L'une
des affirmations les plus déconcertantes de l'Éthique
se trouve sans doute être celle selon laquelle "nous
sentons et expérimentons que nous sommes éternels [sentimus experimurque nos aeternos esse]"(Spinoza,
Éthique,
V, 23). Qu'est-ce
donc que cette "éternité" dont il nous crédite avec
d'autant plus de certitude que, nous assure-t-il, elle est, par nous,
"sentie et expérimentée" ? C'est
d'autant plus surprenant que Spinoza semble reprendre à son compte l'un
des grands invariants de la superstition théologique qu'il n'a eu de
cesse de combattre, notamment dans le Traité
Théologico-Politique. Si ce n'est pas le cas,
en
quoi peut bien
consister
une éternité
qui ne
soit
pas une vie
sans fin après la mort ? Nous commencerons donc par sonder les soubassements métaphysiques
de la confusion des notions
d'"éternité" et d'"immortalité",
puis nous évoquerons quelques-unes des tentatives philosophiques
pour concilier la mortalité humaine avec, néanmoins, une
possibilité humaine de viser l'éternité, et enfin nous essaierons
de montrer, à travers la philosophie de Spinoza, notamment mais pas
uniquement,
que l'expérience que nous faisons de l'éternité est, non seulement
bien réelle, mais, en
un certain sens,
assez banale.