vendredi 16 octobre 2009

LES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES PROVIENNENT-ELLES DE L'EXPERIENCE SENSIBLE ?

CORRIGÉ DU D.M.B


B3 – Quel est le rôle des mathématiques dans la connaissance scientifique ?

Une science proprement dite [...] exige une partie pure sur laquelle se fonde la partie empirique et qui re­pose sur la connaissance a priori des choses de la nature. Or, connaître une chose a priori signifie la connaître d’a­près sa simple possibi­lité1. [...] Ainsi, connaître la possibilité de choses naturelles déterminées [...] a priori, exige que l’intuition sensible correspon­dant au concept soit donnée a priori, c’est-à-dire que leur concept2 soit construit. Or la connaissance rationnelle par la construction des concepts, c’est la mathématique. En conséquence [...] une pure théorie de la nature concernant des choses déterminées de la nature n’est possible qu’au moyen de la mathé­matique. [...] Par suite, tant qu’on n’aura pas trouvé de concept se rapportant aux actions chimiques3 des matières les unes sur les autres, qui puisse se construire, [...] la chimie ne saurait être qu’une pratique systématique ou une théorie empirique, mais jamais une science à proprement parler.
Kant – Pre­miers Principes Métaphysiques de la Science de la Nature


1 - A quelle idée l'auteur s'oppose-t-il et quelle idée défend-il ?
Dans ce texte, Kant s'oppose à la fois à l'idée que la connaissance scientifique exclurait toute expérience sensible et à l'idée opposée qui voudrait qu'elle ne proviendrait que de l'expérience sensible. L'idée qu'il défend est donc qu'il y a dans les sciences, deux parties : une partie sensible ("empirique") et une non sensible ("pure").

2 - Expliquer la première phrase.
A part ce que nous avons dit en réponse à la question 1, l'auteur nous dit deux choses. Premièrement, que les deux parties sont, évidemment, complémentaires, mais pas dans n'importe quel ordre. Il y a d'abord la partie "pure" et il y a ensuite la partie "empirique" : "une science proprement dite [...] exige une partie pure sur laquelle se fonde la partie empirique". Ce qui veut dire que l'expérience sensible vient toujours après. Après quoi ? Eh bien deuxièmement, nous dit Kant, après "la connaissance a priori des choses de la nature". La locution latine "a priori" signifie "avant", "en premier", "en priorité". Et en quoi consiste cette connaissance a priori des choses de la nature ? Kant répond que "connaître la possibilité de choses naturelles déterminées [...] a priori, exige que l’intuition sensible correspon­dant au concept soit donnée a priori, c’est-à-dire que leur concept soit construit". Cette phrase est longue et difficile. Arrêtons-nous-y un peu. Nous avons commencé par dire que, dans l'activité scientifique, l'expérience sensible, qu'il appelle aussi "l'intuition sensible", c'est-à-dire l'expérience que nous avons au moyen de nos cinq sens, vient toujours après. L'expérience ou expérimentation, en science, sert en effet à vérifier, à valider ou à invalider quelque chose qui vient avant. Quoi donc ? Kant appelle cela un "concept". Il est facile de comprendre que c'est ce que nous appelons aujourd'hui une hypothèse. Le scientifique va, par exemple, construire le concept d'eau en faisant l'hypothèse que la molécule d'eau est composée de deux atomes d'hydrogène et d'un atome d'oxygène. Ça, c'est la partie "pure" ou "a priori". Puis il va confronter son hypothèse à l'expérience sensible, c'est-à-dire qu'il va voir (avec ses yeux) si ce qu'il avait cru possible est bien réel. Ça, c'est la partie empirique. Bref, "la connaissance a priori des choses de la nature" n'est rien d'autre que la formulation d'hypothèses et celle-ci précède toujours nécessairement l'expérimentation : le possible vient toujours avant le réel.

3 - Pour Kant, quel est le rôle des mathématiques dans la connaissance scientifique ?
On a vu avec Pascal (A2), Descartes (B1) et Wittgenstein (B2) que les mathématiques sont une activité rationnelle, autrement dit une activité de la raison en ce qu'elle laisse l'expérience sensible de côté (au moins momentanément). Kant est d'accord avec eux mais il ajoute que les mathématiques ne servent qu'à une seule chose : construire des concepts, autrement dit, formuler des hypothèses. Pour lui, en effet, "la connaissance rationnelle par la construction des concepts, c’est la mathématique". Il veut dire par là que, sans mathématiques, on ne pourrait pas construire d'hypothèse scientifique parce que, justement, le propre d'une telle hypothèse, c'est sa vérifiabilité par les sens, ce qui ne serait pas possible sans quantification. L'avantage considérable que procure l'utilisation des mathématiques dans une hypothèse, c'est que sa vérification est aisée puisqu'on raisonne sur des quantités précises : l'eau, ce n'est pas de l'hydrogène lié à de l'oxygène, c'est deux atomes H liés à un atome O. Pour Kant, les mathématiques sont donc le guide indispensable de l'expérience scientifique. C'est pourquoi son texte se termine sur l'exemple de la chimie qui, à son époque, n'est encore que de l'alchimie : on sait transformer certaines substances, mais empiriquement, par habitude, et non pas en appliquant des formules mathématiques précises. Ce n'est donc pas encore une science.

Dissertation : les connaissances scientifiques proviennent-elles de l'expérience sensible ?





Descartes : les connaissance scientifiques ne proviennent jamais de l'expérience sensible mais de l'intelligence pure et attentive (B1).
La préoccupation constante de Descartes, tout au long de sa carrière philosophique, est de chercher des vérités qui soient définitivement hors de doute. Et si tel est le cas, c'est que, d'une part nos sens sont potentiellement trompeurs (par exemple un bâton rectiligne paraît rompu dès lors qu'on le plonge dans un liquide), mais d'autre part ce n'est pas un motif suffisant pour douter de tout comme le font les pyrrhoniens. Aussi, Descartes entreprend-il de faire l'inventaire de toutes les situations possibles ou notre intelligence pure (c'est-à-dire non polluée par l'intrusion intempestive des sens) est en mesure de rechercher une vérité hors de doute. Il en existe deux, dit Descartes : l'intuition et la déduction. L'intuition consiste en ce que l'intelligence pure n'est attentive qu'à elle-même et ne recherche qu'en elle-même ce dont elle peut être absolument certaine. A savoir, j'existe comme être pensant, Dieu existe comme source de toute perfection et mon intelligence ne peut être systématiquement sujette à l'erreur. On voit tout de suite que, par l'intuition, on n'atteint que des vérités métaphysiques, mais aucune vérité physique, autrement dit aucune connaissance scientifique. Pour cela, il va falloir faire usage de la déduction qui consiste, à partir des trois vérités métaphysiques fondamentales, à faire progresser notre intelligence vers de nouvelles vérités et à conclure sans faire jamais appel à l'expérience sensible. Par exemple, de ce que deux droites sécantes déterminent nécessairement quatre secteurs angulaires deux à deux opposés par le sommet et deux à deux égaux (vérité évidente pour l'intelligence, il n'y a rien à vérifier par l'expérience sensible), et de ce qu'une bissectrice partageant deux de ces quatre angles opposés par le sommet en quatre secteurs angulaires égaux (même remarque), je conclus une loi physique valable essentiellement dans le domaine de l'optique : l'angle d'incidence est égal à l'angle de réflection (faire ici le schéma de la "loi de Descartes"). Voilà donc faite la preuve que l'on peut et que l'on ne doit, lorsqu'on recherche la vérité scientifique, ne se fier qu'à l'intelligence pure et attentive et non à l'expérience sensible.

Wittgenstein : toutes les connaissances, y compris celles qui procèdent de l'intelligence "pure", sont acquises par l'expérience sensible (B2).
Wittgenstein fait remarquer qu'il y a deux sortes de propositions affirmatives : celles qui sont vraies ou fausses, et celles qui ne sont ni vraies ni fausses. Dans le premier cas, ce qui rend la proposition vraie ou fausse, c'est la confrontation avec la réalité à travers l'expérience sensible. Wittgenstein appelle "empirique", ce genre de proposition (par exemple : "il fait beau aujourd'hui"). Dans le second cas, ce qui fait que la proposition n'est ni vraie ni fausse, c'est précisément qu'il n'y a rien à vérifier par l'expérience sensible parce que la proposition est réputée irréfutable. Wittgenstein appelle "incontestable", ce genre de proposition (par exemple : "douze fois douze font cent quarante-quatre"). Il y a donc des propositions absolument hors de doute, puisqu'elles sont incontestables : les propositions en font bien entendu partie. Cependant, Wittgenstein s'empresse de dire que, si ces propositions sont incontestables, ce n'est pas parce qu'elles sont innées, mais parce qu'elles bénéficient d'une sorte de consensus social parce que, si ce n'était pas le cas, on ne pourrait plus rien dire ni rien penser (par exemple, comment pourrais-je expliquer à un passant le chemin qu'il doit emprunter pour se rendre à la gare, si nous n'avions pas, lui et moi, une confiance aveugle en un certain nombre de notions géométriques ?). En revanche, ces propositions incontestables (mathématiques, par exemple), sont acquises exactement de la même manière que les propositions empiriques : c'est-à-dire par l'expérience sensible. En effet, j'apprends les mathématiques à l'école, en écoutant mes professeurs, en lisant l'énoncé des exercices et des problèmes, etc. Il m'arrive donc de me tromper en énonçant une proposition mathématique, tout comme je le fais en énonçant une proposition empirique. Wittgenstein fait ici une analogie : les mathématiques par exemple sont aux connaissances scientifiques ce que les règles du football sont au football. Je n'ai pas le droit d'enfreindre les règles (par exemple en me dopant), car alors, le jeu est impossible (si je me dope, je triche, et si je triche, je ne suis plus autorisé à jouer). Mais tout le monde sait bien que j'ai la capacité de les enfreindre, justement parce que ces règles ne sont pas innées mais acquises par l'expérience sensible. Bref, toute connaissance, quelle qu'elle soit, et en particulier la connaissance scientifique, provient nécessairement de l'expérience sensible.

Kant : le propre des connaissances scientifiques, c'est qu'elles reposent, pour partie sur l'expérience sensible, et pour partie sur la réflexion a priori (B3).
Kant pense que la connaissance scientifique repose sur deux piliers : une partie empirique et une partie pure. Mais il s'empresse aussitôt d'ajouter que ces deux piliers n'ont pas la même valeur : il y une des deux parties qui est plus fondamentale, puisque la partie pure est a priori, c'est-à-dire prioritaire, tandis que l'autre, la partie empirique, ne vient qu'après la partie pure en s'appuyant sur elle. Donc, comme Descartes, Kant dit que la connaissance scientifique se caractérise en premier lieu par une réflexion de l'intelligence pure, c'est-à-dire indépendamment de l'expérience sensible. Cette réflexion, nous dit Kant, consiste à calculer, à déduire et à conclure une hypothèse. Par exemple, en 1844, l'astronome français Le Verrier déduit, par le calcul, qu'il doit exister une autre planète au-delà de la planète Uranus (on l'appellera Neptune). Or, cette déduction n'est, pour l'instant, qu'une hypothèse, c'est-à-dire, pour parler comme Kant, qu'elle ne fait connaître que la possibilité de cette nouvelle planète, et non pas sa réalité comme le pensait Descartes. Donc, pour savoir si Neptune est bien une réalité et non une fiction, il va néanmoins falloir vérifier l'hypothèse, c'est-à-dire avoir recours à l'expérience sensible, en l'occurrence en cherchant au moyen du télescope à apercevoir cette nouvelle planète. Ce qui sera fait dès 1846 lorsque, grâce aux calculs formulés dans l'hypothèse, l'astronome allemand Galle trouvera la planète exactement là où Le Verrier l'avait prévu. Bref, pour savoir ce qui est scientifiquement vrai, la dernier mot reste quand même à l'expérience sensible, comme le pense Wittgenstein. Cela dit, Kant ne s'intéresse pas vraiment à l'origine des connaissances scientifiques mais à la valeur de celles-ci. Ce qui importe pour lui, c'est qu'il existe, dans la recherche scientifique, une partie pure ou a priori, d'où qu'elle provienne, qui permet, d'une part de déterminer, à travers une hypothèse mathématisée, une expérience possible, et d'autre part de guider précisément cette expérience au moyen des notions mathématiques qui y sont contenues. Et c'est de cette priorité de la réflexion sur l'expérience qui donne à la science sa valeur.



Je choisis par exemple (ce n'est qu'un exemple, il y a d'autres choix possibles)
- 1° Descartes
- 2° Wittgenstein
- 3° Kant




Les connaissances scientifique proviennent-elles de l'expérience sensible ? (questionsujet)
A première vue, la science ne nous apprend-elle pas à nous méfier de l'expérience sensible ? Or, toute connaissance n'est-elle pas cependant acquise par l'expérience sensible ? Cela dit l'expérience sensible ne constitue-t-elle pas qu'une partie de la démarche scientifique ? (problématique)
Nous allons donc voir que, à première vue, les connaissances scientifiques ne doivent jamais provenir de l'expérience sensible, toujours potentiellement trompeuse, mais seulement de l'intelligence pure et attentive. Or, à moins de dire que l'intelligence pure est innée, on doit bien admettre que toute connaissance, qu'elle soit scientifique ou non, est acquise par, et donc provient de l'expérience sensible. Cependant, ce qui importe dans la connaissance scientifique, ce n'est pas sa provenance, mais sa valeur qui découle de la priorité de la réflexion a priori sur l'expérience sensible. (annoncedu plan)




I - À première vue, les connaissances scientifiques ne doivent jamais provenir de l'expérience sensible, toujours potentiellement trompeuse, mais seulement de l'intelligence pure et attentive. (titrede la 1° partie, cf. annonce du plan)

Qui n'a jamais été trompé par ses sens le jour où, par exemple, on a cru reconnaître dans la foule cet ami perdu de longue date, abusé par le jeu des ressemblances ? (amorce)

C'est pourquoi la préoccupation constante de Descartes, tout au long de sa carrière philosophique, est de chercher des vérités qui soient définitivement hors de doute. Et si tel est le cas, c'est que nos sens sont potentiellement trompeurs : "combien de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? […] Il n’y a point d’indices concluants ni de marques assez certaines par où on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, j’en suis tout étonné, et mon étonnement est tel qu’il est presque capable de me persuader que je dors."(Descartes, Méditations Métaphysiques). Autrement dit, je me fie à mon expérience sensible, je ne sais jamais vraiment si je rêve ou si je veille. D'où le danger de finir par douter de tout, comme les pyrrhoniens, si on ne trouve pas une forme de connaissance qui ne repose pas sur l'expérience sensible.

Aussi, Descartes entreprend-il de faire l'inventaire de toutes les situations possibles ou notre intelligence pure (c'est-à-dire non polluée par l'intrusion intempestive des sens) est en mesure de rechercher une vérité hors de doute : "voici le recensement de tous les actes de notre entendement qui nous permettent de parvenir à la connais­sance des choses, sans aucune crainte de nous tromper. Il n’y en a que deux à admettre, savoir l’intuition et la dé­duction."(Descartes, Règles pour la Direction de l'Esprit). L'intuition consiste en ce que l'intelligence pure n'est attentive qu'à elle-même et ne recherche qu'en elle-même ce dont elle peut être absolument certaine. A savoir, j'existe comme être pensant, Dieu existe comme source de toute perfection et mon intelligence ne peut être systématiquement sujette à l'erreur.

On voit tout de suite que, par l'intuition, on n'atteint que des vérités métaphysiques, mais aucune vérité physique, autrement dit aucune connaissance scientifique. Pour cela, il va falloir faire usage de la déduction qui consiste, à partir des trois vérités métaphysiques fondamentales, à faire progresser notre intelligence vers de nouvelles vérités et à conclure sans faire jamais appel à l'expérience sensible. Par exemple, de ce que deux droites sécantes déterminent nécessairement quatre secteurs angulaires deux à deux opposés par le sommet et deux à deux égaux (vérité évidente pour l'intelligence, il n'y a rien à vérifier par l'expérience sensible), et de ce qu'une bissectrice partageant deux de ces quatre angles opposés par le sommet en quatre secteurs angulaires égaux (même remarque), je conclus une loi physique valable essentiellement dans le domaine de l'optique : l'angle d'incidence est égal à l'angle de réflection (faire ici le schéma de la "loi de Descartes"). (argumentsprincipaux et arguments secondaires)

Voilà donc faite la preuve que l'on peut et que l'on ne doit, lorsqu'on recherche la vérité scientifique, ne se fier qu'à l'intelligence pure et attentive et non à l'expérience sensible (bilande la 1° partie).

Oui mais pour être d'accord avec Descartes, ne faut-il pas supposer que l'intelligence pure est innée ? (transitionentre la 1° et la 2° partie)

II - Or, à moins de dire que l'intelligence pure est innée, on doit bien admettre que toute connaissance, qu'elle soit scientifique ou non, est acquise par, et donc provient de l'expérience sensible. (titrede la 2° partie, cf. annonce du plan)

En effet, pour être pleinement en accord avec Descartes, il faut absolument supposer que l'intelligence pure n'est pas acquise mais innée. Parce que, si elle est acquise, on voit mal comment elle pourrait l'être autrement qu'à travers l'apprentissage, donc à travers les sens. Or, justement, la science moderne montre que nos aptitudes intellectuelles sont, pour l'essentiel, acquises par l'apprentissage. (amorce: j'annonce ici pourquoi Descartes est critiquable)

"Dire qu’une proposition est vraie ou fausse, à proprement parler, cela veut dire seulement qu’il faut qu’il y ait possibilité de décider en sa faveur ou contre elle. [Or, par exemple], je ne peux pas me tromper au sujet de la proposition "12.12=144"."(Wittgenstein, de la Certitude)Wittgenstein fait donc remarquer qu'il y a deux sortes de propositions affirmatives : celles qui sont vraies ou fausses, et celles qui ne sont ni vraies ni fausses. Dans le premier cas, ce qui rend la proposition vraie ou fausse, c'est la confrontation avec la réalité à travers l'expérience sensible. Wittgenstein appelle "empirique", ce genre de proposition (par exemple : "il fait beau aujourd'hui"). Dans le second cas, ce qui fait que la proposition n'est ni vraie ni fausse, c'est précisément qu'il n'y a rien à vérifier par l'expérience sensible parce que la proposition est réputée irréfutable. Wittgenstein appelle "incontestable", ce genre de proposition (par exemple : "douze fois douze font cent quarante-quatre").

Donc, Wittgenstein est d'accord avec Descartes pour souligner qu'il existe bien des propositions absolument hors de doute, puisqu'elles sont incontestables : les propositions mathématiques en sont un bel exemple. Et, comme Descartes, Wittgenstein pense que, si ce n'était pas le cas, on ne pourrait plus rien dire ni rien penser de vrai (par exemple, comment pourrais-je expliquer à un passant le chemin qu'il doit emprunter pour se rendre à la gare, si nous n'avions pas, lui et moi, une confiance aveugle en un certain nombre de notions géométriques ?) : "C’est comme si on disait : "Disputez d’autre chose, quant à ceci, c’est intangible, c’est un point fixe sur lequel votre dispute peut tourner." […] Cette proposition, je ne peux pas la mettre en doute sans renoncer à tout jugement."(Wittgenstein, de la Certitude)

En revanche, contrairement à Descartes, si ces propositions sont incontestables, ce n'est pas parce qu'elles sont innées, mais plutôt parce qu'elles bénéficient d'une sorte de consensus social. Car, en fait, ces propositions incontestables (mathématiques, par exemple), sont acquises exactement de la même manière que les propositions empiriques, c'est-à-dire par l'expérience sensible : "la proposition mathématique a été obtenue par une série d’actions qui ne se dif­férencient d’aucune façon du reste des actions de la vie et qui sont tout aussi sujettes à l’oubli, l’inadvertance et l’illusion."(Wittgenstein, de la Certitude). En effet, j'apprends les mathématiques à l'école, en écoutant mes professeurs, en lisant l'énoncé des exercices et des problèmes, etc. Il m'arrive donc de me tromper en énonçant une proposition mathématique, tout comme je le fais en énonçant une proposition empirique. Wittgenstein fait ici une analogie : les mathématiques sont aux connaissances scientifiques ce que les règles du football sont au football. Je n'ai pas le droit d'enfreindre les règles (par exemple en me dopant), car alors, le jeu est impossible (si je triche, je ne suis plus autorisé à jouer). Mais tout le monde sait bien que j'ai la capacité de les enfreindre, justement parce que ces règles ne sont pas innées mais acquises par l'expérience sensible. (argumentsprincipaux et arguments secondaires)

Bref, toute connaissance, quelle qu'elle soit, et donc, en particulier, la connaissance scientifique, provient nécessairement de l'expérience sensible (bilande la 2° partie).

Or, si toute connaissance est acquise par les sens, les propositions incontestables ne sont-elles pas néanmoins prioritaires sur les propositions empiriques dans la démarche scientifique ? (transitionentre la 2° et la 3° partie)

III - Cependant, ce qui importe dans la connaissance scientifique, ce n'est pas sa provenance, mais sa valeur qui découle de la priorité de la réflexion a priori sur l'expérience sensible. (titrede la 2° partie, cf. annonce du plan)

Descartes comme Wittgenstein s'attachent à analyser l'origine de la connaissance scientifique : intellectuelle pour l'un, empirique pour l'autre. Or, il se pourrait bien que, ce qui fait la valeur de la science, ce ne soit pas son origine (innée ou acquise) mais sa démarche (amorce : j'annonce ici pourquoi Descartes et Wittgenstein sont tousles deux critiquables)

Kant pense que le propre de la connaissance scientifique, c'est sa méthode qui consiste en deux étapes : une étape empirique et une étape pure. Mais il s'empresse aussitôt d'ajouter que ces deux étapes n'ont pas la même valeur : il y une des deux parties qui est plus fondamentale, puisque la partie pure est a priori, c'est-à-dire prioritaire, tandis que l'autre, la partie empirique, ne vient qu'après la partie pure en s'appuyant sur elle. En bref, "une science proprement dite [...] exige une partie pure sur laquelle se fonde la partie empirique et qui re­pose sur la connaissance a priori des choses de la nature."(Kant, Pre­miers Principes Métaphysiques de la Science de la Nature)

Donc, comme Descartes, Kant dit que la connaissance scientifique se caractérise en premier lieu par une réflexion de l'intelligence pure, c'est-à-dire indépendamment de l'expérience sensible. Cette réflexion, nous dit Kant, consiste à déduire et à conclure une hypothèse mathématisée dans la mesure où "la connaissance rationnelle par la construction des concepts, c’est la mathématique." (Kant, Pre­miers Principes Métaphysiques de la Science de la Nature). Par exemple, en 1844, l'astronome français Le Verrier déduit, par le calcul, qu'il doit exister une autre planète au-delà de la planète Uranus (on l'appellera Neptune). Or, cette déduction n'est, pour l'instant, qu'une hypothèse, c'est-à-dire, pour parler comme Kant, qu'elle ne fait connaître que la possibilité de cette nouvelle planète, et non pas sa réalité comme le pensait Descartes : "connaître une chose a priori signifie la connaître d’a­près sa simple possibi­lité."(Kant, Pre­miers Principes Métaphysiques de la Science de la Nature). Donc, pour savoir si Neptune est bien une réalité et non une fiction, il va néanmoins falloir vérifier l'hypothèse, c'est-à-dire avoir recours à l'expérience sensible, en l'occurrence en cherchant au moyen du télescope à apercevoir cette nouvelle planète. Ce qui sera fait dès 1846 lorsque, grâce aux calculs formulés dans l'hypothèse, l'astronome allemand Galle trouvera la planète exactement là où Le Verrier l'avait prédit.

Bref, pour savoir ce qui est scientifiquement vrai, la dernier mot reste quand même à l'expérience sensible, comme le pense Wittgenstein. Cela dit, Kant ne s'intéresse pas vraiment à l'origine des connaissances scientifiques mais à la valeur de celles-ci. Ce qui importe pour lui, c'est qu'il existe, dans la démarche scientifique, une partie pure ou a priori, d'où qu'elle provienne, qui permet, d'abord de déterminer, à travers une hypothèse mathématisée, une expérience possible : "ce qui est possible est déterminé a priori comme objet d’une expérience possible en général."(Kant, Critique de la Rai­son Pure). Et c'est la mathématisation de l'hypothèse scientifique qui encadre ensuite l'expérience sensible en la guidant rigoureusement cette expérience au moyen des notions mathématiques qui y sont contenues, lesquelles ne prennent en considération que des phénomènes quantifiables et donc mesurables sans contestations possibles. (argumentsprincipaux et arguments secondaires)

C'est donc bien cette priorité de la réflexion pure (hypothèse) sur l'expérience sensible qui donne à la science toute sa valeur. Mais d'un autre côté, sans l'expérience sensible (expérimentation), il n'y aurait pas de connaissance scientifique (bilande la 3° partie).

Nous avons donc pu voir qu'à première vue c'est une exigence scientifique fondamentale que de douter de la fiabilité des informations fournies par les sens et de n'accorder sa confiance qu'à la réflexion pure. Or, la réflexion pure en question a beau être constituée par des propositions incontestables, elle est très probablement acquise et non pas innée, de sorte qu'elle provient de toute façon d'un apprentissage sensible. Cependant, ce qui fait la valeur de la connaissance scientifique, ce n'est pas son origine, mais sa démarche qui consiste en la priorité donnée à la construction d'hypothèses mathématisées qui guident et encadrent rigoureusement le recours à l'expérience sensible. (j'airésumé d'une phrase chaque partie de mon développement)


1 "Ce qui possible est déterminé a priori comme objet d’une expérience possible en général."(Kant - Critique de la Rai­son Pure)
2 On dirait aujourd'hui "leur hypothèse".
3 Au moment de la rédaction de ce texte (fin du XVIII° siècle), la chimie comme discipline scientifique autonome n’existe pas encore.