dimanche 22 janvier 2023

春节, chūn jié, "FÊTE DU PRINTEMPS" OU "NOUVEL AN CHINOIS".

 Le dimanche 22 janvier 2023 est, cette année, le jour de 春节, chūn jié, la "fête du printemps" appelée aussi par les Occidentaux "le nouvel an chinois", traduction d'ailleurs très approximative des termes chinois 农历新年, nóng lì xīn nián, littéralement, "nouvel an du calendrier agricole". Je dis "cette année" parce que, pour ce peuple de tradition fondamentalement agricole, le printemps, 春天 , chūn tiān, commence le 1° jour du calendrier lunaire, lors de la deuxième nouvelle lune suivant le solstice d’hiver et avant la phase lunaire d'équinoxe du printemps raison pour laquelle sa date varie d'une année à l'autre. Comme dans le monde occidental, le passage à la nouvelle année (过年, guò niánest, en Chine, une période festive qui donne lieu a diverses célébrations et réjouissances traditionnelles (cf., pour plus de détails, http://www.chine-culture.com/coutumes/comment-feter-le-nouvel-an-chinois.php). Mais disons deux mots de la saison de printemps 春天chūn tiān, saison du (re-)commencement.

Ce grand classique de la sagesse chinoise qu'est le 易经yì jīng, (le Livre des Changements dit aussi Classique des Transformations), débute par ces quatre termes : , , , yuán, hēng, lì, zhēn, c'est-à-dire "commencement, essor, profit, pureté". On devine sans peine qu'il s'agit, dans l'ordre chronologique, du commencement du printemps, de l'essor de l'été, du profit de l'automne et de la pureté de l'hiver. Et on comprend aussi sans grande difficulté qu'au grand recommencement du printemps et qu'au foisonnement de l'été succède nécessairement le profit de l'automne et la pureté de l'hiver. Or, il se trouve que la cosmologie chinoise traditionnelle telle qu'elle se dessine dans le 书经, shū jīng (le Classique des Documents) repose, comme on le sait, sur "cinq phases" (五行, wǔ xíng) : , la phase du bois, huǒ, celle du feu, , celle de la terre, jīn, celle du métal, et shuǐ, celle de l'eau. Là encore, on associe intuitivement la première phase au printemps, la seconde à l'été, la quatrième à l'automne et la dernière à l'hiver. On se retrouve donc avec une phase, la troisième, celle de la terre, qui ne correspond à aucune saison. Pourquoi ? La raison en est que l 易 经yì jīng définit le 道 dào comme circulation d'un souffle-énergie (, qì) entre deux limites, le pôle virtuel de toute créativité , yáng (modèle du Ciel comme lieu de la chaleur et de l'instabilité originelles) et le pôle actuel de toute réceptivité , yīn (modèle de la Terre comme lieu du froid et de la stabilité) : "一阴一阳之谓道, yī yīn yī yáng zhī wèi dào" un  yīn, un yáng, voilà ce qu'on appelle dào. En croisant le Classique des Documents et le Classique des Transformations, on comprend alors que la phase centrale, celle de la terre () est la seule phase , yīn tandis que les quatre autres sont des phases , yáng. Ce qui revient à dire que les quatre saisons sont des phases de changements, de mutations, d'instabilité, qui, chacune à sa manière, affectent le pôle par excellence d'ordre et de stabilité que représente la terre. Voyons brièvement comment.

Le printemps est analogiquement associé aux phénomènes suivants (entre autres, je n'en ai sélectionné que quelques-uns : on peut en avoir un panorama plus complet en consultant le site https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Wuxing_(cosmologie)) : le vert, le bois, la planète Jupiter, le foie, la vue, l'acide, la colère, l'humanité, la modération, enfin … la note "mi". Que la couleur verte représente le printemps n'étonnera personne, aussi n'insisterai-je pas sur ce qui, à l'évidence, justifie cette correspondance. Pour les autres relations, en revanche, un brin d'explication est peut-être nécessaire.

- L'association avec le bois n'est pas très difficile à justifier non plus : le printemps est la saison de la pousse des végétaux, donc, à terme, de la lignification, puis, à plus long terme encore, au pourrissement du bois qui enrichira l'humus sur lequel apparaîtront de nouvelles pousses, etc. De plus, le bois est le résultat d'un processus de lignification. Ce processus s'arrête en hiver et reprend au printemps afin de renforcer le végétal en lui procurant une couche supplémentaire de carapace protectrice.

- Du coup, le printemps est associé aussi à … la planète Jupiter qui, en chinois, se dit 木星, mù xīng, littéralement "l'étoile/la planète du bois" (les Chinois ont le même mot pour "étoile" et "planète"). En effet, Jupiter étant la plus grosse planète du système solaire, il est naturel qu'un peuple paysan l'associe à l'élément prédominant dans l'agriculture, à savoir le bois. Par ailleurs, la combinaison de sa taille et de son éloignement par rapport à nous en fait l'astre le plus régulièrement visible à l’œil nu depuis la Terre.

- Pour le foie, l'analogie agricole vaut aussi : le foie est un organe émonctoire, c'est-à-dire qui purge l'organisme d'un certain nombre de déchets toxiques (de même que le rein, le pancréas, le poumon, l'intestin, etc.). La purification de l'organisme vivant n'est, pour les Chinois, qu'un cas particulier de drainage puisqu'il s'agit, dans tous les cas, de désengorger les fonctions vitales en rétablissant la circulation des fluides nourriciers engourdis par l'hiver, bref, d'assurer l'irrigation du vivant. Apparemment, il n'y a aucune raison de donner au foie une primauté quelconque sur les autres émonctoires, sauf que, dans toutes les civilisations, les difficultés de digestion ont toujours été corrélées, à tort ou à raison, à un dysfonctionnement du foie (en Occident, on a longtemps appelé l'indigestion "crise de foie").

- S'agissant de la vue, on comprend aussi assez facilement pourquoi il symbolise le renouveau printanier : l'être vivant en général et l'être humain en particulier sort de son enfermement hiémal, il en a fini avec son hibernation, il abandonne sa léthargie et l'horizon s'ouvre de nouveau à lui. Du coup on voit plus loin que le bout de son confinement, et il cherche à percevoir tout ce qui est susceptible de relancer son élan vital. Là encore, la vue n'a aucune raison d'être le seul organe perceptif en jeu, sauf que, un peu partout, et dans les cultures paysannes, la perception visuelle a toujours été privilégiée pour anticiper les adaptations nécessaires, notamment aux changements de temps.

- Les deux analogies suivantes, celle de l'acide et de la colère, sont, on le ressent intuitivement, intimement liées. Ne dit-on pas que l'acidité gastrique est favorisée par un tempérament un peu trop irascible ? Mais acidité et colère participent aussi du renouveau printanier. À forte concentration d'ions H+, l'acide, c'est bien connu, a des propriétés dissolvantes, donc, derechef, de nature à fluidifier certaines substances, à transformer le dur en (quasi-)liquide. Exactement, si l'on peut dire, comme la colère dont les éruptions sont parfois dissolvantes à l'égard de situations bloquées (exemple des explosions de colère révolutionnaire). Les Chinois ont remarqué qu'il est de saines, voire de saintes colères qui désentravent la circulation des énergies vitales. D'ailleurs, "colère", en chinois, se dit 生气, shēng qì (littéralement "énergie vitale") qui se traduit aussi par "dynamisme"  ou "vitalité". Enfin, l'acidité est aussi la qualification d'une intensité du vert des fruits et des légumes naissants, en cours de maturation. Du coup, par association, l'acide est la saveur de la jeunesse, laquelle, comme on le sait, a le tempérament sanguin du renouveau fougueux.

- De même, humanité, modération sont, tout autant, indissolublement liées à la renaissance saisonnière. Cela peut paraître paradoxal après ce que nous venons de dire à propos de l'acidité et de la colère. Mais non. Celles-ci sont une modalité yáng, celles- une modalité yīn du renouveau, un garde-fou moral ou éthique aux débordements de colère, aux excès d'acidité qu'il faut savoir contenir dans les limites de la bienveillance ou de l'humanité (en chinois , rén, signifie à la fois "bienveillance" et "humanité" et est homophone à , "l'humain"). Et ce, à l'égard des "dix-mille choses sous le Ciel" comme on dit en chinois, pas seulement à l'égard de ses semblables. "L’homme honorable trouve la paix dans la vertu d’humanité" dit Confucius (Entretiens, IV, 2) rejoignant ainsi une grande constante de la sagesse extrême-orientale, telle, par exemple que l'exprime Patañjali lorsqu'il dit que " le but [du Yoga] n’est pas de bouleverser l’ordre de la Nature, mais d’écarter les obstacles à son évolution, à l’instar d’un cultivateur qui dégage son champ"(Patañjali, Yoga-Sûtra, iv, 3).

- La dernière des associations que j'ai sélectionnées demeure, pour moi, la plus mystérieuse. Certes, la musique et le son sont, pour les Chinois, l'indice de l'accord du Ciel, de l'Homme et de la Terre, du "grand souffle indéterminé de la nature [par lequel] tous les êtres deviennent pour lui comme un jeu d’anches"(Zhuang Zi, iv). Mais pourquoi le printemps est-il associé à la note mi dans la gamme pentatonique (do ré mi sol la) de la musique chinoise traditionnelle ? D'autant que la note la plus fondamentale est le gōng, do (équivalant au son "AUM" dans l'hindouisme et le bouddhisme). Est-ce parce que le sinogramme , jué, signifie tout à la fois "mi", "querelle" (cf. ci-dessus) mais aussi "acteur, personnage" (c'est-à-dire celui ou celle qui donne une interprétation, donc une nouvelle vie à un rôle ou une partition) ? Je ne saurais dire. À moins que l'audition du prélude de cette Partita en mi majeur BWV 1006 de Johann Sebastian Bach ou de cette Sonata en mi majeur K 135 de Domenico Scarlatti suffise à donner la réponse.

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