À
la suite de l'événement
médiatiquement
connu sous la barbare appellation de
"Brexit"1
et à la veille de deux autres grands shows
hollywoodiens
(la campagne américaine de l'automne 2016 et la campagne française
du printemps 2017) qui eussent certainement apporté de l'eau à son
moulin,
Katharine
Viner,
rédactrice en chef du Guardian
écrit
: "this
was the first major vote in the era of post-truth politics : the
listless remain campaign attempted to fight fantasy with facts, but
quickly found that the currency of fact had been badly debased"(the
Guardian,
12 juillet 2016)2.
L'affirmation
selon laquelle nous vivrions, désormais, dans une ère de
post-vérité,
pour pertinente qu'elle semble, mérite toutefois d'être questionnée
et approfondie. C'est ce que fait, par exemple, Patrick Michel sur
le site d'ACRIMED :
"nous
vivrions actuellement dans l’ère de la « post-vérité »,
dans laquelle la vérité a perdu sa valeur de référence dans le
débat public, au profit des croyances et des émotions suscitées ou
encouragées par les fausses nouvelles devenues virales grâce aux
réseaux sociaux. Sans
doute la diffusion de fausses nouvelles est-elle une réalité, mais
la façon dont certains journalistes des grands médias, et en
particulier les cadres des rédactions, posent le problème, ne nous
en apprend pas tant sur l’idée bancale de « post-vérité »
que sur les croyances de ces mêmes journalistes et les points
aveugles de la conception du rôle qu’ils jouent dans les
événements politiques en général, et dans la situation actuelle
en particulier "(Patrick Michel, "Post-Vérité"
et "Fake News" : Fausses Clartés et Points Aveugles)3.
Ce
passage présente l'avantage de résumer parfaitement ce que
nous considérons être les deux principaux problèmes que recèle la
notion, apparemment très explicite et très commode, de
"post-vérité" : d'une part elle décrit bien un phénomène
important mais, ce faisant, d'autre part, elle en dissimule
symptomatiquement un autre au moins aussi important.
Premier
grand
problème
: "la
vérité a perdu sa valeur de référence dans le débat public, au
profit des croyances et des émotions suscitées ou encouragées par
les fausses nouvelles".
Problème qui, lui-même, s'analyse en deux sous-problèmes : 1) de
quelle sorte de "vérité" parle-t-on lorsqu'on l'oppose
aux croyances et aux émotions ? et 2) dire
que
ladite "vérité" est corrompue par les fausses nouvelles,
n'est-ce
pas suggérer que c'est la diffusion de ces fausses nouvelles qui
importe plus que la fausseté intrinsèque
de
ces
nouvelles,
autrement dit ne
s'agit-il pas plutôt ici de "véracité" que de "vérité"?
Premier sous-problème, donc : de quelle sorte de "vérité" est-il question lorsqu'on oppose la vérité aux croyances et aux émotions ? À première vue, et c'est sans doute là la conception la plus intuitive de la vérité, dire que quelque chose est vrai, c'est, ou bien dire que c'est réel, authentique ("ça, c'est un vrai vin", "vous êtes un véritable ami", "ceci est un faux billet"), ou bien dire que cela représente ce qui est réel de manière satisfaisante ("ce portrait est plus vrai que nature", "vous venez de jouer un faux accord"). Lorsqu'on parle de vérité d'une représentation (picturale, linguistique, photographique, etc.), c'est donc de cette deuxième acception qu'il s'agit. En ce sens, la vérité est, naturellement, comprise comme une certaine sorte d'adéquation à, de convenance avec la réalité. S'agissant, en particulier, d'une représentation au moyen d'une proposition pensée, parlée ou écrite, on suppose que sa vérité réside dans la mise en correspondance de ses termes avec la réalité qui est censée être représentée par cette proposition. Par exemple, lorsqu'Othello pense que Desdémone aime vraiment Cassio, autrement dit lorsqu'il pense que la proposition "Desdémone aime Cassio" est vraie4, il suppose que "Desdémone" a Desdémone pour référence, que "Cassio" a Cassio pour référence, et que "aime" a l'amour pour référence. C'est-à-dire, comme l'explique Quine de manière un peu technique, que "la notion de référence à doit être reclassée en notion de vérité de, et l’expression singulière f(A) doit être reclassé en expression générale d’extension singulière Эx, {f(x)Λ(x=A)}"(Quine, le Domaine et le Langage de la Science, iii). En clair, dire que "Desdémone" (le mot) réfère à Desdémone (la personne réelle), c'est dire que cette personne réelle existe et a comme nom "Desdémone". En généralisant, on peut dire que "le nom réfère à l'objet. L'objet est sa référence [Der name bedeutet den Gegenstand. Der Gegenstand ist seine Bedeutung]. La possibilité de la proposition repose sur le principe de la position de signes comme représentants des objets"(Wittgenstein, Tractatus, 3.203-4.06). Il semblerait donc bien que "la" vérité, en tant qu'on l'oppose à ce que l'on croit vrai, ou bien à ce que l'on ressent être tel, soit la vérité comme correspondance d'une représentation qui s'accorde réellement avec ce qui est représenté (appelons-la, par commodité, vérité1 et vrai1 l'adjectif qui lui est lié). En ce sens, "pour connaître si la représentation est vraie ou fausse, nous devons la comparer à la réalité"(Wittgenstein, Tractatus, 2.223). Notons que Wittgenstein parle ici de "représentation" (Bild)5 en général. Qu'une représentation revête la forme d'une proposition descriptive ou bien d'une dépiction analogique (sculpture, hologramme, photo, peinture, dessin, caricature, film, etc.) n'introduit donc, à l'égard de cette exigence de comparaison à la réalité, aucune différence significative. Donc "la proposition ne peut être vraie ou fausse que dans la mesure où elle est une représentation de la réalité"(Wittgenstein, Tractatus, 4.06). Cela dit, Wittgenstein ne nous donne aucune définition de ce qu'il faut entendre par "comparer [une représentation] à la réalité", ne nous suggère aucune technique pour mener à bien cette "comparaison". Quant à ce qu'est une "représentation", la définition est circulaire : "nous nous faisons des représentations des faits [wir machen uns Bilder der Tatsachen]. La représentation est la transposition de la réalité [ein Modell der Wirklichkeit]. Les éléments de la représentation sont dans un rapport déterminé qui indique que les choses réelles sont entre elles dans le même rapport"(Wittgenstein, Tractatus, 2.1-2.12-2.15). Bref, la représentation est vraie1 si et seulement si elle correspond, dans l'arrangement de ses signes, à l'arrangement réel des choses représentées, à l'extérieur de la proposition, c'est-à-dire dans les faits. "Représenter" signifie donc "figurer une situation possible" : "la représentation figure une situation possible"(Wittgenstein, Tractatus, 2.202), c'est-à-dire susceptible de se révéler vraie1 ou fausse16. On ne peut donc définir "représentation" autrement qu'en disant, de manière circulaire, qu'une représentation est ce qui est possiblement vrai1 ou possiblement faux1. L'utilité de cette conception de la vérité comme vérité-correspondance ne réside pas dans la définition de ce en quoi consiste la correspondance de la représentation avec un fait, mais plutôt dans ce qu'elle présuppose qu'il doit y en avoir une à la suite d'une procédure à la fois publique et décidable. C'est l'exigence de Russell : "lorsque notre jugement est vrai, il doit y avoir en dehors de notre jugement une entité qui lui correspond d’une manière ou d’une autre, tandis que, quand notre jugement est faux, aucune entité semblable ne lui correspond"(Russell, the Nature of Truth). On comprendra mieux l'enjeu d'une telle exigence en confrontant la conception de la vérité comme correspondance avec ses deux concurrentes que sont, d'une part la vérité-cohérence, d'autre part la vérité-certitude.
La conception de la vérité comme cohérence conduit à supposer holistiquement que seul est absolument vrai le Tout7, l'Ensemble cohérent de toutes les propositions d'un corpus donné et non une ou plusieurs d'entre elles qui, séparément, rompent nécessairement cette cohérence. Ainsi, pour le holisme philosophique, "il n’y a rien qui soit entièrement vrai en dehors de la totalité du vrai, et que les propositions qui peuvent passer pour des vérités isolées, comme 2+2=4, [...] sont seulement plus ou moins vraies ; en effet, lorsqu’on les isole artificiellement, on les dépouille des relations qui font d’elles des parties de la totalité du vrai"(Russell, the Nature of Truth). Les grandes métaphysiques holistes, par exemple celles de Spinoza8 ou de Hegel9 sont implicitement porteuses d'une telle conception de la vérité. Mais il en va de même pour l'empirisme de Quine10, tout anti-métaphysicien qu'il soit. On voit vite que le problème posé par cette conception de la vérité-cohérence (disons vérité2) est que la notion de vérité2 est une notion limite plus qu'une notion opératoire. Il en résulte, d'une part que, pour l'usage ordinaire, la vérité2 ou la fauseté2 ne sont plus des qualités attribuées à des représentations, mais des relations entre représentations. En d'autres termes, plutôt que de dire "la représentation R est vraie2", il faudra désormais dire "la représentation R est plus (ou moins ou autant) vraie2 que la représentation R' au sein du corpus C" et cela, en fonction du niveau de cohérence que R et R' autorisent, respectivement, avec les autres représentations au sein de C. Avec cette conséquence socio-politique qu'il est étonnant que Russell soit l'un des rares à avoir vue : "si aucune proposition n’exprime jamais quelque chose qui soit entièrement vrai, et aucune n’exprime quelque chose d’entièrement faux, [lorsque] des jurés ont à se prononcer sur le point de savoir si un homme est coupable d’un crime, ce critère ne nous donne aucun moyen de distinguer entre un verdict juste et un autre qui ne l’est pas"(Russell, the Nature of Truth). Du coup, d'autre part, la notion de vérité2 n'aura d'utilité réelle que dans la pratique critique (par exemple philosophique, historique, sociologique, psychologique, etc.) d'un méta-discours portant sur un corpus de vérités1. Ou, pour le moins, supposées telles (dans le cas des croyances populaires ou religieuses, par exemple), car a contrario, rendre vraies2 des représentations sciemment connues comme fausses1, cela relèvera, typiquement, du mensonge ou de la mauvaise foi, donc nous renverra au problème de la véracité. Ce qui est une autre manière de dire que, de toutes les façons, la notion de vérité2 présuppose celle de vérité1, de sorte que, "pour croire à l’importance de la critique, il faut évidemment avoir conservé un certain rapport à la question de la vérité"(Bouveresse, Wittgenstein et les Sortilèges du Langage, ii) entendue comme vérité1.
Il en va de même dans le cas de la vérité entendue, non pas comme correspondance ou comme cohérence, mais comme certitude intime. Comme le dit encore Russell, "le langage répond à une triple finalité : 1) indiquer des faits ; 2) exprimer l'état du locuteur ; 3) altérer l'état de l'auditeur. [...] L'énoncé "je crois que vous avez chaud" exprime un état différent de celui qu'exprime "vous avez chaud" ; le fait qu'il indique, c'est le fait qu'exprime "vous avez chaud". [...] La question de la vérité et de la fausseté concerne ce que les mots et les phrases indiquent et non ce qu'ils expriment"(Russell, Signification et Vérité, xiv). De la même façon "je suis certain(e) que vous avez chaud" exprime l'état du locuteur, d'ailleurs différent de ce qu'il est lorsqu'il dit "je crois que vous avez chaud" ou bien "j'espère que vous avez chaud". On voit pourtant que, dans les deux cas, le fait indiqué est le même : "vous avez chaud". Russell nomme "attitude propositionnelle" (propositional attitude) l'énoncé qui enchâsse l'indication d'un fait comme un de ses deux éléments, le deuxième étant, précisément, l'expression de l'état du locuteur. Par exemple, "je suis certain de p" est une attitude propositionnelle composée d'une expression d'état ("je suis certain") et d'une indication de fait ("p"). Une autre raison de distinguer "p" et "je crois que p" (p étant une indication au sens de Russell) est que, s'il doit exister, comme nous l'avons souligné, une procédure publique et formelle de confirmation de l'indication de "p", on voit mal, en revanche comment on pourrait appliquer avec succès une telle exigence à "je crois que". En d'autres termes, seule l'affirmation "p" est susceptible de correspondre à un fait la confirmant ou la réfutant. D'une manière générale, en considérant qu'appliquer une procédure de confirmation consiste à suivre une certaine règle, "suivre la règle est une pratique. Croire que l’on suit la règle n’est pas la suivre. C’est donc aussi qu’on ne peut pas suivre la règle en privé ; sinon croire que l’on suit la règle serait la même chose que la suivre [...]. Croire que l’on respecte des critères, ce n’est pas respecter des critères"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §202). Et, bien que, là encore, d'éminents philosophes aient ardemment défendu une conception de la vérité comme certitude, notamment Descartes11, Spinoza12, Malebranche13 ou, plus près de nous, les pragmatistes14. Pour ne garder que ce dernier exemple significatif, assurément le plus moderne15, d'assomption de la vérité comme certitude, Russell fait, derechef, remarquer : "le pragmatiste soutient qu’une croyance doit être jugée vraie si elle a certaines sortes d’effets, [c’est-à-dire qu'] une vérité est quelque chose qu’il est payant de croire. [Or] les espoirs de paix internationale, comme la réalisation de la paix intérieure, dépendent de la création d’une force effective de l’opinion publique qui serait fondée sur une estimation juste de qui a raison et de qui a tort dans les conflits"(Russell, Histoire de mes Idées Philosophiques, xv). A contrario, en l'absence d'une telle "force", qui n'est rien d'autre que la force de la vérité1, ou, à la rigueur, celle de la vérité2, on a de bonnes raisons de craindre que "ce qui augmentera n'est pas l'amour entre les hommes mais plutôt l'arbitraire, la violence, la tyrannie et la guerre"(Bouveresse, peut-on ne pas croire ?, II, xi), ce qui risque d'être le cas, notamment, lorsque l'on fonde la vérité sur la certitude intime (appelons-la vérité3), laquelle ne fait rien d'autre qu'exprimer une conviction en dernier ressort, c'est-à-dire sans appel ni cassation possibles faute d'une procédure publique de confirmation. Bref, pour toutes ces raisons ainsi que pour des considérations plus techniques qu'il serait trop fastidieux de développer ici16, seule l'indication (sous-entendu, "d'une correspondance possible avec un fait"), c'est-à-dire l'affirmation portant sur le seul fait indiqué est, à proprement parler, susceptible de vérité ou de fausseté. L'une des conséquences extrêmement importantes de cette distinction est que, contrairement à la vérité2 et à la vérité3, la vérité1 ne peut être présumée. Lorsque Wittgenstein dit qu'"il n’y a pas de représentation vraie a priori"(Wittgenstein, Tractatus, 2.225), il suggère en effet qu'aucune représentation ne doit être présumée vraie ou fausse avant d'avoir été jugée telle au terme d'une procédure publique de vérification par rapprochement avec un fait. C'est que la présomption, qui consiste à tenir pour certain ce qui n'est que possible ou probable, est la conclusion d'un jugement conscient et motivé par des raisons. C'est en ce sens que "tout homme [est] présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable"(D.D.H.C. de 1789, art.9) ou que "toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées"(D.U.D.H. de 1948, art. 11-1). Même si la présomption d'innocence n'exclut nullement le soupçon de culpabilité17 (autrement, on ne voit pas bien pourquoi et comment on se donnerait la peine d'accuser et de juger quelqu'un), le soupçon est l'expression d'un sentiment, rarement motivé en raison (qu'on se souvienne des soupçons d'Othello) et parfois même inconscient (c'est tout le problème des contrôles policiers dits "au faciès") qui sert de prémice et qui, donc, précède la mise en cause formelle. Le soupçon est un préjugé, la présomption un jugement. Il en va de même s'agissant de la vérité : dire qu'une représentation ne doit pas être présumée vraie ou fausse avant confrontation avec des faits n'est pas dire que la vérité ou la fausseté de ladite représentation ne peut être soupçonnée, ni même présumée dans une acception plus faible de la vérité. Cela veut juste dire que, ni le soupçon, ni la présomption de vérité ne peuvent fonder la vérité au sens le plus fort, à savoir, la vérité1. Il y a donc, dans le domaine épistémique de la vérité la même échelle de graduation que dans le domaine juridique de la culpabilité : stricto sensu, aucune de ces deux valeurs ne se présume et, a fortiori, ne se soupçonne. Ce qui n'exclut ni la possibilité, ni même l'utilité de la présomption (respectivement, dans la vérité2 et dans l'intime conviction18), voire du soupçon (respectivement, dans la vérité3 et dans la mise en accusation), à condition de ne pas voir là le dernier mot, respectivement, de la justesse et de la justice, mais seulement, des variations sur le thème central de la correspondance d'une représentation avec un fait. Or, c'est précisément ce qui se passe lorsque l'on confond le problème épistémique de la vérité avec le problème moral ou psychologique de la véracité19.
Ce qui nous amène à examiner notre second sous-problème : dire que la vérité est corrompue par les fausses nouvelles, n'est-ce pas suggérer que c'est la diffusion de fausses nouvelles qui importe plus que la fausseté intrinsèque desdites nouvelles ? Autrement dit, quelle que soit la conception de la vérité que l'on adopte, soupçonner que le locuteur communique des représentations par lui sciemment connues comme fausses ou, à tout le moins, présentées de telle manière qu'elles dissimulent son intention, n'est-il pas plus nuisible au "débat public" que le défaut de recherche scrupuleuse de la vérité ? Bref, lorsqu'on dit que "la vérité a perdu sa valeur de référence dans le débat public" n'est-il pas question de la véracité ou de la sincérité des locuteurs bien plus que de la vérité des représentations ? Depuis toujours, c'est sans doute dans le domaine de la direction de la Cité que ce problème se pose de la manière la plus aiguë. Il est devenu banal, dès que l'on aborde l'aspect politique du problème de la vérité, de faire référence à Georges Orwell20. Notamment à ce passage où il affirme que "le grand ennemi du langage clair est le manque de sincérité. Quand il y a un décalage entre ses vrais objectifs et ceux qu'on déclare, on utilise instinctivement des mots longs et des idiomes épuisés, comme une seiche giclerait son encre [...]. Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que vent"(Orwell, la Politique et la Langue Anglaise). On ne peut, évidemment, qu'être frappé par la résonance de ces propos tenus en 1946 avec l'actualité la plus brûlante. Sauf qu'Orwell parle explicitement de sincérité, de vraisemblance, de mensonge, etc. autant de termes qui appartiennent au champ lexical de la véracité et non pas de la vérité proprement dite, en tout cas au sens de la vérité1 ou vérité-correspondance russellienne que nous avons examinée supra et que nous considérerons désormais comme seule acception recevable de la notion de vérité en général, non seulement pour les raisons socio-politiques sus-évoquées, mais aussi parce que, nous l'avons vu, la vérité2 et, surtout, la vérité3 sont incapables de fonder une vérité qui ne soit pas contaminée par la véracité. Or, cette confusion entre vérité et véracité, notamment dans le domaine de la conduite de la Cité, confusion qui nous fait, de prime abord, acquiescer sans réserve aux propos d'Orwell, est relativement récente. On a tendance, en effet, à oublier que la pensée philosophique en général, et celle de la pensée du politique en particulier, a longtemps eu la seule vérité, et non la véracité, pour préoccupation centrale. Platon, le tout premier penseur philosophique du politique, s'évertue à "inventer" un procédé efficace pour convaincre les Athéniens de la supériorité de la vérité sur la rhétorique dans un contexte socio-historique bien particulier21. Dans le Gorgias, Platon donne la parole au rhéteur qui se vante d'avoir "maintes fois accompagn[é son] frère ou d’autres médecins chez quelque malade qui refusait une drogue ou ne voulait pas se laisser opérer par le fer ou le feu, et là où les exhortations du médecin restaient vaines, [il] persuadai[t] le malade, par le seul art de la rhétorique. [Car] il n’est point de sujet sur lequel un homme qui sait la rhétorique ne puisse parler devant la foule d’une manière plus persuasive que l’homme de métier, quel qu’il soit. Voilà ce qu’est la rhétorique et ce qu’elle peut. [Car] la rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle ; elle a découvert un procédé qui sert à convaincre"(Platon, Gorgias, 456c-d). Autrement dit, le rhéteur est celui qui a remarqué que l'efficacité du discours résidait moins dans la force de la vérité à propos de "ce que sont les choses dont [il] parle" que dans le discours lui-même, moins dans le contenu du discours que dans sa mise en scène22. Pour Platon, l'efficacité du rhéteur sur le savant procède, pour une part, bien entendu, dans la capacité propre du rhéteur à séduire ou à terroriser son auditoire : "la rhétorique exige une âme perspicace et naturellement habile dans les relations humaines"(Platon, Gorgias 463b). Mais, pour une grande part, aussi, de l'ignorance de l'interlocuteur : "devant un public d’ignorants, [la rhétorique] a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs"(Platon, Gorgias, 459b). D'où la crainte que le talent du rhéteur fait naître chez son interlocuteur inculte : "j'appréhende, si je te réfute, que tu n'ailles te mettre dans l'esprit que mon intention n'est pas de disputer sur la chose même, pour l'éclaircir, mais contre toi"(Platon, Gorgias, 457d). Le problème constant qu'essaie de résoudre la philosophie politique de Platon est donc clairement le suivant : comment un système politique qui se caractérise par une prise de décision majoritaire sur la place publique après débats publics dirigés par les plus habiles parmi les discoureurs pourrait-il ne pas être confisqué par ces derniers23 ? On connaît la solution qu'il préconise : "tant que les philosophes ne seront pas rois dans les Cités, ou que ceux qu’on appelle aujourd’hui rois ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes, […] il n’y aura de cesse aux maux de la Cité"(Platon, République, V, 474a). En d'autres termes, si l'on veut combattre l'injustice, le gouvernement de la Cité doit être confié, de droit, au philosophe et non au rhéteur comme c'est le cas, de fait, jusqu'à présent. Car "le rhéteur n’est pas l’homme qui fait connaître aux tribunaux ou à toute autre assemblée ce qui est juste et ce qui est injuste [...] de toute façon il ne pourrait pas, dans le peu de temps qu’il a, informer pareille foule et l’amener à connaître des questions si fondamentales"(Platon, Gorgias, 455a). Tandis que "les vrais philosophes sont ceux qui aiment contempler la vérité [τοὺς τῆς ἀληθείας φιλοθεάμονας]"(Platon, République, V, 474a-475e). Bref, le sort de la Cité doit être confié à un éducateur et non à un corrupteur. Promouvoir l'éducation de la Cité en substituant l'amour de la vérité à la préférence paresseuse pour la vraisemblance, tel est bien, pour Platon, l'enjeu politico-philosophique majeur24. Pour autant, même si, tout particulièrement en démocratie, "il n'est pas nécessaire à l'orateur de connaître ce qui est réellement juste, mais ce qui semble tel, car c'est de la vraisemblance, non de la vérité que sort la persuasion [...]. D'ailleurs, ce n'est pas seulement au tribunal et à l'assemblée du peuple que l'imitation [mimèsis] trouve place, mais dans tous les usages du langage. Il y a donc un art [tekhnè] unique qui s'applique à tout ce qu'on dit, qui rend capable d'imiter [mimèsthaï] n'importe quoi [...], et qui conduit insensiblement les autres, de ressemblance en ressemblance, [...] à louer l'ombre d'un âne sous le nom de"cheval""(Platon, Phèdre, 260a-262b), à aucun moment, la sincérité du rhéteur, son équilibre psychologique ou son intégrité morale, n'est mise en cause : ce n'est pas par hasard que Platon choisit, dans le Gorgias, de donner l'exemple symbolique du rhéteur qui sauve le malade là où la vérité de l'homme de l'art se révèle impuissante à le convaincre de se laisser opérer. Platon va même jusqu'à suggérer qu'une fois le pouvoir politique confié au philosophe-roi, celui-ci, tout en étant (par hypothèse) guidé par la Vérité, ne pourra néanmoins s'empêcher d'y faire quelques entorses, par exemple lorsqu'il s'agira de préserver la paix sociale en justifiant les inégalités par quelques artifices rhétoriques : "vous êtes tous frères, dirons-nous, [...] mais le dieu qui vous a formés a fait entrer de l’or dans la composition de ceux d’entre nous qui sont capables de commander, de l’argent dans la composition des gardiens, du fer et de l’airain dans celle des laboureurs et des autres artisans"(Platon, République, III, 415a). Bref, pour Platon, l'alternative, lorsqu'il s'agit de gouverner la Cité, c'est : ou bien gouverner en ayant le souci de la Vérité, quitte à utiliser la rhétorique dans des circonstances exceptionnelles, ou bien gouverner sans ce souci et, donc, en utilisant la rhétorique par défaut de connaissance de la Vérité. Mais jamais Platon ne pose le problème politique en termes de sincérité ou de véracité des gouvernants. Ni lui ni les philosophes qui lui ont succédé comme penseurs du politique (Aristote, Bodin, Machiavel, Hobbes, Spinoza, Rousseau, Marx, Nietzsche, pour ne citer que les plus importants) ne se sont intéressés à la moralité, encore moins à la psychologie des gouvernants. Pour eux, seul importait leur efficacité, c'est-à-dire leur capacité à utiliser un langage d'autorité dans le but de promouvoir et développer ce qu'ils ont considéré comme le "souverain Bien" : pour les uns, ce fut l'ordre naturel, pour d'autres la liberté, pour d'autres encore l'égalité. Et lorsque Machiavel déclare qu'"un prince doit s'efforcer de se faire une réputation de bonté, de clémence, de piété, de fidélité à ses engagements, et de justice ; il doit avoir toutes ces bonnes qualités mais rester assez maître de soi pour en déployer de contraires, lorsque cela est expédient. Je pose en fait qu'un prince, et surtout un prince nouveau, ne peut exercer impunément toutes les vertus, parce que l'intérêt de sa conservation l'oblige souvent à violer les lois de l'humanité, de la charité et de la religion"(Machiavel, le Prince, xviii), il ne fait nullement l'éloge de l'hypocrisie politique, mais plutôt celui de l'efficacité politique du Prince qui se montre apte à choisir les moyens les plus efficaces de maintenir la paix civile dans un contexte incertain25 et sur lequel est implicitement requise la connaissance de la vérité26. Pour Machiavel, comme pour Platon, le gouvernement politique est une sorte d'art, de tekhnè, autrement dit une activité dont le talent spécifique (la virtù) consiste, comme pour tout autre tekhnè, dans le choix pertinent des moyens au moment opportun27 (la fortuna), la fin ("le souverain Bien") étant supposée déjà connue dans sa vérité : "nous ne délibérons pas tellement sur le but que nous nous proposons, c’est plutôt sur les moyens qui doivent nous y conduire"(Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 1112b). Dans tous les cas, la différence entre le bon et le mauvais artisan, ce n'est pas que l'un est sincère et l'autre non, mais plutôt que l'un est efficace et l'autre non. Et, pour tous ces philosophes, il ne fait aucun doute que l'artisan qui connaît (la vérité sur) les moyens d'atteindre une fin nécessaire (nécessairement vraie) maximise son efficacité.
Ce n'est qu'à partir de l'invention des sciences de l'homme que l'on va commencer à s'interroger, non plus tant sur l'efficacité des dirigeants de la Cité que sur leurs motivations. Si Durkheim, fonde la sociologie descriptive en postulant que "la première règle est de considérer les faits sociaux comme des choses"(Durkheim, les Règles de la Méthode Sociologique) en restant fidèle au paradigme épistémique d'une science comme connaissance objective28, en revanche, à peu près à la même époque, Weber jette les bases d'une sociologie compréhensive en "appel[ant] sociologie une science qui se propose de comprendre par interprétation l'action sociale [...]. Nous entendons par action un comportement humain quand et pour autant que l'agent lui communique un sens subjectif [...]. La conduite de la vie, partout où elle a été rationalisée, a vu son évolution profondément modifiée par ce sens subjectif"(Weber, Sociologie des Religions). D'où la préoccupation interprétative29 constante de Weber pour le "sens subjectif" que les agents sont censés donner à leurs actions dans les domaines de la religion, de l'économie et de la politique. S'agissant des motivations de qui exerce la direction de la Cité, Weber part du constat que, contrairement à ce qu'ont pu penser Platon, Machiavel, Rousseau, Hegel ou Marx, il n'existe vraisemblablement pas de fin nécessaire qui pourrait constituer l'horizon indépassable de l'action politique en général30. En revanche, il pense, au rebours d'Aristote, que c'est plutôt le moyen de gouverner qui est nécessaire et, partant, soustrait à la délibération, la fin devenant contingente : "il n’existe presque aucune tâche dont ne se soit occupé un jour un groupement politique quelconque, mais, d’un autre côté, il n’existe pas non plus de tâches dont on puisse dire qu’elles aient de tout temps, du moins exclusivement, appartenu en propre aux groupements politiques que nous appelons aujourd’hui États ou qui ont été historiquement les précurseurs de l’État moderne. Celui-ci ne se laisse définir que par le moyen spécifique qui lui est propre, ainsi qu’à tout autre groupement politique, à savoir la violence physique"(Weber, le Savant et le Politique, ii). D'où la définition qu'il donne de l'activité spécifiquement politique : "lorsqu’on dit d’une question qu’elle est politique, il faut entendre par là que les intérêts de la répartition, de la conservation ou du transfert du pouvoir sont déterminants [...]. Tout homme qui fait de la politique aspire à la domination"(Weber, le Savant et le Politique, ii). On pourrait dire que l'usage de la violence ne peut avoir d'autre fin, pour qui l'utilise, que de dominer celui ou celle à qui cette violence s'adresse en s'en faisant obéir31, pratiquer la politique dans le cadre du pouvoir d'État consiste toujours, d'une manière ou d'une autre, la recherche de la position dominante comme motivation dernière. Mais ce serait ignorer l'objection rousseauïenne selon laquelle une position dominante étant toujours, par définition, précaire et révocable32, il importe que la domination à laquelle aspire le dirigeant politique soit une domination légitime. Dès lors, loin de se caractériser par la connaissance d'une fin nécessaire, le pouvoir d'État consiste bien plutôt en un désir confus de "dominer l’homme par l’homme au moyen de la violence légitime"(Weber, le Savant et le Politique, ii), la légitimité de la domination violente se substituant désormais à sa nécessité. En quoi consiste alors cette légitimité ? Weber remarque qu'"il existe trois types de domination légitime : la domination rationnelle, qui repose sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives […] ; la domination traditionnelle, qui repose sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions valables en tout temps […] ; la domination charismatique repose sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d’une personne"(Weber, Économie et Société). Dans tous les cas, la légitimité consiste en ce que "le commandement est alors émis non pas au nom d’une autorité personnelle, mais au nom d’une norme impersonnelle, valide sur un territoire donné, de sorte que l’on obéit à une norme et non plus à un homme"(Weber, Sociologie des Religions). En ce sens, "l’État moderne est un groupement de domination de caractère légal-rationnel33 qui cherche avec succès à monopoliser, dans les limites d’un territoire, la violence physique légitime"(Weber, le Savant et le Politique, ii). À la limite, même, "le fait de se présenter comme le “serviteur” de ceux qu’on domine, n’est nullement une preuve contre le caractère de domination"(Weber, Économie et Société). La nouveauté du regard wéberien sur le "sens subjectif" que le dirigeant politique donne à son action ne peut s'exprimer plus clairement qu'ici : Weber craint que même les "grands commis de l'État", les "grands serviteurs du genre humain", ceux qui, par hypothèse, sont naturellement "au-dessus de tout soupçon" puissent, néanmoins, difficilement se soustraire à l'accusation de vouloir, obscurément et confusément, dominer leurs semblables.
L'approche "compréhensive" de la sociologie de Weber, tout particulièrement en ce qui concerne le domaine politique, s'inscrit donc dans un courant de critique historique et psychologique généralisée des motivations des agents sociaux, courant inauguré avant lui par Marx et par Freud et qui considère, grosso modo, que les individus font rarement ce qu'ils ont conscience de faire, notamment lorsqu'ils parlent34. Marx a, le premier, exclu toute possibilité d'indépendance de la conscience à l'égard des conditions socio-historiques de son émergence, ce que résume la formule bien connue : "ce n’est pas la conscience qui détermine l’existence, c’est l’existence sociale qui détermine la conscience"(Marx-Engels, l'Idéologie Allemande). En ce sens, on peut considérer que la conscience qu'ont les dirigeants politiques de se mettre au service de leurs semblables est toujours déjà faussée par l'infrastructure économique qui n'autorise jamais que la production des idées compatibles avec l'existence et la survie d'une telle infrastructure, de sorte que, si celle-ci est inégalitaire, alors, nécessairement, la superstructure le sera aussi35 et les motivations de ses membres (le "personnel politique") seront, plus ou moins consciemment, intéressées à la perpétuation de cette infrastructure inégalitaire dont le pouvoir politique apparaîtra, à juste titre, comme un bon exemple : "à toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes : les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes. [Il s'ensuit que] les idées dominantes sont proclamées seules raisonnables, seules qui aient une valeur universelle. [En particulier] toute classe qui aspire à la domination [...] doit conquérir le pouvoir politique pour présenter son intérêt propre comme étant l’intérêt général"(Marx-Engels, Idéologie Allemande). A contrario, seule une infrastructure économique égalitaire (c'est-à-dire, pour Marx ou Engels, communiste) peut engendrer de véritables liens de fraternité désintéressée entre les hommes. Les objections à Marx ont immédiatement pris deux directions contradictoires : d'une part on lui a reproché un pessimisme fondé sur un économisme étroit et réductionniste, d'autre part, au contraire, un excès ... d'optimisme. Ce dernier point de vue, Freud l'a exprimé sans détour : "les communistes croient avoir trouvé la voie pour nous délivrer du mal : [...] si l’on supprime la propriété privée, si l’on met en commun tous les biens36 et si l’on fait participer tous les hommes à leur jouissance, la malveillance et l’hostilité disparaîtront d’entre les hommes [...]. Or, si l’on fait disparaître le droit individuel à des biens matériels, il reste encore le privilège venant des relations sexuelles, qui doit nécessairement devenir la source de l’envie la plus forte et de l’hostilité la plus véhémente entre les hommes, mis par ailleurs sur un pied d’égalité"(Freud, Malaise dans la Culture, v). Freud, tout comme Marx d'ailleurs37, considère en effet, que la pulsion de domination la plus fondamentalement ancrée dans le psychisme humain est la pulsion sexuelle. Mais, contrairement à lui, il considère que les autres formes de domination ne sont que des transformations symboliques, des sublimations38 commandées par le principe de plaisir39 de cette pulsion fondamentale refoulée40, c'est-à-dire domptée, par l'éducation. De ce point de vue, la nature du pouvoir politique est un exemple typique de sublimation d'un refoulement sous les auspices du principe de plaisir : "une tendance apparaît : celle de mettre à part du moi tout ce qui peut devenir source de déplaisir, de le jeter à l’extérieur, de former un moi-plaisir pur auquel s’oppose un dehors étranger et menaçant [...]. Si l'État interdit à l'individu le recours à l'injustice, ce n'est pas parce qu'il veut supprimer l'injustice, mais parce qu'il veut monopoliser ce recours, comme il monopolise le sel et le tabac"(Freud, Malaise dans la Culture). Sur ce dernier point, la motivation politique chez Freud rejoint la motivation économique chez Marx : "le développement du capitalisme a pour point de départ l’expropriation du producteur par rapport à ses moyens de production [...] : par contrat, celui-ci renonce alors à la propriété sur son propre produit"(Marx, le Capital, I, xxvi). L'un comme l'autre conçoivent le pouvoir en général comme le résultat d'un rapport de force. Lorsque Weber écrit que "le développement de l’État moderne a pour point de départ la volonté du souverain d’exproprier tous les autres pouvoirs de leur droit à s’imposer eux-mêmes par la violence"(Weber, le Savant et le Politique, ii), on voit donc bien à quel point il est l'héritier, tout à la fois, de Marx et de Freud, tout au moins sur le plan lexical. Le caractère psychanalytique de sa conception de la "vocation (Beruf) politique" est particulièrement frappant : "une vocation est tout cet arrière-plan d’idées qui consiste à considérer une activité comme une obligation"(Weber, l’Éthique Protestante et l’Esprit du Capitalisme). Celui qui se sent une "vocation politique" considère, en quelque sorte, qu'il répond à un appel impérieux, exactement de la même manière que le mystique religieux : "l’une des composantes majeures de l’esprit du capitalisme moderne, à savoir la conduite rationnelle de la vie fondée sur l’idée de vocation professionnelle est issue de l’esprit de l’ascèse chrétienne"(Weber, l’Éthique Protestante et l’Esprit du Capitalisme). La "vocation politique" wébérienne, celle qui consiste, rappelons-le à désirer, sans forcément s'en rendre compte, dominer son semblable, est donc intimement liée au contexte économique, comme chez Marx41, et au contexte religieux, comme chez Freud42. Dès lors, la méthodologie "compréhensive" ou interprétative qu'adopte Weber dans l'analyse, en particulier, de la motivation politique emprunte autant à l'historicisme de l'un qu'au psychologisme de l'autre : "ce sont les intérêts (matériels ou symboliques) et non les idées qui gouvernent directement l’action des hommes, même si les images du monde qui ont été créées par le moyen des idées ont souvent joué le rôle d’aiguilleurs en déterminant les voies à l’intérieur desquelles la dynamique de nos intérêts a été le moteur de l’action"(Weber, Sociologie des Religions). "Le moteur de l’action", dit-il, est l'effet conjugué des "intérêts (matériels ou symboliques)" et des "images du monde qui ont été créées par le moyen des idées". Donc, même si la "vocation politique" ne procède plus, comme dans la pensée politique antique et classique, de la seule volonté de savoir ce qui est le meilleur possible pour la Cité, mais d'un désir plus ou moins inavouable de dominer son prochain, néanmoins, précise Weber sans ambiguïté, "reconnaître que l’observation des faits, le constat de réalités mathématiques ou logiques ou la description de la structure interne de biens culturels, d’une part, et, d’autre part, la formulation d’une réponse à la question de la valeur de la culture et de chacun des contenus qui sont les siens, ainsi qu’à la question de savoir quel type d’action on doit adopter au sein de la communauté culturelle et des groupements politiques, constituent deux ordres de problèmes absolument hétérogènes"(Weber, le Savant et le Politique, i). Comme l'indique le titre de l'ouvrage, le "savant" est, en droit sinon en fait, indépendant du "politique". Il existe ou, en tout cas, il doit exister, une "neutralité axiologique" (Wertfreiheit) du premier par rapport au second. Bref, l'émergence des sciences de l'homme, dans le sillage des philosophies dites "du soupçon", inclinent fort à douter du désintéressement du dirigeant politique et à présumer chez lui des motivations psychologiques inavouables. Est-ce à dire que là réside l'origine et le fondement de cette défiance généralisée à l'égard de la vérité et de la véracité, problème prétendument caractéristique de notre époque ?
(à suivre dans ...)
1Improbable métaplasme sur l'anglais (Great)-Britain et le latin exitus, "sortie" mais aussi ... trépas. Comme si "sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne" et ses traductions en langues vernaculaires exigeaient un effort d'écriture, de lecture et de compréhension incompatible avec les capacités intellectuelles moyennes de l'être humain.
2Texte consultable sur le site du Guardian.
Premier sous-problème, donc : de quelle sorte de "vérité" est-il question lorsqu'on oppose la vérité aux croyances et aux émotions ? À première vue, et c'est sans doute là la conception la plus intuitive de la vérité, dire que quelque chose est vrai, c'est, ou bien dire que c'est réel, authentique ("ça, c'est un vrai vin", "vous êtes un véritable ami", "ceci est un faux billet"), ou bien dire que cela représente ce qui est réel de manière satisfaisante ("ce portrait est plus vrai que nature", "vous venez de jouer un faux accord"). Lorsqu'on parle de vérité d'une représentation (picturale, linguistique, photographique, etc.), c'est donc de cette deuxième acception qu'il s'agit. En ce sens, la vérité est, naturellement, comprise comme une certaine sorte d'adéquation à, de convenance avec la réalité. S'agissant, en particulier, d'une représentation au moyen d'une proposition pensée, parlée ou écrite, on suppose que sa vérité réside dans la mise en correspondance de ses termes avec la réalité qui est censée être représentée par cette proposition. Par exemple, lorsqu'Othello pense que Desdémone aime vraiment Cassio, autrement dit lorsqu'il pense que la proposition "Desdémone aime Cassio" est vraie4, il suppose que "Desdémone" a Desdémone pour référence, que "Cassio" a Cassio pour référence, et que "aime" a l'amour pour référence. C'est-à-dire, comme l'explique Quine de manière un peu technique, que "la notion de référence à doit être reclassée en notion de vérité de, et l’expression singulière f(A) doit être reclassé en expression générale d’extension singulière Эx, {f(x)Λ(x=A)}"(Quine, le Domaine et le Langage de la Science, iii). En clair, dire que "Desdémone" (le mot) réfère à Desdémone (la personne réelle), c'est dire que cette personne réelle existe et a comme nom "Desdémone". En généralisant, on peut dire que "le nom réfère à l'objet. L'objet est sa référence [Der name bedeutet den Gegenstand. Der Gegenstand ist seine Bedeutung]. La possibilité de la proposition repose sur le principe de la position de signes comme représentants des objets"(Wittgenstein, Tractatus, 3.203-4.06). Il semblerait donc bien que "la" vérité, en tant qu'on l'oppose à ce que l'on croit vrai, ou bien à ce que l'on ressent être tel, soit la vérité comme correspondance d'une représentation qui s'accorde réellement avec ce qui est représenté (appelons-la, par commodité, vérité1 et vrai1 l'adjectif qui lui est lié). En ce sens, "pour connaître si la représentation est vraie ou fausse, nous devons la comparer à la réalité"(Wittgenstein, Tractatus, 2.223). Notons que Wittgenstein parle ici de "représentation" (Bild)5 en général. Qu'une représentation revête la forme d'une proposition descriptive ou bien d'une dépiction analogique (sculpture, hologramme, photo, peinture, dessin, caricature, film, etc.) n'introduit donc, à l'égard de cette exigence de comparaison à la réalité, aucune différence significative. Donc "la proposition ne peut être vraie ou fausse que dans la mesure où elle est une représentation de la réalité"(Wittgenstein, Tractatus, 4.06). Cela dit, Wittgenstein ne nous donne aucune définition de ce qu'il faut entendre par "comparer [une représentation] à la réalité", ne nous suggère aucune technique pour mener à bien cette "comparaison". Quant à ce qu'est une "représentation", la définition est circulaire : "nous nous faisons des représentations des faits [wir machen uns Bilder der Tatsachen]. La représentation est la transposition de la réalité [ein Modell der Wirklichkeit]. Les éléments de la représentation sont dans un rapport déterminé qui indique que les choses réelles sont entre elles dans le même rapport"(Wittgenstein, Tractatus, 2.1-2.12-2.15). Bref, la représentation est vraie1 si et seulement si elle correspond, dans l'arrangement de ses signes, à l'arrangement réel des choses représentées, à l'extérieur de la proposition, c'est-à-dire dans les faits. "Représenter" signifie donc "figurer une situation possible" : "la représentation figure une situation possible"(Wittgenstein, Tractatus, 2.202), c'est-à-dire susceptible de se révéler vraie1 ou fausse16. On ne peut donc définir "représentation" autrement qu'en disant, de manière circulaire, qu'une représentation est ce qui est possiblement vrai1 ou possiblement faux1. L'utilité de cette conception de la vérité comme vérité-correspondance ne réside pas dans la définition de ce en quoi consiste la correspondance de la représentation avec un fait, mais plutôt dans ce qu'elle présuppose qu'il doit y en avoir une à la suite d'une procédure à la fois publique et décidable. C'est l'exigence de Russell : "lorsque notre jugement est vrai, il doit y avoir en dehors de notre jugement une entité qui lui correspond d’une manière ou d’une autre, tandis que, quand notre jugement est faux, aucune entité semblable ne lui correspond"(Russell, the Nature of Truth). On comprendra mieux l'enjeu d'une telle exigence en confrontant la conception de la vérité comme correspondance avec ses deux concurrentes que sont, d'une part la vérité-cohérence, d'autre part la vérité-certitude.
La conception de la vérité comme cohérence conduit à supposer holistiquement que seul est absolument vrai le Tout7, l'Ensemble cohérent de toutes les propositions d'un corpus donné et non une ou plusieurs d'entre elles qui, séparément, rompent nécessairement cette cohérence. Ainsi, pour le holisme philosophique, "il n’y a rien qui soit entièrement vrai en dehors de la totalité du vrai, et que les propositions qui peuvent passer pour des vérités isolées, comme 2+2=4, [...] sont seulement plus ou moins vraies ; en effet, lorsqu’on les isole artificiellement, on les dépouille des relations qui font d’elles des parties de la totalité du vrai"(Russell, the Nature of Truth). Les grandes métaphysiques holistes, par exemple celles de Spinoza8 ou de Hegel9 sont implicitement porteuses d'une telle conception de la vérité. Mais il en va de même pour l'empirisme de Quine10, tout anti-métaphysicien qu'il soit. On voit vite que le problème posé par cette conception de la vérité-cohérence (disons vérité2) est que la notion de vérité2 est une notion limite plus qu'une notion opératoire. Il en résulte, d'une part que, pour l'usage ordinaire, la vérité2 ou la fauseté2 ne sont plus des qualités attribuées à des représentations, mais des relations entre représentations. En d'autres termes, plutôt que de dire "la représentation R est vraie2", il faudra désormais dire "la représentation R est plus (ou moins ou autant) vraie2 que la représentation R' au sein du corpus C" et cela, en fonction du niveau de cohérence que R et R' autorisent, respectivement, avec les autres représentations au sein de C. Avec cette conséquence socio-politique qu'il est étonnant que Russell soit l'un des rares à avoir vue : "si aucune proposition n’exprime jamais quelque chose qui soit entièrement vrai, et aucune n’exprime quelque chose d’entièrement faux, [lorsque] des jurés ont à se prononcer sur le point de savoir si un homme est coupable d’un crime, ce critère ne nous donne aucun moyen de distinguer entre un verdict juste et un autre qui ne l’est pas"(Russell, the Nature of Truth). Du coup, d'autre part, la notion de vérité2 n'aura d'utilité réelle que dans la pratique critique (par exemple philosophique, historique, sociologique, psychologique, etc.) d'un méta-discours portant sur un corpus de vérités1. Ou, pour le moins, supposées telles (dans le cas des croyances populaires ou religieuses, par exemple), car a contrario, rendre vraies2 des représentations sciemment connues comme fausses1, cela relèvera, typiquement, du mensonge ou de la mauvaise foi, donc nous renverra au problème de la véracité. Ce qui est une autre manière de dire que, de toutes les façons, la notion de vérité2 présuppose celle de vérité1, de sorte que, "pour croire à l’importance de la critique, il faut évidemment avoir conservé un certain rapport à la question de la vérité"(Bouveresse, Wittgenstein et les Sortilèges du Langage, ii) entendue comme vérité1.
Il en va de même dans le cas de la vérité entendue, non pas comme correspondance ou comme cohérence, mais comme certitude intime. Comme le dit encore Russell, "le langage répond à une triple finalité : 1) indiquer des faits ; 2) exprimer l'état du locuteur ; 3) altérer l'état de l'auditeur. [...] L'énoncé "je crois que vous avez chaud" exprime un état différent de celui qu'exprime "vous avez chaud" ; le fait qu'il indique, c'est le fait qu'exprime "vous avez chaud". [...] La question de la vérité et de la fausseté concerne ce que les mots et les phrases indiquent et non ce qu'ils expriment"(Russell, Signification et Vérité, xiv). De la même façon "je suis certain(e) que vous avez chaud" exprime l'état du locuteur, d'ailleurs différent de ce qu'il est lorsqu'il dit "je crois que vous avez chaud" ou bien "j'espère que vous avez chaud". On voit pourtant que, dans les deux cas, le fait indiqué est le même : "vous avez chaud". Russell nomme "attitude propositionnelle" (propositional attitude) l'énoncé qui enchâsse l'indication d'un fait comme un de ses deux éléments, le deuxième étant, précisément, l'expression de l'état du locuteur. Par exemple, "je suis certain de p" est une attitude propositionnelle composée d'une expression d'état ("je suis certain") et d'une indication de fait ("p"). Une autre raison de distinguer "p" et "je crois que p" (p étant une indication au sens de Russell) est que, s'il doit exister, comme nous l'avons souligné, une procédure publique et formelle de confirmation de l'indication de "p", on voit mal, en revanche comment on pourrait appliquer avec succès une telle exigence à "je crois que". En d'autres termes, seule l'affirmation "p" est susceptible de correspondre à un fait la confirmant ou la réfutant. D'une manière générale, en considérant qu'appliquer une procédure de confirmation consiste à suivre une certaine règle, "suivre la règle est une pratique. Croire que l’on suit la règle n’est pas la suivre. C’est donc aussi qu’on ne peut pas suivre la règle en privé ; sinon croire que l’on suit la règle serait la même chose que la suivre [...]. Croire que l’on respecte des critères, ce n’est pas respecter des critères"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §202). Et, bien que, là encore, d'éminents philosophes aient ardemment défendu une conception de la vérité comme certitude, notamment Descartes11, Spinoza12, Malebranche13 ou, plus près de nous, les pragmatistes14. Pour ne garder que ce dernier exemple significatif, assurément le plus moderne15, d'assomption de la vérité comme certitude, Russell fait, derechef, remarquer : "le pragmatiste soutient qu’une croyance doit être jugée vraie si elle a certaines sortes d’effets, [c’est-à-dire qu'] une vérité est quelque chose qu’il est payant de croire. [Or] les espoirs de paix internationale, comme la réalisation de la paix intérieure, dépendent de la création d’une force effective de l’opinion publique qui serait fondée sur une estimation juste de qui a raison et de qui a tort dans les conflits"(Russell, Histoire de mes Idées Philosophiques, xv). A contrario, en l'absence d'une telle "force", qui n'est rien d'autre que la force de la vérité1, ou, à la rigueur, celle de la vérité2, on a de bonnes raisons de craindre que "ce qui augmentera n'est pas l'amour entre les hommes mais plutôt l'arbitraire, la violence, la tyrannie et la guerre"(Bouveresse, peut-on ne pas croire ?, II, xi), ce qui risque d'être le cas, notamment, lorsque l'on fonde la vérité sur la certitude intime (appelons-la vérité3), laquelle ne fait rien d'autre qu'exprimer une conviction en dernier ressort, c'est-à-dire sans appel ni cassation possibles faute d'une procédure publique de confirmation. Bref, pour toutes ces raisons ainsi que pour des considérations plus techniques qu'il serait trop fastidieux de développer ici16, seule l'indication (sous-entendu, "d'une correspondance possible avec un fait"), c'est-à-dire l'affirmation portant sur le seul fait indiqué est, à proprement parler, susceptible de vérité ou de fausseté. L'une des conséquences extrêmement importantes de cette distinction est que, contrairement à la vérité2 et à la vérité3, la vérité1 ne peut être présumée. Lorsque Wittgenstein dit qu'"il n’y a pas de représentation vraie a priori"(Wittgenstein, Tractatus, 2.225), il suggère en effet qu'aucune représentation ne doit être présumée vraie ou fausse avant d'avoir été jugée telle au terme d'une procédure publique de vérification par rapprochement avec un fait. C'est que la présomption, qui consiste à tenir pour certain ce qui n'est que possible ou probable, est la conclusion d'un jugement conscient et motivé par des raisons. C'est en ce sens que "tout homme [est] présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable"(D.D.H.C. de 1789, art.9) ou que "toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées"(D.U.D.H. de 1948, art. 11-1). Même si la présomption d'innocence n'exclut nullement le soupçon de culpabilité17 (autrement, on ne voit pas bien pourquoi et comment on se donnerait la peine d'accuser et de juger quelqu'un), le soupçon est l'expression d'un sentiment, rarement motivé en raison (qu'on se souvienne des soupçons d'Othello) et parfois même inconscient (c'est tout le problème des contrôles policiers dits "au faciès") qui sert de prémice et qui, donc, précède la mise en cause formelle. Le soupçon est un préjugé, la présomption un jugement. Il en va de même s'agissant de la vérité : dire qu'une représentation ne doit pas être présumée vraie ou fausse avant confrontation avec des faits n'est pas dire que la vérité ou la fausseté de ladite représentation ne peut être soupçonnée, ni même présumée dans une acception plus faible de la vérité. Cela veut juste dire que, ni le soupçon, ni la présomption de vérité ne peuvent fonder la vérité au sens le plus fort, à savoir, la vérité1. Il y a donc, dans le domaine épistémique de la vérité la même échelle de graduation que dans le domaine juridique de la culpabilité : stricto sensu, aucune de ces deux valeurs ne se présume et, a fortiori, ne se soupçonne. Ce qui n'exclut ni la possibilité, ni même l'utilité de la présomption (respectivement, dans la vérité2 et dans l'intime conviction18), voire du soupçon (respectivement, dans la vérité3 et dans la mise en accusation), à condition de ne pas voir là le dernier mot, respectivement, de la justesse et de la justice, mais seulement, des variations sur le thème central de la correspondance d'une représentation avec un fait. Or, c'est précisément ce qui se passe lorsque l'on confond le problème épistémique de la vérité avec le problème moral ou psychologique de la véracité19.
Ce qui nous amène à examiner notre second sous-problème : dire que la vérité est corrompue par les fausses nouvelles, n'est-ce pas suggérer que c'est la diffusion de fausses nouvelles qui importe plus que la fausseté intrinsèque desdites nouvelles ? Autrement dit, quelle que soit la conception de la vérité que l'on adopte, soupçonner que le locuteur communique des représentations par lui sciemment connues comme fausses ou, à tout le moins, présentées de telle manière qu'elles dissimulent son intention, n'est-il pas plus nuisible au "débat public" que le défaut de recherche scrupuleuse de la vérité ? Bref, lorsqu'on dit que "la vérité a perdu sa valeur de référence dans le débat public" n'est-il pas question de la véracité ou de la sincérité des locuteurs bien plus que de la vérité des représentations ? Depuis toujours, c'est sans doute dans le domaine de la direction de la Cité que ce problème se pose de la manière la plus aiguë. Il est devenu banal, dès que l'on aborde l'aspect politique du problème de la vérité, de faire référence à Georges Orwell20. Notamment à ce passage où il affirme que "le grand ennemi du langage clair est le manque de sincérité. Quand il y a un décalage entre ses vrais objectifs et ceux qu'on déclare, on utilise instinctivement des mots longs et des idiomes épuisés, comme une seiche giclerait son encre [...]. Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que vent"(Orwell, la Politique et la Langue Anglaise). On ne peut, évidemment, qu'être frappé par la résonance de ces propos tenus en 1946 avec l'actualité la plus brûlante. Sauf qu'Orwell parle explicitement de sincérité, de vraisemblance, de mensonge, etc. autant de termes qui appartiennent au champ lexical de la véracité et non pas de la vérité proprement dite, en tout cas au sens de la vérité1 ou vérité-correspondance russellienne que nous avons examinée supra et que nous considérerons désormais comme seule acception recevable de la notion de vérité en général, non seulement pour les raisons socio-politiques sus-évoquées, mais aussi parce que, nous l'avons vu, la vérité2 et, surtout, la vérité3 sont incapables de fonder une vérité qui ne soit pas contaminée par la véracité. Or, cette confusion entre vérité et véracité, notamment dans le domaine de la conduite de la Cité, confusion qui nous fait, de prime abord, acquiescer sans réserve aux propos d'Orwell, est relativement récente. On a tendance, en effet, à oublier que la pensée philosophique en général, et celle de la pensée du politique en particulier, a longtemps eu la seule vérité, et non la véracité, pour préoccupation centrale. Platon, le tout premier penseur philosophique du politique, s'évertue à "inventer" un procédé efficace pour convaincre les Athéniens de la supériorité de la vérité sur la rhétorique dans un contexte socio-historique bien particulier21. Dans le Gorgias, Platon donne la parole au rhéteur qui se vante d'avoir "maintes fois accompagn[é son] frère ou d’autres médecins chez quelque malade qui refusait une drogue ou ne voulait pas se laisser opérer par le fer ou le feu, et là où les exhortations du médecin restaient vaines, [il] persuadai[t] le malade, par le seul art de la rhétorique. [Car] il n’est point de sujet sur lequel un homme qui sait la rhétorique ne puisse parler devant la foule d’une manière plus persuasive que l’homme de métier, quel qu’il soit. Voilà ce qu’est la rhétorique et ce qu’elle peut. [Car] la rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle ; elle a découvert un procédé qui sert à convaincre"(Platon, Gorgias, 456c-d). Autrement dit, le rhéteur est celui qui a remarqué que l'efficacité du discours résidait moins dans la force de la vérité à propos de "ce que sont les choses dont [il] parle" que dans le discours lui-même, moins dans le contenu du discours que dans sa mise en scène22. Pour Platon, l'efficacité du rhéteur sur le savant procède, pour une part, bien entendu, dans la capacité propre du rhéteur à séduire ou à terroriser son auditoire : "la rhétorique exige une âme perspicace et naturellement habile dans les relations humaines"(Platon, Gorgias 463b). Mais, pour une grande part, aussi, de l'ignorance de l'interlocuteur : "devant un public d’ignorants, [la rhétorique] a l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs"(Platon, Gorgias, 459b). D'où la crainte que le talent du rhéteur fait naître chez son interlocuteur inculte : "j'appréhende, si je te réfute, que tu n'ailles te mettre dans l'esprit que mon intention n'est pas de disputer sur la chose même, pour l'éclaircir, mais contre toi"(Platon, Gorgias, 457d). Le problème constant qu'essaie de résoudre la philosophie politique de Platon est donc clairement le suivant : comment un système politique qui se caractérise par une prise de décision majoritaire sur la place publique après débats publics dirigés par les plus habiles parmi les discoureurs pourrait-il ne pas être confisqué par ces derniers23 ? On connaît la solution qu'il préconise : "tant que les philosophes ne seront pas rois dans les Cités, ou que ceux qu’on appelle aujourd’hui rois ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes, […] il n’y aura de cesse aux maux de la Cité"(Platon, République, V, 474a). En d'autres termes, si l'on veut combattre l'injustice, le gouvernement de la Cité doit être confié, de droit, au philosophe et non au rhéteur comme c'est le cas, de fait, jusqu'à présent. Car "le rhéteur n’est pas l’homme qui fait connaître aux tribunaux ou à toute autre assemblée ce qui est juste et ce qui est injuste [...] de toute façon il ne pourrait pas, dans le peu de temps qu’il a, informer pareille foule et l’amener à connaître des questions si fondamentales"(Platon, Gorgias, 455a). Tandis que "les vrais philosophes sont ceux qui aiment contempler la vérité [τοὺς τῆς ἀληθείας φιλοθεάμονας]"(Platon, République, V, 474a-475e). Bref, le sort de la Cité doit être confié à un éducateur et non à un corrupteur. Promouvoir l'éducation de la Cité en substituant l'amour de la vérité à la préférence paresseuse pour la vraisemblance, tel est bien, pour Platon, l'enjeu politico-philosophique majeur24. Pour autant, même si, tout particulièrement en démocratie, "il n'est pas nécessaire à l'orateur de connaître ce qui est réellement juste, mais ce qui semble tel, car c'est de la vraisemblance, non de la vérité que sort la persuasion [...]. D'ailleurs, ce n'est pas seulement au tribunal et à l'assemblée du peuple que l'imitation [mimèsis] trouve place, mais dans tous les usages du langage. Il y a donc un art [tekhnè] unique qui s'applique à tout ce qu'on dit, qui rend capable d'imiter [mimèsthaï] n'importe quoi [...], et qui conduit insensiblement les autres, de ressemblance en ressemblance, [...] à louer l'ombre d'un âne sous le nom de"cheval""(Platon, Phèdre, 260a-262b), à aucun moment, la sincérité du rhéteur, son équilibre psychologique ou son intégrité morale, n'est mise en cause : ce n'est pas par hasard que Platon choisit, dans le Gorgias, de donner l'exemple symbolique du rhéteur qui sauve le malade là où la vérité de l'homme de l'art se révèle impuissante à le convaincre de se laisser opérer. Platon va même jusqu'à suggérer qu'une fois le pouvoir politique confié au philosophe-roi, celui-ci, tout en étant (par hypothèse) guidé par la Vérité, ne pourra néanmoins s'empêcher d'y faire quelques entorses, par exemple lorsqu'il s'agira de préserver la paix sociale en justifiant les inégalités par quelques artifices rhétoriques : "vous êtes tous frères, dirons-nous, [...] mais le dieu qui vous a formés a fait entrer de l’or dans la composition de ceux d’entre nous qui sont capables de commander, de l’argent dans la composition des gardiens, du fer et de l’airain dans celle des laboureurs et des autres artisans"(Platon, République, III, 415a). Bref, pour Platon, l'alternative, lorsqu'il s'agit de gouverner la Cité, c'est : ou bien gouverner en ayant le souci de la Vérité, quitte à utiliser la rhétorique dans des circonstances exceptionnelles, ou bien gouverner sans ce souci et, donc, en utilisant la rhétorique par défaut de connaissance de la Vérité. Mais jamais Platon ne pose le problème politique en termes de sincérité ou de véracité des gouvernants. Ni lui ni les philosophes qui lui ont succédé comme penseurs du politique (Aristote, Bodin, Machiavel, Hobbes, Spinoza, Rousseau, Marx, Nietzsche, pour ne citer que les plus importants) ne se sont intéressés à la moralité, encore moins à la psychologie des gouvernants. Pour eux, seul importait leur efficacité, c'est-à-dire leur capacité à utiliser un langage d'autorité dans le but de promouvoir et développer ce qu'ils ont considéré comme le "souverain Bien" : pour les uns, ce fut l'ordre naturel, pour d'autres la liberté, pour d'autres encore l'égalité. Et lorsque Machiavel déclare qu'"un prince doit s'efforcer de se faire une réputation de bonté, de clémence, de piété, de fidélité à ses engagements, et de justice ; il doit avoir toutes ces bonnes qualités mais rester assez maître de soi pour en déployer de contraires, lorsque cela est expédient. Je pose en fait qu'un prince, et surtout un prince nouveau, ne peut exercer impunément toutes les vertus, parce que l'intérêt de sa conservation l'oblige souvent à violer les lois de l'humanité, de la charité et de la religion"(Machiavel, le Prince, xviii), il ne fait nullement l'éloge de l'hypocrisie politique, mais plutôt celui de l'efficacité politique du Prince qui se montre apte à choisir les moyens les plus efficaces de maintenir la paix civile dans un contexte incertain25 et sur lequel est implicitement requise la connaissance de la vérité26. Pour Machiavel, comme pour Platon, le gouvernement politique est une sorte d'art, de tekhnè, autrement dit une activité dont le talent spécifique (la virtù) consiste, comme pour tout autre tekhnè, dans le choix pertinent des moyens au moment opportun27 (la fortuna), la fin ("le souverain Bien") étant supposée déjà connue dans sa vérité : "nous ne délibérons pas tellement sur le but que nous nous proposons, c’est plutôt sur les moyens qui doivent nous y conduire"(Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 1112b). Dans tous les cas, la différence entre le bon et le mauvais artisan, ce n'est pas que l'un est sincère et l'autre non, mais plutôt que l'un est efficace et l'autre non. Et, pour tous ces philosophes, il ne fait aucun doute que l'artisan qui connaît (la vérité sur) les moyens d'atteindre une fin nécessaire (nécessairement vraie) maximise son efficacité.
Ce n'est qu'à partir de l'invention des sciences de l'homme que l'on va commencer à s'interroger, non plus tant sur l'efficacité des dirigeants de la Cité que sur leurs motivations. Si Durkheim, fonde la sociologie descriptive en postulant que "la première règle est de considérer les faits sociaux comme des choses"(Durkheim, les Règles de la Méthode Sociologique) en restant fidèle au paradigme épistémique d'une science comme connaissance objective28, en revanche, à peu près à la même époque, Weber jette les bases d'une sociologie compréhensive en "appel[ant] sociologie une science qui se propose de comprendre par interprétation l'action sociale [...]. Nous entendons par action un comportement humain quand et pour autant que l'agent lui communique un sens subjectif [...]. La conduite de la vie, partout où elle a été rationalisée, a vu son évolution profondément modifiée par ce sens subjectif"(Weber, Sociologie des Religions). D'où la préoccupation interprétative29 constante de Weber pour le "sens subjectif" que les agents sont censés donner à leurs actions dans les domaines de la religion, de l'économie et de la politique. S'agissant des motivations de qui exerce la direction de la Cité, Weber part du constat que, contrairement à ce qu'ont pu penser Platon, Machiavel, Rousseau, Hegel ou Marx, il n'existe vraisemblablement pas de fin nécessaire qui pourrait constituer l'horizon indépassable de l'action politique en général30. En revanche, il pense, au rebours d'Aristote, que c'est plutôt le moyen de gouverner qui est nécessaire et, partant, soustrait à la délibération, la fin devenant contingente : "il n’existe presque aucune tâche dont ne se soit occupé un jour un groupement politique quelconque, mais, d’un autre côté, il n’existe pas non plus de tâches dont on puisse dire qu’elles aient de tout temps, du moins exclusivement, appartenu en propre aux groupements politiques que nous appelons aujourd’hui États ou qui ont été historiquement les précurseurs de l’État moderne. Celui-ci ne se laisse définir que par le moyen spécifique qui lui est propre, ainsi qu’à tout autre groupement politique, à savoir la violence physique"(Weber, le Savant et le Politique, ii). D'où la définition qu'il donne de l'activité spécifiquement politique : "lorsqu’on dit d’une question qu’elle est politique, il faut entendre par là que les intérêts de la répartition, de la conservation ou du transfert du pouvoir sont déterminants [...]. Tout homme qui fait de la politique aspire à la domination"(Weber, le Savant et le Politique, ii). On pourrait dire que l'usage de la violence ne peut avoir d'autre fin, pour qui l'utilise, que de dominer celui ou celle à qui cette violence s'adresse en s'en faisant obéir31, pratiquer la politique dans le cadre du pouvoir d'État consiste toujours, d'une manière ou d'une autre, la recherche de la position dominante comme motivation dernière. Mais ce serait ignorer l'objection rousseauïenne selon laquelle une position dominante étant toujours, par définition, précaire et révocable32, il importe que la domination à laquelle aspire le dirigeant politique soit une domination légitime. Dès lors, loin de se caractériser par la connaissance d'une fin nécessaire, le pouvoir d'État consiste bien plutôt en un désir confus de "dominer l’homme par l’homme au moyen de la violence légitime"(Weber, le Savant et le Politique, ii), la légitimité de la domination violente se substituant désormais à sa nécessité. En quoi consiste alors cette légitimité ? Weber remarque qu'"il existe trois types de domination légitime : la domination rationnelle, qui repose sur la croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives […] ; la domination traditionnelle, qui repose sur la croyance quotidienne en la sainteté de traditions valables en tout temps […] ; la domination charismatique repose sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d’une personne"(Weber, Économie et Société). Dans tous les cas, la légitimité consiste en ce que "le commandement est alors émis non pas au nom d’une autorité personnelle, mais au nom d’une norme impersonnelle, valide sur un territoire donné, de sorte que l’on obéit à une norme et non plus à un homme"(Weber, Sociologie des Religions). En ce sens, "l’État moderne est un groupement de domination de caractère légal-rationnel33 qui cherche avec succès à monopoliser, dans les limites d’un territoire, la violence physique légitime"(Weber, le Savant et le Politique, ii). À la limite, même, "le fait de se présenter comme le “serviteur” de ceux qu’on domine, n’est nullement une preuve contre le caractère de domination"(Weber, Économie et Société). La nouveauté du regard wéberien sur le "sens subjectif" que le dirigeant politique donne à son action ne peut s'exprimer plus clairement qu'ici : Weber craint que même les "grands commis de l'État", les "grands serviteurs du genre humain", ceux qui, par hypothèse, sont naturellement "au-dessus de tout soupçon" puissent, néanmoins, difficilement se soustraire à l'accusation de vouloir, obscurément et confusément, dominer leurs semblables.
L'approche "compréhensive" de la sociologie de Weber, tout particulièrement en ce qui concerne le domaine politique, s'inscrit donc dans un courant de critique historique et psychologique généralisée des motivations des agents sociaux, courant inauguré avant lui par Marx et par Freud et qui considère, grosso modo, que les individus font rarement ce qu'ils ont conscience de faire, notamment lorsqu'ils parlent34. Marx a, le premier, exclu toute possibilité d'indépendance de la conscience à l'égard des conditions socio-historiques de son émergence, ce que résume la formule bien connue : "ce n’est pas la conscience qui détermine l’existence, c’est l’existence sociale qui détermine la conscience"(Marx-Engels, l'Idéologie Allemande). En ce sens, on peut considérer que la conscience qu'ont les dirigeants politiques de se mettre au service de leurs semblables est toujours déjà faussée par l'infrastructure économique qui n'autorise jamais que la production des idées compatibles avec l'existence et la survie d'une telle infrastructure, de sorte que, si celle-ci est inégalitaire, alors, nécessairement, la superstructure le sera aussi35 et les motivations de ses membres (le "personnel politique") seront, plus ou moins consciemment, intéressées à la perpétuation de cette infrastructure inégalitaire dont le pouvoir politique apparaîtra, à juste titre, comme un bon exemple : "à toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes : les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes. [Il s'ensuit que] les idées dominantes sont proclamées seules raisonnables, seules qui aient une valeur universelle. [En particulier] toute classe qui aspire à la domination [...] doit conquérir le pouvoir politique pour présenter son intérêt propre comme étant l’intérêt général"(Marx-Engels, Idéologie Allemande). A contrario, seule une infrastructure économique égalitaire (c'est-à-dire, pour Marx ou Engels, communiste) peut engendrer de véritables liens de fraternité désintéressée entre les hommes. Les objections à Marx ont immédiatement pris deux directions contradictoires : d'une part on lui a reproché un pessimisme fondé sur un économisme étroit et réductionniste, d'autre part, au contraire, un excès ... d'optimisme. Ce dernier point de vue, Freud l'a exprimé sans détour : "les communistes croient avoir trouvé la voie pour nous délivrer du mal : [...] si l’on supprime la propriété privée, si l’on met en commun tous les biens36 et si l’on fait participer tous les hommes à leur jouissance, la malveillance et l’hostilité disparaîtront d’entre les hommes [...]. Or, si l’on fait disparaître le droit individuel à des biens matériels, il reste encore le privilège venant des relations sexuelles, qui doit nécessairement devenir la source de l’envie la plus forte et de l’hostilité la plus véhémente entre les hommes, mis par ailleurs sur un pied d’égalité"(Freud, Malaise dans la Culture, v). Freud, tout comme Marx d'ailleurs37, considère en effet, que la pulsion de domination la plus fondamentalement ancrée dans le psychisme humain est la pulsion sexuelle. Mais, contrairement à lui, il considère que les autres formes de domination ne sont que des transformations symboliques, des sublimations38 commandées par le principe de plaisir39 de cette pulsion fondamentale refoulée40, c'est-à-dire domptée, par l'éducation. De ce point de vue, la nature du pouvoir politique est un exemple typique de sublimation d'un refoulement sous les auspices du principe de plaisir : "une tendance apparaît : celle de mettre à part du moi tout ce qui peut devenir source de déplaisir, de le jeter à l’extérieur, de former un moi-plaisir pur auquel s’oppose un dehors étranger et menaçant [...]. Si l'État interdit à l'individu le recours à l'injustice, ce n'est pas parce qu'il veut supprimer l'injustice, mais parce qu'il veut monopoliser ce recours, comme il monopolise le sel et le tabac"(Freud, Malaise dans la Culture). Sur ce dernier point, la motivation politique chez Freud rejoint la motivation économique chez Marx : "le développement du capitalisme a pour point de départ l’expropriation du producteur par rapport à ses moyens de production [...] : par contrat, celui-ci renonce alors à la propriété sur son propre produit"(Marx, le Capital, I, xxvi). L'un comme l'autre conçoivent le pouvoir en général comme le résultat d'un rapport de force. Lorsque Weber écrit que "le développement de l’État moderne a pour point de départ la volonté du souverain d’exproprier tous les autres pouvoirs de leur droit à s’imposer eux-mêmes par la violence"(Weber, le Savant et le Politique, ii), on voit donc bien à quel point il est l'héritier, tout à la fois, de Marx et de Freud, tout au moins sur le plan lexical. Le caractère psychanalytique de sa conception de la "vocation (Beruf) politique" est particulièrement frappant : "une vocation est tout cet arrière-plan d’idées qui consiste à considérer une activité comme une obligation"(Weber, l’Éthique Protestante et l’Esprit du Capitalisme). Celui qui se sent une "vocation politique" considère, en quelque sorte, qu'il répond à un appel impérieux, exactement de la même manière que le mystique religieux : "l’une des composantes majeures de l’esprit du capitalisme moderne, à savoir la conduite rationnelle de la vie fondée sur l’idée de vocation professionnelle est issue de l’esprit de l’ascèse chrétienne"(Weber, l’Éthique Protestante et l’Esprit du Capitalisme). La "vocation politique" wébérienne, celle qui consiste, rappelons-le à désirer, sans forcément s'en rendre compte, dominer son semblable, est donc intimement liée au contexte économique, comme chez Marx41, et au contexte religieux, comme chez Freud42. Dès lors, la méthodologie "compréhensive" ou interprétative qu'adopte Weber dans l'analyse, en particulier, de la motivation politique emprunte autant à l'historicisme de l'un qu'au psychologisme de l'autre : "ce sont les intérêts (matériels ou symboliques) et non les idées qui gouvernent directement l’action des hommes, même si les images du monde qui ont été créées par le moyen des idées ont souvent joué le rôle d’aiguilleurs en déterminant les voies à l’intérieur desquelles la dynamique de nos intérêts a été le moteur de l’action"(Weber, Sociologie des Religions). "Le moteur de l’action", dit-il, est l'effet conjugué des "intérêts (matériels ou symboliques)" et des "images du monde qui ont été créées par le moyen des idées". Donc, même si la "vocation politique" ne procède plus, comme dans la pensée politique antique et classique, de la seule volonté de savoir ce qui est le meilleur possible pour la Cité, mais d'un désir plus ou moins inavouable de dominer son prochain, néanmoins, précise Weber sans ambiguïté, "reconnaître que l’observation des faits, le constat de réalités mathématiques ou logiques ou la description de la structure interne de biens culturels, d’une part, et, d’autre part, la formulation d’une réponse à la question de la valeur de la culture et de chacun des contenus qui sont les siens, ainsi qu’à la question de savoir quel type d’action on doit adopter au sein de la communauté culturelle et des groupements politiques, constituent deux ordres de problèmes absolument hétérogènes"(Weber, le Savant et le Politique, i). Comme l'indique le titre de l'ouvrage, le "savant" est, en droit sinon en fait, indépendant du "politique". Il existe ou, en tout cas, il doit exister, une "neutralité axiologique" (Wertfreiheit) du premier par rapport au second. Bref, l'émergence des sciences de l'homme, dans le sillage des philosophies dites "du soupçon", inclinent fort à douter du désintéressement du dirigeant politique et à présumer chez lui des motivations psychologiques inavouables. Est-ce à dire que là réside l'origine et le fondement de cette défiance généralisée à l'égard de la vérité et de la véracité, problème prétendument caractéristique de notre époque ?
(à suivre dans ...)
1Improbable métaplasme sur l'anglais (Great)-Britain et le latin exitus, "sortie" mais aussi ... trépas. Comme si "sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne" et ses traductions en langues vernaculaires exigeaient un effort d'écriture, de lecture et de compréhension incompatible avec les capacités intellectuelles moyennes de l'être humain.
2Texte consultable sur le site du Guardian.
3Texte
consultable sur le
site d'ACRIMED.
4C'est
la raison pour laquelle "attribuer
la vérité à l’énoncé, c’est attribuer la blancheur à la
neige ; l’attribution de vérité se borne à effacer les
guillemets : la vérité c’est la décitation
[disquotation]"(Quine,
la
Poursuite de la Vérité,
§33)
: dire "il est vrai
que
p" (il est vrai
que
la neige est blanche), c'est affirmer p
("la
neige est blanche") ; dire "il
est faux
que p"
(il est faux
que Desdémone
aime Cassio), c'est nier p
("Desdémone
n'aime pas Cassio).
5Le terme allemand Bild est parfois traduit aussi par "tableau" ou, le plus souvent, par "image". Nous garderons "représentation" pour ne pas interférer avec les connotations plus subjectives ou psychologiques que véhicule le terme "image".
5Le terme allemand Bild est parfois traduit aussi par "tableau" ou, le plus souvent, par "image". Nous garderons "représentation" pour ne pas interférer avec les connotations plus subjectives ou psychologiques que véhicule le terme "image".
6Ce
que Wittgenstein appelle aussi "être doué de
sens"
(sinnvoll)
: "la
proposition montre son sens. La proposition montre ce qu'il en est
des états de choses quand elle est vraie. Et elle dit qu'il en est
ainsi [der
Satz zeigt seinen Sinn. Der Satz zeigt, wie es sich verhält, wenn
er wahr ist. Und er sagt, dass es sich so verhält]"(Wittgenstein,
Tractatus,
4.022).
7Ce
sera, par exemple, Dieu ou la Nature chez Spinoza, l'Esprit Absolu
chez Hegel ou le schème conceptuel chez Quine. Raison pour laquelle
la vérité logivo-mathématique
est longtemps restée le paradigme de la Vérité en général.
Jusqu'aux théorèmes de Gödel, en effet, non seulement toute
proposition formellement démontrable
(c'est-à-dire dérivable à partir de définitions,
d'axiomes, d'un
lexique et de règles
d'inférence donnés a
priori) était, ipso
facto, réputée Vraie,
mais, réciproquement (en tout cas dans les corpus dont
la cohérence consistait
à être des systèmes formels, consistants, décidables et capable
d'englober l'arithmétique de Peano) toute proposition Vraie
était réputée formellement
démontrable. Les théorèmes
de Gödel ont invalidé cette réciproque.
8"Quant
à ce qui constitue la forme du vrai, il est certain que la pensée
vraie ne se distingue pas seulement de la fausse par une
dénomination extrinsèque, mais surtout par une dénomination
intrinsèque"(Spinoza, Traité de la Réforme de
l'Entendement, §69),
laquelle est conçue, idéalement, sur le modèle de la
démonstration mathématique :
"les
yeux de l’esprit par lesquels il voit et observe les choses, ce
sont les démonstrations elles-mêmes"(Spinoza,
Éthique,
V, 23).
9"L'opinion
envisage l'opposition du vrai et du faux d'une façon rigide ;
ainsi, d'un système de philosophie donné, elle a coutume
d'attendre ou un accord ou une contradiction, et, dans une
explication sur un tel système, de ne voir que l'un ou l'autre.
Elle ne conçoit pas la diversité des systèmes philosophiques
comme le développement [die
Entwicklung]
progressif de la vérité, mais, dans la diversité, elle voit
seulement la contradiction. Le bouton disparaît dans l'éclosion de
la fleur, et on pourrait dire que le bouton est réfuté par la
fleur. De même, par le fruit, la fleur est dénoncée [erklärt]
comme un faux être-là [ein
falsches Dasein]
de la plante ; et le fruit prend la place de la fleur comme sa
vérité. Ces formes ne sont pas seulement différentes, mais encore
elles se refoulent comme mutuellement incompatibles. Mais leur
nature fluide [ihre
flüssige Natur]
en fait en même temps des moments de l'unité organique dans
laquelle elles ne s'opposent pas seulement, mais dans laquelle l'une
est aussi nécessaire que l'autre et cette égale nécessité
constitue seule la vie du Tout"(Hegel,
Phénoménologie
de l’Esprit,
préf., i).
10Même
si Quine se dit "empiriste non-dogmatique" en ce que "la
totalité de notre savoir ou de nos croyances, des faits les plus
anecdotiques aux lois les plus profondes de la physique ou même des
mathématiques et de la logique, est une étoffe tissée par l’homme
et dont le contact avec l’expérience sensible ne se fait qu’à
la marge"(Quine,
d’un
Point de Vue Logique,
ii, 2), il
reste que, pour lui, "on
peut toujours préserver la vérité de n’importe quel énoncé à
condition d’effectuer les réajustements qui s’imposent [...].
Les objets physiques et les dieux ne trouvent place dans notre
conception que pour autant qu’ils sont culturellement
postulés"(Quine,
les
deux Dogmes de l’Empirisme,
vi).
11"Je
pensai qu'il fallait [...] que je rejetasse, comme absolument faux
tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir
s'il ne resterait point, après cela, quelque chose dans mes
croyances qui soit entièrement indubitable. [...] Après cela, je
considérai en général ce qui est requis à une proposition pour
être vraie et certaine. [...] Je jugeai que je pouvais prendre pour
règle générale que les choses que nous concevons fort clairement
et fort distinctement sont toutes vraies"(Descartes,
Discours
de la Méthode,
IV).
12"Qui
a une idée vraie sait en même temps qu’il a une idée vraie, et
ne peut douter de la vérité de la chose [...]. Celui qui a une
idée adéquate, autrement dit celui qui connaît une chose
vraiment, doit en même temps avoir une idée adéquate, autrement
dit une connaissance vraie, de sa connaissance [...]. Car qui a une
idée vraie n’ignore pas qu’une idée vraie enveloppe la
certitude la plus haute"(Spinoza,
Éthique,
II, 43).
13"Je
sens que la lumière se répand
dans mon esprit à proportion que je la désire, et que je fais pour
cela un
certain effort que j’appelle attention
[...]. L'attention
est une prière
naturelle que nous faisons à la vérité intérieure afin qu'elle
se découvre à nous"(Malebranche,
Méditations
Chrétiennes,
i, 2).
14"Le
mot "vrai" désigne tout ce qui se constate comme bon sous
la forme d'une croyance et comme bon, en outre, pour des raisons
définies susceptibles d'être spécifiées"(James,
Pragmatism).
15Et,
pourrait-on ajouter, le plus valorisé par
les politiciens et les media :
aujourd'hui, dire de quelqu'un qu'il est "pragmatique",
c'est indiscutablement lui décerner des éloges de probité
intellectuelle !
17On
ajoutera que la présomption juridique d'innocence
n'implique pas non plus la
présomption morale
d'innocence. La première m'interdit de vous condamner
matériellement avant jugement
en bonne et due forme. La seconde, en revanche, m'interdirait, à
titre privé, d'évaluer votre comportement, ce qui est, de fait,
presque impossible à réaliser et, surtout, presque impossible à
contrôler.
18"Sous
réserve de l'exigence de motivation de la décision, la loi ne
demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour
d'assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne
leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire
particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une
preuve. [...] La loi ne leur fait que cette seule question, qui
renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une
intime conviction ?""(Code de Procédure Pénale,
art. 353).
19Si l'interrogation
sur la
véracité
d'un locuteur commence
toujours,
par un soupçon
inargumentable
et irrécusable portant
sur sa moralité ou sa psychologie, l'exemple de ce qu'il est
convenu d'appeler, d'ailleurs improprement, "les philosophies
du soupçon"
(Marx, Nietzsche, Freud), relève, en revanche, comme toute entreprise philosophique, de
la vérité
comme cohérence (vérité2), donc d'une présomption dont la force
critique repose sur ce qu'elles ne substituent pas la vérité2
à la vérité1
mais, au contraire, l'en
font
dériver.
20Il
est sans doute assez significatif que les ventes aux États-Unis de
1984 n'ont
jamais été aussi importantes que depuis l'élection de Donald
Trump !
21Après
que
la
Cité d'Athènes a atteint son apogée durant le règne de Périclès
à la fin du V° et au début du IV° siècles av.J-C, la guerre du
Péloponnèse (431-404) va peu à peu émousser l'hégémonie
athénienne, pour aboutir finalement à la soumission à Sparte.
Bien que les premières années de la guerre fussent avantageuses
pour Athènes (la paix dite de Nicias en 421 confirme la supériorité
d'Athènes),
l'expédition
de Sicile conduite par Alcibiade s'avère être un désastre et, dès
412, un premier mouvement séditieux (le gouvernement dit des Quatre
Cents)
suspend la constitution démocratique de Clisthène. Même si
l'oligarchie autoritaire est chassée et la démocratie restaurée
dès 411, la crédibilité de celle-ci est fortement entamée aux
yeux de certains athéniens.
22D'où,
bien entendu l'assimilation platonicienne du poète et du rhéteur
dans une même opprobre : "si
donc un homme en apparence capable, par son habileté, de prendre
toutes les formes et de tout imiter, venait dans notre Cité pour
s’y produire, lui et ses poèmes, nous le saluerions bien bas
comme un être sacré, étonnant, agréable. Mais nous lui dirions
qu’il n’y a point d’homme comme lui dans la Cité et qu’il
ne peut y en avoir. Puis nous l’enverrions dans une autre Cité
après avoir versé la myrrhe sur sa tête et l’avoir couronné de
bandelettes"(Platon,
République,
III, 398b).
23En
-406,
une bataille navale mettant aux prises, au large des îles
Arginuses, Athènes et Sparte voit la défaite de celle-ci mais, au
retour, les stratèges
athéniens,
au lieu d'être acclamés par l'Ekklèsia,
sont au contraire condamnés à mort pour n'avoir pas pris soin des
marins tombés au combat. Ce qui n'empêche pas l'assemblée
populaire, sans doute prise de remords, de réhabiliter
officiellement lesdits stratèges peut de temps après leur
exécution ! Si l'on en croit Xénophon, un certain Socrate qui se
trouve exercer les fonctions de prytane
au
moment de cette lamentable affaire, aurait été fortement
impressionné par ce qu'il aurait considéré comme une inévitable
dérive d'un système démocratique contre lequel il nourrissait
déjà quelque méfiance.
24Si
Platon avait eu
connaissance du Préambule de la D.D.H.C.
de 1789,
notamment du passage qui proclame que "l'ignorance,
l'oubli ou le mépris des Droits de l'Homme sont les seules causes
des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements",
il aurait probablement réagi en disant que la Vérité
est
le
premier des Droits de l'Homme.
25L’Italie
est à l’époque un pays morcelé, et ses cités autonomes sont
régulièrement victimes d’invasions étrangères – quand
elles ne se font pas la guerre entre elles. Le XV° siècle
florentin est émaillé de turbulences : son régime
républicain est à l’agonie depuis que la puissante famille de
Médicis en a pris le contrôle en 1434 ; leur règne est jalonné
de conjurations, de soulèvements populaires et de coups d’État.
Dans ce contexte agité, la personnalité
de César Borgia, duc de Romagne qui réclame une alliance avec
Florence va faire une forte
impression sur le jeune diplomate
florentin Niccolò Machiavelli,
notamment en ce qui concerne le dosage de la cruauté et de la
magnanimité. La figure paradigmatique du "Prince"
s'inspire manifestement de la pratique politique de César Borgia.
26On
est donc très loin, en particulier, de la conception pragmatiste
de la vérité que
William James n'hésite pas, rappelons-le, à qualifier d'"idole
parfaite de l'esprit rationaliste"(in
Pragmatism).
27Le
kaïros aristotélicien.
28Avec,
toutefois, une conception holiste
de
la vérité
comme
cohérence
(vérité2).
Lorsqu'il dit, en effet, que "la
plupart de nos idées, de nos tendances ne sont pas élaborées par
chacun d'entre nous, mais sont des manières d'agir, de penser, de
sentir, qui s’imposent à l'individu. [C’est] la statistique qui
nous fournit le moyen de les isoler"(Durkheim,
les
Règles de la Méthode Sociologique),
il rejoint Quine pour qui "nos
énoncés sur la réalité extérieure affrontent le tribunal de
l’expérience non pas individuellement mais comme un corps
organisé"(Quine,
Méthodes
de Logique,
intro.).
En ce sens, la vérité
de
la sociologie durkheimienne est donc, typiquement, une
vérité-cohérence
ou
vérité2.
29La
sociologie
wébérienne mêle donc explicitement vérité-certitude
(vérité3) et vérité-cohérence ( (vérité2).
30D'ailleurs les profondes divergences qui séparent ces penseurs "classiques" du politique sont déjà, par elles-mêmes, une preuve de cette absence. Cf. l'État supprime-t-il ou utilise-t-il la Violence ?
30D'ailleurs les profondes divergences qui séparent ces penseurs "classiques" du politique sont déjà, par elles-mêmes, une preuve de cette absence. Cf. l'État supprime-t-il ou utilise-t-il la Violence ?
31"La
domination, c’est la chance pour des ordres donnés de trouver
obéissance"(Weber,
Économie
et Société).
32"Le
plus fort n’est jamais assez fort pour être le maître s’il ne
transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. [...]
Convenons donc que force ne fait pas droit et qu’on n’est obligé
d’obéir qu’aux puissances légitimes"(Rousseau,
du
Contrat Social,
I, 3).
33Même
si, au regard des actuelles campagnes électorales dans les régions
du monde où est censée, pourtant, être née cette
"légal-rationnalité", on serait plutôt tenté d'y voir
un retour à la "domination traditionnelle" ou à la
"domination charismatique".
34Déjà
Kant avait
exprimé
des réserves quant à la possibilité pour un agent quelconque
d'agir moralement
:
"une
action accomplie par devoir doit exclure complètement. [Le
problème] est qu’on ne peut citer avec certitude un seul cas où
une action conforme au devoir ait uniquement reposé sur la seule
représentation du devoir"(Kant,
Fondements
de la Métaphysique des Mœurs,
IV, 407).
35"Les
hommes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils se
mettent à produire leurs moyens d’existence […] ; la
production des idées, des représentations, de la conscience, est
ensuite directement mêlée à leurs relations matérielles […] et
à la division du travail qui y correspond. [Celle-ci] n’acquiert
son caractère définitif que lorsqu’intervient une division du
travail matériel et du travail intellectuel […] impliquant une
répartition du travail et de ses produits, inégale en quantité
comme en qualité […]. D'où l’existence de classes sociales
dont l’une domine l’autre"(Marx-Engels,
l’Idéologie
Allemande).
36Freud
confond manifestement Marx avec Rousseau : pour celui-ci, c'est la
propriété privée qui, effectivement, est la source de tous les
maux de nos sociétés historiques, tandis que pour celui-là, c'est
la propriété privée des moyens de production.
Ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Mais, cette réserve
faite, le propos de Freud garde la même pertinence.
37"La
première forme de propriété se trouve dans la famille où la
femme et les enfants sont les esclaves de l’homme"(Marx,
l’Idéologie
Allemande).
38"Nous
donnons à certaines modifications du but, à certaines
substitutions d’objets dans lesquelles notre valeur sociale entre
en ligne de compte, le nom de sublimation"(Freud,
Nouvelles
Conférences sur la Psychanalyse).
39"Le
ça
[l'inconscient] est la partie obscure de notre personnalité, et le
peu que nous en savons, nous l’avons appris en étudiant
l’élaboration du rêve et la formation du symptôme névrotique
[…]. Le ça
tend seulement à satisfaire les besoins pulsionnels, en se
conformant au principe de plaisir. Les processus qui s’y déroulent
n’obéissent pas aux lois logiques de la pensée : pour eux, le
principe de contradiction n’existe pas"(Freud,
Nouvelles
Conférences sur la Psychanalyse).
40"À
l'état dans lequel se trouvent ces représentations avant qu'elles
soient amenées à la conscience nous avons donné le nom de
refoulement. [...]
Ce
qui est refoulé est pour nous le prototype de l'inconscient"(Freud,
Essais
de Psychanalyse,
III).
41"L’enrichissement
capitaliste a pour effet le pourrissement passif des couches les
plus basses de la société"(Marx,
Manifeste
Communiste de
1848,
i).
42"Si
l’homme en cours de croissance remarque qu’il est voué à
rester toujours un enfant, qu’il ne peut se passer de protection
contre les surpuissances étrangères, il confère à celles-ci les
traits de la figure paternelle, il se crée des dieux dont il a
peur, qu’il cherche à se gagner et auxquels il transfère
néanmoins le soin de sa protection"(Freud,
l’Avenir
d’une Illusion,
iv).
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