L'élection1
d'un ou de plusieurs représentants est indiscutablement l'un des
piliers de nos institutions, de celles que nous avons coutume
d'englober sous le terme générique de "démocratie
représentative". Et, au sein de ces institutions, celles qui
ont pour fonction de déterminer et de conduire des
politiques supra-nationales, nationales ou infra-nationales
apparaissent, à tort ou à raison, comme particulièrement
importantes, de sorte que les élections qui les légitiment sont
censées être des moments paroxystiques de la citoyenneté. C'est
pourquoi le droit civique consistant à élire son ou ses
représentants a, en
principe, valeur constitutionnelle
: "la
Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont
droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à
sa formation"(Déclaration
des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789,
art.6)
; "toute
personne a le droit de prendre part à la direction des affaires
publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de
représentants librement choisis"(Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme de 1948,
art.21).
Il
va de soi que, à peu de choses près, ce genre de formulation se
retrouve,
aujourd'hui,
dans
quasiment tous les systèmes juridiques positifs2
qui, de ce fait, s'autorisent tous, peu ou prou, à se qualifier de
démocratiques, ce qui tend à faire des adjectifs "démocratique"
et "représentatif" des synonymes et de l'expression
"démocratie représentative" un pléonasme.
Du
coup,
si nous nous trouvons dans la situation que décrit Luc Ferry
lorsqu'il dit que "de
fait, nous ne sommes tout simplement plus capables ne serait-ce que
d'imaginer un régime légitime autre que la démocratie. [...]
[Fukuyama]3
suggère que les principes de légitimité auraient tous été plus
ou moins explorés au fil de l'histoire, jusqu'à ce que le plus
conforme aux exigences fondamentales de l’humanité s'impose à
nous4"(Ferry,
l'Anticonformiste),
alors le refus de choisir son ou ses représentants, autrement dit le
refus de participer, en tant que citoyen, à la forme politique la
"plus
conforme aux exigences fondamentales de l’humanité",
ce qu'on a coutume d'appeler l'abstention,
devient
proprement absurde.
Nous essaierons de montrer,
en interrogeant la nature de la relation de représentation
politique, que ladite abstention est, tout au contraire, un phénomène
parfaitement intelligible mais qui a une signification très
différente
selon que la représentation est considérée comme une relation
sémantique (d'un signe vers un objet
extérieur)
ou bien
sémiotique
(d'un
signe vers un système interne de signes).