Dans quelle mesure
la division du travail peut-elle être un facteur de progrès ? D’abord la
division du travail doit-elle forcément être un progrès ? En
réalité, les progrès économiques se sont-ils accompagnés de
progrès sociaux ? Et doit-on considérer la consommation de masse
comme un indice décisif de progrès social ?
I – Le caractère
inégalitaire de la division du travail devrait avoir la prospérité
généralisée pour contrepartie.
a
– dans la division sociale des tâches, la main d’œuvre tend à
être instrumentalisée.
Ce
n’est pas seulement en vue de vivre, mais en vue de vivre bien,
qu’on s’assemble en une Cité (Politique,
1280a). Or le bien-vivre suppose le langage en
vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite, le
juste et l’injuste
(Politique,
1253a), autant de normes qui vont structurer les rapports sociaux
harmonieux et constituer la vie bonne. Donc l’homme est le seul
être capable de vouloir ce qui n’est pas nécessaire à sa survie,
et, parmi les
choses qui peuvent indifféremment être ou ne pas être, il faut
distinguer deux modalités : la production et l’action
(Ethique
à Nicomaque,
1140a). La différence est que le
but de la production est toujours extérieur à la chose produite,
tandis que le but de l’action n’est que l’action elle-même, sa
fin, c’est le bien-être (Ethique
à Nicomaque,
1140a). Mais le but de l’action (vivre bien) n’étant pas
nécessaire, toute action doit
recourir à des moyens appropriés si l’on veut que le but soit
atteint (Politique,
1253b). Or ces moyens n’étant pas non plus nécessaires, il faut
les produire, c’est-à-dire à la fois les faire naître et leur
donner une forme pensée. Dans la mesure où la production donne
naissance à un être contingent, on peut dire que la
matière est à la pensée ce que la femelle est au mâle dans la
reproduction
(de
la Génération et de la Corruption) :
la pensée produit dans la matière comme le mâle dans la femelle.
Mais dans la mesure où la production transforme ce qui existe déjà,
elle nécessite la
main qui est un instrument qui tient lieu d’instruments
(Parties
des Animaux),
c’est-à-dire qui fabrique, manipule et entretient les moyens de
bien vivre qui, sans cela, n’auraient pas d’existence. Aussi
c’est parce
qu’il est intelligent que l’homme a des mains (Parties
des Animaux),
c’est parce que l’homme est capable d’agir, c’est-à-dire
d’envisager le bien-être, qu’il possède ce premier instrument
de production des moyens appropriés à la réalisation de sa
finalité. On voit par là que les
instruments sont soit animés, soit inanimés (Politique,
1253b), l’instrument animé étant celui qui est le plus proche de
l’âme (la main). Or, ce qui vaut dans la nature et dans
l’individu, vaut aussi dans la Cité où l’administration
familiale a pour but de nous procurer les denrées indispensables
sans lesquelles sont impossibles et la vie et la vie heureuse
(Politique,
1253b). C’est pourquoi, là aussi, si
chaque instrument était capable, sur simple injonction, d’accomplir
le travail qui lui est propre, les chefs de famille n’auraient pas
besoin d’esclaves
(Politique,
1253b) : si les chefs de famille ont besoin d’esclaves, c’est
que le bien-être collectif n’étant pas nécessaire, il a besoin
des instruments appropriés à sa production. En particulier,
l’exécutant,
dans les différentes activités, entre dans la catégorie instrument
(Politique,
1253b). En effet, qu’il doive être dirigé par une intelligence
extérieure prouve que c’est un être qui
ne possède pas en lui-même le principe de son propre mouvement
(Physique,
192b), à savoir la capacité à mettre la production au service de
l’action. C’est pourquoi, l’esclave est une
sorte de propriété animée au service d’autrui, comme un
instrument qui tient lieu d’instruments
(Politique,
1253b) : en tant qu’instrument, il est voué à produire et
non à agir, et, à ce titre, il appartient à celui qui, par la
violence, lui communique le mouvement productif qu’il ne possède
pas naturellement. Bref, que ce soit dans la nature, dans l’individu
ou dans la Cité, il
est à la fois conforme à la nature et avantageux que le corps soit
commandé par l’âme
(Politique,
1254b), donc que le producteur économique (esclave) soit commandé
par l’acteur politique (citoyen). Dans quelle mesure cette division
du travail est-elle avantageuse pour l’esclave ?
b
– à travers l’augmentation de productivité, la division du
travail est créatrice de richesse.
Si maintenant,
outre sa fonction de subsistance, on assigne à l’économie une
fonction d’échange, il
va falloir que l’architecte reçoive du cordonnier une part de son
travail et qu’il lui donne une part du sien en échange
(Ethique
à Nicomaque,1133a).
Et comme le
rapport entre un cordonnier et un architecte correspond au rapport
entre un nombre donné de chaussures et une maison
(Ethique
à Nicomaque,1133a),
il va falloir en outre établir des
règles de réciprocité proportionnelle qui maintiennent le
bien-être de la Cité
(Ethique
à Nicomaque,1133a).
A cet égard, il
est naturel que ce qui est ordinairement le produit de deux heures de
travail vaille le double que ce qui est ordinairement le produit
d’une heure de travail (Richesse
des Nations,
I). Mais, comme le travail a souvent recours à des outils qui, sont
le résultat d’un travail préalable, il
peut y avoir plus de travail dans une heure que dans deux et il n’est
pas facile de trouver une mesure exacte applicable au travail
(Richesse
des Nations,
I). Aussi la mesure du temps de travail du producteur direct ne
peut-elle déterminer la valeur d’échange d’une production. Et
pourtant, quant
aux choses qui sont sujettes à la concurrence, ce sont les frais de
production qui règlent en dernière analyse leurs prix et non pas la
proportion entre l’offre et la demande
(on
the Principles of Political Economy and Taxation,
I). En effet, si la valeur d’échange ne consiste pas dans la somme
totale des frais engagés, c’est que l’on n’est pas en
situation de concurrence pure et parfaite. Dès lors, ne pouvant
connaître la quantité de travail cumulée à tous stades de la
production, ce sont les plus forts (offreurs ou demandeurs) qui
fixent les prix à leur convenance. A
contrario,
si l’on veut que le prix soit le reflet de la valeur, il faut une
information transparente et disponible sur les coûts de productions
qui, par comparaison, fasse disparaître les coûts superflus et
fasse faire
baisser par degré le prix réel de presque tous les ouvrages des
manufactures (Richesse
des Nations,
II). En effet, de
meilleures machines, une plus grande dextérité et une division du
travail mieux entendue font que, pour exécuter une pièce
quelconque, il ne faut qu’une moindre quantité de travail
(Richesse
des Nations,
II), ce qui, cumulé à tous les stades de la production d’un
produit donné, permettra de se rapprocher d’une valeur d’échange
idéale. Or, supposons un
homme qui ne serait pas accoutumé à se servir des instruments qui y
sont en usage, cet ouvrier, quelque adroit qu’il fût, pourrait
peut-être fabriquer une seule épingle dans toute sa journée
(Richesse
des Nations,
I). Mais si, au contraire, l’important
travail de faire une épingle est divisé en dix-huit opérations
distinctes, lesquelles sont remplies par autant de mains différentes,
une dizaine d’ouvriers peuvent faire plus de quarante-huit milliers
d’épingles dans une journée
(Richesse
des Nations,
I) : grâce à la division du travail, la productivité du travail a
été multipliée par quatre-mille huit-cents, ce qui a
nécessairement pour résultat de faire baisser les coûts de
fabrication. Certes, à première vue, l’intérêt
particulier de ceux qui exercent une branche particulière de
commerce ou de manufacture est toujours différent, voire contraire,
à celui du public
(Richesse
des Nations,
III). C’est-à-dire que, apparemment, l’intérêt
du marchand est toujours de restreindre la concurrence des autres
vendeurs (Richesse
des Nations,
II), à la limite, d’être en situation de monopole plutôt qu’en
situation de concurrence afin que le prix du produit vendu soit
supérieur à sa valeur. Mais en réalité, c’est en situation de
libre concurrence que tous les agents sont conduits par une main
invisible
qui fait que tout
en ne recherchant que son intérêt personnel, chacun travaille pour
l’intérêt de la société (Richesse
des Nations,
II). En effet, la division du travail engendrée par la concurrence
marchande permet d’une part de susciter
et entretenir le mouvement perpétuel de l’industrie du genre
humain
(Théorie
des Sentiments Moraux,
IV, 2), d’autre part, de faire en sorte que, en
dépit de leur égoïsme et de leur rapacité naturelle, [les
riches] partagent tout
de même avec les pauvres les produits des améliorations qu’ils
réalisent
(Théorie
des Sentiments Moraux,
IV, 2), améliorations tout autant qualitative que quantitatives. En
conclusion, la
division du travail est ce qui, dans une société bien gouvernée,
donne lieu à l’opulence générale
(Richesse
des Nations,
II). Le développement historique du système de libre concurrence
marchande a-t-il confirmé cet optimisme ?
II – L’exploitation
capitaliste de la force de travail a confirmé le caractère
inégalitaire de la division du travail.
a
- dans un mode de production capitaliste, la force de travail est une
marchandise.
L’originalité
du capitalisme consiste en ce que, à
côté de la forme M1-A-M2,
transformation de la marchandise en argent et retransformation en
marchandise, nous en trouvons une autre tout-à-fait distincte :
A1-M-A2
(le
Capital,
I, iv). La différence est que dans
le premier cas, c’est l’argent qui sert d’intermédiaire, dans
le second, c’est la marchandise
(le
Capital,
I, iv). Dans le premier cas, vendre
des marchandises en vue de l’achat d’autres marchandises
rencontre une limite dans la satisfaction des besoins, tandis que la
vente pour l’achat au contraire ne connaît pas de limite
(le
Capital,
I, iv) : le cycle A1-M-A2
n’a pas de fin puisque, après A2
supérieur à A1,
on cherchera A3
supérieur
à A2,
etc. Appelons donc capital
la somme d’argent A1permettant
d’acquérir M qui sera revendu à la valeur A2>A1,
appelons capitaliste
le propriétaire de M qui cherche à maximiser la différence entre
A2
et
A1,
et appelons capitalisme
un mode de production dont la règle est l’offre en vue de
l’accumulation de capital, donc tel que le
besoin d’argent est le vrai et unique besoin
(Manuscrits
de 1844).
Normalement, dans le processus A1-M-A2,
la valeur du
produit [A2]
s’est accrue sur la valeur avancée pour sa production [A1],
laquelle a engendré une survaleur [A2-A1]
(le
Capital,
I, vii). Donc M comprend à la fois ce qui reconstitue A1dans
A2
(sa
valeur est constante, c) et ce qui crée une survaleur SV=A2-A1(sa
valeur est variable, v). En bref, A1=c+v,
et A2=c+v+SV.
Le capital constant (c), c’est la valeur des matières premières,
des machines, des locaux, etc., valeur qui va être amortie
(simplement transférée) dans A2.
Donc le capital variable (v), c’est la valeur de l’ensemble
des facultés physiques et intellectuelles qu’un homme doit mettre
en mouvement pour produire des choses utiles
(le
Capital,
I, vi) et qui ont pour utilité
spécifique d’être source de plus de valeur qu’elles n’en
possèdent elles-mêmes
(le
Capital,
I, vii). Seulement Marx appelle force
de travail
et non pas travail
cette source de survaleur. En effet, supposons un investissement
A1=3.000
dont une masse salariale v=1.000, donc un capital immobilisé
c=2.000, supposons une valeur d’échange entièrement réalisée de
la marchandise M transformée A2=9.000,
avec donc une survaleur SV=6.000. Alors la valeur totale de l’effort
humain de transformation de M, c’est 7.000 (A2-c=v+SV).
Le problème est que rien n’est échangé pour cette valeur. Donc,
ce que le
travailleur vend contre un salaire, ce n’est pas son travail mais
sa force de travail
(Salaires,
Prix et Profits,
vii). Et comme le capitaliste rencontre
sur le marché un travailleur libre qui vient y vendre sa force de
travail comme une marchandise
(Capital,
I, vi), la valeur d’échange de cette force de travail, le salaire,
a la même
signification que l’usage et l’entretien de tout autre instrument
productif
(Manuscrits
de 1844) :
le salaire, c’est ce que le capitaliste doit débourser pour
acquérir la force de travail et la maintenir en état de
fonctionner. Cela dit, le salaire (v) correspond non
seulement à l’existence physique, mais aussi à la satisfaction de
certains besoins naissant des conditions sociales dans lesquelles les
hommes vivent et ont été élevés
(Salaires,
Prix et Profits,
xiv), bref à la valeur v’
des
marchandises nécessaires à l’entretien de la force de travail
(nourriture, logement, habillement, soins, éducation), plus la
valeur v’’ correspondant comme
celle de toute autre marchandise, par la quantité de travail
nécessaire à sa production
(Salaires,
Prix et Profits,
vii) et qui lui aura ajouté une qualification Q (une survaleur) de
sorte que v=v’+v’’+Q. De sorte que, si la qualification (Q)
s’efface, à la limite, le
prix de la force de travail atteint son minimum, il est réduit à la
valeur des moyens de subsistance physiologiquement indispensables à
la vie du travailleur
(le
Capital,
I, vi). Donc le salaire ne sera pas, contrairement à la survaleur,
illimité mais tel que v’ inférieur ou égal à v inférieur ou égal à v’+v’’+Q.
Comment une force de travail qui tend à être payée, à la limite,
à son minimum vital, peut-elle engendrer une survaleur ?
b
- la survaleur capitaliste est la conséquence de l’exploitation de
la force de travail.
Dans la mesure où
les forces vitales se reconstituent plus vite qu’elles ne se
dépensent, si l’animal était capable de reconstituer ses forces
vitales au-delà des signaux biologiques qui le contraignent à
s’arrêter (fatigue, satiété, douleur), il produirait ce dont il
n’a nul besoin vital, bref son activité serait productive. Or
seule la force
humaine de travail possède un certain degré de productivité qui
lui permet d’être prolongé au-delà du temps nécessaire à sa
reconstitution (le
Capital,
I, xvi). En effet, reprenons l’exemple chiffré ci-dessus. Appelons
taux
de survaleur
le rapport SV/v=6.000/1.000=6. On se rend compte alors que le
taux de survaleur est l’expression exacte du degré d’exploitation
de la force de travail par le capital ou du travailleur par le
capitaliste
(le
Capital,
I, ix). Car ce taux de survaleur (ou d’exploitation) de 6 par
exemple, signifie que pour chaque heure payée, le travailleur devra
employer sa force de travail pendant 6 heures supplémentaires,
évidemment non-payées. En d’autres termes, 7h de travail du
salarié se décomposent en 1h payée par le salaire et en 6h de
surtravail évidemment non payé, de même que la valeur abstraite du
travail (7.000) se décompose en valeur de la force de travail
(1.000) et en survaleur (6.000). Or, bien que le salarié ne
travaille pour lui-même qu’une heure sur 7, le
capitaliste le fera travailler, mettons, 7h par jour, au-delà de la
valeur de sa force de travail, ce qui réalisera la survaleur
attendue
(Salaires,
Prix et Profits,
viii). Bref, c’est la
période d’activité qui dépasse les limites du travail
socialement nécessaire, qui donne naissance à la survaleur
(le
Capital,
I, ix). Donc le salariat est analogue à la corvée féodale par
laquelle le seigneur autorisait le serf à cultiver son propre lopin
de terre pendant, mettons, une journée à condition qu’il cultive
gratuitement le champ du seigneur pendant, mettons, six jours. En ce
sens, la corvée
est la forme primitive de la survaleur, elle correspond à du travail
non payé
(le
Capital,
III). Dans un système capitaliste, le travail non-payé, le
surtravail, c’est, comme la corvée féodale, l’utilisation
violente de la force de travail au-delà du temps socialement
nécessaire à sa reconstitution, et maintenue le plus proche
possible de sa limite inférieure (v’) afin de maximiser la
survaleur capitaliste. Il s’ensuit que l’appropriation privée du
capital, c’est-à-dire des moyens de production, donne
à l’employeur capitaliste le droit de s’approprier une certaine
quantité de travail impayé
(Salaires,
Prix et Profits,
xi), et surtout, de s’approprier la valeur de cette corvée moderne
extorquée au travailleur (SV) puisqu’il ne lui est attribué qu’un
salaire (v) au lieu de la valeur totale de son travail (SV+v). La
division économique du travail correspond donc à une division
sociale entre d’une
part la bourgeoisie, c’est-à-dire la classe des capitalistes qui
possèdent les moyens de production et emploient du travail salarié,
d’autre part le prolétariat, c’est-à-dire la classe des
travailleurs salariés qui, ne possèdant pas leurs moyens de
production, en sont réduits à vendre leur force de travail pour
subsister
(Manifeste
Communiste,
i). Il s’ensuit que la pratique capitaliste consistant à maximiser
la survaleur est
la formule de l’exploitation moderne
(Misère
de la Philosophie,
I, ii). On peut donc dire que l’esclavage
et le salariat ne se distinguent que par la manière dont le
surtravail est imposé et extorqué au travailleur
(le
Capital,
I, ix), par la violence du fouet dans un cas, par la violence de la
misère dans l’autre. Même si, en apparence, c’est tout à fait
librement que le
salarié se vend lui-même et au détail en mettant aux enchères
huit, dix, douze, quinze heures de sa vie quotidienne
(Travail
Salarié et Capital),
en réalité cette liberté consiste en ce que premièrement
le travailleur dispose à son gré de sa force de travail comme d’une
marchandise, deuxièmement, il est complètement dépourvu des choses
nécessaires à la vie
(le
Capital,
I, vi). Bref, la liberté entendue en ce sens n’est que l’autre
nom de la prostitution, le
commerce sexuel n’étant qu’un cas particulier de la prostitution
générale du travailleur salarié
(Manuscrits
1844).
Pourtant, les gains de productivité du capitalisme ne doivent-ils
pas entraîner une prospérité généralisée ?
III – Les gains de
productivité engendrés par la division capitaliste du travail ont
surtout engendré une aliénation généralisée.
a – les gains de productivité impliquent surexploitation et
paupérisation des travailleurs.
Augmenter la
productivité, c’est maximiser le rapport
A2/A1=SV+c+v/c+v=(SV/c+v)+1,
ce qui revient à maximiser le rapport SV/c+v (taux de profit). Le
plus simple serait de maintenir c+v constant et d’augmenter
indéfiniment SV, donc le temps de travail au-delà du temps
socialement nécessaire à la reproduction de la force de travail,
bref, s’efforcer
constamment d’allonger le surtravail jusqu’à la limite extrême
du possible
(Salaires,
Prix et Profits,
xiii). Sauf que, d’abord, une
journée comprend vingt-quatre heures déduction faite de quelques
heures de repos sans lesquelles la force de travail ne peut se
reconstituer
(le
Capital,
I, x, 5). Ensuite la
loi fixe le maximum du temps pendant lequel un homme a le droit de
vendre sa force de travail
(Salaires,
Prix et Profits,
vii). Donc, pour augmenter la productivité du travail ou maximiser
le taux de profit, augmenter la survaleur SV dans l’absolu ne
suffit pas, encore faut-il augmenter la survaleur relative en
réduisant les frais de production (c+v). Pour cela, il va falloir
trouver le meilleur rapport c/v (composition organique du capital)
qui minimise c+v tout en maintenant SV constante. On découvre alors
qu’en maximisant la composition organique du capital (c/v), on
tient le moyen
le plus puissant de prolonger la journée de travail au-delà de
toute limite naturelle
(Capital,
I, xv, 3). Car si, en remplaçant de la force de travail (v) par des
machines (c), on produit par exemple en un jour ce qu’on produisait
auparavant en deux, c’est comme si la journée de travail était
deux fois plus longue. Donc la
machine est le moyen le plus puissant d’accroître la productivité
du travail, c’est-à-dire de raccourcir le temps nécessaire à la
production des marchandises
(le
Capital,
I, xv, 3). Mais maximiser le taux de profit (SV/c+v) tout en
maximisant la composition organique du capital (c/v), c’est-à-dire
en maximisant c/v+1=c+v/v, c’est en particulier maximiser
(SV/c+v)x(c+v/v), c’est-à-dire SV/v (taux d’exploitation de la
force de travail). Ainsi
se vérifie la loi selon laquelle la survaleur provient non des
forces de travail que le capitaliste remplace par la machine, mais au
contraire de celles qu’il y emploie
(le
Capital,
I, xv, 3) : le progrès technologique ne remplace pas la force
de travail, mais transforme
le travail employé en travail plus efficace
(le
Capital,
I, xv, 3), c’est-à-dire en intensifie l’exploitation. Le
problème est que la survaleur relative (A2/A1)
ne peut être réalisée par la seule minimisation des dépenses
(A1),
à recettes égales (A2),
puisque la dépense de l’un est la recette de l’autre. Dès lors,
tout gain de productivité (maximisation de A2/A1)
produit une
survaleur relative en dépréciant directement la force de travail et
la rendant indirectement meilleur marché par la baisse de prix
qu’elle occasionne dans les marchandises d’usage commun (le
Capital,
I, xv, 3). En effet, l’innovation technologique dans le capital
constant (c) destinés à se substituer au capital variable (v) au
sein de A1,
aura nécessité une conception, une fabrication et une distribution
préalables. Bref, tout capital constant (c) n’est
que du travail humain cristallisé
(le
Capital,
I, i, 3), ce travail en amont qu’il convient précisément de
minimiser afin de minimiser c en aval. De proche en proche, on se
rend compte que la survaleur relative engendrée par le progrès
technologique nécessite une baisse générale des prix (A2)1.
Et comme plus la
productivité du travail est grande, moins il y a de travail employé
à une quantité déterminée de produits, et plus la valeur du
produit est faible
(Salaires,
Prix et Profits,
vi), en particulier celle des produits nécessaires à l’entretien
de la force de travail, donc le montant des salaires. D’autant que
la facilité
apparente du travail à la machine (le
Capital,
I, xv, 3) entraîne une moindre demande de force de travail qualifiée
qui, concurrencée par une main-d’œuvre sous-qualifiée, vient
grossir les rangs de l’armée
de réserve industrielle pesant sur l’armée active pour en
réfréner les prétentions salariales
(le
Capital,
I, xvi), bref alimenter le cycle de la baisse des prix par celle des
salaires. Donc, les gains de productivité consécutifs à la
division du travail créent de la richesse à condition de créer
corrélativement de la pauvreté, plus précisément,
l’enrichissement
capitaliste a pour condition l’appauvrissement du travailleur (le
Capital,
I, xiv). Or l’accès généralisé à une consommation de masse
n’est-elle pas un signe de prospérité ?
b
– l’accès généralisé à la consommation de masse est signe
d’aliénation généralisée.
Pour sauvegarder
la paix sociale et donc les conditions de sa domination, la classe
dominante va devoir consoler
ceux qui sont tombés dans la misère, en leur assurant que leurs
souffrances ne sont que des inconvénients temporaires
(le
Capital,
I, xv). Il s’agit de faire admettre aux travailleurs qu’ils n’ont
aucune raison de se plaindre, même s’ils sont surexploités au nom
du principe de
rendement qui est celui d’une société orientée vers le gain et
la concurrence dans un processus de croissance constante (Eros
et Civilisation,
II). Dans le mode de production capitaliste, en effet, la nécessité
de ce que Freud nomme principe
de réalité,
consiste en une croissance du taux de profit, donc de la survaleur
relative, donc de la productivité, donc du taux d’exploitation de
la force de travail. Le problème est que la tendance à la baisse
des salaires réels comme conséquence de l’accroissement de leur
exploitation, engendre chez les travailleurs le sentiment d’une
pénurie qui interdit de satisfaire librement leurs besoins,
c’est-à-dire de vivre sous le principe de plaisir (Eros
et Civilisation,
I). Or, dans une économie de marché mondialisée, c’est-à-dire
dans un mode de production régi par la division internationale du
travail, un
agent est d’autant plus exploité qu’il lui est plus difficile de
dépenser ses revenus en achetant un ensemble de marchandises qui
incorpore autant de travail qu’il en a lui-même fourni
(J.Roemer, a
General Theory of Exploitation,
intro.). Par exemple, W sera d’autant plus exploité qu’il aura
plus de mal à se procurer, avec son salaire de 7h (1.000), des
marchandises qui incorporent 7h de travail. Mais si W peut acheter
900 de marchandises qui incorporent 7h du travail de W’ payé 100,
alors, pour un même taux d’exploitation (SV/v) égal à 6, W sera
relativement moins exploité que W’.
Consoler le travailleur exploité consiste donc à le convaincre
qu’il existe
des salariés exploités mais riches et des capitalistes exploiteurs
mais pauvres
(a
General Theory of Exploitation,
intro.), de sorte que l’exploitation pénible d’aujourd’hui
trouvera sa récompense dans la consommation réconfortante de
demain. Il s’agit donc de le convaincre des bienfaits d’un
progrès technologique qui
donne plus de confort à la vie en augmentant la productivité du
travail (l’Homme
Unidimensionnel,
VI), autrement dit que tout
progrès concerne les conditions de travail, plus précisément du
travail pour se procurer des biens de consommation et les augmenter
(Eros
et Civilisation,
IV). Par là, on le convainc que le
bonheur est subordonné à la discipline du travail, au détournement
des désirs vers des activités socialement utiles (Eros
et Civilisation,
intro.) et dont l’idéal
consiste pour l’ouvrier à porter à la caisse d’épargne une
partie de son salaire (Manuscrits
de 1844).
Apparemment, cette conviction fait partie de cet aspect particulier
de l’éducation que Freud appelle sublimation
et qui consiste en ce que à
la finalité érotique se substitue un objectif plus élevé et de
plus grande valeur sociale
(cinq
Leçons sur la Psychanalyse,
V). Sauf qu’il ne s’agit pas là de canaliser des pulsions
érotiques ou agressives incompatibles avec la vie sociale (inceste,
meurtre), mais de rendre impossible aux travailleurs de se
révolter contre le principe de rendement au nom du principe de
plaisir
(Eros
et Civilisation,
II), en liant l’éventualité d’une révolte contre la pénibilité
des conditions de travail d’aujourd’hui à une destruction des
conditions mêmes du bonheur de demain. Dès lors, dans et par la
consommation, chaque
individu vit sa répression librement, il désire ce qu’il est
normal de désirer
(Eros
et Civilisation,
II), à savoir ce que la publicité, la
machine écrasante de l’information et des loisirs
(Eros
et Civilisation,
II), le conditionne à désirer. La consommation de masse n’est
donc pas une sublimation éducative, mais une désublimation
répressive qui caractérise la tendance contemporaine à
l’introduction du totalitarisme dans le travail et les loisirs de
l’homme (Eros
et Civilisation,
préf.). La désublimation, c’est l’exploitation des pulsions
sexuelles et agressives primitives au moyen d’un conditionnement à
la compétition pour la performance financière (épargne) et pour la
jouissance matérielle (consommation). Et la répression consiste en
ce que ce n’est
pas seulement le travail qui est divisé, c’est l’individu
lui-même (le
Capital,
I, xiv) : le travailleur-consommateur qui réclame des prix
modérés ne se rend pas compte que c’est son propre salaire qu’il
sacrifie en justifiant l’exigence capitaliste de course à la
productivité, et le travailleur-épargnant qui sacrifie son présent
ne se rend pas compte qu’il hypothèque aussi son avenir en
fournissant au capitaliste l’épargne nécessaire pour investir au
taux d’intérêt le plus bas, créant ainsi les conditions de sa
frustration face à la fois à la détérioration future de ses
conditions de travail et à la faiblesse future de ses économies.
Mais peu importe tant que l’augmentation
continuelle de la productivité rend l’espoir d’une vie meilleure
pour tous toujours plus crédible
(Eros
et Civilisation,
intro.).
Conclusion.
La division
sociale du travail, qui semble aussi naturelle que celle du mâle et
de la femelle, devrait être universellement avantageuse pour peu
qu’elle s’accompagne de gains de productivité et de progrès
technique. Cela dit, dans le mode de production capitaliste, la
division du travail a pris la forme d’une exploitation intensive de
la force de travail humaine comme source inépuisable de survaleur
pour le capital. Ce qui explique que le progrès technologique ait eu
pour contrepartie, sinon une paupérisation des travailleurs, du
moins une aliénation générale des individus réduits à de simples
vecteurs de consommation et d’épargne.
1 pour tout capitaliste
(c) en t1 :
A1=c1+v1 (ex :
2.000+1.000=3.000);
A2=c1+v1+SV1
(ex :
2.000+1.000+6.000=9.000),
il existe cn
en t2 :
on a à la fois c2>c1,
v2<v1 ;
A1’=c2+v2<A1
(ex :
2.200+300<3.000).
Quid de
SV2
et donc quid
de A2’ ?
-
si SV/c+v =k (ex :2),
il suit que A2’=c2+v2+SV2<A2
, et comme SV2=k
(c2+v2)
(ex :2.200+300
x2=5.000), alors A2’
(ex : 7.500)
<A2 (ex :
9.000),
mais surtout SV2/c2+v2=SV1/c1+v1,
ce qui est contradictoire avec l’esprit du capitalisme
-
si max SV/c+v, alors A2’=c2+v2+SV3 supérieur ou égal à A2
(ex : 2.200+300+5.500=9.000),
d’où A2’ supérieur ou égal à A2
mais surtout
SV3/c2+v2>SV1/c1+v1
pour tout c
en t3 :
on a à la fois A1’=c2+v2<A1 ;
A2’’=c2+v2+SV4<A2’<A2 ;
SV3/c2+v2
> SV4/c2+v2
> SV1/c1+v1
(ex : 5.500/2.500>5.200/2.500>6.000/3.000)
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