mercredi 17 juin 2015

BAC PHILO 2015 - ELEMENTS DE CORRIGE.



Nota : je n'ai pas la prétention de proposer là un corrigé complet mais juste un aperçu de ce que l'on pouvait (et non devait) faire dans la toute première phase, celle du sujet analysé (cf. III-a1-a2 de la méthodologie). Cet aperçu permet de construire une problématique, sans plus. Inutile, donc, d'ajouter que ces éléments de corrigé ne sont ni suffisants, ni même nécessaires pour obtenir un résultat satisfaisant à l'épreuve que vous avez passée.


SERIE L

 1° sujet : respecter tout être vivant, est-ce un devoir moral ?

*Le respect, nous dirait Kant, n'est certainement pas dû à tout être vivant mais à tout être vivant raisonnable, autrement dit à toute personne humaine. Pour lui, en effet, il existe deux sorte d'êtres, ceux qui ont un prix et ceux qui ont une dignité. Seules les personnes ont une dignité qui commande impérativement (tel est le sens du devoir moral) de les considérer comme fin et non seulement comme moyen. Tous les autres êtres, vivants ou non, ont un prix, c'est-à-dire sont, à titre de moyen, remplaçables par quelque équivalent, en l'occurrence, quelque être qui a le même prix.
*Le problème, c'est que, comme le montre Marx, dans l'économie capitaliste, qui forme l'infrastructure de notre monde réel et qui, à ce titre, détermine, entre autres, nos superstructures morales, tout a un prix, y compris les personnes humaines. Celles-ci, en effet, ne sont que des moyens parmi d'autres en vue de maximiser les conditions de l'accumulation capitaliste. Rien d'étonnant, dès lors, à ce qu'il n'y ait plus rien de vraiment respectable, c'est-à-dire, au sens de Kant, d'impérativement digne de respect : tout peut être en permanence remis en question au nom du réalisme économique.
*Toutefois, il doit quand même, au-delà du réalisme économique comme horizon soi-disant indépassable de la modernité, y avoir des limites à l'exploitation de la Nature. C'est ce que nous suggère Spinoza lorsqu'il nous invite à rechercher et protéger le bien de ce qui nous est réellement utile : respecter l'homme d'abord, bien entendu, mais aussi tout élément de la Nature sans lequel notre existence est, à terme, menacée. A cet égard, le respect du vivant devient plutôt une exigence éthique, c'est-à-dire une manière générale de vivre en harmonie avec la Nature, plutôt qu'un devoir moral en termes de normes absolues.

2° sujet : suis-je ce que mon passé a fait de moi ?

*Apparemment, je ne puis être que ce que la somme des différentes déterminations biologiques (mon code génétique ainsi que les diverses réactions phénotypiques à mon environnement), historiques (l'époque et le lieu dans lesquels s'ancre concrètement mon existence) et sociales (le conditionnement que les diverses institutions familiales, scolaires, économiques, juridiques, politiques, etc.) a fait de moi. En ce sens, je suis toujours, comme le dirait Hegel, ce que j'ai été, autrement dit je suis, non seulement ce que mon passé a fait de moi, mais je suis mon passé. Mon identité présente se confond avec mon passé.
*Cela dit, si les choses étaient aussi simples, on ne comprendrait pas que le présent ne ressemble pas toujours au passé et que le futur soit souvent imprévisible. Ricoeur fait remarquer, en effet, que mon identité (ce que je suis), ne se limite pas à mon passé, mais s'étend aussi au futur, cette modalité du temps qui n'existe que parce que nous nous y projetons. Je ne suis donc pas uniquement ce que mon passé a fait de moi, mais aussi ce que je veux, ce que je souhaite, ce que j'envisage, ce que promets, ce que j'espère, etc. Comme le dirait aussi Augustin, l'homme est cet être par lequel quelque chose de nouveau peut advenir, ce qui ne serait pas possible si nous étions cloisonnés dans notre passé.
*Il reste que, sans être prisonnier de mon passé, son empreinte sur ce que je suis ne saurait être sous-estimée. Certes, je puis toujours oeuvrer de telle manière que la connaissance de mon passé ne suffit pas à expliquer ce que je fais et ce que je ferai. Toutefois, Freud montre que la nouveauté, l'imprévisibilité relatives de mes actes résultent d'une connaissance très superficielle de mon propre passé. De telle sorte que la créativité présente et future de mon existence consiste, comme le dit Proust, à me révéler, à moi-même comme à autrui, en réagissant au hasard des rencontres en fonction de ma mémoire inconsciente.

3° sujet : texte de Tocqueville tiré de de la Démocratie en Amérique.

Toutes les croyances doivent-elles être passées au crible du doute ? La fonction des croyances dogmatiques, c'est-à-dire des croyances indubitables, reçues sans discussion possible (différentes en cela des hypothèses empiriques, notamment scientifiques) est, dans une société donnée, de fournir des certitudes communes à tous les membres de cette société (ce que les anglo-saxons appellent une common knowledge). Or, sans de telles croyances dogmatiques, sans de telles certitudes, pas d'idées partagées, donc pas d'actions communes et, in fine, pas de corps social mais un simple agrégat d'individus atomisés pour lesquels, en effet, les croyances dogmatiques ne sont nullement indispensables.



SERIE S

 1° sujet : une oeuvre d'art a-t-elle toujours un sens ?

*Si l'on en croit Danto, un objet n'est  une oeuvre d'art que relativement à une interprétation qui, justement, la traite comme une oeuvre d'art. Sans une telle interprétation, les ready made de Duchamp, par exemple, ne seraient pas des oeuvres d'art mais de simples objets usuels. De là, on peut dire que toute oeuvre d'art a, au moins, un sens minimal : celui d'être une oeuvre d'art. Mais, bien entendu, l'interprétation qu'en font, notamment, les critiques, vont, en général, bien au-delà et nous délivre souvent le sens caché des oeuvres. Donc si le statut d'oeuvre d'art dépend d'une interprétation et que toute interprétation est interprétation d'un sens, alors, toute oeuvre d'art a nécessairement un sens.
*Le problème, c'est que l'idée de donner un sens à l'oeuvre d'art repose sur une analogie abusive avec le langage : on a l'impression que l'auteur de l'oeuvre désire, à travers elle, nous dire quelque chose. Mais, si Picasso avait voulu, à travers Guernica, simplement dénoncer la guerre d'Espagne et le franquisme, il l'aurait fait de façon plus simple et moins ambiguë en parlant plutôt qu'en peignant. Aussi, il est préférable de dire, avec Wittgenstein, que l'oeuvre d'art ne dit rien du tout, mais plutôt montre ce qu'il n'est pas possible de dire, ce qui est au-delà du langage. Et si elle ne dit rien, l'oeuvre d'art n'a pas non plus de sens.
*Mais si tel était le cas, les interprétations des oeuvres d'art seraient des impostures. Or, même si les critiques d'art n'ont pas toujours bonne réputation, dans la plupart des cas, leur travail est indispensable pour faire connaître et apprécier l'oeuvre à un public. Donc, comme le dit Davidson, même si une représentation artistique n'est pas une sorte de message codé à traduire, les commentaires sont d'autant plus riches que l'oeuvre elle même est plus riche. Et c'est probablement dans cette tâche collective et infinie de commentaire, de critique, d'interprétation, de la richesse d'une oeuvre que réside le sens de toute oeuvre d'art.

2° sujet : la politique échappe-t-elle à une exigence de vérité ?

*Si l'on suit Platon, la politique ne peut pas échapper à une telle exigence. En effet, et tout particulièrement en démocratie, c'est-à-dire dans un régime politique où toutes les décisions importantes sont prises sur la place publique après débat contradictoire, faute de cette exigence, ce sera l'option qui sera le plus habilement défendue par l'orateur qui l'emportera. D'où le risque permanent de démagogie qui pèse sur la démocratie : si le plus habile à parler est mal intentionné, rien ne l'empêche de se faire choisir puis de gouverner à sa guise en manipulant l'opinion en dépit de la vérité. C'est pourquoi Platon préconise que le gouvernement soit confié à des philosophes, ceux qui aiment le spectacle de la vérité.
*Malheureusement, ce gouvernement idéal confié à des philosophes préoccupés avant tout de vérité, n'a jamais pu être expérimenté. Et si tel est le cas, c'est probablement parce que la Cité est une réalité d'une complexité telle que, comme le souligne Aristote, même si la loi était parfaite en elle-même, parfaitement conforme à l'exigence de vérité, se poserait néanmoins le problème de son application concrète à la diversité infinie des cas particuliers. D'où le problème propre au politique qui est moins celui de la vérité que celui de la justice et, notamment, de la justice d'une administration dans l'exécution des lois.
*Seulement, déplacer le problème de la vérité vers la justice, de la décision vers l'application, ne résout pas le problème. Car, finalement, en fonction de quels critères une application sera-t-elle réputée juste ? Devra-t-elle se conformer à un modèle de vérité, ou bien à des considérations d'utilité ? Et, dans ce dernier cas, d'utilité pour qui ? Questions insolubles que Machiavel récuse en bloc en disant que le propre du politique n'est ni la vérité, ni la justice, mais l'efficacité consistant à conquérir le pouvoir et à s'y maintenir le plus longtemps possible afin de construire et de préserver l'unité de la Cité. Or, pour y parvenir, tous les moyens sont bons, y compris, le cas échéant, de mentir si nécessaire.

3° sujet : texte de Cicéron tiré de de la Divination.

Peut-on prévoir un événement aléatoire ? Toute prévision se base sur l'idée que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, ce qui suppose une loi scientifique qui, non seulement met en relation les causes et les effets, mais encore met en relation les indices des causes avec les causes de manière à rendre possible un raisonnement prédictif (ou inductif). C'est pourquoi il est absurde de prétendre prévoir un événement aléatoire, c'est-à-dire un événement qui ne s'inscrit pas dans une régularité suffisante pour en tirer une loi, et cela ne tient pas à l'imperfection des facultés humaines car, même un dieu ne pourrait y parvenir, ou bien, s'il y parvenait, ce serait la preuve que l'événement n'est pas dû au hasard.


SERIE ES

 1° sujet : la conscience de l'individu n'est-elle que le reflet de la société à laquelle il appartient ?

*Pour Freud, il est clair que la conscience individuelle n'est que le reflet de la société. En effet, si tel n'était pas le cas, comme les instincts humains ne sont pas naturellement régulés comme ceux des autres animaux, les pulsions des uns entreraient en conflit avec les pulsions des autres. Pour éviter cet état de guerre permanent, une bonne partie des pulsions agressives ou sexuelles sont censurées par notre psychisme. Et c'est l'intériorisation inconsciente des normes sociales par le surmoi qui met le moi conscient au service de la satisfaction des seules pulsions autorisées, les autres étant refoulées ou sublimées dans l'inconscient. De la sorte, le moi conscient est toujours conforme aux exigences de la société.
*On comprend mal, cependant, comment un individu peut, éventuellement, soumettre sa propre société à la critique, voire à  la révolution, s'il n'en est que le simple reflet. De toute évidence, le propre de la conscience est, comme le dit Sartre, d'être une instance de néantisation, c'est-à-dire une faculté de dépassement permanent de ce qu'elle est. Dès lors, tout en étant le produit des diverses situations qui l'ont conditionnée, la conscience individuelle n'en est pas, pour autant le reflet puisqu'elle a toujours la liberté de se projeter dans le futur. Et le futur n'est jamais la copie du passé.
*Pour autant, le fait que l'individu puisse, par sa présence, apporter de la nouveauté dans la société à laquelle il appartient ne prouve pas que sa conscience est libre, notamment, libre de la critiquer. Car la liberté, nous dit Arendt, n'est pas inhérente à la conscience individuelle mais à l'action individuelle. Il se pourrait donc bien que la conscience de l'individu fût le reflet de la société à laquelle il appartient, ce à quoi contribue d'ailleurs tout processus d'éducation, et que, malgré tout, l'individu soit un ferment d'imprévisibilité. C'est même à cela qu'on reconnaît un individu : être capable, par son oeuvre, son action, son langage, de modifier, si peu que ce soit, la société à laquelle il appartient.

2° sujet : l'artiste donne-t-il quelque chose à comprendre ?

*Comprendre, nous dit Spinoza, consiste à connaître le plus grand nombre possible de vérités du point de vue de l'esprit et à être solidaire du plus grand nombre possible d'êtres du point de vue du corps. En ce sens, une oeuvre d'art est toujours un objet en connexion avec tout un contexte matériel et culturel sur lequel il permet toujours une réflexion nouvelle. C'est pourquoi les oeuvres du passé sont à ce point chargées d'histoire et les oeuvres du présent souvent sujets à polémiques en ce qu'elles nous offrent un point de vue inédit (et pas toujours agréable) sur nous-mêmes et nos contemporains.
*Toutefois, dire que l'artiste donne quelque chose à comprendre, ce n'est pas dire que telle est son intention. Raison pour laquelle les oeuvres d'art doivent être interprétées, commentées. C'est que le génie artistique n'est pas une habileté technique consistant à fabriquer un objet d'après un modèle intelligible qui aurait une fin (une utilité) déterminée. Le propre du génie, c'est de créer du beau, et le beau est, si l'on suit Kant, doté de la forme d'une finalité sans fin matérielle précisément définie. par exemple, on a l'impression qu'il y a, dans une peinture de Rothko, quelque chose à comprendre, mais on ne sait pas quoi exactement. Dès lors, l'artiste donne à réfléchir plus qu'il ne donne à comprendre.
*On pourrait objecter que cela vaut pour tous les arts sauf pour la littérature. On ne peut pas appréhender un roman, en effet, si on n'y comprend rien. On peut réfléchir sur une peinture, une musique, mais si on doit réfléchir sur chaque ligne d'un roman, on abandonne. Il est donc clair que le romancier donne quelque chose à comprendre. Sauf que ce quelque chose n'est pas du tout un point de vue sur le monde extérieur (le roman n'est ni un livre d'histoire, ni un magazine journalistique), mais, nous dit Proust, une révélation de nous-même. C'est avec soi-même que font connaissance l'écrivain en écrivant et le lecteur en lisant et c'est donc soi-même qu'il s'agit de comprendre dans et par le roman.

2° sujet : texte de Spinoza tiré de Traité Théologico-Politique.

La démocratie est-elle compatible avec l'obéissance ? Le propre de la démocratie est de faire rationnellement échapper les citoyens à l'absurdité des décisions qui découle parfois de ce qu'une décision a été prise pour satisfaire le seul plaisir (appétit) d'un homme ou d'un groupe, ce qui menace toujours la concorde (la paix sociale). Mais, si cette condition de rationalité est satisfaite, alors les citoyens doivent voir dans les décisions du souverain démocratiquement établi et contrôlé la source unique du droit et, par conséquent, doivent y obéir. Car l'obéissance aux commandements de la raison, loin d'être un esclavage comme l'est la soumission aux caprices de l'appétit, est, au contraire, une preuve de liberté.


SERIES TECHNOLOGIQUES

1° sujet : la culture fait-elle l'homme ?

*Pour Spinoza, ce n'est pas la culture qui fait l'homme mais la Nature. Pour lui, cet être éternel et infini que l'on appelle Dieu ou la Nature, c'est le grand Tout. C'est donc l'ensemble des forces qui, en permanence, façonnent et transforment l'univers. On peut donc comprendre que, même si l'homme est, à bien des égards, un être exceptionnel, pour autant, il ne lui appartient pas plus que n'importe quel autre être d'échapper aux déterminations de la Nature. Tout ce qu'un homme est ou n'est pas, fait ou ne fait pas, est donc nécessairement imputable au jeu de la causalité naturelle et la culture en fait partie.
*Toutefois, Marx fait remarquer que le propre de l'homme consiste à produire ses propres moyens d'existence. L'homme, tout en faisant partie de la nature, est donc le seul être qui adapte la nature à lui au lieu de s'adapter à la nature. Et ce sont ces conditions de productions de ses moyens d'existence qui constituent ce qu'il est convenu d'appeler "la culture". En ce sens, il est exact de dire que c'est la culture, c'est-à-dire l'ensemble des infrastructures économiques et des superstructures conscientes qui permettent aux hommes de coopérer pour transformer la nature, qui fait l'humanité de l'homme.
*Mais dire que les hommes coopèrent, coordonnent leurs effort pour faire produire à la nature ce qu'elle n'aurait pas spontanément produit, c'est une autre manière de dire que cette tendance s'inscrit dans leur nature. Et en effet, Aristote définit l'homme comme un animal politique, c'est-à-dire comme un être vivant dont la nature, ce vers quoi ils tendent, consiste, précisément, à vivre dans une structure communautaire particulière que l'on appelle la Cité (en grec, polis). Et comme toute Cité engendre sa propre culture, on peut dire, indifféremment, soit que c'est la nature, soit que c'est la culture qui fait l'homme.

2° sujet : peut-on être heureux sans être libre ?

*Rousseau fait de la rupture de la société civile avec l'état de nature originel le point de départ des malheurs de l'humanité. A partir de là, nous dit-il, les hommes ont inventé la propriété privée et son cortège de servitudes : esclavage des uns au profit des autres, violence mutuelle entre les faibles et les forts, besoins en excédent sur les moyens de les satisfaire, etc. D'où l'ambition que doit se fixer toute société civile : retrouver avant tout la liberté naturelle et originelle de l'homme sans laquelle il n'est pas de bonheur possible.
*Cela suppose que l'homme est un animal, nécessairement plus heureux en liberté qu'en captivité. Si maintenant on considère l'être humain du point de vue des facultés qu'il est le seul à posséder, on remarquera qu'il est le seul être doué de raison. Et cette raison le fait appartenir non seulement au règne de la causalité naturelle, mais aussi à celui des fins morales, non seulement au monde qui est, mais aussi au monde qui doit être. Or, nous dit Kant, ce qui doit être, contredit parfois ce qui est et c'est cela même qui nous rend libre. D'où le choix : ou bien être libre comme un homme ou bien être heureux comme un animal.
*Mais cette alternative suppose que la raison humaine est une exception aux lois de la Nature. Or, pour Spinoza, la raison de l'homme ne peut en aucune façon nous faire échapper à la Nature, mais plutôt à le guider dans son effort pour chercher ce qui, dans la Nature, lui est réellement utile. Et ce qui nous est le plus utile, donc le plus conforme aux exigences de la raison, c'est d'accroître notre puissance de penser et d'exister. Par là, on éprouve un sentiment de joie et, en même temps, on est plus résistant à l'égard des circonstances extérieures qui peuvent nous contrarier. Bref, être libre et être heureux, c'est la même chose.

3° sujet : texte de Hume tiré de Enquête sur l'Entendement Humain.

1° - En règle générale, nous avons coutume de conjecturer que ce que nous ne pouvons observer directement se comportera de la même manière que ce dont nous avons eu l'expérience régulière (ordinaire) dans le passé, de sorte qu'en cas d'hésitation, c'est la conjecture la plus probable qui doit l'emporter. Il est curieux de constater que, parfois nous appliquons la règle exactement contraire, c'est-à-dire que nous nous mettons à croire à ce qui ne se fonde sur aucune régularité observée mais est proprement inédit, miraculeux, absurde. Ce comportement étrange s'explique toutefois très bien par la nature agréable de l'émotion de surprise et d'émerveillement que produisent certains événements que nous savons pourtant très improbables.

2° -
a - Hume donne là la définition de l'induction empirique qui a une importance capitale dans la formation des hypothèses scientifiques : plusieurs cas particuliers ressemblants et contigus (rapprochés) ont été constatés par le passé ; nous en tirons une loi valable pour tous les autres cas ressemblants qui se présenteront dans le futur. C'est pourquoi une inférence inductive est d'autant plus solide qu'elle dérive d'un plus grand nombre d'observations passées.
b - Hume définit là une autre loi de l'esprit humain, inverse de la première, qui, cette fois-ci, est souvent à l'oeuvre dans les croyances religieuses : credo quia absurdum, c'est-à-dire, en latin, "j'y crois parce que c'est absurde". Croire, par exemple à un miracle, est, d'après la la loi précédente de l'induction empirique, complètement absurde puisque, précisément, un tel événement ne s'est jamais produit (sinon il ne serait pas miraculeux). Eh bien, malgré cela, nous y croyons. Ou, plus exactement, en raison de cela, nous y croyons.

3° - La force d'une croyance se fonde-t-elle nécessairement sur l'expérience ?

A première vue, comme l'explique Hume, une croyance sera d'autant plus robuste et rationnelle qu'elle se fondera sur un plus grand nombre d'expériences passées ressemblantes et contiguës ; c'est là la règle de l'inférence inductive conformément à laquelle naissent la plupart des hypothèses scientifiques. Toutefois, Hume montre que certaines croyances absurdes en ce qui, non seulement n'a jamais eu lieu, mais encore est très peu probable, sont encore plus fortes, en raison de leur charge passionnelle, que les croyances inductives rationnelles : c'est le cas, notamment, des croyances mystiques, superstitieuses, paranormales, et, mêmes religieuses ("je crois parce que c'est absurde", dit Augustin). Cela dit, du point de vue même de Hume, même une croyance absurde fondée sur la passion et non sur la raison, dérive nécessairement de l'expérience, car nos passions, comme toutes nos impressions, ont une origine empirique et sont donc à l'origine de nos idées, y compris celles de la raison (que Hume qualifie justement de "passion calme").

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