(extraits de l'édition Gallimard - Folio Essais
notes : Philippe Jovi)
§1
- La rigidité des règles logiques est-elle de nature métaphysique
?
Nous
avons l'idée d'un super-mécanisme lorsque nous parlons de nécessité
logique1.
Par exemple, la physique a essayé (c'était pour elle un idéal) de
réduire les choses à des mécanismes ou au choc de quelque chose
contre quelque chose d'autre. Votre désir est de dire : "il
y a une liaison".
Mais qu'est-ce qu'une liaison ? Eh bien des leviers, des chaînes,
des engrenages. Ce sont là des liaisons, mais ce que nous devrions
expliquer ici, c'est plutôt le préfixe "super".
Nous disons que les hommes condamnent un homme à mort, et nous
disons que la loi le condamne à mort. "Bien
que le jury puisse l'absoudre, l'acquitter, la loi ne le peut"
(cela
peut vouloir dire que la loi ne peut se laisser suborner2,
etc.). L'idée de quelque chose de super-strict, quelque chose de
plus strict qu'un juge ne peut l'être, une super-rigidité, quelque
chose que l'on ne peut pas influencer3.
Le rôle de tout ceci étant de nous amener à nous demander :
"avons-nous
une image de quelque chose de plus rigoureux ?"
Sans
doute que non. Mais nous sommes enclins à nous exprimer nous-mêmes
à la forme superlative. [...] "Le
levier géométrique est plus dur que le plus dur de tous les
leviers, il ne peut pas plier."
Là,
vous avez le cas de l'impossibilité logique4.
"La
logique est un mécanisme forgé dans un matériau infiniment dur, la
logique ne peut pas plier, ou ne peut plus plier."
C'est
là la façon d'arriver à un super-quelque chose, la façon dont
certains superlatifs viennent au jour, la façon5
dont ils sont employés. […]
§2
- La signification d'une expression est-elle en nous ou hors de nous
?
Un
Français dit en français "il
pleut"
et
un Anglais le dit en anglais. Ce n'est pas qu'il se soit passé dans
leurs esprits quelque chose qui soit le sens réel de "il
pleut".
Nous imaginons quelque chose comme une imagerie
mentale qui serait en quelque sorte le langage international6.
Et pourtant, en réalité : 1° la pensée (ou imagerie mentale)
n'est pas quelque chose qui accompagne les mots lorsqu'on les
prononce ou lorsqu'on les entend7,
2° le sens des mots, la pensée "il
pleut",
ce n'est pas non plus les mots auxquels on ajoute en accompagnement
une sorte d'imagerie8
[...]. Penser, ce n'est pas parler avec en plus quelque chose qui
accompagne ce qu'on dit, ce n'est pas du bruit flanqué de quelque
chose de plus. Quoi que ce puisse être, ce n'est pas quelque chose
du
genre
"il
pleut",
mais c'est
"il
pleut"
par
exemple à l'intérieur de la langue française9.
Prenez un Chinois qui émet le bruit "il
pleut"
avec
les même accompagnements. Pense-t-il "il
pleut"
?
[...] Avec une plume et du papier, je trace quelques lignes. Je
demande "qui
est-ce ?",
et vous me répondez "c'est
Napoléon".
Personne ne vous a jamais appris à appeler ce tracé Napoléon. La
pesée à la balance est un phénomène similaire à celui-ci [...].
Nous disons "c'est
Napoléon".
Il y a une balance insolite qui nous fait dire "ceci
est la même chose que cela"
["il
pleut"est
la même chose que "it's
raining"].
Il y a une égalité que nous pourrions appeler "égalité
d'expression".
Nous
avons appris l'emploi de "le
même".
Et nous l'employons alors qu'il n'y a similitude ni de poids, ni de
longueur, ni de quoi que ce soit du même genre. Nous cherchons à
être d'accord d'une autre façon10.
[…]
§3
- La réponse à la question "pourquoi ?" est-elle
nécessairement une explication causale ?
Ces
considérations tiennent à la différence qui existe entre cause et
motif. Au tribunal, on vous demande quel est le motif de votre
conduite et vous êtes supposés le connaître. A moins de mentir,
vous êtes supposés capable de dire quel est le motif de votre
conduite. Vous n’êtes pas supposé connaître les lois qui
régissent votre corps et votre esprit. Pourquoi les juges
supposent-ils que vous le connaissez ? Parce que les expériences que
vous avez faites de vous-mêmes sont si nombreuses11
? On dit parfois : "personne
ne peut voir en vous, mais vous, vous le pouvez",
comme si, étant si proche de vous-même12,
étant vous-même, vous connaissiez votre propre fonctionnement. Mais
en est-il ainsi ?13
"Il
doit sûrement savoir pourquoi il a dit telle ou telle chose."Il
y a un cas de ce genre, c'est lorsque vous donnez la raison pour
laquelle vous avez fait quelque chose. "Pourquoi
avez-vous écrit 6429 sous cette barre ?"
Vous
alléguez la multiplication que vous venez de faire. "Je
suis arrivé à ce résultat par ce calcul."
C'est
comme si vous donniez un mécanisme [comme explication], mais on
pourrait dire que vous donnez un motif pour avoir écrit ces
chiffres14.
"Cela
signifie que j'ai parcouru tel et tel processus de raisonnement."
Ici,
"pourquoi
avez-vous fait cela ?"signifie
"comment
en êtes-vous arrivé là ?"
Vous
donnez une raison, le chemin que vous avez suivi15.
[...]
§4
- En quoi consiste le fait de juger en appliquant une règle ?
Un
homme qui s'y connaît en vêtements bien coupés, que fait-il par
exemple en cours d'essayage chez son tailleur ? "C'est
la longueur correcte",
"c'est
trop court",
"c'est
trop étroit".
Les mots d'approbation ne jouent aucun rôle, cependant que cet homme
aura l'air satisfait si le vêtement lui va bien16.
Au lieu de "c'est
trop court",
il aurait pu dire "mais
voyez donc !"ou
au lieu de "correct",
il aurait pu dire "n'y
touchez plus !"
Un
bon coupeur
peut très bien ne pas employer de mots du tout, mais se contenter de
faire une marque à la craie pour apporter la modification voulue par
la suite. Comment est-ce que je montre mon approbation en ce qui
concerne un vêtement ? Avant tout en le portant souvent, en
l'appréciant lorsque je le vois, etc.17
[...]. En ce qui concerne le mot "correct",
vous avez affaire à plusieurs cas, d'ailleurs connexes. D'abord le
cas dans lequel vous apprenez les règles. Le coupeur apprend quelle
longueur doit avoir le manteau, quelle largeur la manche, etc. Il
apprend des règles (on l'y exerce), de même qu'en musique on vous
exerce à l'harmonie et au contre-point. Supposons que je me prenne
de goût pour le métier de tailleur et que d'abord j'apprenne toutes
les règles. Je pourrais avoir au total deux sortes d'attitudes : 1°
Lewy me dit "c'est
trop court"
et
je réponds "non,
c'est correct, c'est conforme aux règles"
;
2° il se développe en moi un sentiment18
des règles, je les interprète19
[...], et dans ce dernier cas je porterais un jugement esthétique
sur ce qui est conforme aux règles. Mais si je n'avais pas appris
les règles, je ne serais pas en mesure de porter un jugement
esthétique20.
À apprendre les règles, vous parvenez à un jugement toujours plus
affiné. Apprendre les règles change effectivement votre jugement.
[...]
§5
- Suffit-il d'énoncer un jugement esthétique pour montrer qu'on s'y
connaît en art ?
Dans
ce que nous appelons les beaux-arts, quiconque est doté de jugement
développe (ce qui ne veut pas dire qu'une personne, qui devant
certaines choses, s'exclame "que
c'est merveilleux !"
soit
dotée de jugement). Si nous parlons des jugements esthétiques21,
nous pensons entre mille autres choses aux beaux-arts22.
Quand nous portons un jugement esthétique sur quelque chose, nous ne
nous contentons pas de rester bouche bée et de dire "oh,
comme c'est merveilleux !"
Nous
distinguons23
entre celui qui sait ce dont il parle et celui qui ne sait pas. Pour
admirer la poésie anglaise, il faut savoir l'anglais. Supposez qu'un
Russe qui ne sait pas l'anglais soit bouleversé par un sonnet
considéré comme bon. Nous dirions qu'il ne sait absolument pas ce
qu'il y a dans ce sonnet. De même, d'une personne qui ne connaît
pas la métrique, mais qui est bouleversée, nous dirions qu'elle ne
sait pas ce qu'il y a dans le poème. En musique, ce phénomène est
encore plus prononcé. Supposons quelqu’un qui admire une œuvre
considérée comme bonne, mais qui ne peut pas se souvenir des airs
les plus simples, qui ne reconnaît pas la basse quand elle se fait
entendre, etc. ; nous disons qu’il n’a pas vu ce qu’il y a dans
l’œuvre. "Cet
homme a le sens de la musique"
n'est
pas une phrase que nous employons pour parler de quelqu'un qui fait
"ah
!"
quand
on lui joue un morceau de musique, non plus que nous le disons du
chien qui frétille de la queue en entendant de la musique24
(cf. une personne qui aime écouter de la musique, mais est
absolument incapable d'en parler et ne se montre pas du tout
intelligente25
à ce sujet). [...]
§6
- Est-ce à la psychologie qu'il revient d'expliquer l'appréciation
esthétique?
Nombre
de gens vivent encore avec l’idée que la psychologie expliquera un
jour tous nos jugements esthétiques26
[...]. C’est vraiment une drôle d’idée27.
Il ne me semble pas y avoir la moindre liaison entre ce dont
s’occupent les psychologues et le jugement qui porte sur une œuvre
d’art. Pourquoi ne pas examiner ce que pourrait bien être cette
chose que nous appellerions explication d’un jugement esthétique ?
Supposons qu’on ait constaté que tous nos jugements procèdent du
cerveau. Des types particuliers de mécanismes y ont été
découverts, des lois générales formulées, etc. On pourrait
montrer que telle suite de notes produit telle réaction
particulière, qu’elle fait sourire le sujet, qu’elle lui fait
dire "c'est
admirable !"
À
supposer que ceci soit acquis, nous pourrions être en mesure de
prédire ce que chaque personne prise en particulier aimerait ou
n'aimerait pas. Ce sont des choses que nous pourrions prévoir28.
Toute la question est de savoir si c'est là la sorte d'explication
que nous aimerions avoir lorsque nous restons perplexe devant des
impressions esthétiques [...]. De toute évidence, ce à quoi nous
aspirons, ce n'est pas ce dont nous venons de parler, c'est-à-dire
un procès-verbal de réactions, mise à part l'impossibilité
évidente de la chose [...]. L'explication que l'on cherche lorsqu'on
reste perplexe devant une impression esthétique n'est pas une
explication causale, n'est pas une explication corroborée par
l'expérience ou par la statistique des manières que l'homme a de
réagir, vous ne pouvez pas arriver à l'explication par
l'expérimentation psychologique [...]. La perplexité esthétique
suggère un "pourquoi
?",
mais pas une cause29.
L'expression de la perplexité prend la forme d'une critique30
[...]. La forme qu'elle pourrait prendre, c'est de dire, en regardant
un tableau : "qu'est-ce
qui ne va pas dans ce tableau ?"
[...]
§7
– Est-ce parce qu'elles sont corroborées par l'expérience que les
explications psychanalytiques sont convaincantes ?
On
adopte nombre d'explications parce qu'elles ont un charme singulier.
L'image selon laquelle les gens ont des pensées inconscientes a un
certain charme31.
L'idée d'un monde souterrain, un caveau secret. Quelque chose de
caché, d'inquiétant [...]. Pourquoi agissons-nous ainsi ? C'est là
la sorte de chose que nous faisons. Il y a une masse de choses que
l'on est prêt à croire parce qu'elles sont mystérieuses32.
Une des choses les plus importantes pour une explication en
physique, c'est qu'elle doit
marcher,
qu'elle doit
nous rendre capables de prévoir avec succès. La physique est liée
à l'art de l'ingénieur : le pont ne doit pas s'effondrer. Freud dit
: "il
y a plusieurs instances dans notre esprit."
Nombreuses
sont les explications (par exemple celles de la psychanalyse) qui ne
naissent pas de l'expérience comme c'est le cas de l'explication en
physique. L'attitude
qu'elles expriment est importante. Elles nous donnent une image qui
exerce une attraction singulière en ce qui nous concerne [...].
Supposez quelqu'un qui, comme Freud, souligne énormément
l'importance de la détermination sexuelle dans la mesure où les
déterminations sexuelles sont très importantes et où souvent les
gens ont de bonnes raisons de cacher une détermination sexuelle33
[...]. Mais justement, n'est-ce pas là une bonne
raison
d'admettre le sexe comme motif pour tout, une bonne raison de dire :
"il
est réellement à la base de tout"
?
Ne voyez-vous pas nettement qu'un procédé d'explication particulier
peut vous amener à admettre quelque chose d'autre ? [...] Cf.
l'affaire Darwin34
[...] : quelqu'un a-t-il jamais vu le processus d'évolution en œuvre
? Non. Quelqu'un l'a-t-il vu survenir actuellement ? Non35.
La preuve par l'élevage sélectionné n'est qu'une goutte d'eau dans
la mer. Mais il y a eu des milliers de livres qui ont décrit cette
solution comme la
solution
évidente36.
[...]
§8
- Le rêve peut-il légitimement être considéré par la
psychanalyse comme un langage mystérieux ?
Il
est caractéristique des rêves que souvent le rêveur a l’impression
qu’ils demandent à être interprétés37.
On n’est pratiquement jamais enclin à prendre note d’un rêve
éveillé, ou à le raconter à autrui, ou à se demander :
"qu’est-ce
qu’il signifie ?"
Mais
les vrais rêves semblent avoir en eux quelque chose de troublant et
d’un intérêt spécial, de sorte que nous voulons en avoir
l’interprétation (on les a souvent regardés comme des messages38).
Il semble qu’il existe dans les images du rêve quelque chose qui a
une certaine ressemblance avec les signes du langage39
[...]. Il y a à Moscou une cathédrale à cinq clochers40.
Sur chacun de ceux-ci, la configuration des spires est différente.
On a la vive impression que ces formes et arrangements différents
doivent signifier quelque chose. [...]. Quand nous interprétons des
rêves, notre démarche n’est pas homogène41.
Il y a un travail d’interprétation qui, pour ainsi dire,
appartient encore au rêve lui-même. Quand on examine un rêve, il
est important d’examiner quels sont ses avatars, comment il change
d’aspect lorsque, par exemple, il est mis en relation avec d’autres
choses remémorées. Au moment du réveil, un rêve peut nous
impressionner de diverses façons : on peut être terrifiés,
angoissés, excités, etc. Si on se souvient alors de certains
événements du jour précédent, et si on les met en relation avec
ce qu’on a rêvé, on voit d’ores et déjà apparaître une
différence, le rêve change d’aspect. Et si, en réfléchissant
sur le rêve, nous sommes amenés à nous ressouvenir de certaines
circonstances de notre prime jeunesse, le rêve prendra encore un
autre aspect [...]. Nous pourrions dire d’un rêve une fois
interprété qu’il s’insère dans un contexte où il cesse d’être
troublant. En un sens, le rêveur rêve à nouveau son rêve dans un
environnement tel que le rêve change d’aspect. C’est comme si on
nous présentait un fragment de toile sur lequel un artiste aurait
peint une main, une portion de visage et certaines autres formes dans
un arrangement qui nous paraisse incongru42
et qui nous laisse perplexes43.
[...]
§9
- Si l'interprétation psychanalytique n'est pas scientifique,
est-elle pour autant dépourvue d'intérêt ?
Freud
se réfère à divers mythes de l’antiquité et prétend que ses
recherches ont enfin permis d’expliquer comment il se fait que
l’homme ait jamais pu penser ou proposer cette sorte de mythe44.
Ce n’est pas cela que Freud a fait en réalité mais quelque chose
de différent. Il n’a pas donné une explication scientifique du
mythe antique45.
Il a proposé un mythe nouveau46
: voilà ce qu’il a fait. Par exemple l’idée selon laquelle
toute anxiété est une répétition de l’anxiété à laquelle a
donné lieu le traumatisme de la naissance47,
a un caractère attrayant qui est précisément le même que celui
qu’a une mythologie. "Il
n’y a là que l’aboutissement de quelque chose qui s’est passé
il y a longtemps48."
C’est
presque comme s’il se référait à un totem49.
On pourrait pratiquement en dire autant de la notion de "scène
primitive".
Celle-ci comporte l’attrait de donner à la vie de chacun une sorte
de canevas tragique50.
Elle est tout entière la répétition du même canevas qui a été
tissé il y a longtemps. Comme un personnage tragique exécutant les
décrets auxquels le Destin l’a soumis à sa naissance. Il y a de
nombreuses personnes qui, à un moment de leur vie éprouvent des
troubles, des troubles si sérieux qu’ils peuvent conduire à des
idées de suicide. Une telle situation est susceptible d’apparaître
à l’intéressé comme quelque chose de néfaste, quelque chose de
trop odieux pour faire le thème d’une tragédie. Et il peut
ressentir un immense soulagement si on est en mesure de lui montrer
que sa vie a plutôt l’allure d’une tragédie51,
qu’elle est l’accomplissement tragique et la répétition d’un
canevas qui a été déterminé par la "scène
primitive".
[…]
§10
- Une croyance religieuse est-elle une simple affirmation incertaine
qui nécessite d'être étayée par des preuves ?
Supposez
un croyant qui dise : "je
crois52
en un Jugement Dernier",
et que je dise "eh
bien, c’est possible, mais je n’en suis pas si sûr".
Vous diriez qu’il y a un abîme entre nous. S’il disait "il
y a un avion allemand en l’air"et
que je dise "c’est
possible mais je n’en suis pas si sûr",
vous diriez que nous sommes assez proches l’un de l’autre. En
disant "Wittgenstein,
vous avez dans l’esprit quelque chose de complètement différent",
vous pourriez exprimer par là non pas le fait que je sois plus ou
moins proche de lui, mais au contraire que je me meus sur un plan
complètement différent53.
Il se pourrait qu’aucune explication de ce que l’on a dans
l’esprit ne fasse ressortir la différence si peu que ce soit54.
Pourquoi se fait-il alors que, dans ce cas, il semble que je passe à
côté de l’essentiel ? Supposez un homme qui se donnerait pour
cette vie la règle de conduite suivante : croire au Jugement Dernier
[...]. Comment allons-nous savoir si nous pouvons dire qu’il croit
ou non que le Jugement Dernier va arriver ? Le lui demander ne suffit
pas. Il dira probablement qu’il a des preuves55.
Or, ce qu’il a, c’est ce que nous pourrions appeler une croyance
inébranlable. Cela ressortira non pas d’un raisonnement ou d’une
référence aux raisons habituelles que l’on invoque à l’appui
d’un croyance, mais bien plutôt du fait que tout dans sa vie obéit
à la règle de cette croyance56
[...].
En fait, s’il y avait des preuves, ce problème s’évanouirait.
Rien de ce que normalement nous appelons preuves serait de nature à
l’influencer le moins du monde57.
[…]
§11
- Les croyances religieuses sont-elles raisonnables ou déraisonnables
?
"Ces
gens s’en tiennent rigoureusement à l’opinion (ou au point de
vue) qu’il y a un Jugement Dernier".
"Opinion"rend
un son bizarre. C’est pour cette raison qu’on emploie d’autres
mots : "dogme",
"foi"58.
Ce n’est pas d’hypothèse qu’il est question, ni de haute
probabilité, non plus que de connaissance. Quand on parle de
religion, on emploie des expressions telles que "je
crois que telle ou telle chose va arriver",
et cet emploi est différent de celui que nous en faisons dans les
sciences59.
Toutefois, la tentation est grande de penser que nous employons ces
expressions de cette dernière façon60.
Parce que nous parlons de preuves, parce que nous parlons de preuves
par expérience61.
Nous pourrions même parler d’événements historiques. On a dit
que le christianisme repose sur une base historique. Des milliers de
fois des gens intelligents ont dit que dans ce cas il ne suffit pas
que la base soit indubitable. Quand bien même il y aurait autant de
preuves que pour Napoléon. Parce que ce caractère indubitable ne
suffirait pas pour me faire changer ma vie tout entière62.
Le christianisme ne repose pas sur une base historique au sens où ce
serait la croyance normale aux faits historiques qui pourrait lui
servir de fondement [...]. Dirais-je qu’ils sont déraisonnables ?
Non je ne les appellerais pas ainsi. Je ne dirais pas pour autant
qu’ils sont raisonnables, c’est évident63.
Car pour tout le monde "déraisonnable"
implique
blâme [...]. Vous diriez qu’ils raisonnent faux dans le cas où
ils raisonneraient d’une manière semblable à la nôtre et
feraient ce qui pour nous correspondrait à une faute64
[...] : tel coup est une faute dans un jeu particulier et non dans un
un autre. […]
§12
- Le problème de l'existence de Dieu est-il celui de l'existence
d'une personne ?
Le
mot "Dieu"65
est l’un de ceux que l’on apprend le plus tôt : images,
catéchisme, etc. Mais les conséquences ne sont pas les mêmes que
lorsqu’il s’agit d’images représentant les tantes de
l’enfant66.
On ne m’a pas montré ce que l’image représentait. Ce mot est
utilisé comme un mot représentant une personne : Dieu voit, il
récompense, etc. "Puisqu'on
vous a montré toutes ces choses, avez-vous compris ce que le mot
signifiait ?"
Je
répondrais : "oui
et non. J'ai appris ce qu'il ne signifiait pas, je me suis fait
comprendre, j'ai pu répondre à des questions, les comprendre quand
on les posait sous des formes différentes. Et dans ce sens, on
pourrait dire que j'ai compris."
Si
on en vient à l'existence67
d'un dieu ou de Dieu, cette question joue un rôle complètement
différent de celui que joue la même question portant sur
l'existence de toute personne ou tout objet dont j'aie jamais entendu
parler68.
On a dit, il fallait bien le dire, que l'on croit
à
l'existence, et on a considéré le fait de ne pas y croire comme
quelque chose de grave. Normalement, si je ne croyais pas à
l'existence de quelque chose, personne n'irait penser qu'il y ait là
quoi que ce soit d'étrange. Donc il y a cet emploi extraordinaire du
mot "croire".
On parle de croire et, dans le même temps, on n'emploie pas "croire"
comme
on le fait ordinairement [...]. Je pourrais imaginer quelqu'un qui
montrerait une passion69
extrême dans sa croyance à un tel phénomène et dont je serais
absolument incapable d'entamer sa croyance en disant : "l'apparition
de ce phénomène pourrait tout aussi bien être due à telle ou
telle chose",
car il penserait alors qu'il y a là blasphème70
de ma part. […]
§13- L'éthique est-elle la science du bien ?
J'adopterai
l'explication que le professeur Moore a donnée de [l'éthique] dans
ses Principia
Ethica
: "l'éthique
est l'investigation générale
de
ce qui est bien"71.
Je vais maintenant utiliser ce terme dans un sens un peu plus large
[...]. Pour
vous faire voir72
aussi clairement que possible ce que je pense être le sujet propre
de l'éthique, je vous soumettrai un certain nombre d'expressions
plus ou moins synonymes […]. En les énumérant, je cherche à
produire le même type d'effet que Galton lorsqu'il photographiait
sur la même plaque sensible un certain nombre de visages différents
afin d'obtenir une image des traits typiques qu'ils avaient en
commun73
[…]. Ainsi
au lieu de dire "l'éthique
est l'investigation de ce qui est bien"74,
je pourrais avoir dit qu'elle est l'investigation de ce qui a une
valeur, ou de ce qui compte réellement, ou j'aurais pu encore dire
que l'éthique est l'investigation du sens de la vie, ou de ce qui
rend la vie digne d'être vécue, ou de la façon correcte de vivre.
Je pense qu'en examinant toutes ces phrases, vous aurez une idée
approximative de ce dont l'éthique75
s'occupe. [Toutefois], tout
ce à quoi je tend[s] -et, je crois, ce à quoi tendent tous les
hommes qui ont une fois essayé d'écrire ou de parler sur l'éthique
ou la religion- c'[est] d'affronter les bornes du langage76.
C'est
parfaitement, absolument sans espoir de donner ainsi du front contre
les murs de notre cage. Dans
la mesure où l'éthique naît du désir de dire quelque chose de la
signification ultime de la vie, du bien absolu, de ce qui a une
valeur absolue, l'éthique ne peut être une science. Ce qu'elle dit
n'ajoute rien à notre savoir, en aucun sens77.
§14
- En quel sens les prescriptions éthiques peuvent-elles être
qualifiées d'absolues ?
Supposons
que, si je savais jouer au tennis, l'un d'entre vous, me voyant
jouer, me dise : "vous
jouez bien mal !"
et
que je lui réponde : "je
sais que je joue mal mais je ne veux pas jouer mieux !".
Tout ce que mon interlocuteur pourrait
dire serait : "ah
bon, dans ce cas, d'accord !"78.
Mais supposons que j'aie raconté à l'un d'entre vous un mensonge
extravagant, qu'il vienne me dire : "vous
vous conduisez en goujat !"
et
que je réponde : "je
sais que je me conduis mal, mais de toute façon, je ne veux
aucunement mieux me conduire !".
Pourrait-il dire alors : "ah
bon, dans ce cas, d'accord !"
?
Certainement pas. Il dirait : "eh
bien, vous devez
vouloir79
mieux vous
conduire !"
[...].
La différence entre les deux types de jugement semble consister en
ceci : tout jugement de valeur relative est un simple énoncé de
faits, et peut, par conséquent, être formulé de telle façon
qu'il perd toute apparence de jugement de valeur. Au lieu de dire :
"c'est là la
bonne route pour Granchester !",
j'aurais pu dire tout aussi bien : "c'est
là la route correcte que vous avez à prendre si vous voulez arrivez
à Granchester dans les délais les plus courts !"
[...].
La
route correcte est celle qui conduit à un but que l'on a
prédéterminé de façon arbitraire, et il est tout à fait clair,
pour chacun de nous, qu'il n'y a pas de sens à parler d'une route
correcte en dehors d'un tel but prédéterminé80.
Voyons
maintenant
ce que nous pourrions bien entendre par l'expression "la route
absolument correcte".
Je pense que ce serait la route que chacun
devrait
prendre, mû par une nécessité
logique,
dès qu'il la verrait, sinon il devrait avoir honte. Similairement,
le bien absolu81,
si toutefois c'est un état de chose susceptible de description,
serait un
état dont chacun, nécessairement,
poursuivrait la réalisation, indépendamment de ses goûts et
inclinations, ou dont on se sentirait coupable de ne pas poursuivre
la réalisation. Et je tiens à dire qu'un tel état de choses82
est une chimère.
§15
- En quels termes puis-je parler de l'expérience éthique ?
Je
crois que le meilleur moyen de décrire
[la
valeur éthique ou
valeur absolue],
c'est de dire que, lorsque je fais cette expérience, je
m'étonne de l'existence du monde83.
Et
je suis enclin alors à employer des phrases telles que "comme
il est extraordinaire que quoi que ce soit existe84
!"
ou
"comme il est
extraordinaire que le monde existe !".
Sans m'arrêter à cela, je poursuivrai par cette autre expérience
que je connais également et qui sera sans doute familière
à
nombre d'entre vous : celle que l'on pourrait appeler l'expérience
de se sentir absolument
en sécurité. Je désigne par là cette disposition d'esprit où
nous sommes enclins à dire "j'ai
la conscience tranquille, rien ne peut m'atteindre, quoi qu'il
arrive85
!"
[...].
La troisième expérience du même genre, celle du sentiment de
culpabilité86,
s'est trouvée également décrite par la phrase selon laquelle Dieu
réprouve notre conduite87
[...]. La première des choses que j'ai à en dire, c'est que
l'expression verbale que nous leur donnons [à ces expériences] est
un non-sens ! Si je dis [par exemple] "je
m'étonne de l'existence du monde !",
je fais un mauvais usage du langage. Expliquons-le : cela a un sens
parfaitement clair et correct de dire que je m'étonne de quelque
chose qui arrive
[...]. Dans tous les cas, je m'étonne que se produise une chose dont
j'aurais pu
concevoir qu'elle ne
se produirait pas
[...]. Mais c'est un non-sens de dire que je m'étonne de l'existence
du monde, parce que je ne peux pas imaginer qu'il n'existe pas88.
1
"certaines
vérités sont enchaînées les unes aux autres par des raisons de
fer et de diamant"(Platon,
Gorgias,
509a) ; "la
nécessité est l’idée de quelque chose d’inflexible [...], le
contraire du mouvement résultant du choix et du calcul"(Aristote,
Métaphysique,
D,
1015b) ; "il
ne peut jamais y avoir de surprise en logique [...] ; la
logique est transcendantale [...] ; il
n’y a de nécessité que dans la logique"(Wittgenstein,
Tractatus,
6.1251, 6.13, 6.375)
2
"l'impératif
catégorique est [...] : agis
uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même
temps qu’elle devienne une loi universelle"(Kant,
Fondements
de la Métaphysique des Mœurs,
IV, 420)
3
"la
loi est toujours nécessairement générale, [elle] n'en est pas
moins parfaite, la faute n'en est pas davantage au législateur,
mais elle est toute entière dans la particularité même de
l'action à juger. [...] Il convient alors au juge de se
prononcer"(Aristote,
Éthique
à Nicomaque,
V, 1137b)
4
"‘‘[12
fois 10 cm] ne tiennent pas dans [1 m]’’ est une règle
grammaticale qui énonce une impossibilité logique. Mais ‘‘trois
hommes ne peuvent s’asseoir côte à côte sur un banc d’[1
mètre] de long’’ énonce une impossibilité
physique"(Wittgenstein,
le
Cahier Bleu,
56)
5
"on
enseigne la signification par l’usage"(Wittgenstein,
Recherches
Philosophiques,
II) ; "on
inculque non seulement le calcul aux enfants, mais aussi une
attitude bien particulière à l’endroit des erreurs de
calcul"(Wittgenstein,
Remarques
sur le Fondement des Mathématiques,
425)
6
"quand
ils [les adultes] nommaient une certaine chose et qu’ils se
tournaient, grâce au son articulé, vers elle, je le percevais et
je comprenais qu’à cette chose correspondaient les sons qu’ils
faisaient entendre quand ils voulaient la montrer [...]. C’est
ainsi qu’en entendant les mots prononcés à leur place dans
différentes phrases, j’ai peu à peu appris à comprendre de
quelles choses ils [les sons] étaient les signes"(Augustin,
Confessions,
I, viii) ; "tout
se passe comme si l’enfant [qui apprend à parler] arrivait dans
un pays étranger et ne comprenait pas la langue du pays, ou comme
si l’enfant savait déjà penser, se parler à
soi-même"(Wittgenstein,
Recherches
Philosophiques,
§32)
7
"la
pensée est une discussion que l’âme poursuit tout du long avec
elle-même à propos des choses qu’il lui arrive
d’examiner"(Platon,
Théétète,
189e) ; "les
hommes ayant eu besoin de signes pour marquer tout ce qui se passe
dans leur esprit, il faut aussi que [les
mots]
signifient les objets des pensées, et ainsi faire entendre à ceux
qui n’y peuvent pénétrer tout ce que nous concevons et tous les
divers mouvements de notre âme"(Arnauld
et Lancelot, Grammaire
Générale et Raisonnée,
II, 1)
8
"la
signification d’une phrase est, pour un locuteur donné, la classe
de toutes les stimulations sensorielles qui lui dicterait son
acquiescement à cette phrase"(Quine,
le
Mot et la Chose,
§8) ; "la
signification d’une phrase est identique à la manière dont nous
déterminons sa vérité ou sa fausseté"(Carnap,
Testabilité
et Signification)
9
"il
est donc trompeur de parler de la pensée comme d’une “activité
mentale”. Nous pouvons dire que la pensée est essentiellement
l’activité qui consiste à opérer avec des signes. Cette
activité est accomplie par la main quand nous pensons en écrivant
; par la bouche et le larynx quand nous pensons en
parlant"(Wittgenstein,
le
Cahier Bleu,
6, 7)
10
"le
juste équitable est une proportion géométrique"(Aristote,
Éthique
à Nicomaque,
V, 1131a) ; "la
théorie de la justice-équité conduit à définir un principe de
différence"(Rawls,
Théorie
de la Justice,
§26)
11
"lorsque
je pénètre le plus intimement dans ce que j’appelle moi-même,
je tombe toujours sur une perception particulière […] ; nous ne
sommes qu’un faisceau ou une collection de perceptions différentes
qui se succèdent avec une rapidité inconcevable et sont dans un
flux et un mouvement perpétuel"(Hume,
Traité
de la Nature Humaine,
I, iv, 6)
12
"par
le nom d’idée,
j’entends cette forme de chacune de nos pensées par la perception
immédiate de laquelle nous avons connaissance de ces mêmes
pensées"(Descartes,
Réponses
aux Secondes Objections,
2) ; "l’esprit,
en concevant, se tourne en quelque façon vers soi-même
et
considère quelqu’une
des idées qu’il a en soi"(Descartes,
Méditations
Métaphysiques,
VI, 4)
13
"les
processus psychiques sont par nature inconscients, au point qu'ils
ne sont accessibles au moi et ne sont soumis à celui-ci qu'à
travers une perception incomplète et illusoire. Ce qui revient à
dire que le moi n'est pas le maître dans sa propre maison"(Freud,
Inquiétante
Étrangeté)
14
"la
différence entre cause et raison peut être expliquée de la façon
suivante : la recherche d’une raison entraîne comme partie
essentielle l’accord de l’intéressé avec elle, alors que la
recherche d’une cause est menée expérimentalement [...]. C’est
une confusion de dire qu’une raison est une cause vue de
l’intérieur"(Wittgenstein,
Cours
de Cambridge 1932-1935)
15
"donner
une raison, c’est exposer un calcul par lequel vous êtes arrivés
à un résultat, ou
montrer
un chemin qui conduit à cette action"(Wittgenstein,
le
Cahier Bleu,
15) ; "l’acte
de penser comme son application se déroulent pas à pas comme un
calcul"(Wittgenstein,
Grammaire
Philosophique,
§110) ; "se
justifier par une règle est du même genre que l’acte de dériver
un résultat à partir d’une donnée, du même genre que le geste
qui montre des signes placés sur un tableau"(Wittgenstein,
Grammaire
Philosophique,
§61)
16
"en
ce qui concerne l’agréable, chacun consent à ce que son
jugement, qu’il fonde sur un jugement personnel et privé en vertu
duquel il dit qu’un objet lui plaît, soit du même coup restreint
à sa seule personne [...]. Mais s’il affirme que quelque chose
est beau, il attend des autres qu’ils éprouvent la même
satisfaction : il ne juge pas pour lui seulement, mais pour tout le
monde, et il parle alors de la beauté comme si c’était une
propriété des choses"(Kant,
Critique
de la Faculté de Juger,
§7)
17
"le
corps humain est la meilleure image de l’âme
humaine"(Wittgenstein,
Recherches
Philosophiques,
II)
; "l’Esprit
et le Corps sont une seule et même chose, conçue tantôt sous
l’attribut du Corps, tantôt sous l’attribut de la Pensée,
[même si] certains sont persuadés que le corps obéit au
commandement de l'esprit, [car] en effet personne jusqu'ici n'a
déterminé ce que peut le corps [...] ; ni le corps ne peut
déterminer l’esprit à penser, ni l’esprit ne peut déterminer
le corps au mouvement ou au repos"(Spinoza,
Éthique,
III, 2)
18
"la
raison agit avec lenteur, […] elle s’assoupit, elle s’égare,
faute d’avoir tous ses principes présents ; le sentiment agit
instantanément, il est toujours prêt à agir"(Pascal,
Pensées,
B252)
19
"il
y a un penchant à dire : toute action qui procède selon la règle
est une interprétation ; or nous ne devrions appeler interprétation
que la substitution d’une expression de la règle à une
autre"(Wittgenstein,
Recherches
Philosophiques,
§201). "Interpréter"est ici une action, pas une
réflexion. Cela veut dire "appliquer une règle"et non
pas "reformuler une règle". Il s'agit donc de
l'interprétation au sens où on dit qu'un musicien interprète une
oeuvre : "la
liberté comme inhérente à l'action est peut-être illustrée le
mieux par le concept machiavélien de virtù,
l'excellence avec laquelle un homme répond aux occasions que le
monde lui révèle sous la forme de la fortuna.
Son sens est rendu de la meilleure façon par "virtuosité",
c'est-à-dire la perfection que nous attribuons aux arts d'exécution
(différents des arts créateurs de fabrication) où
l'accomplissement consiste dans l'exécution-même et non dans un
produit fini qui survit à l'activité qu'elle a amené à
l'existence [...]. Toute action comprend un élément de virtuosité,
et [...] la virtuosité est la perfection que nous attribuons aux
arts d'exécution"(Arendt,
la
Crise de la Culture,
IV, i-ii)
20
"le
goût nécessite l’adhésion de tous à une règle universelle
impossible à énoncer"(Kant,
Critique
de la Faculté de Juger,
V,
237)
; "le
jugement de goût doit être fondé a
priori
parce qu’il proclame qu’il y a nécessité [...] d’apprécier
la représentation d’un objet"(Kant,
Critique
de la Faculté de Juger,
§67) ; "ceux
qui jugent autrement, on les blâme et on leur reproche de manquer
de goût"(Kant,
Critique
de la Faculté de Juger,
V, 213)
21
"en
ce qui concerne l’agréable, chacun consent à ce que son
jugement, qu’il fonde sur un jugement personnel et privé, et en
vertu duquel il dit d’un objet qu’il lui plaît, soit du même
coup restreint à sa seule personne [...]. En revanche s’il
affirme que quelque chose est beau, c’est qu’il attend des
autres qu’ils éprouvent la même satisfaction : il ne juge pas
pour lui seulement, mais pour tout le monde"(Kant,
Critique
de la Faculté de Juger,
V, 212)
22
"les
beaux-arts [littérature,
musique, peinture, sculpture, architecture, danse]
sont
les arts du génie"(Kant,
Critique
de la Faculté de Juger,
V, 311) ; "tout
peut être qualifié de beau pour peu que soit assuré un rapport
distant au monde et aux autres, une grande liberté à l’égard
des contraintes économiques"(Bourdieu,
la
Distinction)
23
"seul
le facultatif peut donner lieu à des effets de
distinction"(Bourdieu,
Langage
et Pouvoir Symbolique,
i, 1) ; "les
habitus permettent de se distinguer en dehors même de toute
recherche de distinction"(Bourdieu,
Raisons
Pratiques,
iii) ; "les
effets de distinction inclinent les uns à tenir leur rang, à
garder leurs distances, et les autres à se tenir à leur place, à
se contenter de ce qu’ils sont"(Bourdieu,
Langage
et Pouvoir Symbolique,
ii, 2)
24
Allusion au conditionnement pavlovien et critique du behaviorism
dont Quine est un représentant : "on
présente simultanément à l’enfant des émissions du mot et des
exemples d’objets rouges ; on applaudit aussi à son propre
babillage lorsqu’il émet un son qui ressemble à ‘rouge’
en présence du rouge ; au bout du compte, l’enfant acquiert l’art
d’utiliser le mot conformément au goût de la société"(Quine,
le
Domaine et le Langage de la Science,
ii)
25
"plus
nous comprenons [intelligimus]
de choses singulières, plus nous comprenons Dieu"(Spinoza,
Éthique,
V, 24)
26
"le
royaume de l’imagination est une réserve organisée lors du
passage douloureusement ressenti du principe de plaisir au principe
de réalité, afin de permettre un substitut à la satisfaction des
instincts à laquelle il faut renoncer dans la vie réelle.
L’artiste, comme le névrosé, s’est retiré loin de la réalité
insatisfaisante dans ce monde imaginaire ; mais, à l’inverse du
névrosé, il s’entend à trouver le chemin du retour et à
reprendre pied dans la réalité. Ses créations, les œuvres d’art,
sont des satisfactions imaginatives de désirs inconscients, tout
comme les rêves avec lesquels elles ont d’ailleurs en commun le
caractère d’être un compromis destiné à éviter un conflit
ouvert avec les puissances de refoulement. Mais, à l’inverse des
productions asociales et narcissiques du rêve, elles peuvent
compter sur la sympathie des autres hommes, étant capables
d’éveiller et de satisfaire chez eux les mêmes aspirations à
sublimer des désirs inconscients"(Freud,
ma
Vie et la Psychanalyse)
27
"tant
qu’on ne voudra considérer les sons que par l’ébranlement
qu’ils excitent dans nos nerfs, on n’aura point de vrais
principes de la musique et de son pouvoir sur les cœurs. Les sons,
dans la mélodie, n’agissent pas seulement sur nous comme sons,
mais comme signes de nos affections, de nos sentiments Pourquoi nos
plus touchantes musiques ne sont-elles qu’un vain bruit à
l’oreille d’un Caraïbe ? Ses nerfs sont-ils d’une autre
nature que les nôtres ? Pourquoi ne sont-il ébranlés de même ?
Ou pourquoi ces mêmes ébranlements affectent-ils tant les uns et
si peu les autres ?"(Rousseau,
Essai
sur l’Origine des Langues)
28
"cet
énoncé, qui fait référence à un mécanisme, n’est pas un
énoncé informatif [mais grammatical] parce qu’il utilise
l’analogie avec une machine, ce qui nous égare constamment [...].
Ce qu’il y a derrière la grammaire de cet énoncé est l’image
trompeuse d’un mécanisme monté pour réagir d’une certaine
manière : nous croyons que si nous voyions la machinerie, nous
saurions ce que c’est qu’[apprécier la musique]"(Wittgenstein,
Cours
de Cambridge1932-1935)
29
"on
dit parfois que la musique nous transmet des sentiments, ce qui
semble dire que la musique est la cause de ces
sentiments"(Wittgenstein,
le
Cahier Brun,
179) ; "une
confusion s’installe ici entre raison et cause, à laquelle on est
conduit par l’utilisation ambiguë du mot pourquoi"(Wittgenstein,
le
Cahier Bleu,
15)
30
"toute
philosophie est critique du langage"(Wittgenstein,
Tractatus,
4.0031) ; "on
peut remarquer l’étrange ressemblance d’une recherche
philosophique avec une recherche esthétique"(Wittgenstein,
Remarques
Mêlées,
25)
31
"la
psychanalyse a voulu instruire le moi que la vie pulsionnelle de la
sexualité ne peut être domptée entièrement, et que les processus
psychiques sont par nature inconscients, au point qu'ils ne sont
accessibles au moi et ne sont soumis à celui-ci qu'à travers une
perception incomplète et illusoire. Ce qui revient à dire que le
moi n'est pas le maître dans sa propre maison."(Freud,
Inquiétante
Étrangeté)
32
"nous
sommes très fortement tentés de croire qu’il y a des chose
cachées, que nous voyons les choses de l’extérieur sans pouvoir
en examiner l’intérieur ; ce qui nous mystifie, c'est
l'utilisation du substantif"(Wittgenstein,
le
Cahier Bleu,
6)
33
"dans
la mesure où les relations sociales se construisent sur des
identifications avec d’autres membres de la collectivité, […]
c’est donc l’amour (Éros) qui demeure le principal déterminant
de la conscience morale, que ce soit l’amour sexuel, ou que ce
soit l’amour désexualisé, sublimé"(Freud,
Essais
de Psychanalyse)
34
"le
darwinisme n’est pas une théorie scientifique testable mais un
programme métaphysique de recherche"(Popper,
la
Quête Inachevée,
xxxvii) ; "la
théorie de Darwin [...] n’est qu’une hypothèse des sciences de
la nature"(Wittgenstein,
Tractatus,
4.1122)
35
Le néo-darwinisme, fondé sur la génétique, a, depuis, permis de
confirmer expérimentalement les hypothèses darwiniennes : "la
théorie de l’évolution justifie ses affirmations en décrivant
un mécanisme de variation permettant d’engendrer des hypothèses
: chaque individu d’une espèce à système génétique évolué
possède un génotype [...] sans cesse remanié par un processus qui
consiste à changer au hasard un ou plusieurs éléments du code
génétique"(Cellérier,
l’Explication
dans les Sciences,
vi)
36
"les
entités postulées par la science sont comparables, du point de vue
épistémologique, aux dieux d’Homère
[...] ;
les
objets physiques comme les dieux ne trouvent place dans notre
conception que pour autant qu’ils sont culturellement postulés
[...] ; si
le mythe des objets physiques est supérieur à celui des dieux de
l’Olympe, c’est qu’il s’est révélé être un instrument
plus efficace"(Quine,
les
deux Dogmes de l’Empirisme,
vi)
37
"le
rêveur ne doit raconter son rêve qu'à un savant, à un conseiller
ou à un membre de sa famille connu par sa sagesse, conformément à
ce que la tradition du prophète rapporte"
(Mohammed ibn Sirine, l'Interprétation
des Rêves)
38
"ces
sensations en rêve ne sauraient être le produit du caractère du
rêveur ni le résultat d'un repas, ni même la participation de
Satan. C'est Dieu (qu'Il soit glorifié) qui engendre le vrai rêve
en présence de l'ange chargé de le susciter ; et c'est ainsi que
ce rêve est attribuable à Dieu. Dieu (le Très Haut) crée les
faux rêves, en présence de Satan, et c'est ainsi que ces rêves
seraient attribués à Satan"
(Mohammed ibn Sirine, l'Interprétation
des Rêves)
39
"l’inconscient
est structuré
comme un langage, [...] c’est le discours de l’Autre"(Lacan,
Fonction
et Champ de la Parole et du Langage)
; "quand
nous interprétons un rêve, nous ne faisons que traduire un certain
contenu de pensée (les pensées latentes du rêve) du "langage
du rêve"dans celui de notre vie éveillée"(Freud,
l’Interprétation
des Rêves)
40
Cathédrale du couvent de Novodievitchi, construite au XVI° siècle.
Classée depuis 2004 au patrimoine mondial de l'humanité par
l'UNESCO.
41
""le
langage (ou la pensée) est quelque chose d'unique": cette idée
se révèle être une superstition (et non une erreur) elle même
suscitée par des illusions grammaticales. Et tous le pathos retombe
alors sur ces illusions-là, sur ces problèmes. Les problèmes qui
proviennent d'une fausse interprétation des formes de notre langage
ont le caractère de la profondeur"(Wittgenstein,
Recherches
Philosophiques,
§§110, 111)
42
"ce
qui est fascinant, dans le rêve, ce n'est pas son lien causal avec
les événements de ma vie, mais bien plutôt le fait qu'il agit
comme un fragment, et un fragment très vivant d'une histoire dont
le reste demeure obscur"(Wittgenstein,
Remarques
Mêlées,
69) ; cf. le
tableau Guernica
peint par Picasso pour exprimer sa colère après le bombardement
par les nazis de la petite ville basque de Guernica le 1° mai 1937.
43
"un
problème philosophique est de la forme ‘je
ne m’y reconnais pas’"(Wittgenstein, Recherches
Philosophiques,
§123)
44
"les
prétendus souvenirs d’enfance ne sont pas des traces brutes
d’événements réels, mais une élaboration de ces traces qui a
dû s’effectuer sous l’influence de différentes forces
psychiques ultérieures ; […] de tels “souvenirs” présentent
une remarquable analogie avec les souvenirs d’enfance des peuples,
tels qu’ils sont figurés dans les mythes et les légendes [...] ;
on pourrait se faire fort d’analyser tous les mythes [...] et
ainsi, de convertir la métaphysique en métapsychologie"(Freud,
Psychopathologie
de la Vie Quotidienne)
; "la
conception mythologique du monde, qui se retrouve jusque dans les
religions les plus modernes n’est qu’une psychologie projetée
dans le monde extérieur"(Freud,
Totem
et Tabou,
iv)
45
"la
première règle et la plus fondamentale est de considérer les
faits sociaux comme des choses"(Durkheim,
les
Règles de la Méthode Sociologique)
; "les
catégories logiques sont primitivement des catégories sociales :
tous les membres de la tribu se trouvent classés dans des cadres
définis les uns par rapport aux autres et la classification des
choses reproduit cette classification des hommes"(Durkheim
et Mauss, Contribution
à l’Étude des Représentations Collectives)
; "l’ambition
de toute mythologie est de fonder en raison les divisions
arbitraires de l’ordre social, et d’abord la division du
travail, et de donner aussi une solution logique ou cosmologique au
problème du classement des hommes"(Bourdieu,
Leçon
sur la Leçon)
46
"par
l’éducation, tout être humain se voit imposer la tâche
primitive de maîtriser le complexe d’Œdipe ; c’est alors que
notre “moi” recourt au refoulement et subit une névrose
infantile"(Freud,
Psychanalyse
et Médecine)
; "ses
propositions [...] appartiennent à une sorte de mythologie et leur
rôle est semblable à celui des règles d’un jeu"(Wittgenstein,
de
la Certitude)
47
Wittgenstein fait ici référence à Otto Rank, psychanalyste
autrichien contemporain de Freud, mais qui propose comme mythe des
origines, non pas le
complexe d’Œdipe, mais le traumatisme de la naissance (le
Traumatisme de la Naissance
est d'ailleurs le titre de l'ouvrage qui l'a fait connaître)
48
"le
rêve fait surgir un matériel qui n’appartient ni à la vie
adulte ni à l’enfance du rêveur mais à l’héritage archaïque,
résultat de l’expérience des aïeux et que l’enfant apporte en
naissant avant même d’avoir commencé de vivre ; dans les
légendes les plus anciennes de l’humanité, ainsi que dans
certaines coutumes survivantes, nous découvrons des éléments qui
correspondent à ce matériel phylogénétique"(Freud,
Abrégé
de Psychanalyse)
; "la
métaphysique se caractérise par cette soif de généralité, ou
encore l’attitude dédaigneuse à l’égard
du cas particulier"(Wittgenstein,
le
Cahier Bleu,
19)
49
"le
totem est [...] en premier lieu l’ancêtre du groupe, en deuxième
lieu son esprit protecteur et son bienfaiteur"(Freud,
Totem
et Tabou,
i)
50
"les
récits de nos patients sont de véritables oeuvres d'art"(Freud,
Lettre
à Jung)
51
"la
tragédie [...] par l'entremise de la pitié et de la terreur,
accomplit la catharsis
des émotions"(Aristote,
Poétique,
1450a) ; "la
Cité grecque était la forme de gouvernement qui procurait aux
hommes une scène où ils pouvaient librement jouer une sorte de
théâtre"(Arendt,
la
Crise de la Culture,
IV, ii)
52"la
vérité ou la fausseté d'une croyance dépend toujours de quelque
chose d'extérieur à la croyance même [...] ; la vérité consiste
dans une certaine forme de correspondance entre la croyance et le
fait"(Russell,
Problèmes
de Philosophie,
xii)
53
"la
division absolue du monde en deux domaines comprenant, l’un tout
ce qui est sacré, l’autre tout ce qui est profane, tel est le
trait distinctif de la pensée religieuse"(Durkheim,
les
Formes Élémentaires de la Vie Religieuse,
i) ; "l’acte
qui consiste […] à séparer l’intérieur et l’extérieur, le
royaume du sacré et le royaume du profane, le territoire national
et le territoire étranger, est un acte religieux accompli par le
personnage investi de la plus haute autorité, le rex
chargé de regere
fines,
de tracer des frontières"(Bourdieu,
Langage
et Pouvoir Symbolique,
iii, 4)
54
"le
discours religieux est une partie de l’action religieuse et non
une théorie"(Wittgenstein,
Lettre
à Arvid Sjögren)
; "en
faisant comme si [vous] croy[iez], en prenant de l'eau bénite, en
taisant dire des messes, etc., naturellement même cela vous fait
croire"(Pascal,
Pensées,
B233)
55
"sous
l’influence de l’exaltation générale, […] les Croisés
croyaient sentir Dieu présent au milieu d’eux et leur enjoignant
de partir à la conquête de la Terre Sainte, Jeanne d’Arc
croyait obéir à des voix célestes, etc."(Durkheim,
les
Formes Élémentaires de la Vie Religieuse,
ii)
56
"parce
qu’ils croyaient que la transformation de leur conduite était
rendue possible par une force vive qui les poussait à augmenter la
gloire de Dieu, qu’elle n’était pas seulement voulue par Dieu,
mais surtout le fruit de son action, [les calvinistes] accédaient
au bien suprême visé par cette forme de religiosité : la
certitude du salut ; bien que les bonnes œuvres ne puissent
aucunement donner accès à la vie éternelle, elles sont cependant
indispensables comme signes d’élection"(Weber,
l’Éthique
Protestante et l’Esprit du Capitalisme)
57
"le
cœur a son ordre ; l'esprit a le sien, qui est par principe et
démonstration. Dieu sensible au cœur, non à la raison"(Pascal,
Pensées,
B283) ; "la
religion consiste à croire sans preuves et même contre les
preuves"(Alain,
Définitions)
58
"un
credo religieux [...] prétend exprimer la vérité éternelle et
absolument certaine, tandis que la science garde un caractère
provisoire"(Russell,
Science
et Religion)
; Russell (et Wittgenstein) font référence à ce que les trois
monothéismes appellent "profession de foi"et que les
croyants ont l'obligation de prononcer pour affirmer leur
appartenance religieuse : "Ecoute,
Israël : l'Eternel est notre Dieu, l'Eternel est Un, et tu aimeras
ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta
force"chez
les juifs, "j'atteste
qu'il n'y a de Dieu que Dieu et que Muhammad est son Prophète"chez
les Musulmans, "je
crois en un seul Dieu, le Père tout puissant, Créateur du ciel et
de la terre, de l'univers visible et invisible"chez
les Chrétiens
59
"nous
connaissons la vérité, non seulement par la raison, mais encore
par le cœur ; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons
les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement, qui
n’y a point de part, essaye de les combattre"(Pascal,
Pensées,
B282) ; "je
ne saurais admettre Dieu, la liberté, l'immortalité de l'âme
selon le besoin qu'en a ma raison dans son usage pratique
nécessaire, sans [...] dépasser le savoir théorique pour accorder
une place à la croyance [en
allemand der
Glaube,
à la fois "croyance"et "foi"]"(Kant,
Critique
de la Raison Pure,
III, 19)
60
"il
y a une analogie entre la proposition [grammaticale] et la
proposition d’expérience"(Wittgenstein,
le
Cahier Bleu,
56) ; "faisant
réflexion sur ce que je doutais et que, par conséquent mon être
n'était pas tout parfait, je m'avisai de chercher d'où j'avais
appris à penser quelque chose de plus parfait que je n'étais
[...]. De façon qu'il restait que cette idée de perfection eût
été mise en moi par une nature qui fût véritablement plus
parfaite que je n'étais, et même qui eût en soi toutes les
perfections dont je pouvais avoir avoir quelque idée, c'est-à-dire
qui fût Dieu"(Descartes,
Discours
de la Méthode,
IV) ; "la
proposition "Dieu
est tout puissant"contient
deux concepts : "Dieu",
le sujet, et "toute
puissance",
le prédicat. Le mot "est"n'est
point un prédicat mais seulement ce qui met le prédicat en
relation avec le sujet. Et si je dis "Dieu
est",
je n'ajoute aucun prédicat au concept de Dieu [...]. Le concept
d'un être suprême est, certes, une idée très utile à bien des
égards, mais, précisément, parce qu'il n'est qu'une idée, il est
tout à fait incapable d'étendre à lui seul notre connaissance par
rapport à ce qui existe"(Kant,
Critique
de la Raison Pure,
III, 401-402)
61
"l’existence
de Dieu est la condition requise pour qu’un monde intelligible
soit le souverain bien [...] ; c’est un postulat de la raison
pratique pure, c’est-à-dire une proposition théorique, certes,
mais qui, comme telle, ne peut pas être prouvée en tant qu’elle
est inséparablement liée à une loi pratique valant
inconditionnellement a priori"(Kant,
Critique
de la Raison Pratique,
V, 122)
62
"l’éthique
puritaine bourgeoise et ses implications [s’est propagée à
travers] non pas sa doctrine éthique mais son comportement éthique
; [par exemple] pour le calviniste, bien que les bonnes œuvres ne
puissent aucunement donner accès à la vie éternelle, puisque
chacun est prédestiné de toute éternité, elles sont cependant
indispensables comme signes d’élection divine afin de
s’affranchir de l’angoisse du salut"(Weber,
l’Éthique
Protestante et l’Esprit du Capitalisme)
; "la
misère religieuse est à la fois l’expression de la misère
réelle et la protestation contre cette misère […], la critique
de la religion est ainsi virtuellement la critique de la vallée de
larmes dont la religion est l’auréole […] ; la critique du ciel
se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la
religion en critique du droit, la critique de la théologie en
critique de la politique"(Marx,
Critique
de la Philosophie du Droit de Hegel)
63
"[chez
les Musulmans de Bosnie],
pour adopter un enfant, la mère le fait passer à travers ses
vêtements, or il serait insensé de penser que la mère adoptive
croit réellement avoir accouché de l’enfant ; [quant au] sauvage
qui transperce l’image de son ennemi, apparemment pour le tuer, il
taille néanmoins sa flèche selon les règles, et non en effigie
[…] ; tout cela ne repose nullement sur la croyance"(Wittgenstein,
Remarques
sur ‘‘le Rameau d’Or’’ de Frazer,
4)
64
"la
seule raison qui conduise les hommes à vénérer une divinité,
c’est le simple fait d'être unis dans une communauté de vie, […]
le fait d’être nés ensemble"(Wittgenstein,
Remarques
sur ‘‘le Rameau d’Or’’ de Frazer,
12) ; "l’action
[raisonnable] est une action qui, ayant le même sens pour celui qui
l’accomplit et pour celui qui l’observe, n’a pas d’extérieur
et occulte les conditions historiques et sociales de sa
transparence"(Bourdieu,
Méditations
Pascaliennes,
iv)
65
"nous
avons affaire là à l’une des grandes sources de l’égarement
philosophique : un substantif [un nom] nous pousse à chercher une
chose qui lui corresponde"(Wittgenstein,
le
Cahier Bleu,
1) ; "permettez-moi
de rappeler ici le rôle étrange que l’aérien et l’éthéré
jouent en philosophie : quand nous nous apercevons qu’un
substantif n’est pas utilisé comme ce que nous appellerions en
général nom d’un objet, nous ne pouvons nous empêcher de nous
dire que c’est le nom d’un objet éthéré
[...] l’idée
d’"objets éthérés" est un subterfuge quand
l’utilisation de certains mots nous laisse perplexes, et quand
tout ce que nous savons, c’est qu’ils ne sont pas utilisés
comme des noms d’objets matériels"(Wittgenstein,
le
Cahier Bleu,
47)
66
"pourquoi
voulons-nous que tout nom propre ait une référence en plus de son
sens ? C’est dans l’exacte mesure où nous importe sa valeur de
vérité"(Frege,
Sens
et Référence)
; "l’image
est la transposition de la réalité"(Wittgenstein,
Tractatus,
2.12) ; "la
proposition ne peut être vraie ou fausse que dans la mesure où
elle est une image de la réalité"(Wittgenstein,
Tractatus,
4.06) ; "la
totalité des propositions vraies constitue la totalité des
sciences de la nature"(Wittgenstein,
Tractatus,
4.11) ; "à
supposer que toutes les questions théoriques possibles soient
résolues, les problèmes de notre vie demeurent encore
intacts"(Wittgenstein,
Tractatus,
6.52)
67
"il
n’y a aucun moyen de connaître a
priori
l’existence de quoi que ce soit, car toute conscience de
l’existence (qu’elle résulte immédiatement de la perception ou
qu’elle résulte de raisonnements qui rattachent quelque chose à
la perception) appartient entièrement à l’unité de
l’expérience»(Kant,
Critique
de la Raison Pure,
III, 401) ;
"affirmer
l’existence, ce n’est rien d’autre que nier le nombre
zéro"(Frege,
les
Fondements de l’Arithmétique,
§53) ; ""Dieu
existe"devient "il existe une entité x et une seule qui
est Dieu"et [par exemple] "Dieu est parfait"; or "il
existe une entité x et une seule qui est Dieu"n’est pas
prouvée"(Russell,
Lettre
à Frege du 12 décembre 1904)
;
"x,
si x=a et u(x), alors u(a), et inversement, si u(a) alors x
tel que x=a et u(x)"(Quine,
le
Mot et la Chose,
§37)
68
"le
fait que vous puissiez discuter de la proposition "Dieu
existe"est
une preuve que "Dieu",
tel qu’il est employé dans cette proposition est une description
et non un nom propre authentique. Si "Dieu"était
un nom propre authentique, aucune question ne pourrait surgir à
propos de son existence"(Russell,
Philosophie
de l'Atomisme Logique,
vi)
69
"Se
sentant dominé, entraîné par une sorte de pouvoir extérieur qui
les fait penser et agir autrement qu’en temps normal, les hommes
ont naturellement l’impression de ne plus être les mêmes. […]
Les décorations dont ils s’affublent, les sortes de masques dont
ils se couvrent le visage, les cris, les gestes, figurent
matériellement cette transformation. […] Tout se passe comme
s’ils étaient réellement transportés dans un monde spécial,
peuplé de forces exceptionnellement intenses qui les envahissent et
les métamorphosent."(Durkheim,
les
Formes Élémentaires de la Vie Religieuse,
iii) ; "la
religion met l’accent sur le contenu affectif de l’instant pieux
qui semble garantir le salut"(Weber,
Économie
et Société)
70
"est
sacré ce que le profane ne doit pas, ne peut pas impunément
toucher [...] ; les choses sacrées sont celles que les interdits
protègent et isolent ; les choses profanes, celles auxquelles ces
interdits s'appliquent et qui doivent rester à distance des
premières"(Durkheim,
les
Formes Élémentaires de la Vie Religieuse,
i) ; "la
croyance collective dans le jeu (illusio)
et dans la valeur sacrée de ses enjeux est à la fois la condition
et le produit du fonctionnement même du jeu"(Bourdieu,
les
Règles de l’Art,
ii, 2)
71Plus
précisément : "nous
recherchons ce que de nombreux philosophes ayant étudié l'éthique
sont disposés à accepter comme une définition correcte du terme
"Éthique"le
fait qu'il a quelque chose à voir avec la question de savoir ce qui
est bien ou ce qui est mal dans la conduite humaine [...]. J'utilise
ce terme dans le cadre d'une
[...] investigation générale sur ce qui est bien"(Moore,
Principia
Ethica,
I, 2).
72"L'objet
principal de l'Éthique,
comme science systématique, consiste à donner des raisons
sérieuses de
penser que ceci ou cela est bien [même si] lorsque
je demande "qu'est-ce
que le bien ?",
je réponds que le bien, c'est le bien [...], ma réponse étant que
cela ne peut pas être défini plus avant"(Moore,
Principia
Ethica,
I, 5,
6)
; "on
voit l’émotion [...], on décrit immédiatement un visage comme
triste, rayonnant de joie ou plein d’ennui"(Wittgenstein,
Fiches,
§55).
73"Considère
par exemple les processus que nous nommons "jeux".
Je veux dire les jeux de pions, les jeux de cartes, les jeux de
balle, les jeux de combat, etc. Qu’ont-ils tous de commun ? Ne dis
pas : il doit y avoir quelque chose de commun à tous, sans quoi ils
ne s’appelleraient pas des "jeux"[...].
Et nous pouvons, en parcourant ainsi de multiples autres groupes de
jeux, voir apparaître et disparaître des ressemblances. Et le
résultat de cet examen est que nous voyons un réseau complexe de
ressemblances qui se chevauchent et s’entrecroisent"(Wittgenstein,
Recherches
Philosophiques,
§66).
74"Peux-tu
me citer des choses plus importantes que le juste, le bien, le beau
et l’utile ?"(Platon,
Alcibiade,
118a) ; "l’idée
du bien est l’objet de connaissance le plus sublime, que la
justice et les autres vertus qui réalisent cette idée, empruntent
d’elle leur utilité et tous leurs avantages"(Platon,
République,
VI, 505a).
75"Dans
une morale il s'agit toujours de réaliser l'essence. [...] Le point
de vue d'une éthique c'est : de quoi es-tu capable ? qu'est-ce que
tu peux ? "(Deleuze,
Cours
du 21/12/80).
76"La
philosophie n’apprend rien car elle ne recherche aucune loi ni
aucun fait nouveau […] elle se contente de
lutter
contre l’ensorcellement de nos formes de pensée par notre
langage"(Wittgenstein,
Recherches
Philosophiques,
§109) ; "les
frontières de mon langage sont les frontières de mon
monde"(Wittgenstein,
Tractatus,
5.6).
77"Ce
qui peut être montré ne peut être dit"(Wittgenstein,
Tractatus,
4.1212) ; "le
sens du monde doit être en dehors de lui. Dans le monde, tout est
comme il est et tout arrive comme il arrive. Il n'y a en lui aucune
valeur, et s'il y en avait une, elle serait sans valeur. S’il y a
une valeur qui a de la valeur, elle doit être extérieure à tout
ce qui a lieu et à tout état particulier. Car tout ce qui a lieu
et tout état particulier est accidentel. Ce qui le rend non
accidentel ne peut pas être dans le monde, car ce serait retomber
dans l’accident. Ce doit être hors du monde"(Wittgenstein,
Tractatus,
6.41)
; "il
est clair que l'éthique ne se laisse pas énoncer. L'éthique est
transcendantale. (Ethique et esthétique sont une seule et même
chose)"(Wittgenstein,
Tractatus,
6.421).
78"Rien
ne nous conduit à cette inférence ["vous
devriez faire ceci ou cela"] que
l’accoutumance
[…]
; tout
ce qui est peut ne pas être, il n’y a pas de fait dont la
négation implique contradiction
[…]
; les
questions de fait et d’existence, on ne peut évidemment pas les
démontrer"(Hume,
Enquête
sur l’Entendement Humain,
XII, 2-3).
79"Ce
qui importe dans la promesse [...] c’est nécessairement de
vouloir cette obligation qui vient de la promesse"(Hume,
Traité
de la Nature Humaine,
III, ii, 5) ; "si
une action accomplie par devoir doit exclure complètement
l’influence de l’inclination et, avec elle, tout objet de la
volonté, il ne reste rien pour la volonté qui puisse la
déterminer, si ce n’est objectivement, la loi morale, et
subjectivement, un pur respect pour cette loi, par suite, la maxime
d’obéir à cette loi, même au préjudice de toutes mes
inclinations"(Kant,
Fondements
de la Métaphysique des Mœurs,
IV, 400).
80"Le
but de la production est toujours différent de la chose produite,
tandis que le but de l’action n’est toujours que l’action
elle-même, puisque la fin qu’elle se propose ne peut être que de
bien agir"(Aristote,
Éthique
à Nicomaque,
VI, 1140a-b).
81"C'est
le bonheur, selon la masse et selon l'élite, qui suppose que bien
vivre et réussir sont synonymes de vie heureuse. […] Ce qui se
suffit à soi-même, c'est ce qui par seul rend la vie souhaitable
et complète. Voilà bien le caractère que nous attribuons au
bonheur […] puisqu'il est la fin de notre activité. […] Car
nous disons que le bien que l’on peut rechercher pour lui-même
est plus parfait que celui qu’on recherche pour un autre, et que
celui qu’on ne choisit jamais en vue d’un autre est plus parfait
que ceux qu’on choisit à la fois pour eux-mêmes et pour cet
autre, et que, par conséquent, est absolument parfait celui qu’on
choisit toujours pour lui-même et jamais pour un autre"(Aristote,
Ethique
à Nicomaque,
1094a-1097b)
; "cette
capacité à diriger son attention n'est pas autre chose que l'amour
[...].
Il
n'y a que le Bien dont on puisse dire qu'il est son propre tribunal
et n'a besoin d'aucun autre recours"(Iris
Murdoch, la
Souveraineté du Bien,
ii-iii).
82"Le
monde est tout ce qui a lieu
[...].
Ce
qui a lieu, le fait, est l’existence d’états de chose
[...].
L'état de chose est la connexion d'objets (entités, choses)
[...]
La totalité des états de choses subsistants est le
monde"(Wittgenstein,
Tractatus,
1-2-2.01-2.4).
83"C'est,
en effet, l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers
penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur
étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les
premières à l'esprit; puis, s'avançant ainsi peu à peu, ils
étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels
que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles,
enfin la genèse de l'Univers"(Aristote,
Métaphysique,
A, I, 1)
; "deux
choses remplissent le coeur d'une admiration et d'une vénération
toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la
réflexion s'y attache et s'y applique : le ciel étoilé au-dessus
de moi et la loi morale en moi"(Kant,
Critique
de la Raison Pratique)
84"Jusqu’ici
nous n’avons parlé qu’en simples physiciens
:
maintenant il faut s’élever à la métaphysique,
en
nous servant du grand
principe, peu
employé communément, qui porte que rien
ne se fait sans raison suffisante,
c’est-à-dire que rien n’arrive sans qu’il soit possible à
celui qui connaîtrait assez les choses de rendre une raison qui
suffise pour déterminer pourquoi il en est ainsi, et non pas
autrement. Ce principe posé, la première question qu’on a droit
de faire sera
:
pourquoi
il y a plutôt quelque chose que rien
?"(Leibniz,
Principes
de la Nature et de la Grâce fondés
en
Raison,
§7).
85"Je
ne crains rien, je n’espère rien"(Pascal,
Pensées,
B920) ;
"l’ignorant, outre qu’il est de beaucoup de manières
ballotté par les causes extérieures et ne possède jamais le vrai
contentement intérieur, est dans une inconscience presque complète
de lui-même, de Dieu et des choses et, sitôt qu’il cesse de
pâtir, il cesse aussi d’être. Le Sage au contraire, considéré
en cette qualité, ne connaît guère le trouble intérieur, mais
ayant, par une certaine nécessité éternelle conscience de
lui-même, de Dieu et des choses, ne cesse jamais d’être et
possède le vrai contentement"(Spinoza,
Éthique,
V, 42)
; "tant
d’hommes embrassent et saisissent, comme le malheureux qu’entraîne
un torrent s’accroche aux ronces et aux pointes des rochers. La
plupart flottent misérablement entre les terreurs de la mort et les
tourments de l’existence ; ils ne veulent plus vivre ; et ne
savent point mourir. Veux-tu que la vie te soit douce ? Ne sois plus
inquiet de la voir finir. La possession ne plaît qu’autant qu’on
s’est préparé d’avance à la perte. Or quelle perte plus
facile à souffrir que celle qui ne se regrette point ? Exhorte
donc, endurcis ton âme contre tous les accidents, possibles même
chez les maîtres du monde"(Sénèque,
Lettres
à Lucilius,
iv).
86"La
cohésion [névrotique] du groupe contraint donc l’homme à
renoncer à ses pulsions en instaurant un sentiment de culpabilité
qui a son origine, soit dans l’angoisse devant l’autorité (le
père) qui punit, soit dans l’angoisse devant le surmoi (le
substitut du père, l'intériorisation de tous les interdits) qui
pousse le sujet à se punir"(Freud,
Malaise
dans la Culture,
viii).
87"Que
faire si Dieu n'existe pas, si Rakitine a raison de prétendre que
c'est une idée forgée par l'humanité ? Dans ce cas l'homme serait
le roi de la terre, de l'univers. Très bien ! Seulement, comment
sera-t-il vertueux sans Dieu ? Je me le demande. [...]
Alors
tout est permis ?"(Dostoïevski,
les
Frères Karamazov,
IV, xi, 4)
; "la
raison d'être des conceptions religieuses, c'est de fournir un
système de notions ou de croyances qui permette à l'individu de se
représenter la société dont il fait partie, et les rapports
obscurs qui l'unissent à elle [...]. En même temps qu'elle est
transcendante par rapport à chacun d'entre nous, la société nous
est immanente [...]
Aussi,
l'homme n'est pas dupe d'une illusion, quand il se croit en relation
avec une puissance supérieure qui lui est extérieure, en un sens,
et d'où lui vient ce qu'il y a de meilleur en lui"(Durkheim,
Cours
sur les Origines de la Vie Religieuse).
88"La
proposition montre ce qu’elle dit ; la tautologie et la
contradiction, qu’elles ne disent rien. La
tautologie
n’a
pas de conditions de vérité, car elle est inconditionnellement
vraie
;
et la contradiction n’est vraie sous aucune condition.
La
tautologie et la contradiction sont vides de sens.
[...] Tautologie
et
contradiction ne sont pas image de la réalité. Elles ne
représentent aucune situation possible. Car celle-là permet toute
situation possible, celle-ci aucune.
[...] Les
conditions de vérité déterminent la dérive laissée aux faits
par la proposition.
[...] La
vérité de la tautologie est certaine
;
de la proposition, possible
;
de la contradiction, impossible"(Wittgenstein,
Tractatus,
4.461-4.462-4.463-4.464)
; "il
ne peut donc y avoir de propositions de l’éthique. Les
propositions ne peuvent rien exprimer de plus haut.
[...]
Si
le bon ou le mauvais vouloir changent le monde, ils ne peuvent
changer que les limites du monde, non les faits
;
non ce qui peut être exprimé par le langage.
[...] Ce
n’est pas comment
est le monde qui est le mystique, mais le
fait qu’il
est.
[...] La
contemplation du monde sub
specie aeterni
est sa contemplation comme totalité – limitée –.
Le
sentiment du monde comme totalité limitée est le sentiment
mystique"(Wittgenstein,
Tractatus,
6.42-6.43-6.44-6.45).