samedi 15 juin 2024

THERMODYNAMIQUE DES CONFLITS : I - ENTROPIE ET ATTRACTION.

 

L'un des paradoxes de la civilisation occidentale, c'est sa dissociation entre, d'une part un idéal intellectuel de luxe, de calme et de volupté, et, d'autre part, une histoire toute faite de misère, de chaos et de violence. On dira sans doute avec raison qu'il ne faut pas chercher plus loin la consubstantialité de l'Occident global avec la théologie monothéiste qui prend acte de l'indépassable conflictualité d'ici-bas tout en proclamant néanmoins un irénisme compatible seulement avec quelque improbable au-delà de la corporéité. Pourtant, la plupart des civilisations n'ont jamais cultivé cette sorte de schizophrénie et se sont, au contraire, trouvées très à leur aise avec une pensée structurée par des cosmogonies dans le cadre desquelles les puissances supérieures de l'univers se livrent perpétuellement un combat sans merci1. Ce qui, d'ailleurs, est aussi pressenti par l'un des courants de la pensée grecque présocratique qui admet que "le conflit est le père de toutes choses, le souverain de toutes choses, qui fait apparaître les uns comme des dieux, les autres comme des hommes, qui fait les uns libres et les autres esclaves [πόλεµος πάντων µὲν πατήρ ἐστι, πάντων δὲ βασιλεύς, καὶ τοὺς µὲν θεοὺς ἔδειξε τοὺς δὲ ἀνθρώπους, τοὺς µὲν δούλους ἐποίησε τοὺς δὲ ἐλευθέρους]"(Héraclite, Fragments, 53). Nous allons essayer de montrer que la science occidentale moderne, tout particulièrement la thermodynamique, tourne le dos à l'optimisme métaphysique et s'accorde pleinement avec la pensée héraclitéenne du conflit comme matrice universelle. Puis nous tirerons quelques conséquences pratiques, notamment écologiques et géo-politiques, de la thermodynamique des conflits.

La thermodynamique est la branche de la physique qui traite de la dépendance des propriétés physiques des corps à la température, donc des phénomènes où interviennent des échanges thermiques, et des transformations de l'énergie entre différentes formes. L'histoire de la thermodynamique repose sur deux grands principes. Le premier principe, énoncé par Lavoisier et Laplace, établit l'équivalence des différentes formes d'énergie, notamment la chaleur et le travail. C'est un principe de conservation statique qui implique que la somme des différentes énergies constitutives d'un système se conserve même si ces énergies peuvent se transformer les unes dans les autres. C'est le principe selon lequel l'échange d'énergie est un jeu à somme nulle : ce que gagne un système physique, d'autres système le perdent et vice versa. Le second principe, établi, entre autres, par Carnot, Boltzmann et Gibbs, introduit en plus de l'énergie d'un système physique une autre grandeur caractérisant le système et qu'on nomme entropie. C'est un principe d'évolution dynamique qui détermine jusqu'où et dans quel sens les différentes transformations de l'énergie sont possibles. Ainsi, par exemple, si tout le travail d'un système peut être transformé en chaleur, l'inverse n'est pas vrai : "le terme entropie a été forgé en 1865 par le physicien allemand Clausius [...]. Il introduisit cette grandeur afin de caractériser mathématiquement l'irréversibilité de processus physiques tels qu'une transformation de travail en chaleur"(Roger Balian, les Etats de la Matière). Pour donner un aperçu intuitif de ce en quoi consiste l'entropie, on peut dire qu'il s'agit de l'irréversibilité du processus de transformation d'une certaine quantité de travail en une quantité déterminée de chaleur. Par exemple, si on parvenait, dans l'idéal, à récupérer toute la chaleur (Q) produite par le mouvement mécanique (W) d'un moteur à explosion, on ne pourrait produire avec Q qu'une quantité de travail W' inférieure à W (en toute rigueur, le raisonnement thermodynamique étant probabiliste, statistique, le processus W→Q→W' n'est pas tel que, nécessairement, W'<W, mais tel que, probablement, W'<W2. Ce qui veut dire que, sans pour autant que la quantité globale d'énergie soit théoriquement modifiée (première loi de la thermodynamique), il existe néanmoins une quantité résiduelle d'énergie thermique inutilisable par un système physique isolé. C'est donc du problème de l'équivalence entre les formes ordonnées (travail) ou désordonnée (chaleur) de l'énergie et non pas du problème de la subsistance globale de la quantité d'énergie qu'il est originairement question dans la notion d'entropie.

En tout cas, en disant que "dans un système physique isolé, l'entropie a une très forte probabilité de s'accroître", la loi de Boltzmann affirme que l'entropie du système tend à croître jusqu'à atteindre une valeur limite à laquelle ce système isolé est en équilibre thermodynamique parfait. Ce qui n'est qu'une formalisation scientifique de la constatation banale selon laquelle tout système physique laissé à lui-même (un sac, par exemple, dans lequel on a introduit méthodiquement et successivement n billes bleues puis m billes rouges) tend au désordre (les bleues et les rouges vont se mélanger) ou que, a contrario, pour maintenir son ordre initial (la séparation méthodique des couleurs par exemple), il va falloir un apport exogène d'énergie (en l'occurrence, celle résultant de l'intervention consciente d'une main humaine). À cet égard, le second principe de la thermodynamique énonce que l'échange d'énergie est un processus tendanciellement déficitaire (dans notre exemple, la chaleur de l'énergie musculaire qui a permis la séparation des couleurs est irrécupérable). Deux implications majeures de ce second principe sont, premièrement, qu'il introduit une dissymétrie (une "flèche du temps") entre le passé et le futur fondée sur l'irréversibilité de certaines transformations et, deuxièmement, que l'Univers considéré comme un système isolé, s'achemine lentement mais inexorablement vers un désordre maximal, sa "mort thermique" (o° K ou "zéro absolu"). La loi de Boltzmann énonce donc que dans tout système physique isolé, l'énergie "utile" a inexorablement tendance à se dissiper, dans un premier temps sous forme de chaleur, c'est-à-dire d'agitation moléculaire, puis, dans un second temps, la chaleur elle-même se disperse pour tendre asymptotiquement vers l'"entropie absolue" ou "zéro absolu" (O°K ou -273,15°C). La meilleure illustration de ce processus est encore le devenir de l'univers tout entier qui n'a de cesse, depuis 13,5 milliards d'années, de se complexifier tout en se refroidissant (sa température moyenne actuelle est de 2,7°K contre quelque 1032 à ses "débuts"). L'entropie se mesure objectivement comme une "action" en termes de quantité d'énergie (ML2T-2) perdue multipliée par la durée (T) de la perte et rapportée à une unité (Q) de température (en général, en °K). Sa "dimension" est donc ML2T-1Q-1.

Mais Boltzmannn puis Gibbs ne se sont pas contentés de constater ce processus, ils ont aussi tenté de le quantifier en établissant une relation statistique tout à fait intéressante entre l'entropie mesurée d'un corps (S) et le nombre de ses nouvelles3 configurations possibles (Ω). De là, l'équation fameuse4 S = k ln Ω. Ce qui dit, en gros, que plus nombreux sont les états possibles (Ω) de ce corps, et plus forte en est l'entropie (S), ou, dit autrement, plus nombreux sont les degrés de liberté de ce corps et plus celui-ci est sujet au désordre, c'est-à-dire à l'augmentation de probabilité d'une configuration désorganisée. Mais, ce qui est le plus remarquable dans cette équation, c'est que l'augmentation de l'entropie en fonction de la complexité du système suit une progression logarithmique (fonction ln, "logarithme népérien" de base e) qui fait que l'entropie augmente de plus en plus faiblement lorsque le nombre de configuration s'accroît fortement, tandis qu'elle diminue fortement au fur et à mesure que l'on s'approche de Ω = 1. De sorte qu'à la limite, lorsqu'il n'y a qu'une seule configuration possible (Ω = 1), lorsqu'il n'y a plus donc aucun degré de liberté, l'entropie devient nulle (S = k ln 1 = 0 puisque ln 1 = 0). L'entropie réalise donc en quelque sorte ce que l'on appelle en économie, des "économies d'échelle" : de même qu'il ne faut pas n fois plus de moyens pour produire n automobiles que pour en produire une seule ou que le métabolisme énergétique des êtres vivants ne croît pas linéairement en fonction de leur complexité5, de même le désordre (l'entropie) n'est pas, en moyenne, dix fois plus important lorsque la complexité d'un système s'accroît d'un facteur dix mais environ 2,3 fois plus important (ln 10 est à peu près égal à 2,3). On voit par là que, paradoxalement, le désordre est lui-même contenu, "ordonné" en quelque sorte. L'entropie, est donc, a priori, pré-contrainte. On dira qu'elle est in-formée et in-formante6 dans le sens où elle n'est pas, a priori, complètement désordonnée mais qu'elle est dotée d'une certaine "forme" au double sens tout à la fois ontique (μορφή, Gestalt, shape, sfumatura, configuration) et épistémique (εἶδος, idée, principe).

Ce double sens est fondamental pour notre propos car on s'est vite aperçu aussi que "la notion de quantité d'information, utile en théorie de la communication ou en informatique, est étroitement apparentée à celle d'entropie"(Roger Balian, les Etats de la Matière). De là, la "théorie de l'information" (qui va devenir la cybernétique puis l'informatique) va interpréter le désordre ontique (du grec τὸ ὄν, "l'être") relatif à l'accroissement de probabilité d'une configuration globale désorganisée dans les choses elles-mêmes en termes d'indétermination épistémique (du grec ἐπιστήμη, "la connaissance") relative à la difficulté de connaître le détail de la configuration locale de ces mêmes choses. En ce sens, une in-formation épistémique est un événement physique qui détaille la configuration locale C' d'un système physique global G, étant entendu que C', tout en appartenant à un ensemble très probable de configurations possibles différentes d'une configuration locale d'origine C réputée ordonnée, est néanmoins elle-même improbable (proche de 0). Dans la foulée de Boltzmann et de Gibbs, Shannon et Weaver vont donc définir la quantité d'in-formation H nécessaire à la connaissance du détail des configurations locales d'un système physique global comme le corrélat négatif de l'entropie S de ce système, autrement dit comme le corrélat de sa néguentropie. En partant de l'entropie ontique S attachée au détail local d'un système global G (partie jaune du graphique ci-dessous), Shannon et Weaver définissent l'in-formation épistémique comme l'entropie négative (ou "néguentropie") H (partie verte du graphique) potentiellement attachée à ce système par l'équation H = -k ln Ω, c'est-à-dire, on l'aura remarqué, exactement par l'équation de Boltzmann et Gibbs à un signe négatif près. Ce qui se comprend aisément : si l'in-formation (la néguentropie) au sens ontique est la quantité d'énergie par unité de temps et par unité de chaleur qu'il faudra lui fournir pour, à la limite, annuler son entropie et si l'entropie (le désordre) ontique S est fonction du logarithme népérien du nombre Ω de ses nouvelles configurations possibles, alors son in-formation est la même fonction de probabilité appliquée à l'inverse de , autrement dit à la probabilité de la survenance de 1/Ω. En effet, si H (la quantité d'in-formation) doit être la mesure de l'entropie négative (-S), et si S = k ln Ω comme nous l'avons dit plus haut, alors H = -S = -k ln Ω = k ln 1/ Ω = k ln prob.(G), puisque prob.(G) = 1/Ω et que ln 1/x = -ln x. D'où l'équivalence entre néguentropie ontique et in-formation épistémique. Équivalence qui, on va le voir, est fondamentale pour les systèmes vivants qui, dans le cadre de leur propre lutte contre l'entropie, ont besoin d'in-formation épistémique pour prévoir le détail de l'évolution locale les concernant du système global dont ils font partie et y réagir avec pertinence en le modifiant, donc en l'in-formant d'un point de vue ontique. À la limite, si une seule configuration locale est possible (Ω = 1) pour un système global donné, alors il n'y a plus de nouveauté possible7, et donc prob.(G) = 1/Ω = 1/1 = 1. Son entropie ontique est alors presque8 nulle et l'in-formation épistémique pertinente pour le système vivant concerné par cette entropie l'est aussi : intuitivement, si une configuration est épistémiquement "certaine" alors elle est parfaitement prévisible par l'observateur vivant et l'in-formation au sujet de cette configuration est minimale (par exemple, elle se réduit au métabolisme perceptif ou au stimulus caractéristique du conditionnement opérant pavlovien). À l'inverse, le même système vivant observateur requerra une quantité d'in-formation épistémique d'autant plus grande qu'il sera placé dans une configuration plus imprévisible, donc qu'une telle situation sera, a priori, plus improbable et, partant, plus susceptible de menacer sa survie. Lorsqu'il s'avère que l'incertitude épistémique sur le détail local d'un système global s'accroît du fait de son entropie ontique, on peut donc aussi considérer que l'observateur vivant intégré à ce système est l'objet d'une in-formation négative, c'est-à-dire, tout à la fois, d'une dé-formation ontique (un stress générateur d'une accélération du métabolisme et donc d'une perte d'énergie) et d'une dé-formation épistémique (une perte de ses repères cognitifs et perceptifs). Auquel cas, l'équation de cette dé-formation est alors tout simplement celle de l'entropie de Boltzmann et Gibbs (S = k ln Ω = - H). Une in-formation peut donc être définie en général comme un processus physique qui contribue, que ce soit par inertie (la gravitation qui finit par stopper l'éboulement d'une montagne) ou bien par intention (le panneau routier qui finit par stopper l'hécatombe humaine à un carrefour), à diminuer la désorganisation ontique/épistémique locale d'un système physique global donné.

Par ailleurs, nous savons que tout système physique, vivant ou inerte, se conforme spontanément au principe de moindre action d'après lequel le produit de l'impulsion par la distance parcourue ou bien le produit de la dépense d'énergie par le temps mis pour la dépenser9 est le plus petit possible. Exactement comme le Père Goriot qui, plus il perd sa fortune, plus il restreint ses besoins pour en perdre le moins possible et plus il en perd néanmoins. Pour le Père Goriot, par exemple, la perturbation entropique (la perte d'argent) prend l'aspect d'un stress, c'est-à-dire d'une -formation tout à la fois ontique (accélération de son métabolisme, diminution de son pouvoir d'agir dans son monde) et épistémique (incertitude, inquiétude, désespoir), et, corrélativement, engendre un besoin de néguentropie en lui "ordonnant" (au double sens de "commander" et d'"arranger") de se réorganiser en conséquence. D'une manière générale toute trans-formation locacle d'un système physique global peut être considérée comme un processus thermodynamique de dé-formation ou d'in-formation dans les deux sens que nous avons soulignés. Par exemple, "on peut distinguer cette statue que l'on a sous les yeux [...] ou bien encore cet airain que l'on a là sous la main"(Aristote, Physique, II, iii, 15) : la statue, c'est un bloc de marbre qui possède à l'instant t une configuration locale déterminée qui va se trouver in-formée en t+n par l'ensemble des actes que le sculpteur aura accomplis conformément à une certaine in-formation épistémique intentionnelle. L'in-formation, dans le sens le plus général du terme, c'est donc ce processus qui ordonne un système physique toujours-déjà pourvu d'une certaine forme en le dé-formant, le re-formant, le trans-formant à travers un processus que Simondon qualifie d'"hylémorphique" (du grec ὕλη, matière et μορφή, forme). Bien entendu "ce n'est pas seulement l'argile et la brique, le marbre et la statue qui peuvent être pensés selon le schéma hylémorphique, mais aussi un grand nombre de faits de formation, de genèse et de composition, dans le monde vivant et dans le monde psychique"(Simondon, l'Individu et sa Genèse Physico-Biologique). Tout processus biologique d'accommodation/assimilation par lequel une organisation vivante et son écosystème10 (du grec οἶκος, "maison", "résidence", "habitation", Jakob von Uexkull dit Umwelt, "monde propre") se modifient mutuellement est, en ce sens, un processus d'in-formation ou de dé-formation. Par où l'on voit clairement que les aspects ontique et épistémique de l'entropie (dé-formation) et de la néguentropie (in-formation) sont bien les deux faces de la même réalité.

En particulier, s'agissant de la réalité "vivante", "la sélection darwinienne apprend aux différentes espèces à conserver de l’information et à l’adapter aux divers problèmes qui se posent à elles ; la vie consiste donc en systèmes physiques qui tentent de résoudre des problèmes"(Popper, la Quête Inachevée, xxxvii), lesquels "problèmes" sont tous, au fond, des déclinaisons du seul et même problème fondamental : celui de la lutte contre l'entropie. De là, la définition par Bichat de la vie comme ensemble des fonctions qui luttent contre la mort : exister, vivre en particulier, n'est rien d'autre qu'agoniser au sens étymologique (du grec ἀγωνίζομαι, "lutter, combattre"). Par exemple, le "code génétique", par exemple, n'est rien d'autre qu'un processus d'in-formation épistémique/ontique mémorisée dans ses grandes lignes (c'est-à-dire moyennant ses mutations aléatoires11) par l'espèce vivante et par lequel un écosystème biologique local (une Umwelt) commence à prendre forme, à se dé-former, à se trans-former, bref, à exister. Cela dit, l'in-formation génétique n'est que la base spécifique sur laquelle va se déployer l'in-formation sensorielle pour ce qui concerne l'individualité du corps biologique puis l'in-formation sociale pour ce qui concerne l'insertion du corps biologique dans un écosystème plus global encore, à savoir le corps social. Car, dans tous les cas, ces différents niveaux d'in-formation ordonnent tout système physique vivant en lui permettant de puiser dans des systèmes physiques connexes l'énergie dissipée en chaleur irrécupérable (entropie) et dont le déficit tendanciel menace son existence. Mais, tandis que la néguentropie/in-formation est due, dans le cas des systèmes inertes (non-vivants), au hasard des accidents (le tremblement de terre qui modifie le paysage), en revanche "l’efficacité de l’évolution [des systèmes vivants] ne peut laisser les limites de la vie au hasard des accidents"(François Jacob, la Logique du Vivant). Nous dirons donc que, s'agissant des systèmes vivants, l'in-formation est "intentionnelle", c'est-à-dire que l'organisation vivante reçoit de l'in-formation/dé-formation (l'"accommodation" piagétienne) de l'environnement connexe et/ou y envoie de l'in-formation/déformation (l'"assimilation" piagétienne) en étant littéralement, in tensione, c'est-à-dire dans un état de tension vitale consécutif à l'instabilité thermodynamique à quoi elle est confrontée et qu'elle tente de limiter par l'auto-organisation, c'est-à-dire par l'inclusion cumulative de structures physiques dans des structures plus larges et au sein desquelles circule l'in-formation stabilisatrice. Cela dit, là où une organisation "inerte" règle accidentellement son auto-organisation sur le principe de moindre action (ou inertie), l'organisation vivante entend déjouer l'accident en accumulant intentionnellement de l'in-formation sous forme de mémoire, c'est-à-dire de perception (mémoire à court terme) et de cognition (mémoire à long terme). Nous appellerons donc "intentionnalité" le critère de l'organisation vivante en tant que son action ne se réduit pas à l'inertie (donc en tant que cette organisation déroge localement12 au principe de moindre action) et en tant que son résultat n'est pas purement accidentel : un oiseau vivant ne se laisse "tomber" mais bat des ailes dans une direction déterminée, tandis que le "même" oiseau mortellement touché par le tir d'un chasseur ne sera plus qu'un corps soumis à l'inertie et au strict principe de moindre action et dont la trajectoire sera, de ce fait, purement accidentelle. Dès lors, ce qu'il est convenu d'appeler "communication", n'est, à l'instar du code génétique biologique, que l'aspect intentionnel de l'action de tout système physique vivant visant à contrecarrer l'entropie dont il est perpétuellement l'objet, en entrant en interaction intentionnelle et non-accidentelle avec son écosystème global. Reprenons en effet l'exemple de l'in-formation génétique : tout code génétique est une suite déterminée de "lettres" (A pour "adénine", G pour "guanine", T pour "thymine", C pour "cytosine", qui sont les quatre protéines de base du vivant). Une suite de telles bases (AAGGCGTAAACC ...) qui ne serait qu'une combinaison purement accidentelle aurait autant de chances de remplir les fonctions d'in-formation génétique qu'on lui connaît que, dans la nouvelle éponyme de Borges, un livre de la bibliothèque infinie de Babylone aurait de chances d'être lisible. Or, nous l'avons vu, plus une configuration est ontiquement improbable, moins elle est épistémiquement in-formative : l'in-formation est l'événement physique qui met de l'ordre dans le chaos, qui le stabilise localement. Pour avoir une in-formation génétique digne de ce nom, il faut donc d'une part avoir une suite intentionnelle (non-accidentelle) de telles bases telles que l'espèce les a mémorisées13, et d'autre part un contexte local favorable qui va permettre à une telle suite de produire des effets de néguentropie concentrés sur des systèmes locaux déterminé. En d'autres termes, une suite de bases A, G, T, C n'est pertinente, donc n'est une in-formation que si et seulement si elle a été "sélectionnée" par l'évolution d'une espèce, et qu'elle rencontre un terrain biologique favorable pour "s'exprimer", en d'autres termes, que si elle procède d'une intentionnalité cognitive. Et un tel "terrain" n'est que l'Umwelt globale en tant qu'elle autorise des structures physiques locales (amino-acides, puis cellules, puis tissus, puis organes, puis corps, puis communautés, puis espèces) à communiquer entre elles, c'est-à-dire à échanger intentionnellement des in-formations, c'est-à-dire des flux énergétiques coordonnés destinés à assurer l'invariance globale de l'organisation commune aux structures communicantes.

Par "invariance", nous entendons ici l'invariance d'échelle caractéristique des figures fractales mais aussi de certains processus chaotiques (processus de Wiener) et telle qu'une fonction f(x) est invariante d'échelle si et seulement si, pour tout x, f(x) = kxn (avec k constante), autrement dit si les propriétés de la fonction sont les mêmes quel que soit le niveau où on se place. L'invariance est donc toujours une propriété émergente d'un tout (l'organisation globale) moyennant la variation des parties du tout (les structures locales). C'est pourquoi nous disons "invariance" et non "identité" justement parce que, là où la notion d'identité (idem-tité) suppose l'immobilité et l'immuabilité générale, l'invariance, tout au contraire est, à l'image du bateau de Thésée, compatible, non seulement avec la ductilité relative de ses structures (celles d'un matériau inerte sont capables d'opposer, jusqu'à un certain point, une in-formation ontique en termes d'élasticité ou de plasticité à une dé-formation entropique), mais surtout avec l'infinie créativité de la coopération intentionnelle des structures intégrées à un milieu auto-organisé (Francisco Varela dit "auto-poïétique"), ce qui est le propre du vivant : une fibre musculaire vivante, par exemple, va se tendre ou se comprimer jusqu'à son point de rupture, tout comme une fibre non-vivante, sauf que, si elle est vient à se rompre, sa réparation va dépendre de la communication du tissu musculaire avec le réseau vasculaire qui l'environne et qui va lui fournir l'in-formation nécessaire. L'auto-organisation du vivant consiste donc toujours à maintenir invariante à quelque échelle que l'on se place la communication des structures intentionnellement coordonnées par la circulation de l'in-formation. Ilya Prigogine a forgé la notion très intéressante de "structure dissipative" pour désigner les systèmes physiques qui, loin de l'équilibre thermodynamique, s'in-forment perpétuellement en tendant à reconstituer tout ou partie de l'énergie qu'ils perdent (qu'ils dissipent) en entropie. Il ajoute que l''invariance globales de telles structures est toujours assurée par des processus cognitifs qu'il nomme "auto-catalytiques" et dont le paradigme archaïque est une sorte de "mémoire" (hystérésis), comme dans le cas de l'in-formation plastique/élastique du matériau ductile, ou dans celui de l'in-formation thermostatique des phénomènes tels que les cellules orageuses ou les cellules de Bénard. Mais, tandis qu'un cyclone cesse d'exister lorsque la source d'énergie se tarit, il existe des systèmes auto-catalytiques qui créent eux-mêmes les conditions de leur propre (ré-)alimentation en énergie et donc de la (re-)production de leur propre substance. Tels sont précisément les systèmes vivants : ce sont des structures dissipatives auto-catalytiques que Francisco Varela qualifie d'"auto-poïétiques" (du grec ἡ αυτού ποίησις, "la production de soi-même") : "une structure autopoïétique engendre et spécifie continuellement sa propre organisation. Elle accomplit ce processus incessant de remplacement de ses composants, parce qu’elle est continuellement soumise à des perturbations externes, et constamment forcée de compenser ces perturbations"(Varela, Autopoïèse et Organisation du Vivant, ii, 2 in Autonomie et Connaissance, Essai sur le Vivant).

Comme il n'existe pas de critère définitionnel décisif14 pour définir l'organisation vivante, et donc pour distinguer l'auto-poïèse vivante de l'auto-catalyse inerte, nous prendrons désormais le caractère intentionnellement collectif et coopératif de la lutte de tout système physique vivant contre l'entropie comme le symptôme du vivant tout en gardant présent à l'esprit que ce n'est là que pure pétition de principe. Commençons par rappeler que, d'après la loi de Boltzmann, tout système physique ISOLÉ perd irrémédiablement de l'énergie. Dans tous les cas, on peut tirer l'équivalence ontique/épistémique entre l'isolement et l'entropie : un système physique quelconque perd ontiquement de l'énergie/est épistémiquement dans l'incertitude en ce qu'il est isolé ou bien, ce qui revient au même, il est isolé en ce qu'il perd de l'énergie/est dans l'incertitude. Cela dit l'"isolement" n'est pas nécessairement une question d'éloignement physique. Certes, dans un premier temps, l'entropie de structures isolées du seul fait de la contiguïté entre ces mêmes structures15. Mais la contiguïté est-elle une condition de l'organisation ? Celle-ci semble supposer, en effet, une association entre deux structures physiques connexes dont la fonctionnalité est, non seulement de limiter l'entropie survenant accidentellement, mais de la prévenir en supprimant l'accident. Or, le résultat de l'interaction fonctionnelle d'un système S1 isolé perturbé par l'entropie jusqu'à l'instant t avec un système connexe S2 à partir de cet instant est, d'un point de vue ontique, localement néguentropique pour S1 mais entropique à la fois pour S2 et pour S1+S2 et ce, avons-nous dit, quel que soit le niveau de complexité où ce processus a lieu. En effet, pour S1 l'in-formation néguentropique (que celle-ci soit intentionnelle dans le cas de la communication du vivant ou bien inertielle/accidentelle dans celui de l'interaction de l'inerte) qui, seule, est en mesure de lui fournir cette forme relativement et provisoirement stable qu'on appelle existence ou subsistance, s'analyse en une action An, c'est-à-dire un flux d'énergie pendant une durée déterminée afin de compenser une perturbation entropique endogène Ae, étant entendu que  An doit être peu différente de Ae. Or, même en supposant A= Ae, par hypothèse Adoit être fournie par un système (S2) lui-même sujet à une entropie endogène A'e qu'il va devoir à son tour compenser en s'associant à un système S3 qui, lui-même, etc. D'où le caractère récurrent du processus transitif d'in-formation/dé-formation des structures fonctionnellement associées. Ainsi, même en admettant que l'augmentation de l'entropie en fonction de la complexité croissante de l'association suit une progression logarithmique, il est facile de conclure que l'entropie globale ne peut que tendre vers l'infini16. D'autant plus que la circulation de l'énergie au cours de ce processus d'in-formation/dé-formation n'est pas "gratuite" mais s'analyse elle-même en une action (ML2T-1) qui, à ce titre, réclame aussi de l'énergie dépensée pendant un certain laps de temps (ML2T-2.T), donc, in fine, implémente l'entropie globale17. Ce que prouve, encore une fois, l'histoire de l'univers dans sa globalité et ce que montre bien le profil logarithmique de la loi de Boltzmann et Gibbs dans la figure ci-dessus où l'aire de la partie jaune (entropie) et toujours supérieure à celle de la partie verte (néguentropie). Et ce n'est pas tout, car la circulation d'énergie consistant à in-former ou à dé-former localement un système est, globalement, d'autant plus coûteuse en énergie et donc génératrice d'entropie qu'elle est plus intentionnelle. Du point de vue dynamique, l'intentionnalité n'est, en effet, rien d'autre qu'une action (ML2T-1), c'est-à-dire une impulsion (ou "quantité de mouvement MLT-1) déployée dans l'espace (L) qui, avons-nous dit, en tant qu'elle n'est ni purement inertielle ni purement accidentelle, déroge au strict principe de moindre action18. Du coup, il n'est plus du tout certain que la progression de l'entropie propre à l'intentionnalité en fonction de la complexité du système reste logarithmique conformément à la loi de Boltzmann. Et ce, d'autant moins que l'intentionnalité tendra à l'accumulation préventive d'une plus grande quantité d'in-formations épistémiques (perception, cognition, mémoire) susceptibles d'anticiper le plus grand nombre possible de situations ontiquement pertinentes quoiqu'inédites pour l'organisation vivante concernée. Du fait qu'elles intègrent une plus grande quantité et une plus grande diversité de structures participantes que dans les systèmes "inertes", mais aussi du fait qu'elles supposent une intense activité intentionnelle de concentration d'in-formations épistémiques préventives, la complexité organisationnelle spécifique des organisations "vivantes" s'accompagne donc fatalement aussi d'une complexité entropique spécifique.

Il est clair que ce processus d'inter-connexion des systèmes physiques est loin d'être une association entre égaux, une association "gagnant-gagnant" mais que, tout au contraire, celle-ci est dialectique dans le sens où la néguentropie locale génère invariablement une entropie globale qui menace toutes les parties à l'association. C'est ce que montre l'équation de Boltzmann-Gibbs. Mais prenons l'entropie limite (la mort) d'un système vivant local (un corps biologique individuel par exemple) comme processus de désorganisation qui remet celui-ci entre les mains de l'accident, de l'inertie et du strict principe de moindre action. Or, une telle dé-formation entropique localement catastrophique constitue néanmoins, pour le système global, un processus d'in-formation néguentropique par lequel celui-ci assure son invariance en supprimant un système local intégré dont l'entropie est devenue (ou menace de devenir) critique pour le système global19. Et ce, exactement de la même manière qu'un tissu biologique sauvegarde son existence globale en mettant fin à l'existence locale de ses propres cellules nécrosées ou que "le programme génétique prescrit la mort de l’individu dès la fécondation de l’ovule"(François Jacob, la Logique du Vivant) à travers le phénomène d'apoptose cellulaire20. Nous avons déjà vu que l'invariance globale de l'organisation commune aux structures associées s'opérait invariablement au détriment de certaines de ces structures, ce que nous avons appelé "in-formation globale"Mais si l'éboulement d'une falaise minée par des infiltrations constitue une in-formation néguentropique pour la falaise tout entière qui va se stabiliser sous l'effet de l'inertie et du principe de moindre action tandis qu'elle va constituer une dé-formation entropique pour la bâtisse qui s'y trouve érigée, le bilan s'arrête là. Tandis que, si la mort d'un jeune immigré tué par un policier lors d'un contrôle routier21 constitue bien une in-formation néguentropique pour une partie du corps social (celle qui va renforcer sa cohésion sous les effets conjugués du racisme et de la dévotion aux forces de l'ordre) tout en étant évidemment une dé-formation entropique non seulement pour la victime, sa famille et ses proches, mais aussi pour toute la partie dudit corps social qui se sentira agressée et menacée par le contexte de cet événement, le bilan ne s'arrête pas là. Comme l'ont montré les "suites" immédiates de cet événement, il s'est ensuivi tout un processus de "résistance" de la partie dé-formée du système global à l'égard, non seulement de la partie in-formée, mais aussi du système social tout entier dont il est impossible de dire s'il a été globalement in-formé ou bien dé-formé, tant du point de vue ontique que du point de vue épistémique, par cet événement puisque sa résonance à long terme est imprédictible même s'il est prévisible22. C'est en ce sens que nous parlerons désormais de "dialectique du maître et de l'esclave" par référence à la contradiction qui travaille, chez Hegel, toutes les relations humaines et que nous généraliserons à l'ensemble des relations que les organisations vivantes entretiennent avec leurs écosystèmes respectifs avant d'en revenir au cas spécifique des organisations humaines. D'autant que cette dialectique se retrouve, typiquement dans toutes les relations de prédation ou de parasitisme, relations d'association asymétrique entre, d'une part une organisation vivante apparemment "gagnante" du point de vue thermodynamique (le prédateur, le parasite, le "maître") et une autre apparemment perdante (la proie, le parasité, l'"esclave")23.

Posons à présent notre postulat concernant la thermodynamique des conflits : toute association du genre de celles que nous avons décrites est, à quelque échelle que l'on se place, une dialectique du maître et de l'esclave sans synthèse possible24. Concrètement, S1 dépend directement de S2 pour lui fournir l'énergie néguentropique qui lui fait tendanciellement défaut, mais S2 dépend indirectement de S1 puisque, par son action entropique sur S2, S1 place, de facto, S2 dans un écosystème global il va, à son tour, puiser l'énergie qui lui manque en s'associant dans les mêmes conditions asymétriques à S3, etc. La conséquence de ce postulat est qu'à la limite, l'écosystème total associant tous les systèmes S1, S2, S3, … Sn lorsque n tend vers l'infini, c'est évidemment l'univers tout entier que la seconde loi de la thermodynamique voue irrémédiablement à une entropie fatale. Cependant, nous avons vu qu'il existe aussi des écosystèmes vivants localement et provisoirement invariants, ce qui implique en aval et suppose en amont une stabilité relative25 d'un point de vue ontique comme du point de vue épistémique, c'est-à-dire telle qu'un observateur, vivant par définition, puisse y percevoir de l'invariance. Nous faisons l'hypothèse que c'est l'auto-organisation elle-même qui hiérarchise globalement les priorités néguentropiques des structures locales associées en privilégiant les exigences néguentropiques d'un attracteur localNous supposons donc que c'est cet attracteur local qui, à la suite d'une dé-formation globale chaotique, joue le rôle du système "maître" en organisant la néguentropie à son profit, donc en organisant l'entropie  du système "esclave" qui va lui fournir l'énergie qui lui fait défaut, mais tout en minimisant cependant l'entropie globale du couple maître/esclave, entropie qui, néanmoins, s'accroît tendanciellement conformément à la loi de Boltzmann-Gibbs. L'attracteur se comporte donc comme une sorte d'avocat ("le maître") qui s'évertue à gagner de l'argent en en réclamant à son client justiciable ("l'esclave") tout en prenant garde de minimiser la dépense finale du duo qu'il forme avec lui. S'agissant des systèmes vivants, on comprend que l'attraction est à la fois ontique (flux réel d'énergie entre l'"esclave" et le "maître") et épistémique puisque c'est elle qui conditionne et coordonne l'action intentionnelle26Soit, par exemple, l'écosystème global associant prédateur et proie, association dans laquelle le premier terme est manifestement le "maître", l'attracteur, le second l'"esclave". Leurs besoins néguentropiques respectifs sont clairement contradictoires : si la proie survit, le prédateur succombe et vice versa. Une telle association est définitivement asymétrique dans la mesure où c'est le loup qui "attire" à lui l'agneau et non l'inverse, de même que l'herbivore va aussi "attirer" à lui la végétation nécessaire à sa nourriture, etc., l'attraction devant être entendue, encore une fois, comme le fait que la distance entre l'attracteur et l'attiré tend à diminuer au profit de l'attracteur. Si notre hypothèse est exacte, c'est l'existence et le maintien d'une contradiction inconciliable entre l'entropie d'un système "esclave" attiré et la néguentropie d'un système "maître" attracteur qui est le principe organisationnel fondamental du processus d'association par attraction. Celle-ci n'est donc pas l'"effet" d'une inter-connexion ascendante27 de structures pré-existantes (les nucléotides, puis les molécules, puis les cellules, puis les tissus, puis les organes, puis les individus, puis les sociétés, puis les espèces, puis … etc.) entendu comme "causes" primitives mais plutôt le phénomène qui émerge de la corrélation globale dans laquelle la "cause" (l'association intentionnelle) est l'effet de l'effet (le conflit thermodynamique) et l'"effet" (le conflit thermodynamique) la cause de la cause (l'association intentionnelle). La logique d'un tel système serait donc circulaire28. De là le caractère auto-poïétique d'un système vivant qui "est organisé […] de telle sorte que ses composants se régénèrent continuellement et engendrent le système qui les produit"(Varela, l'Identité du Collectif, in le Cercle Créateur). L'opposition, la contradiction, la dualité entre la néguentropie locale de l'attracteur et l'entropie globale de l'association attracteur-attiré ne saurait donc être "dépassée" puisque c'est cette contradiction, au contraire, qui produit et entretient le mouvement auto-organisateur du réel en général et, en particulier, du réel vivant qui s'auto-organise intentionnellement. Le paradoxe de la thermodynamique des conflits telle que nous l'entendons, c'est que, de même que, dans la Théogonie (ᾑ τῶν θεών ἀγωνία, "la lutte des dieux"29) d'Hésiode, Gaïa, issue de Chaos, engendre Ouranos, qui va la féconder en enfantant Kronos qui va émasculer Ouranos, de même le conflit, originellement engendré par l'entropie d'un attracteur local, va aussi engendrer une relative stabilité néguentropique globale tout en alimentant les conflits locaux ou, plus exactement, par le fait même d'alimenter les conflits locaux.

À la limite même, c'est la dualité du global et du local qui n'a plus beaucoup de sens : un corps vivant est-il composé DE cellules ou PAR des cellules, l'univers est-il constitué D'atomes ou PAR des atomes, etc. ? Le premier point de vue est une décomposition épistémique top-down (descendante) qui présuppose la primauté du global sur le local, le second une composition ontique bottom-up (ascendante) qui présuppose l'inverse. Le problème, c'est que chacun des deux points de vue implique l'autre30. Ce qui est sûr, c'est qu'un attracteur "primitif" (l'"atome primitif" pour le Big Bang, la "cellule-mère" pour la mitose) sujet à l'entropie interne s'auto-organise sans jamais atteindre l'équilibre thermodynamique autrement que de manière relative, c'est-à-dire locale et provisoire, générant pardes structures locales et provisoires nécessairement en conflit thermodynamique avec cet attracteur. Ce qui est particulièrement flagrant dans le cas de la communication des systèmes vivants où l'in-formation néguentropique et la dé-formation entropique entre structures locales sont corrélées, avons-nous dit, à l'invariance globale de l'écosystème au sein duquel elles se déploient. Or, l'invariance, c'est-à-dire la stabilité relative du système global S1+S2 est, d'un point de vue ontique, toujours précaire dans la mesure où elle oscille en permanence entre un extremum d'in-formation (néguentropie) et un extremum de dé-formation (entropie), oscillation due à ce que l'attracteur dominant S1 (le "maître") engendre de l'entropie locale dans les systèmes connexes (les "esclaves") et, par conséquent, un chaos global menaçant en permanence la stabilité de S1+S2 exigée pourtant par S1 pour assurer sa néguentropie. Et ce, de la même façon que l'invariance assurée par le système immunologique, le système de régulation de la température des animaux homéothermes, ou encore de celle de la glycémie, s'entendent comme fluctuation du couple dé-formation locale/in-formation globale autour d'une valeur moyenne trop en-deçà ou trop au-delà de laquelle l'invariance organisationnelle globale est menacée par le désordre engendré par l'entropie locale au point où la situation devient pathologique, voire létale. Du coup, le conflit thermodynamique entre S1 "maître" et S2 "esclave", que celui-ci soit intentionnel ou bien inertiel/accidentel, dans la mesure où il tend à l'affaiblissement voire la destruction locale de S2, comporte toujours le risque d'affaiblir voire de détruire l'organisation globale construite autour de S1, comme c'est le cas lors d'une guerre ou d'une prédation non-régulée, ou lorsque la santé d'un corps biologique individuel est également mise en péril par un système immunitaire trop entreprenant (maladie auto-immune, choc anaphylactique) ou trop déprimé (septicémie, SIDA). De là, le "génie" du vivant en général entre les structures locales duquel la communication épistémique va atténuer intentionnellement les effets d'instabilité inhérents à la communication ontique et amplifier au contraire l'illusion épistémique de stabilité en privilégiant celle de l'attracteur. Du coup, l'organisation vivante auto-poïétique, en tant que douée d'intentionnalité, c'est-à-dire d'une forte corrélation entre, d'une part, la circulation de l'in-formation et de la dé-formation entre les parties à l'association et, d'autre part, l'invariance de l'association comme organisation globale autour d'un attracteur, induit alors, en chacune des parties douées de perception, l'illusion d'une relative autonomie à l'égard du chaos ambiant. Il va de soi qu'une telle illusion épistémique s'analyse à la fois comme une in-formation néguentropique ontique stabilisant relativement une dé-formation entropique ontique et comme une dé-formation entropique ontique désorganisant relativement le système global du fait de la consommation d'énergie exigée par le métabolisme perceptif.

Tout le monde connaît les travaux du père de l'éthologie, Jakob von Uexküll, sur l'écosystème proche (die Umwelt, littéralement "le monde propre") de la tique qui se réduit à trois classes d'in-formations/dé-formations : "la richesse du monde qui entoure la tique disparaît et se réduit à une forme pauvre qui consiste pour l’essentiel en trois caractères perceptifs [acide butyrique, poils, chaleur] et trois caractères actifs [se laisser tomber, fouiller, piquer] – son Umwelt. Mais la pauvreté de l'Umwelt conditionne la sûreté de l’action, et la sûreté est plus importante que la richesse"(J. von Uexküll, Mondes Animaux et Monde Humain). Le propre du "monde propre", c'est, en effet, la simplification, l'appauvrissement épistémique nécessaire d'une réalité ontique dont seuls ne sont perçus, connus et mémorisés épistémiquement sous forme de dé-formation entropique que les traits relatifs à l'urgence vitale, les autres sont réputés stables, c'est-à-dire sans pertinence31. Concrètement, pour toute organisation auto-poïétique, "les signaux perceptifs d'un groupe de cellules perceptives se réunissent en dehors de l'organe de perception, en dehors du corps animal, en des unités qui deviennent les caractères des objets situés en dehors du sujet animal dans son monde propre [seine Umwelt]"(J. von Uexküll, Mondes Animaux et Monde Humain)32. Par exemple, "la grenouille présente la particularité de ne pas voir le détail des parties immobiles du monde qui l'entoure, ou, en tout cas, de ne pas être concernée par elles. Elle peut mourir de faim au milieu d'une provision de nourriture parfaitement accessible mais qui n'est affectée d'aucun mouvement. Son choix de nourriture n'est déterminé, en fait, que par la dimension et le mouvement"(Bouveresse, Langage, Perception et Réalité, iii). S'agissant des "objets" comestibles, l'Umwelt de la grenouille ne contient donc que des objets perçus comme étant en mouvement. Des "mêmes" objets perçus comme immobiles, on peut dire qu'ils sont sans pertinence, donc que, littéralement, ce ne sont pas des "objets" mais qu'ils font partie d'un magma indifférencié et régulier exclu de l'Umwelt et sur fond duquel agit l'organisation vivante. Sans cette indifférence et cette régularité épistémiques à l'égard de tout ce qui sort du cadre étroit de l'Umwelt, l'organisation vivante serait vite ontiquement submergée par une entropie qui rendrait quasi-nulle la probabilité d'y saisir l'in-formation néguentropique pertinente. On peut donc dire que la stabilité (l'invariance) ontique d'une organisation vivante vue à une certaine échelle (par exemple, à celle de l'organisme individuel) suppose l'indifférence épistémique malgré l'instabilité ontique pour l'échelle inférieure (par exemple, à celle des cellules), la pertinence épistémique et la stabilité ontique pour l'échelle supérieure (celle de l'Umwelt) tandis qu'à l'égard de l'échelle encore supérieure (au-delà de l'Umwelt) règne l'indifférence épistémique malgré l'instabilité ontique. L'intentionnalité épistémique opère donc à la manière d'un photographe qui fait le point sur un objet situé à une certaine distance tout en laissant flou les plans rapprochés et les plans éloignés. On voit bien par là en quoi consiste l'extraordinaire complexité de l'action intentionnelle du vivant et en quoi, tant du point de vue ontique que du point de vue épistémique qui l'oriente dans la bonne direction avec un rayon d'action fini, elle va consommer de l'énergie, donc implémenter le déséquilibre thermodynamique global, donc reproduire à l'infini les conditions du conflit thermodynamique, etc. Bref, ce qui sera réputé "auto...", dans le processus auto-poïétique, c'est cette tendance qu'a toute organisation vivante à s'étendre d'elle-même par elle-même au-delà d'elle-même, mais toujours pour elle-même, en faisant "émerger" un "monde propre" comme pôle de stabilité relative autour d'elle-même, jouant ainsi le rôle d'attracteur stable (le "maître"). C'est pourquoi nous répétons que toute organisation vivante est dotée d'"intentionnalité" dans le sens où elle s'auto-organise POUR minimiser épistémiquement la conflictualité ontique des processus perpétuels d'in-formation/dé-formation énergétiques33. D'une manière générale, "il n'y a pas d'autre monde que celui formé à travers les expériences qui s'offrent [à l'organisation auto-poïétique] et qui font [que celle-ci est] enfermée dans un domaine cognitif dont [elle ne peut] échapper"(Varela, l'Histoire Naturelle de la Circularité, iv, in Autonomie et Connaissance, Essai sur le Vivant)34. On sait que la métaphysique classique oppose, d'une part, le point de vue réaliste selon lequel le monde serait l'ensemble des données objectives s'imposant à tout sujet connaissant et agissant, d'autre part, le point de vue idéaliste qui fait du monde une projection subjective d'un sujet qui transcenderait tous les objets qu'il connaît et sur lesquels il agit. Ce qui, au fond, n'est qu'une fausse alternative qui admet le même ameublement ontologique ultime (la dualité milieu interne/milieu externe) doté du même type de relation (la causalité entre le sujet et l'objet, l'agent et le patient dans un sens ou dans l'autre). Beaucoup plus radicale, la perspective "énactive" (de to enact "susciter, faire émerger") qui est celle de Varela dans le sens où l'intentionnalité vivante "fait émerger" (enacts) un monde propre (Umwelt) au moyen d'une "clôture fonctionnelle", c'est-à-dire une circularité organisationnelle suffisamment stable du point de vue épistémique pour que puisse s'y organiser une action néguentropique ontiquement pertinente. Dans une telle perspective, sujet et objet, agent et patient, localité et globalité sont indissolublement enchevêtrés au moyen de corrélations non-nécessairement causales : cette "clôture fonctionnelle" de l'Umwelt est d'abord épistémique, mais, si elle est suffisamment stable, elle génère progressivement une clôture ontique (intérieur/extérieur) qui dégénère, épistémiquement, en dualisme sujet (le "soi", l'agent, le "maître")/objet (l'"autre", le patient, l'"esclave").

(à suivre dans ...)

1 Cf., notamment, les cosmogonies indienne ou grecque et le rôle tout à la fois constructeur et destructeur dévolu à des divinités comme, respectivement, Shiva ou Dionysos. Nous y reviendrons en évoquant le Mahâbhârata ou la Théogonie d'Hésiode.

2 Ou, si l'on préfère, tel que {prob. [W' inférieur à W]} > {prob. [W' supérieur ou égal à W]}. L'entropie peut donc se lire, soit comme un processus de perte irrécupérable de chaleur, soit comme un processus de passage d'une configuration moins probable à une configuration plus probable, soit encore comme un processus de désorganisation globale dans la mesure ou l'organisation globale correspond à un seul arrangement déterminé des constituants locaux, par opposition à tous les autres arrangements possibles supposés inorganisés (ou désorganisés).

3 "Nouvelles", c'est-à-dire, pour le futur, abstraction faite de celle qu'il possède présentement et qui est réputée "ordonnée".

4 Avec k = 1,380 649.10-23 J.K-1.

5 Par exemple, l'entropie d'un éléphant, évaluée en énergie dissipée journellement en chaleur, est 75 000 fois celle d'une musaraigne tandis que sa complexité, évaluée en nombre de cellules, est 106 fois supérieure.

6 Nous détacherons systématiquement le préfixe du radical (in-formation) afin d'éviter la confusion avec ce qu'on a coutume d'appeler aujourd'hui "information".

7 Notons qu'il n'est pas nécessaire pour cela d'abaisser la température du système global au "zéro absolu", il suffit que celui-ci ait atteint son maximum relatif d'entropie, par exemple, pour un système vivant, qu'il soit relativement stable, autrement dit prévisible pendant la durée d'une vie.

8 "Presque" parce que, selon l'équation de Boltzmann, S = k ln 1 diffère peu de 0,32 J.K-1.

9 MLT-1 . L ou ML2T-2 . T, soit, dans les deux cas, ML2T-1, ce qui est la définition de l'"action" en physique.

10 Rappelons qu'un écosystème est la réunion d'une partie biotique, la "biocénose" ou ensemble des organisations vivantes partageant un territoire commun, et d'une partie abiotique, le "biotope" ou ensemble des éléments inertes qui, sur ce même territoire, in-forment ou dé-forment le vivant.

11 Encore que la nécessité de la variabilité génétique aléatoire puisse être considérée elle aussi comme un méta-processus cognitif mémorisé par l'espèce.

12 "Localement" et "globalement" doivent s'entendre dans l'espace aussi bien que dans le temps. Par exemple, comment expliquer que le plant de tabac sauvage se laisse féconder par la femelle du moro-sphinx qui, en contrepartie, pond des centaines d’œufs dont les larves, une fois écloses, vont dévorer le plant ? Pourquoi ne se contente-t-il pas de la fécondation que lui apporte le colibri, friand du nectar de ses fleurs et qui, en revanche, ne lui occasionne aucun dégât ? La réponse est que l'in-formation est, paradoxalement, globalement supérieure dans le premier cas : en effet, le moro-sphinx, dont le rayon d'action est spatialement beaucoup plus étendu que celui du colibri, est susceptible de lui fournir une plus grande variété génétique (l'in-formation néguentropique), donc, globalement, une vitalité accrue malgré les dégâts (la dé-formation entropique) localement causés !

13 À noter que ces quatre sortes de nucléotides sont les mêmes pour TOUT le règne vivant. Raison pour laquelle, nous serions enclins à considérer que le "sujet" de la vie n'est pas tel ou tel niveau d'organisation auto-poïétique mais LA vie tout entière. De même que le modèle dit de Hartle-Hawking conçoit l'univers tout entier comme spatialement fini mais sans "bord", sans frontière, de même nous pouvons conjecturer la possibilité que LA vie soit contenue dans un espace déterminé (la Terre) sans pour autant avoir de commencement ni d'achèvement, tant du point de vue de son type d'organisation auto-poïétique que du point de vue de sa structure moléculaire (tous les vivants sont constitués des mêmes 4 nucléotides et des mêmes 20 acides aminés). Dans le cadre d'une conception fractale (invariante à quelque échelle que ce soit) de la vie, celle-ci, tout en étant spatialement localisée et, en ce sens finie, n'aurait donc ni début, ni fin. De là, l'analogie que fait Wittgenstein en disant que "notre vie n’a pas de fin, tout comme notre champ de vision n’a pas de frontière"(Wittgenstein, Tractatus, 6.4311).

14 Il n'y a, de toute évidence, qu'une différence de degré et non de nature entre l'auto-catalyse inerte et l'auto-poïèse vivante, entre l'hystérésis inerte et la mémoire vivante, entre l'accident inertiel et l'intentionnalité vivante. Cela dit, comme le souligne Jacques Monod (le Hasard et la Nécessité), en raison de l'inventivité infinie dont a, dès ses "origines", fait preuve l'organisation vivante en général, nous n'avons pas la moindre idée de ce qu'a pu être la "première" manifestation de la vie et donc de la "frontière" historique à partir de laquelle s'est opérée la transition inerte/vivant.

15 Par exemple, deux cubes de mêmes dimensions accolés l'un à l'autre économiseront, toutes choses égales par ailleurs, 17 % d'énergie dissipée en chaleur par le seul fait qu'ils n'auront que 10 faces "libres" contre 2 fois 6 pour les mêmes cubes non-contigus.

16 Rappelons que la fonction ln x tend vers plus l'infini lorsque x tend vers plus l'infini.

17 C'est ce qu'ont montré Brillouin et Szilard dans le cadre de l'expérience de pensée dite du "démon de Maxwell".

18 Nous disons "strict" parce que, toutes choses égales par ailleurs, un corps gouverné par l'intentionnalité "agit" plus que le même corps gouverné par la simple loi de l'inertie ; pour autant, en tant que l'intentionnalité se conforme à l'invariance globale du système, nous pourrions parler de "principe de moindre action relative" ou, si l'on préfère, de "principe de moindre intentionnalité".

19 Cf. la tradition japonaise de l'ubasute dans la Ballade de Narayama, le film de Shohei Imamura. Notons que, du point de vue des organisations humaines supra-individuelles, il n'est pas nécessaire que la menace soit avérée comme l'a montré René Girard avec la notion de "bouc émissaire" (cf. aussi le roman de J.-Christophe Rufin Globalia).

20 Dit aussi "mort cellulaire programmée" et que nous préférons paraphraser "mort cellulaire intentionnelle"  ou encore "suicide cellulaire".

21 Nous faisons allusion à la mort de Nahel Merzouk le 27 juin 2023.

22 Ce qui, à terme, est parfaitement prévisible, c'est le risque d'"embrasement" menaçant gravement l'invariance du corps social commun. Lequel "embrasement" constituera, le cas échéant, la perturbation entropique perturbante à partir de laquelle tout ou partie du corps social concerné  se re-(in-)formera, y puisant ainsi un surcroît d'énergie vitale (cf. à ce propos l'excellent article de Loïc Waquant paru dans le numéro de septembre 2023 du Monde Diplomatique et intitulé l'émeute entre jacquerie et carnaval). Tandis que, bien entendu, ledit "embrasement" ne constituera une dé-formation (entropique) symptomatique d'une grave crise sociale (ne parle-t-on pas, à ce propos, de "fièvre sociale" ?) que pour la partie du corps social qui en sortira lésée.

23 On objectera que les relations naturelles entre organisations vivantes ne se limitent pas à la prédation ou au parasitisme, qu'il y a aussi le commensalisme ou le mutualisme. Par exemple, si la fécondation des gamètes femelles par les grains de pollen mâle est une in-formation néguentropique pour la plante tandis qu'elle est une dé-formation entropique pour l'insecte qui dépense de l'énergie pour butiner la fleur, en revanche l'insecte se "paie" néguentropiquement en se nourrissant du nectar de la fleur, ce qui constitue une perte de substance, donc d'énergie, pour la plante. Apparemment, le bilan est globalement "gagnant-gagnant". Sauf qu'il convient de considérer ici S1 et S2 comme les deux composantes d'un même écosystème plus global intégrant non seulement S1 et S2 mais aussi un environnement suffisamment riche en nutriments (oxygène, eau, gaz carbonique, azote, phosphore, magnésium, potassium, etc.) pour que l'association de S1 et de S2 puisse fonctionner. Bref, de tels systèmes de relations ne résolvent pas la "dialectique du maître et de l'esclave" mais ne font que la déplacer (ou la retarder) par un changement d'échelle.

24 Nous faisons allusion à la dialectique hégélienne bien connue du maître et de l'esclave, laquelle est censée se résoudre dans une  synthèse conciliatrice des contraires, tandis que la dialectique que nous décrivons conserve les contraires sans les dépasser.

25 C'est-à-dire une stabilité qui ne soit pas néanmoins un état d'équilibre thermodynamique, ce qu'interdit la loi de Boltzmann. Une telle stabilité est rendue possible par l'existence d'un "attracteur". Rappelons qu'un "attracteur" se définit dynamiquement comme un ensemble E invariant qui, pour toute durée t, constitue à son voisinage un ensemble ouvert O dont les sous-ensembles O1, O2, … Ose rapprochent de E quand tend vers l'infini. L'"attracteur" est donc, en quelque sorte, l'ordre dans le désordre, la tendance dynamique du chaos à s'auto-organiser, ce que montre, par exemple, l'équation de Boltzmann-Gibbs.

26 Cf. le concept searlien d'"intentionnalité-en-action" : "du fait que les perceptions, les intentions, les croyances, les désirs, etc., sont des formes d’intentionnalité, ils véhiculent avec eux la détermination des conditions de leur succès ou de leur échec. Un animal affamé, par exemple, a une envie de manger, et toute pathologie mise à part, il a pour cela l’aptitude de reconnaître quand son désir est satisfait ou non. On peut généraliser comme suit : tout état intentionnel détermine ses conditions de satisfaction, et un animal normal, qui a des états intentionnels, doit être capable de distinguer, de reconnaître quand les conditions de satisfaction sont effectivement remplies […]. Avoir des croyances et des désirs, par exemple, c’est avoir déjà quelque chose qui détermine des conditions de satisfaction, et qui implique la capacité de reconnaître le succès de l’échec"(Searle, what is Language ? Some Preliminary Remarks, iv).

27 Un peu à l'image d'un "contrat social" rousseauiste dans le cadre duquel les parties en conflits se mettraient d'accord sur des règles de bonne conduite destinées à mettre fin au conflit.

28 Le cycle de Krebs est une excellente illustration du caractère circulaire et non-linéaire du processus d'association : d'une part, il s'agit pour les structures concernées par ce "cycle" (du grec κύκλος, "cercle) de se procurer l'énergie nécessaire à leur existence à partir d'une longue série de réactions chimiques consistant à oxyder certaines chaînes de molécules (groupes acétyles) présentes dans leurs nutriments (glucides, lipides, protides), d'autre part l'entropie qui amorce le processus néguentropique est aussi le produit de ce processus (l'oxaloacétate est à la fois le déclencheur et le résultat de ce cycle). Notons aussi que l'adénosine tri-phosphate (ATP) qui est l'un des produits intermédiaires du cycle de Krebs est non seulement la source d'énergie primaire des cellules vivantes mais intervient aussi dans la synthèse des acides nucléiques qui véhiculent l'information génétique.

29 La plupart du temps, on traduit Θεογονία "la naissance des dieux" en faisant dériver -γονία du grec ancien γονή, "semence" (qui a donné "gonade", etc.). Ce n'est pas absurde, mais on occulte alors l'ἀ-γωνία, son opposé, c'est-à-dire le simple fait que l'engendrement suscite, chez tous les êtres, fussent-ils divins, la lutte, le combat, bref, l'a-gonie.

30 Un peu comme dans Drawing Hands de M.C. Escher, ou dans les vénérables paradoxes d'Épiménide le Crétois ou de Quine. Cf. aussi note 21 ci-dessus.

31 Sperber et Wilson définissent la pertinence comme "l’effet cognitif le plus grand pour l’effort de traitement le plus faible possible"(Sperber et Wilson, Ressemblance et Communication, in Introduction aux Sciences Cognitives). En ce sens, la notion de pertinence correspond à la "moindre intentionnalité" ou à la "moindre action relative" dont nous parlions dans la note 18.

32Cf. aussi l'idée proustienne que la mémoire des choses est dans les choses et non dans la mémoire.

33 Ce que nous appelons "intentionnalité", Schopenhauer le nommait der Wille zum Leben, "la volonté tendue vers la vie" (cf. aussi les notions d'"élan vital" chez Bergson ou de libido chez Freud).

34 Cf. aussi Schopenhauer : "le monde est ma représentation [die Welt ist meine Vorstellung], voilà une vérité qui vaut pour tout être vivant"(Schopenhauer, le Monde comme Volonté et comme Représentation). Ou Wittgenstein : "le monde et la vie sont une seule et même chose [die Welt und das Leben sind Eins]"(Wittgenstein, Tractatus, 5.621).

(à suivre ...)

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