D'où
l'impression que nous avons souvent que ce type de loi s'applique, en
quelque sorte tout seul, automatiquement, sans intervention humaine
(même si cette impression est fausse dans une certaine mesure, cf.
texte B3). En revanche,
prenons l'exemple d'une loi de finances (qui décide des recettes de
l'État pour une année) :
elle précise, entre autres choses, quels sont les catégories de
revenus soumis à l'impôt et donne, pour ces catégories, des
formules de calcul de l'impôt . Si ce genre de formulation générale
et impersonnelle suffit, le plus souvent, pour calculer le montant de
l'impôt dû par un particulier donné, il y a néanmoins de nombreux
cas pour lesquels il y a ambiguïté (en particulier, comme par
hasard, les cas d'exonération). De telle sorte que, contrairement à
ce qui se passe pour la loi scientifique, on a là l'impression
inverse, à savoir que la loi ne saurait s'appliquer d'elle-même,
mais qu'au contraire elle a besoin d'une explication, d'une
interprétation pour pouvoir s'appliquer. Donc les "matières"
dont parle Aristote ne sont rien d'autre que les affaires humaines
pour lesquelles la loi fixe un cadre général,
ce qui permet déjà de régler un grand nombre de cas, mais qui
laisse nécessairement de côté un certain nombre de cas
problématiques sur lesquels la loi ne dit rien. C'est donc la
complexité des affaires humaines qui fait que les lois générales
et impersonnelles destinées à les organiser ne s'appliquent pas
correctement, par elles-mêmes, à tous les cas : "la
loi ne prend en considération que les cas les plus fréquents, sans
ignorer d’ailleurs les erreurs que cela peut entraîner".
3 - Quel est le rôle du
juge pour Aristote ?
Mais
Aristote souligne aussitôt que ces erreurs ne sont pas imputables à
la nature même de la loi : "La loi n’en est pas
moins sans reproche, car la faute n’est pas à la loi, ni au
législateur". Car,
contrairement à la loi scientifique, la loi humaine n'a pas, par
nature (cf. ce qu'Aristote entend par "nature" dans le
texte C2 question 5), une portée universelle.
Cela, dit-il, "tient à la nature des choses, puisque
par leur essence même, la matière des choses de l’ordre pratique
revêt ce caractère d’irrégularité".
En d'autres termes, le législateur, quelle que soit sa perspicacité
et sa bonne volonté, ne peut, par avance, prévoir toutes les
possibilités d'action et de comportement des hommes (ce qu'Aristote
appelle "l'ordre pratique") relativement à un problème
donné. La règle a beau être parfaite en son genre, il y aura
toujours de l'irrégularité, c'est-à-dire, étymologiquement, des
événements qui échappent à la règle. Depuis longtemps les
dirigeants politiques ont tenté de réduire ce risque d'irrégularité
en complétant la loi, toujours très générale, par des textes plus
précis et plus nombreux (les décrets, les arrêtés, les
circulaires, etc.). Mais ces textes continuent à avoir une portée
générale et, en principe, impersonnelle, de sorte que le problème
n'est résolu qu'en partie. Par
sa
nature même, toute norme en matière d'agissement humain, comporte
le risque de devoir être interprétée
pour pouvoir s'appliquer correctement. En d'autres termes, la loi (ou
son complément réglementaire) ne s'applique pas toute seule mais
nécessite parfois un jugement quant à l'opportunité ou la manière
de l'appliquer. Il faut donc, non seulement quelqu'un qui légifère
(qui fabrique la loi), mais aussi quelqu'un qui, le cas échéant,
juge de la pertinence de ladite loi pour tel ou tel cas particulier.
Tel est, précisément, le rôle du juge.
Que veut-on dire lorsqu'on prétend que le rôle du juge
est d'"appliquer" la loi ? Eh bien, nous dit Aristote, il
s'agit pour le juge "là
où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès
de simplification, de corriger l’omission et de se refaire
l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il
avait été présent à ce moment et de ce qu’il aurait porté dans
sa loi s’il avait connu le cas en question".
C'est dans cette capacité à compléter la généralité et l'impersonnalité de la loi pour l'adapter ou non à un cas particulier problématique que réside la nature de l'autorité judiciaire, la "sagesse du juge", la juris prudentia comme l'ont appelée les latins et qui a donné le terme "jurisprudence". La loi, c'est l'affaire du législateur, la jurisprudence, l'équité, la "justice équitable", comme l'appelle Aristote, c'est l'affaire du juge. Et les deux sont indissolublement liées : le législateur a autant besoin du juge que le juge a besoin de législateur (raison pour laquelle il est ridicule et tendancieux de dénoncer le "gouvernement des juges" chaque fois qu'une décision judiciaire déplaît au pouvoir en place !). Il est curieux de constater que la position d'Aristote (qui est quand même vieille de vingt-siècles !) permet de donner une solution satisfaisante au problème de l'obsession moderne d'une justice universelle (cf. texte F2, notamment question 7) : à propos de l'universalité ou non des Droits de l'Homme, il est tout a fait possible de soutenir, avec Rousseau, l'universalité de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 comme texte législatif (et même, c'est le cas en France, comme texte constitutionnel, c'est-à-dire supra-législatif) et, avec Pascal, la relativité de son application par le juge à la coutume historique et locale. L'intérêt de la position d'Aristote, c'est qu'elle dissocie le problème de la source du droit et celui de sa destination, bref, qu'elle dissocie la loi comme principe de la justice, et la justice équitable, autrement dit la justice proprement dite. Dès lors, il n'y a plus aucune difficulté à admettre qu'il n'y a pas de justice universelle bien qu'il puisse y avoir des principes universels de la justice, tels que les Droits de l'Homme.
C'est dans cette capacité à compléter la généralité et l'impersonnalité de la loi pour l'adapter ou non à un cas particulier problématique que réside la nature de l'autorité judiciaire, la "sagesse du juge", la juris prudentia comme l'ont appelée les latins et qui a donné le terme "jurisprudence". La loi, c'est l'affaire du législateur, la jurisprudence, l'équité, la "justice équitable", comme l'appelle Aristote, c'est l'affaire du juge. Et les deux sont indissolublement liées : le législateur a autant besoin du juge que le juge a besoin de législateur (raison pour laquelle il est ridicule et tendancieux de dénoncer le "gouvernement des juges" chaque fois qu'une décision judiciaire déplaît au pouvoir en place !). Il est curieux de constater que la position d'Aristote (qui est quand même vieille de vingt-siècles !) permet de donner une solution satisfaisante au problème de l'obsession moderne d'une justice universelle (cf. texte F2, notamment question 7) : à propos de l'universalité ou non des Droits de l'Homme, il est tout a fait possible de soutenir, avec Rousseau, l'universalité de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 comme texte législatif (et même, c'est le cas en France, comme texte constitutionnel, c'est-à-dire supra-législatif) et, avec Pascal, la relativité de son application par le juge à la coutume historique et locale. L'intérêt de la position d'Aristote, c'est qu'elle dissocie le problème de la source du droit et celui de sa destination, bref, qu'elle dissocie la loi comme principe de la justice, et la justice équitable, autrement dit la justice proprement dite. Dès lors, il n'y a plus aucune difficulté à admettre qu'il n'y a pas de justice universelle bien qu'il puisse y avoir des principes universels de la justice, tels que les Droits de l'Homme.
Dissertation
: qu'est-ce qu'une loi injuste ?
Spinoza : une loi injuste est une loi qui ne suscite pas les mêmes espoirs ou les mêmes craintes pour tous les citoyens (F1).
Pour Spinoza, un État est une partie de la Nature (c'est-à-dire de Dieu) qui, à ce titre, est dotée d'une quantité de puissance lui permettant de subsister en dépit des contraintes extérieures qui l'affaiblissent et finir par la faire disparaître. Or, la puissance qui permet à cette partie de la Nature que nous appelons État de subsister, est directement fonction des relations qu'entretiennent ses parties constitutives. De même qu'un corps biologique sera d'autant plus vigoureux que ses organes fonctionneront en bonne intelligence, de même un corps social (un État) sera d'autant plus solide que ses constituants (les citoyens) seront d'autant plus solidaires. Comme le dit le proverbe latin : concordia civium, moenia civitatum, c'est-à-dire "la concorde (l'harmonie) entre les citoyens fait les murailles des Cités". Or, souligne Spinoza, les hommes ne sont pas spontanément des citoyens, a fortiori des citoyens solidaires, car ils ne sont pas raisonnables. S'ils étaient raisonnables, en effet, ils s'aimeraient eux-mêmes dans le sens où ils comprendraient spontanément ce qui leur est réellement utile, à savoir de s'unir les uns aux autres et de constituer le corps social le plus résistant qui soit afin de maximiser leurs chances de subsister dans les meilleurs conditions possibles. Cependant, même s'ils ne sont pas raisonnables, ils sont susceptibles de devenir de bons citoyens sous certaines conditions. Première condition : il faut que l'État ait le désir d'imposer sa puissance au nouveau venu dans la société (l'enfant), sinon ce dernier utilisera sa puissance naturelle pour tenter de dominer son entourage et il ne sera jamais sociable. Deuxième condition : il faut que l'État éduque cette puissance naturelle dont chacun est doté pour subsister en agissant sur les deux sentiments primitifs que sont la crainte (qui consiste à imaginer ce qui, momentanément, est susceptible de nous être nuisible et que, pour cette raison, nous nous efforçons d'éviter) et l'espoir (qui consiste à imaginer ce qui, momentanément, est susceptible de nous être utile et que, pour cette raison, nous nous efforçons de nous procurer). Troisième condition : il faut que l'État propose au plus grand nombre possible d'individus des craintes communes (les mêmes châtiments) et des espoirs communs (les mêmes récompenses) afin que les espoirs des uns ne soient pas les craintes des autres, ce qui crée inévitablement des dissensions. Quatrième et dernière condition : il faut que l'État se dote de lois qui lui permette d'imposer sa puissance aux individus, d'éduquer leurs sentiments et d'établir des récompenses et des châtiments communs. Bref, pour Spinoza, entre deux êtres, c'est toujours le plus puissant qui porte l'entière responsabilité des relations qui existent entre ces deux êtres. Or, entre l'État et l'individu, c'est l'État qui est le plus puissant. C'est donc l'État qui est responsable du climat social qui règne en son sein. Si ce climat est bon, si les citoyens sont solidaires et vivent dans la concorde, c'est parce que les lois sont bonnes. Si le climat est détestable, si les citoyens sont hostiles les uns aux autres et vivent dans la discorde, c'est parce que les lois sont mauvaises. Et un cas particulier de mauvaise loi, c'est lorsque la loi est injuste, c'est-à-dire lorsqu'elle suscite de la crainte pour certains et de l'espoir pour d'autres. Par exemple, une loi qui diminue les impôts des plus riches va créer, chez eux, l'espoir d'un enrichissement accru. Mais en revanche, elle va susciter chez les citoyens les plus modestes la crainte d'avoir à payer plus d'impôts ou, en tout cas, d'être moins bien soigné, moins bien logé, moins bien instruit, etc. Il en résultera inévitablement un sentiment d'injustice de leur part et, par contrecoup, des tensions sociales et un affaiblissement de l'État.
Pascal : une loi injuste est une loi qui n'est pas conforme à la coutume (F2).
Pascal distingue deux sources de vérités : le cœur qui sent les premiers principes évidents par soi-mêmes (par exemple qu’il y a trois dimensions dans l’espace, ou que les nombres sont infinis) et la raison qui s’appuie sur ces premiers principes pour démontrer et conclure (par exemple qu’il n’y a pas deux nombres entiers carrés dont l’un soit le double de l’autre). Or, si la raison trouve son origine dans le cœur, le cœur, en revanche trouve son origine dans la coutume : c’est la coutume, et donc l’éducation et l’environnement social dans lequel nous baignons, qui nous fait concevoir des nombres en quantité infinie et nous fait concevoir trois dimensions dans l’espace. Il en va de même pour la justice : il n’y a pas plus de justice universelle qu’il n’y a de vérité universelle (ou de beauté universelle, ou de bonté universelle, etc., bref de valeurs universelles en général) : ce qui vaut d’un côté de la frontière, ironise Pascal, ne l’est plus de l’autre côté ; ce qui est valable un temps, ne l’est plus le temps d’après. La notion de justice est primitivement sentie par le cœur et procède donc de la coutume. Non pas qu’il soit absolument impossible de démontrer l’injustice d’une action ou d’une décision. Mais, comme pour la vérité, on ne peut la démontrer que jusqu’à un certain point. Supposons qu’un contribuable conteste la décision lui signifiant le montant de son impôt : il trouve donc cette décision injuste. Il est tout à fait possible de démontrer, par exemple, qu’il y a bien une erreur de calcul dans le montant de l’impôt : il suffit pour cela d’appliquer la formule de calcul de l’impôt au cas particulier du contribuable qui conteste, puis de comparer avec le montant contesté, enfin de conclure. Jusque là, c’est la raison qui est à l’œuvre. En revanche, comment faire pour contester la formule de calcul elle-même ? Celle-ci est en effet incluse dans la Loi de Finances votée par le Parlement dont les membres, les députés et les sénateurs sont, dans notre pays et à l’heure actuelle, les représentants du peuple, autrement du souverain (art.3 de la Constitution du 4 octobre 1958). Bref, contester la formule d’imposition reviendrait à contester la souveraineté de l’auteur de la décision, ce qui est triplement contradictoire. D’abord, une souveraineté, par définition, ne se conteste pas ("souverain" vient du latin sub regno qui veut dire "sous le règne, sous la domination de …"), sinon elle n’est plus une souveraineté. Ensuite, à supposer qu’elle soit contestable, on ne voit pas très bien sur quoi on va s’appuyer pour contester la formule, puisque celle-ci est réputée votée majoritairement par des représentants du peuple qui manifestent là leur "intime conviction", c’est-à-dire ce qu’ils ressentent par le cœur et qui, à ce titre, n’est pas raisonnable. Enfin, pour un contribuable donné, contester une loi votée par le Parlement revient, à la limite, à se contester soi-même en tant que source de la souveraineté populaire qui délègue au Parlement la tâche de délibérer et de voter la Loi de Finances qui va lui être appliquée. Pour toutes ces raisons, s’il reste possible de démontrer par le raisonnement, sous certaines conditions, qu’une loi est injustement appliquée, en revanche il est impossible de démontrer par le raisonnement que la loi elle-même est injuste. Tout simplement parce que la loi sert ici de "premier principe" et les premiers principes, là comme ailleurs, proviennent du cœur, c’est-à-dire de la coutume. Il en résulte qu’une loi injuste est toujours une loi ressentie comme telle. C’est pour cela que l’on parle souvent de "sentiment d’injustice", voulant parler du sentiment de malaise qui envahit chacun en face d’une loi qui ne respecte pas les coutumes du lieu et de l’époque. Par exemple, dans notre pays et à l’heure actuelle, une loi pénalisant l’avortement serait ressentie comme injuste parce qu’elle irait à l’encontre d’une coutume bien établie, tandis que, dans d’autres pays ou chez nous mais à une autre époque, l’avortement est ou était considéré comme une abomination, et la condamnation de celui-ci ressentie comme normale. Comme le dit le proverbe latin o tempora, o mores, c’est-à-dire "autres temps, autres coutumes".
Aristote : une loi injuste est une loi qui est mal appliquée par le juge (F3).
Aristote définit la loi comme un énoncé nécessairement général, c’est-à-dire un énoncé qui, par nature, ne traite pas les cas particuliers. Dans certains domaines, par exemple en science, la généralité de la loi est toujours satisfaisante, car elle décrit des phénomènes qui se caractérisent par leur grande régularité : la loi newtonienne dite de la gravitation universelle, selon laquelle deux corps exercent l’un sur l’autre une force d’attraction proportionnelle à leurs masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare, vaut pour n’importe quel corps, n’importe où, n’importe quand. Ce qui veut dire que cette loi, et toute loi scientifique, n’a que faire des cas particuliers. Dans d’autres domaines, en revanche, la généralité de la loi n’est pas pleinement satisfaisante : la loi Veil de 1975, qui autorise l’interruption volontaire de grossesse dans un délai de 10 semaines (porté à 12 semaines par la loi Aubry de 2001), ne prend en compte que les cas d’avortement les plus fréquents. Pour les cas les plus fréquents, ceux qui sont explicitement prévus par la loi, la généralité de celle-ci reste satisfaisante. Mais il existe forcément des cas dans lesquels une femme va demander une IVG au-delà du délai légal. Est-ce à dire que cette femme sera automatiquement coupable d’infraction à la loi ? Pas nécessairement. Mais, pour répondre à la question, il va falloir, précise Aristote, s’adresser à un juge. Le rôle du juge, en effet, c’est de considérer le cas particuliers qui lui est soumis en se demandant si ce cas particulier est un cas d’infraction à la loi (la demande sera alors rejetée) ou une exception à la loi (la demande sera acceptée). Le juge va donc devoir interpréter la loi en se demandant si, par exemple, le cas particulier de telle patiente désirant se faire avorter au-delà du délai légal de 12 semaines parce que, sur avis médical, sa propre vie est en danger, cela est bien conforme à l’esprit de la loi (c’est-à-dire est implicitement contenu dans la loi) bien que n’étant pas conforme à la lettre de la loi (c’est-à-dire n’étant pas explicitement contenu dans la loi). Et pour interpréter la loi, le juge va devoir se mettre à la place du législateur (de l’auteur de la loi), c’est-à-dire consulter les documents, solliciter les témoignages, refaire les raisonnements, se rappeler les débats, etc. qui ont conduit le législateur à prendre la décision légale qu’il a prise en ne consignant que les cas les plus fréquents. Ce qui veut dire qu’il y a une sorte de partage des tâches entre d’une part le législateur qui ne connaît que des cas généraux en laissant éventuellement au juge le soin d’y rattacher quelques exceptions particulières, et d’autre part le juge qui ne connaît que des cas particuliers qui sont, à première vue, des infractions à la loi, mais dont on peut se demander s’ils n’en sont pas, en réalité, des exceptions que le législateurs lui-même aurait admises s’il en avait été informé. Par conséquent, une loi injuste, pour Aristote, ça n’existe pas : une loi, en tant qu’énoncé à caractère général et impersonnel n’est ni juste ni injuste. De ce point elle est toujours irréprochable même si, bien entendu, elle peut toujours être incohérente, illisible, ambiguë, etc. Ce n’est pas la loi, en effet qui est susceptible d’être juste ou injuste, mais son application à l’ordre imprévisible et irrégulier des affaires humaines. Aussi dira-t-on, par abus de langage, qu’une loi est juste lorsque son application pose très peu de problèmes (par exemple parce qu’il y a très peu de cas particuliers qui sortent du cadre général de la loi). Et on dira, par erreur, que la loi est injuste lorsque le cadre général de la loi fait surgir de nombreuses difficultés d’application et que le juge a tendance à interpréter cette loi de manière restrictive en rejetant la plupart des demandes d’incorporation des cas particuliers dans le cadre de la loi. A plus forte raison lorsque les justiciables sont tellement certains que leur demande va être rejetée par le juge qu’ils ne s’adressent même plus à lui pour tenter de faire reconnaître la légitimité de leur cas particulier.
Je choisis l'ordre suivant (ce n'est qu'un exemple, il y a d'autres choix possibles)
- 1° Pascal
- 2° Spinoza
- 3° Aristote
B - INTRODUCTION.
Qu'est-ce qu’une loi injuste ? (question sujet)
Apparemment, une loi injuste n’est-ce pas une loi contraire aux coutumes ? Or une loi conforme à la coutume ne peut-elle pas être injuste ? Cela dit, ce qui est susceptible d’être juste ou injuste, n’est-ce pas l’application de la loi plutôt que la loi elle-même ? (problématique)
Nous allons voir que, apparemment, une loi injuste est une loi ressentie comme telle en ce qu’elle est contraire aux coutumes du lieu et de l’époque. Or, tout en étant conforme à la coutume, une loi peut cependant être injuste lorsqu’elle ne favorise pas la concorde entre les citoyens. Cela dit, la loi elle-même est toujours sans reproche, et c’est l’application par le juge qui est susceptible de faire naître le sentiment d’injustice. (annoncedu plan)
I - Apparemment, une loi injuste est une loi ressentie comme telle en ce qu’elle est contraire aux coutumes du lieu et de l’époque. (je reprends ici l'annonce de la premièrepartie dans l'introduction)
Tout le monde se souvient de l'émotion suscitée dans l'opinion publique par la condamnation du capitaine Dreyfus en 1894 provoquant, notamment, la réaction indignée d'Émile Zola dans le journal l'Aurore avec son célèbre article intitulé "J'accuse !". Ce qui voudrait dire que la justice et l'injustice sont, avant tout, une affaire de sentiment. (amorce1° partie)
Or, justement, Pascal distingue deux sources de vérités : le cœur qui sent les premiers principes évidents par soi-même (par exemple qu’il y a trois dimensions dans l’espace, ou que les nombres sont infinis) et la raison qui s’appuie sur ces premiers principes pour démontrer et conclure (par exemple qu’il n’y a pas deux nombres entiers carrés dont l’un soit le double de l’autre). Et si la raison trouve son origine dans le cœur, le cœur, en revanche trouve son origine dans la coutume : c’est la coutume, et donc l’éducation et l’environnement social dans lequel nous baignons, qui nous fait concevoir des nombres en quantité infinie et nous fait concevoir trois dimensions dans l’espace. Ignorer cette supériorité et cette priorité du cœur sur la raison, c’est se comporter en pyrrhonien : « nous connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part, essaye de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. »(Pascal, Pensées). Il en va précisément de même pour la justice : il n’y a pas plus de justice universelle qu’il n’y a de vérité universelle (ou de beauté universelle, ou de bonté universelle, etc., bref de valeurs universelles en général) : ce qui vaut d’un côté de la frontière, ironise Pascal, ne l’est plus de l’autre côté ; ce qui est valable un temps, ne l’est plus le temps d’après : « plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. […] ; tout branle avec le temps. »(Pascal, Pensées). La notion de justice est primitivement sentie par le cœur et procède donc de la coutume.
Non pas qu’il soit absolument impossible de démontrer l’injustice d’une action ou d’une décision. Mais, comme pour la vérité, on ne peut la démontrer que jusqu’à un certain point. Supposons qu’un contribuable conteste la décision lui signifiant le montant de son impôt : il trouve donc cette décision injuste. Il est tout à fait possible de démontrer, par exemple, qu’il y a bien une erreur de calcul dans le montant de l’impôt : il suffit pour cela d’appliquer la formule de calcul de l’impôt au cas particulier du contribuable qui conteste, puis de comparer avec le montant contesté, enfin de conclure. Jusque là, c’est la raison qui est à l’œuvre. En revanche, comment faire pour contester la formule de calcul elle-même ? Car « rien selon la seule raison n’est juste de soi […]. La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue ; c’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramène à son principe l’anéantit. »(Pascal, Pensées). La formule de calcul est en effet incluse dans la Loi de Finances votée par le Parlement dont les membres, les députés et les sénateurs sont, dans notre pays et à l’heure actuelle, les représentants du peuple, autrement du souverain (art.3 de la Constitution du 4 octobre 1958). Bref, contester la formule d’imposition reviendrait à contester la souveraineté de l’auteur de la décision, ce qui est triplement contradictoire. D’abord, une souveraineté, par définition, ne se conteste pas ("souverain" vient du latin sub regno qui veut dire "sous le règne, sous la domination de …"), sinon elle n’est plus une souveraineté. Ensuite, à supposer qu’elle soit contestable, on ne voit pas très bien sur quoi on va s’appuyer pour contester la formule, puisque celle-ci est réputée votée majoritairement par des représentants du peuple qui manifestent là leur "intime conviction", c’est-à-dire ce qu’ils ressentent pas le cœur et qui, à ce titre, n’est pas raisonnable. Enfin, pour un contribuable donné, contester une loi votée par le Parlement revient, à la limite, à se contester soi-même en tant que source de la souveraineté populaire qui délègue au Parlement la tâche de délibérer et de voter la Loi de Finances qui va lui être appliquée.
Pour tous ces motifs, s’il reste possible de démontrer par le raisonnement, sous certaines conditions, qu’une loi est injustement appliquée, en revanche il est impossible de démontrer par le raisonnement que la loi elle-même est injuste. Tout simplement parce que la loi sert ici de "premier principe" et les premiers principes, là comme ailleurs, proviennent du cœur, c’est-à-dire de la coutume. Il en résulte qu’une loi injuste est toujours une loi ressentie comme telle. C’est pour cela que l’on parle souvent de "sentiment d’injustice", voulant parler du sentiment de malaise qui envahit chacun en face d’une loi qui ne respecte pas les coutumes du lieu et de l’époque. Par exemple, dans notre pays et à l’heure actuelle, une loi pénalisant l’avortement serait ressentie comme injuste parce qu’elle irait à l’encontre d’une coutume bien établie, tandis que, dans d’autres pays ou chez nous mais à une autre époque, l’avortement est ou était considéré comme une abomination, et la condamnation de celui-ci ressentie comme normale. Bref, « sur quoi [le souverain] la fondera-t-il l’économie du monde qu’il veut gouverner ? […] Sera-ce sur la justice ? Il l’ignore. Certainement, s’il la connaissait, il n’aurait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les mœurs de son pays. »(Pascal, Pensées). Ou, comme le dit le proverbe latin o tempora, o mores, c’est-à-dire "d'autres temps donneront d'autres coutumes" et donc une autre manière de sentir la justice. (argumentsprincipaux et secondaires de la 1° partie)
Bref, pour Pascal, il est clair qu'une loi injuste est une loi qui est ressentie comme telle en un lieu donné et en une époque donnée par une société donnée en raison des coutumes qui y règnent. (bilande la 1° partie)
Est-ce à dire qu’il suffit à une loi d'être conforme à la coutume pour être nécessairement juste ? (transition)
II - Tout en étant conforme à la coutume, une loi peut cependant être injuste lorsqu’elle ne favorise pas la concorde entre les citoyens. (jereprends ici l'annonce de la deuxième partie)
On a vu avec Pascal qu’une loi qui ne respecte pas les coutumes du lieu et/ou de l’époque est en général ressentie comme injuste, même si nul n’a vraiment les moyens d’établir par la démonstration le caractère injuste de la loi. Mais, à supposer que toute loi prise en violation des coutumes soit ressentie comme injuste, la réciproque ne va pas de soi : il existe des lois qui, tout en étant conformes à la coutume, sont réputées injustes. Par exemple, les lois d’Ancien Régime, qui ont été balayées par la Révolution Française, étaient ressenties comme injustes tout en étant conformes à des traditions pluri-centenaires. Donc l’injustice d’une loi ne doit pas consister uniquement dans un écart par rapport à la coutume. (j'annonceici pourquoi Pascal est critiquable)
Pour Spinoza, un État est une partie de la Nature (c'est-à-dire de Dieu) qui, à ce titre, est dotée d'une quantité de puissance lui permettant de subsister en dépit des contraintes extérieures qui l'affaiblissent et finir par la faire disparaître : « la puissance qui permet aux choses singulières de conserver leur être, est la puissance même de Dieu, c’est-à-dire de la Nature. »(Spinoza, Éthique). Or, la puissance qui permet à cette partie de la Nature que nous appelons État de subsister, ce que Pascal appelle "la coutume", est directement fonction des relations qu'entretiennent ses parties constitutives. De même qu'un corps biologique sera d'autant plus vigoureux que ses organes fonctionneront en bonne intelligence, de même un corps social (un État) sera d'autant plus solide que ses constituants (les citoyens) seront d'autant plus solidaires. Bref, « le meilleur État [...] est celui où les hommes vivent dans la concorde et où la législation nationale est protégée contre toute atteinte. »(Spinoza, Traité Politique). Ou encore, comme le dit le proverbe latin : concordia civium, moenia civitatum, c'est-à-dire "la concorde (l'harmonie) entre les citoyens fait les murailles des Cités". Or, souligne Spinoza, les hommes ne sont pas spontanément des citoyens, a fortiori des citoyens solidaires, car ils ne sont pas raisonnables. S'ils étaient raisonnables, en effet, ils s'aimeraient eux-mêmes dans le sens où ils comprendraient spontanément ce qui leur est réellement utile, à savoir de s'unir les uns aux autres et de constituer le corps social le plus résistant qui soit afin de maximiser leurs chances de subsister dans les meilleurs conditions possibles : « la raison ne demande dont rien contre la Nature, elle demande que chacun s'aime soi-même, qu'il cherche ce qui lui est réellement utile et qu'il désire ce qui conduit réellement l'homme à une plus grande perfection. »(Spinoza, Éthique).
Cependant, même s'ils ne sont pas raisonnables, ils sont susceptibles de devenir de bons citoyens sous certaines conditions. Première condition : il faut que l'État ait le désir d'imposer sa puissance au nouveau venu dans la société (l'enfant), sinon ce dernier utilisera sa puissance naturelle pour tenter de dominer son entourage et il ne sera jamais sociable. Deuxième condition : il faut que l'État éduque cette puissance naturelle dont chacun est doté pour subsister en agissant sur les deux sentiments primitifs que sont la crainte (qui consiste à imaginer ce qui, momentanément, est susceptible de nous être nuisible et que, pour cette raison, nous nous efforçons d'éviter) et l'espoir (qui consiste à imaginer ce qui, momentanément, est susceptible de nous être utile et que, pour cette raison, nous nous efforçons de nous procurer). Troisième condition : il faut que l'État propose au plus grand nombre possible d'individus des craintes communes (les mêmes châtiments) et des espoirs communs (les mêmes récompenses) afin que les espoirs des uns ne soient pas les craintes des autres, ce qui crée inévitablement des dissensions. Quatrième et dernière condition : il faut que l'État se dote de lois qui lui permette d'imposer sa puissance aux individus, d'éduquer leurs sentiments et d'établir des récompenses et des châtiments communs. Donc, « pour que les hommes puissent vivre dans la concorde et se venir en aide, [et comme] nul sentiment ne peut être contrarié que par un sentiment plus fort et opposé au sentiment à contrarier, chacun s’abstiendra de faire un mal par crainte d’un mal plus grand et accomplira un bien par espoir d’un bien plus grand. »(Spinoza, Éthique).
Finalement, pour Spinoza, c'est toujours l'être le plus puissant qui porte l'entière responsabilité des relations qui existent entre ces deux êtres. Or, entre l'État et l'individu, c'est l'État qui est le plus puissant. C'est donc l'État qui est responsable du climat social qui règne en son sein. Si ce climat est bon, si les citoyens sont solidaires et vivent dans la concorde, c'est parce que les lois sont bonnes. Si le climat est détestable, si les citoyens sont hostiles les uns aux autres et vivent dans la discorde, c'est parce que les lois sont mauvaises. « Au cas donc où la méchanceté régnerait davantage et où le nombre de fautes commises serait plus considérable dans une certaine nation que dans une autre, une conclusion évidente ressortirait d’une telle suite d’événements : cette nation n’aurait pas pris de dispositions suffisantes en vue de la concorde et sa législation n’aurait pas été instituée dans un esprit suffisant de sagesse. »(Spinoza, Traité Politique). Et un cas particulier de mauvaise loi, c'est lorsque la loi est injuste, c'est-à-dire lorsqu'elle suscite de la crainte pour certains et de l'espoir pour d'autres. Par exemple, une loi qui diminue les impôts des plus riches va créer, chez eux, l'espoir d'un enrichissement accru. Mais en revanche, elle va susciter chez les citoyens les plus modestes la crainte d'avoir à payer plus d'impôts ou, en tout cas, d'être moins bien soigné, moins bien logé, moins bien instruit, etc. Il en résultera inévitablement un sentiment d'injustice de leur part et, par contrecoup, des tensions sociales et un affaiblissement de l'État. (argumentsprincipaux et secondaires de la 2° partie)
Donc, pour Spinoza, une loi injuste est une loi qui ne remplit pas sa fonction pédagogique consistant à fournir à tous les membres d'une communauté donnée des espoirs et des craintes communs. Une loi injuste est une loi qui divise au lieu de rassembler et qui, pour cette raison, engendre des tensions sociales. (bilande la 2° partie)
Cela dit, ce qui est susceptible d’engendrer des tensions sociales, n’est-ce pas l’application de la loi plutôt que la loi elle-même ? (transition)
III - La loi elle-même est toujours sans reproche, et c’est l’application par le juge qui est susceptible de faire naître le sentiment d’injustice. (jereprends ici l'annonce de la troisième partie)
Certes, une loi contraire aux coutumes a toutes les chances d’être considérée comme injuste. Cependant, comme il existe des coutumes qui, visiblement, sont sources de conflit, on est bien obligé d’admettre qu’il existe des lois conformes aux coutumes et qui sont néanmoins perçues comme injustes par ceux qui se révoltent ou méprisent ou ignorent ces lois. Cela dit, on pourrait citer de très nombreux exemples de lois inapplicables ou qui n’ont jamais été appliquées, preuves que les lois ne s’appliquent pas toutes seules. Il se pourrait donc bien que l’injustice ne soit pas ressentie et ne s’accompagne pas d’effets délétères sur le corps social tant que la loi n’est pas appliquée. Ce qui ferait porter sur l’institution chargée de l’exécution la plus grosse part de responsabilité quant à la justice ou l’injustice de la loi. (j'annonce ici pourquoi Pascal etSpinoza sont tous les deux critiquables)
Aristote définit la loi comme un énoncé nécessairement général, c’est-à-dire un énoncé qui, par nature, ne traite pas les cas particuliers. Dans certains domaines, par exemple en science, la généralité de la loi est toujours satisfaisante, car elle décrit des phénomènes qui se caractérisent par leur grande régularité : la loi newtonienne dite de la gravitation universelle, selon laquelle deux corps exercent l’un sur l’autre une force d’attraction proportionnelle à leurs masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare, vaut pour n’importe quel corps, n’importe où, n’importe quand. Ce qui veut dire que cette loi, et toute loi scientifique, n’a que faire des cas particuliers. Dans d’autres domaines, en revanche, la généralité de la loi n’est pas pleinement satisfaisante : la loi Veil de 1975, qui autorise l’interruption volontaire de grossesse dans un délai de 10 semaines (porté à 12 semaines par la loi Aubry de 2001), ne prend en compte que les cas d’avortement les plus fréquents. Pour les cas les plus fréquents, ceux qui sont explicitement prévus par la loi, la généralité de celle-ci reste satisfaisante. Mais il existe forcément des cas dans lesquels une femme va demander une IVG au-delà du délai légal : « la loi est toujours quelque chose de général et il y a des cas d’espèce pour lesquels il n’est pas possible de poser un énoncé général qui s’y applique avec rectitude. Dans les matières, donc, où on doit nécessairement se borner à des généralités, et où il est impossible de le faire correctement, la loi ne prend en considération que les cas les plus fréquents, sans ignorer d’ailleurs les erreurs que cela peut entraîner. »(Aristote, Éthique à Nicomaque). Est-ce à dire pour autant que la femme qui demanderait, par exemple sur avis médical, une interruption volontaire de grossesse au-delà du délai légal serait automatiquement coupable d’infraction à la loi ? Pas nécessairement.
Pour répondre à la question, il va falloir, précise Aristote, s’adresser à un juge. Le rôle du juge, en effet, c’est de considérer le cas particuliers qui lui est soumis en se demandant si ce cas particulier est un cas d’infraction à la loi (la demande sera alors rejetée) ou une exception à la loi (la demande sera acceptée) : « quand, par la suite, la loi pose une règle générale et que là-dessus survient un cas en dehors de la règle générale, [le juge] est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplification, de corriger l’omission et de se refaire l’interprète de ce qu’eût dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce moment et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas en question. »(Aristote, Éthique à Nicomaque). Le juge va donc devoir interpréter la loi en se demandant si, par exemple, le cas particulier de telle patiente désirant se faire avorter au-delà du délai légal de 12 semaines parce que, sur avis médical, sa propre vie est en danger, cela est bien conforme à l’esprit de la loi (c’est-à-dire est implicitement contenu dans la loi) bien que n’étant pas conforme à la lettre de la loi (c’est-à-dire n’étant pas explicitement contenu dans la loi). Et pour interpréter la loi, le juge va devoir se mettre à la place du législateur (de l’auteur de la loi), c’est-à-dire consulter les documents, solliciter les témoignages, refaire les raisonnements, se rappeler les débats, etc. qui ont conduit le législateur à prendre la décision légale qu’il a prise en ne consignant que les cas les plus fréquents. Ce qui veut dire qu’il y a une sorte de partage des tâches entre d’une part le législateur qui ne connaît que des cas généraux en laissant éventuellement au juge le soin d’y rattacher quelques exceptions particulières, et d’autre part le juge qui ne connaît que des cas particuliers qui sont, à première vue, des infractions à la loi, mais dont on peut se demander s’ils n’en sont pas, en réalité, des exceptions que le législateurs lui-même aurait admises s’il en avait été informé.
Par conséquent, une loi injuste, pour Aristote, ça n’existe pas : une loi, en tant qu’énoncé à caractère général et impersonnel n’est ni juste ni injuste. De ce point elle est toujours irréprochable même si, bien entendu, elle peut toujours être incohérente, illisible, ambiguë, etc. Ce n’est pas la loi, en effet qui est susceptible d’être juste ou injuste, mais son application à l’ordre imprévisible et irrégulier des affaires humaines : « la loi n’en est pas moins sans reproche, car la faute n’est pas à la loi, ni au législateur, mais tient à la nature des choses, puisque par leur essence même, la matière des choses de l’ordre pratique revêt ce caractère d’irrégularité. »(Aristote, Éthique à Nicomaque). Aussi dira-t-on, par abus de langage, qu’une loi est juste lorsque son application pose très peu de problèmes (par exemple parce qu’il y a très peu de cas particuliers qui sortent du cadre général de la loi). Et on dira, par erreur, que la loi est injuste lorsque le cadre général de la loi fait surgir de nombreuses difficultés d’application et que le juge a tendance à interpréter cette loi de manière restrictive en rejetant la plupart des demandes d’incorporation des cas particuliers dans le cadre de la loi. À plus forte raison lorsque les justiciables sont tellement certains que leur demande va être rejetée par le juge qu’ils ne s’adressent même plus à lui pour tenter de faire reconnaître la légitimité de leur cas particulier. (argumentsprincipaux et secondaires de la 3° partie)
Finalement, du point de vue d'Aristote, dire qu'une loi est injuste, c'est dire que cette loi pose au juge de tels problèmes d'interprétation qu'elle n'est plus appliquée qu'à un nombre extrêmement restreint de cas particuliers, voire plus appliquée du tout. En tout cas, pour Aristote, l'injustice trouve son origine dans la jurisprudence (l'application de la loi par le juge) et non dans la loi elle-même. (bilande la 3° partie)
Nous avons donc pu voir que, apparemment, une loi injuste est une loi qui est ressentie comme scandaleuse en ce qu’elle apparaît contraire à tous les usages sociaux puisque c’est la coutume et non pas le raisonnement qui nous fournit les premiers principes de la justice et de l’injustice. Toutefois, une loi qui respecterait une coutume d’affrontement ou de conflit ne serait pas juste pour autant dans la mesure où l’injustice, qu’elle soit sentie comme telle ou non, consiste dans l’impossibilité, pour l’État, d’établir des relations sociales stables et harmonieuses par le biais de la loi. Encore que ce ne soit pas la loi proprement dite qui soit injuste, mais plutôt son application par l’institution appropriée (le juge) dont la fonction est précisément d’interpréter équitablement le cadre général et impersonnel de toute loi pour y intégrer ou non les cas particuliers individuels. (j'airésumé d'une phrase chaque partie de mon développement)
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