vendredi 17 juin 2016

BAC PHILO 2016 - ELEMENTS DE CORRIGE.

Nota : je n'ai pas la prétention de proposer là un corrigé complet mais juste un aperçu de ce que l'on pouvait (et non devait) faire dans la toute première phase, celle du sujet analysé (cf. III-a1-a2 de la méthodologie). Cet aperçu permet de construire une problématique, sans plus. Inutile, donc, d'ajouter que ces éléments de corrigé ne sont ni suffisants, ni même nécessaires pour obtenir un résultat satisfaisant à l'épreuve que vous avez passée.


SERIE L

 1° sujet Nos convictions morales sont-elles fondées sur l'expérience ?

*Hume définit l'idée comme la copie d'une impression sensible. Aussi, pour lui comme pour tous les empiristes en général, toutes nos idées sont issues de l'expérience. Même nos idées mathématiques. Même notre idée de Dieu. A fortiori nos idées morales. En d'autres termes, si je suis convaincu qu'il faut être bon, c'est que j'ai déjà fait, personnellement, l'expérience sensible de la bonté. Et le fait que j'en sous convaincu prouve que mon existence a été substantiellement modifiée par cette idée. Or Hume appelle "passion" cette modification significative de l'existence. Bref, notre conviction morale n'est pas seulement une idée abstraite mais, surtout, une passion concrète.
*Le problème, c'est que, comme le montre Kant, une telle conception empiriste de la morale est fondamentalement égoïste : il faut que j'aie été touché personnellement par une situation morale quelconque pour être convaincu de sa valeur. Dès lors, les notions morales d'altruisme, de désintéressement, voire de sacrifice de soi, deviennent soit incompréhensibles, soit illusoires. Kant prend l'exemple de la notion de respect d'autrui qui suppose que je considère autrui comme une fin en soi et non comme un moyen de parvenir à mes fins : il est clair qu'une telle notion ne provient pas de l'expérience mais d'une exigence de la raison. Aussi, nous dit Kant, la morale n'est pas la doctrine qui nous enseigne comme être heureux mais plutôt comment être digne de notre bonheur.
*Cela dit, et Kant en convient lui-même, si aucune de nos convictions morales ne découle de l'expérience, alors on ne peut jamais être sûr que mon désintéressement, par exemple, n'est pas, en réalité, inconsciemment intéressé : je sauve une personne de la noyade, non parce que je la considère comme une fin en soi, mais, inconsciemment, pour me prouver que je suis un héros. Freud va même jusqu'à dire que cet exemple n'est pas une exception mais la règle que suit toute notre éducation morale : dans un premier temps, refouler (c'est-à-dire rendre inconscientes) nos expériences qui sont à la fois individuellement plaisantes et socialement condamnables (essentiellement, des expériences sexuelles ou agressives), puis, dans un second temps, sublimer ce refoulement en le transformant en attitudes morales approuvées par la société. Nos convictions morales sont donc indirectement fondées sur l'expérience.


2° sujet : Le désir est-il par nature illimité ?

*Rousseau considère que le désir est limité par nature. L'homme naturel, celui qui ne vit pas encore en société, nous dit-il, ne désire que ce qu'il peut atteindre. Ce qui est hors d'atteinte de ses facultés physiques, mentales et intellectuelles, à l'instar des animaux, il ne peut le désirer. Cet équilibre entre puissance et désir, c'est ce qu'il appelle le bonheur. A contrario, c'est parce que les hommes ont quitté l'état de nature en entrant en société qu'ils désirent parfois, et même souvent, ce qu'ils ne peuvent avoir. D'où un risque de frustration qui, non seulement, nuit à leur bonheur, mais, surtout, conduit à une société inégalitaire dans laquelle les plus faibles travaillent pour satisfaire les désirs potentiellement illimités des plus forts. 
*Le problème est double : d'une part, Rousseau, en définissant le désir comme une sensation de manque,  confond désir et besoin ; d'autre part, il fait l'hypothèse d'un état de nature antérieur à l'état de société. Or, pour Spinoza, se demander si, "par nature", quelque chose existe ou pas, c'est proférer une absurdité : tout ce qui existe, a existé ou existera, s'inscrit dans la Nature. En d'autres termes, la société humaine est une partie de la Nature. Par ailleurs, tout dans la Nature, fait effort pour exister et, si possible même, augmenter sa puissance d'exister. Cet effort en général, il le nomme conatus et le conatus propre aux être humains, il l'appelle le désir. Bref, le désir humain n'est pas un manque, mais tout au contraire cette puissance, nécessairement illimitée, de vivre et de vivre le mieux possible.
*La définition spinozienne du désir pèche cependant par sa trop grande généralité puisque tout comportement humain, en tant qu'expression de la vie, est une manifestation de désir illimité. Girard, s'il refuse avec Spinoza de distinguer un état de nature préalable à l'état social, et s'il admet avec lui que le désir est le propre de l'existence humaine, considère cependant que le désir est toujours mimétique. Cela veut dire que l'on désire toujours ce qu'un autre désire déjà et que l'on prend pour modèle de vie bonne. Dès lors, il y a deux sortes de désirs selon que le modèle à qui on s'identifie est physique ou métaphysique : dans le premier cas, le désir tend vers une limite finie (un homme, un groupe social, etc.), dans le second cas, vers une limite infinie (un dieu, un idéal, etc.), c'est-à-dire une absence de limite.


3° sujet : Texte de Hannah Arendt tiré de Vérité et Politique.

L'histoire est-elle description ou interprétation ? On dit souvent que toute vérité est interprétation, qu'il n'y pas de fait pur, que toute description commence par une sélection arbitraire entre ce qui est vaut la peine d'être décrit et ce qui n'est pas le cas. Si une telle thèse vaut déjà pour les sciences de la nature dont les phénomènes sont pourtant des objets indépendants de nous, combien plus pertinente est-elle pour les sciences historiques dont nous sommes en même temps les sujets observateurs et les objets observés. Cependant, si chaque communauté reste libre effectivement de composer à sa guise le récit mémoriel qu'elle estime refléter sa propre identité, il ne lui appartient pas pour autant de faire abstraction des faits : c'est l'Allemagne qui a envahi la Belgique et pas le contraire ! Les faits historiques sont donc, pour Hannah Arendt, la matière première que l'histoire peut, certes, accommoder, mais, sauf révisionnisme auxquels des falsificateurs nous ont, hélas, habitués, certainement pas créer ni nier.


SERIE S

 1° sujet : Travailler moins, est-ce vivre mieux ?

*Pour Aristote, le travail, c'est-à-dire l'activité de production destinée à satisfaire les besoins vitaux d'une communauté humaine donnée, doit être réservé aux esclaves. Mais ce n'est pas parce que les esclaves sont méprisables que le travail leur est dévolu. C'est, au contraire parce qu'ils sont considérés comme des instruments de production qu'ils sont méprisés. Car en effet, seule la vie  débarrassée de tout souci d'avoir à subvenir à ses besoins biologiques de base est réputée authentiquement humaine. Le citoyen ainsi libéré du travail peut s'adonner, non pas à la paresse, mais au loisir, c'est-à-dire à l'activité théorétique (science, philosophie) et à l'activité politique. C'est à cette condition que l'homme peut réaliser sa nature d'animal politique, autrement dit de vivre le mieux possible là où les autres animaux sont réduits à survivre.
*Cependant, on voit tout de suite que défendre un tel point de vue revient à défendre, en fait, un modèle de société inégalitaire dans laquelle les uns travaillent pour que les autres puissent vivre. Ce qui est le cas de la société grecque antique mais, tout autant, de la société capitaliste actuelle dans laquelle, nous dit Marx, la bourgeoisie exploite la force de travail du prolétariat en l'achetant le moins cher possible (sous forme d'un salaire), exactement comme n'importe quelle machine. Toutefois, ajoute Marx, dans la société capitaliste, il y a un statut encore moins enviable que celui du prolétaire-esclave : c'est celui du chômeur, partiel ou total, c'est-à-dire de celui qui, ne travaillant plus suffisamment, voire plus du tout, se voit priver de tout moyen d'existence dans un système socio-économique ou tout s'achète.
*Hannah Arendt est la première à regretter que la société capitaliste ne propose au travailleur  qu'une seule alternative : la consommation comme seule récompense de son effort de production. De sorte que celui qui travaille beaucoup survit, certes, mieux que celui qui est privé, contre son gré, de son travail, mais il ne vit pas mieux pour autant. C'est que, pour Arendt (comme pour Aristote), ce n'est pas le travail productif qui assure une vie bonne, mais l'oeuvre (c'est-à-dire la participation à des institutions culturelles qui assurent la pérennité du monde commun), et l'action (autrement dit la capacité à prendre des initiatives d'intérêt général dignes de s'inscrire dans la mémoire collective). En ce sens, pour vivre mieux, il est effectivement nécessaire de travailler moins pour oeuvrer plus et agir plus.


2° sujet : Faut-il démontrer pour savoir ?

*Contre les sophistes et les rhéteurs qui prétendent savoir et faire savoir à travers l'exploitation des passions humaines diverses et changeantes et sur la base de sensations illusoires et éphémères, Platon préconise un modèle alternatif : celui des philosophes. Platon assigne à ceux-ci, réputés aimer avant tout le spectacle de la vérité, la tâche de partir de prémisses inconditionnelles afin d'en déduire rationnellement toutes les conséquences, ce qui est le propre même de la méthode démonstrative. D'où la devise de l'Académie (l'école ouverte pour les disciples de Platon) : "que nul n'entre ici s'il n'est géomètre". Autrement dit, il s'agit, effectivement, pour les philosophes, de prendre la démonstration mathématique, éternelle et universelle, pour seul modèle de la vérité et du savoir authentiques.
*Le problème, avec le paradigme mathématique de la démarche démonstrative comme seule habilitée à nous délivrer un savoir digne de ce nom, c'est qu'il enferme, d'emblée, la sagesse dans un cadre théorique. Ce qui est très curieux si l'on se souvient que Platon entend confier aux philosophes le gouvernement de la Cité ! Car, nous dit Aristote, la pratique (l'action) ne se déduit pas de la théorie (la réflexion) de sorte que, si la démonstration reste, en effet, pour lui aussi, le seul modèle de connaissance théorique (sophia) valide, en revanche, il n'en va pas du tout de même pour la connaissance pratique (phronèsis). Celle-ci, tout au contraire, nécessite une sagacité qui consiste à s'intéresser au cas particulier et à saisir l'occasion (le kaïros) dans des circonstances bien déterminées. Bref, la sagesse pratique est une forme de connaissance qui ne procède pas de manière démonstrative.
*D'ailleurs, même dans la pure connaissance théorique, il n'est pas du tout certain que la démonstration soit la seule démarche fiable. Pascal fait remarquer que  les démonstrations mathématiques elles-mêmes se fondent toujours sur des prémisses axiomatiques qui sont vraies sans être démontrables. Refuser cette évidence, nous dit Pascal, c'est exiger que toute affirmation soit démontrée, et, comme c'est matériellement impossible (toute proposition Pn devrait se déduire d'une proposition Pn-1 et ainsi de suite à l'infini), c'est la porte ouverte au scepticisme : plus rien n'est vrai, plus rien n'est connu. Voilà pourquoi Pascal souligne que, y compris dans la connaissance théorique la plus rigoureuse, la raison démonstrative s'appuie nécessairement sur des connaissances indémontrables (senties par le coeur, dit-il).


3° sujet : Texte de Machiavel tiré du Prince.

Avons-nous une prise sur le destin et le hasard ? Dans la mesure où il se produit de plus en plus d'événements imprévisibles, on est tenté de conclure que le monde est gouverné par Dieu (le destin) ou par la fortune (le hasard). Et qu'en conséquence c'est peine perdue que de faire effort pour tenter de maîtriser les événements et qu'il est préférable de se laisser aller au fatalisme. Sans nier l'existence du destin ni du hasard, il est possible, néanmoins, de cultiver une vertu particulière qui consiste, non à empêcher la survenance d'événements qui nous dépassent, mais plutôt d'en tirer parti, un peu à la manière dont les ingénieurs n'empêchent pas les crues fluviales mais atténuent pourtant leurs effets dévastateurs en les anticipant afin de construire des ouvrages propres à canaliser les eaux. Car c'est seulement en l'absence de cette vertu que le destin et le hasard est à redouter.


SERIE ES

 1° sujet : Savons-nous toujours ce que nous désirons ?

*Pour Spinoza, le désir est l'expression proprement humaine du conatus, c'est-à-dire de l'effort que fait tout être pour persévérer dans son être. Sans désir, nous ne pourrions même pas exister. Donc, en désirant, nous faisons effort pour acquérir ou conserver ce que nous croyons devoir, sinon augmenter, au moins maintenir notre puissance d'exister, et, a contrario, nous faisons effort pour éviter ou détruire ce que nous croyons devoir, sinon réduire à néant, du moins diminuer notre puissance d'exister. En d'autres termes, désirer, c'est aimer ou haïr quelque chose ou quelqu'un. En ce sens, nous savons, effectivement, ce que nous désirons, même si, précise Spinoza, cette connaissance est souvent le degré le plus faible de la connaissance (ce que Spinoza appelle l'imagination).
*Cela dit, on peut se demander si ce degré minimal de connaissance de l'objet de notre désir mérite toujours d'être qualifié de connaissance. En effet, non seulement notre conscience n'est pas toujours utile à notre désir, mais elle peut même lui être nuisible quand elle s'accompagne de calculs ou de scrupules qui en retardent la satisfaction. Aussi la psychanalyse préfère-t-elle parler de pulsion, c'est-à-dire de la forme instinctive du désir chez tous les êtres vivants. La pulsion est donc, pour Freud, comme pour Spinoza, un désir d'aimer ou de haïr mais sous l'aspect primitif et inconscient de la sexualité et de l'agressivité. De telles pulsions sont d'autant moins conscientes que le psychisme en refoule spontanément certaines manifestations les plus problématiques pour la vie sociale pour, éventuellement, les sublimer ensuite sous la forme d'activités sociales valorisantes et valorisées.
*Toutefois, si tous nos désirs sont réputés originellement inconscients et leur objet soit inconnaissable, soit connaissable uniquement par la psychanalyse, alors que dit-on lorsqu'on dit "je désire a" (où a est un objet quelconque) ? Girard dit que nous savons, certes, que nous désirons a mais nous ne savons presque jamais pourquoi nous le désirons. Or, ce pourquoi nous désirons a, c'est finalement, pour ressembler à quelqu'un, disons b, que nous prenons pour un modèle de vie. En ce sens, lorsque nous désirons a, c'est être b que, finalement, nous désirons. Le mécanisme du désir, nous dit Girard, c'est le mimétisme social et ce mécanisme est largement inconscient. Aussi savons-nous toujours ce que nous désirons avoir (ou ne pas avoir) mais presque jamais ce que nous désirons être (ou ne pas être).


2° sujet : Pourquoi avons-nous intérêt à étudier l'Histoire ?

*A première vue, nous étudions l'histoire comme nous étudions la géographie. C'est-à-dire que, de même que la géographie nous fait connaître comment vivent les hommes dans un autre espace que celui que nous habitons, de même l'histoire nous fait connaître les conditions d'existence des hommes dans un temps autre que celui où nous vivons. En ce sens, l'histoire est un compte-rendu d'expérience que la division sociale du travail met à la portée de tous : des spécialistes (les historiens) ont l'expérience directe d'un certain nombre d'indices (des reliques, des vestiges, des témoignages, des représentations, etc.) qu'ils consignent en des documents qu'ils portent ensuite à la connaissance de ceux qui ne peuvent les percevoir directement. Pour Hume et les empiristes, donc, nous prenons un intérêt tout intellectuel à l'étude de l'histoire comme récit des ressorts réguliers de l'existence humaine.
*Il est toutefois un peu simpliste de croire que la connaissance théorique puisse, à ce point, être déconnectée de la pratique. Car, ce qu'enseigne l'histoire de l'humanité, si on la regarde globalement et non ponctuellement, c'est qu'elle n'est, comme le dit Marx, que l'histoire de la lutte des classes. Cela veut dire que, vers quelque époque que l'on se tourne, on tombe toujours sur des conditions d'existence marquées par l'exploitation d'une classe sociale dominée par une classe sociale dominante et, par conséquent, sur des tensions et des luttes afin, pour les uns, de vivre mieux, et, pour les autres, de conserver leurs privilèges. En ce sens, loin de n'être qu'un récit à prétention intellectuelle, l'histoire est un mouvement qui structure l'existence de toute société humaine. De sorte qu'en l'étudiant, on se prépare soi-même à participer à la lutte des classes.
*Le problème, c'est que, à supposer que l'étude de l'histoire soit nécessaire à l'intégration des individus dans un mouvent social émancipateur ou, au contraire, réactionnaire, il ne suffit, manifestement, pas de savoir ce qu'il faut éviter pour l'éviter, ni de savoir ce qu'il faut faire pour le faire. En revanche, nous dit Hannah Arendt, la connaissance de l'histoire commune nous permet de forger notre identité collective exactement de la même façon qu'une biographie permet de constituer une identité individuelle. De sorte que l'histoire reste, fondamentalement, un récit, mais un récit qui qui a pour fonction d'indiquer aux nouveaux venus dans une communauté donnée (enfants, immigrés) ce qu'il convient de ne pas oublier afin que chacun puisse, à son tour, apporter sa propre contribution au monde commun.


3° sujet : Texte de Descartes tiré des Principes de la Philosophie.

Dans quelle mesure l'erreur est-elle volontaire ? Pour Descartes, l'erreur se définit comme un excès de notre volonté infinie (qui, nous dit-il nous rend en quelque manière semblable à Dieu) sur notre entendement fini. D'où le paradoxe : si on se trompe, si on est trompé, c'est, au fond, qu'on l'a bien voulu. En effet, si personne n'a la volonté explicite de se tromper ou d'être trompé, il se trouve que la plupart d'entre nous donnons néanmoins notre assentiment à des idées qui ne sont ni claires ni distinctes. En d'autres termes, même si nous ne voulons pas expressément nous tromper ou être trompés, nous n'hésitons pas, cependant, à affirmer ce dont nous ne sommes pas certains. Et ce risque inconsidéré, nous dit Descartes, est toujours pris par manque de méthode.


SERIES TECHNOLOGIQUES

1° sujet : Pour être juste, suffit-il d'obéir aux lois ?


*Pour Hobbes, il n'y a pas de justice sans lois positives (c'est-à-dire sans lois juridiques portées à la connaissance de tous). En effet, dans l'état de nature, qui est un état de guerre de chacun contre chacun, règne ce qu'on appelle la "loi de la jungle". Ce qui veut dire que tout être vivant fait tout ce qu'il est en sa puissance physique de faire pour survivre : les plus forts y parviennent, les moins forts périssent. Non seulement il n'y a là aucune injustice, mais, comme le montrera Darwin deux siècles après Hobbes, ce struggle for life permet, en outre, de fortifier l'espèce par sélection naturelle. Pour qu'il y ait injustice, souligne Hobbes, il faut d'une part une société instituée, d'autre part qu'un membre de cette société (donc un être humain) fasse ce qui est interdit ou ne fasse pas ce qui est prescrit par une loi.
*Le problème, c'est que l'obéissance de certains collaborateurs du régime nazi aux lois imposées par ce régime pendant la dernière guerre a été, en général, jugée injuste et condamnée par divers tribunaux après l'abolition desdites lois. Il leur a été reproché de ne pas avoir compris que les lois raciales auxquelles ils ont obéi étaient illégitimes tout en étant formellement légales. Il existe donc, nous dit Rawls, un droit et même un devoir de désobéissance civile pour tout citoyen qui, sans contester l'ensemble du régime politique (et donc entrer en dissidence ou en résistance) constate néanmoins qu'une ou plusieurs loi(s) contrevien(nen)t aux principes deux principes de la justice que sont l'égalité politique de droits pour tous et l'organisation des inégalités économiques au bénéfice des plus faibles.
*Si on peut être injuste en obéissant strictement à la loi, on peut, à l'inverse, être juste en interprétant la loi sans l'appliquer à la lettre. Aristote explique que les seules lois qui se suffisent à elles-mêmes sont les lois scientifiques parce que les phénomènes concernés sont immuables. S'agissant des lois humaines, en revanche, le législateur est dans l'incapacité de prévoir tous les cas de figure et doit donc se résoudre à n'évoquer que les cas les plus fréquents. Dès lors, une application juste de la loi ne consiste pas nécessairement à y obéir aveuglément mais, souvent, à faire appel à un juge afin d'en interpréter le sens, c'est-à-dire se demander si telle loi convient ou non à telle situation qu'elle n'a pourtant pas prévue au départ. Obéir à la loi ne suffit donc pas pour être juste, encore faut-il y obéir équitablement.


2° sujet : Pouvons-nous toujours justifier nos croyances ?

*Il semblerait que ce qui caractérise la croyance, ce soit précisément son irrationalité, autrement dit l'impossibilité qu'il y a à justifier ce que l'on croit. C'est, typiquement, le cas pour les croyances religieuses. Mais c'est le cas pour toute forme de superstition en général : aucune démonstration, aucune preuve, aucune justification d'aucune sorte n'abolira jamais la foi du croyant. Croire, dit Alain, c'est toujours croire sans preuve et c'est même croire contre les preuves. A contrario, on ne commence sérieusement à raisonner, non pas quand on justifie ses croyances, mais quand on les rejette purement et simplement : penser, raisonner, c'est dire non à ses croyances spontanées
*Le problème, rétorquerait Pascal, c'est que rejeter toutes les croyances au nom de leur injustifiabilité, est complètement irrationnel car même la raison démonstrative la plus rigoureuse en oeuvre dans les sciences et les mathématiques, se fonde nécessairement sur des croyances invérifiables : comment "vérifier" qu'il n'y a que trois dimensions dans l'espace euclidien ? En fait, Alain confond justification et vérification : si nos croyances sont, en effet, invérifiables par définition (si elles étaient vérifiables, ce ne seraient plus des croyances), en revanche elles peuvent être justifiées par la fonction qu'elles assument dans notre vie. C'est le cas de la croyance en Dieu qui, nous dit Pascal, nous permet de vivre mieux et de ne pas craindre la mort. C'est aussi le cas des croyances logico-mathématiques qui tiennent le rôle de prémisses indémontrables (les axiomes) pour tout raisonnement.
*Wittgenstein ferait remarquer qu'il y a au moins deux sens distincts du verbe croire dont chacun exige une réponse différente à la question posée. Lorsque l'on croit en quelqu'un (par exemple en Dieu) ou que l'on croit à quelque chose (à la fin du monde), la croyance s'apparente à la foi et est, effectivement invérifiable mais, comme le remarque Pascal, pas forcément injustifiable. En revanche, lorsque l'on croit que quelque chose va arriver, on énonce une possibilité qui peut se réaliser ou non dans le monde réel : on est alors dans le domaine de l'hypothèse. Or, toute forme de connaissance scientifique commence toujours par être un tissu de croyances qui, à la fois, se justifient par l'observation et le raisonnement, et à la fois se vérifient par l'expérimentation.


3° sujet : Texte de Merleau-Ponty tiré de Causeries.

1° - L'auteur du texte s'oppose à l'idée que, dans une oeuvre d'art, on pourrait séparer l'objet de la représentation et la manière de le représenter et défend l'idée que le fond et la forme sont, en l'occurrence, indissociable. Il prend l'exemple de la peinture pour dire que, même lorsque le tableau se veut figuratif, on ne peut comprendre ce qui est montré (par exemple, la montagne Sainte-Victoire) indépendamment de la manière de le montrer (par exemple, le style impressionniste de Cézanne). Et c'est encore plus vrai lorsque le tableau n'est pas figuratif (par exemple une oeuvre abstraite) et que, par définition, il n'existe pas, dans le monde réel, d'objet représenté (quel est l'objet représenté par "le carré blanc sur fond blanc" de Malevitch ?) : là, on est bien obligé d'admettre que tout est dans la manière.

2° -
a - "un spectacle qui se suffit", c'est un spectacle qui n'a besoin de rien d'extérieur à lui-même, notamment d'aucune explication ou commentaire supplémentaires (du genre : "ce tableau représente la montagne Sainte-Victoire"). On pourrait prendre l'exemple de l'oeuvre musicale qui plaît ou qui déplaît par elle-même et non par ce qu'elle serait censée "représenter"
b - "la forme et le fond, ce qu’on dit et la manière dont on le dit ne sauraient exister à part" : il est, par exemple, absurde de dire, en face d'un tableau, "oui, c'est pas mal, on voit bien ce que l'artiste a voulu représenter, mais il aurait pu le peindre autrement, par exemple en mettant ici un peu plus de bleu, etc.". Notons que l'auteur emploie ici le verbe "dire" et non pas "peindre". Que ce soit volontaire ou non de sa part, cela nous permet, en tout cas de comprendre que ce qui vaut pour la peinture vaut aussi pour la littérature.
c - "les meilleures analyses ne peuvent me donner le soupçon de ce qu’est une peinture dont je n’ai jamais vu aucun exemplaire" : on peut faire comprendre à quelqu'un qui ne l'a jamais vue à quoi ressemble la montagne Sainte-Victoire à partir d'une photo ou d'un souvenir personnel. Mais il est quasiment impossible de le faire à partir d'un tableau de Cézanne. Et il est absolument impossible de "décrire" en quoi consiste le "carré blanc sur fond blanc" de Malevitch. Dans les deux cas, le seul moyen de savoir ce qu'il y a dans ces tableaux, c'est d'aller les voir.

3° - Une œuvre d’art a-t-elle pour but de représenter la réalité ?

Platon explique, en prenant l'exemple de l'Iliade d'Homère, que même une oeuvre d'art doit avoir pour fonction de nous instruire sur la réalité, et si ce n'est pas le cas, elle est assimilable aux discours creux et démagogiques des rhéteurs et des sophistes et, à ce titre, non seulement elle ne vaut rien, mais, de plus, elle est nuisible en ce qu'elle nous distrait de la recherche du vrai et, à ce titre, elle est condamnable. Le problème, c'est que, si tel était le cas, il n'y aurait plus, à proprement parler d'oeuvres d'art, mais seulement des documentaires historiques ou scientifiques. Comme le fait remarquer Merleau-Ponty, une oeuvre d'art n'a pas pour fonction de représenter la réalité pour une raison extrêmement simple qui est que matière et forme, objet de la représentation et manière de le représenter y sont indissociables ou, plus exactement, comme le montre l'exemple de la musique, qu'il n'y a pas d'objet de la représentation. On peut quand même se demander d'où nous vient le plaisir esthétique si vraiment l'oeuvre d'art n'a aucun rapport avec la réalité, au moins avec notre réalité subjective à nous. Et en effet, Proust nous explique que si une oeuvre nous touche, c'est toujours parce qu'elle nous révèle à nous-même un aspect de notre personnalité jusque là inconnu et qui consiste en une ou plusieurs expérience(s) marquante(s) que nous avons faite(s), jadis, mais que nous avons oubliée(s) et qui se trouve(nt) ravivée(s) par l'oeuvre d'art (par exemple la littérature et la poésie lorsqu'elles donnent une impression de "déjà vu").

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