mardi 31 août 1999

POURQUOI LES SCIENCES ONT-ELLES BESOIN DES MATHEMATIQUES ?

On a coutume de considérer la naissance de la science moderne, se distinguant ainsi de la science antique et médiévale, au moment où l’on comprend, comme le dit Galilée “que l’univers est écrit dans la langue mathématique” (il Saggiatore). De sorte qu’il n’y aurait de connaissance authentique de l’univers que sous une forme mathématisée. Mais qu’est-ce à dire ? Veut-on dire par là que tout n’est que nombre, comme l’avait déjà formulé Pythagore cinq siècles avant notre ère ? Veut-on dire plutôt que seuls les objets mathématiques ont une réalité suffisante pour qu’ils puissent prétendre à être connus ? Ou bien veut-on dire que les mathématiques sont le seul instrument efficace d’exploration du réel ?
D’où le problème de savoir pourquoi les sciences ont besoin des mathématiques. L’enjeu est de savoir s’il est possible de connaître rigoureusement une réalité qui ne serait pas mathématisable, ce que certains théoriciens modernes des sciences de l’homme suggèrent imprudemment.


I - Les mathématiques rendent le discours scientifique rigoureux et public .

A - le raisonnement par analogie permet d’expliquer l’intelligible à partir du sensible.

Pour expliquer à Glaucon ce qu’est le bien, Socrate fait une analogie : “ce que le bien est à la sphère intelligible par rapport à l’intelligence et à ses objets, le soleil l’est dans la sphère visible par rapport à la vue et à ses objets” (R.VI, 508c). Il s’établit donc une série de rapports entre :
- d’une part le soleil qui est la source de la lumière dans le domaine sensible (topos horatos) et qui permet à la faculté de la vision (opsis) de percevoir les objets visibles par intuition sensible, et ce, parce que l’oeil ressemble au soleil
- d’autre part le bien qui est la source de la vérité dans le domaine intelligible (topos noètos) et qui permet à la faculté de l’intelligence (nous) de connaître les idées par intuition intellectuelle, et ce, parce que la raison ressemble au bien (elle est un bien).

Dès lors, de même que, lorsque la lumière produite par le soleil faiblit, la vision est rendue malaisée, voire impossible, de même, lorsque la vérité produite par le bien diminue, l’activité de l’intelligence est entravée, voire empêchée. Allons plus loin : le bien doit être le même pour tout le monde (même pour les aveugles) de sorte qu’il constitue un objet de référence absolue, une cause première, qui rend possible la perception de tous les autres objets intelligibles. Plus loin encore : ce dont le bien est directement la cause, c’est la vérité qui, indirectement, rend possible toute connaissance, de sorte que connaître, c’est percevoir un objet extérieur éclairé par une lumière extérieure.

On voit donc que ce procédé explicatif consiste en ceci : soient les réalités A et B qui sont des objets perceptibles, soit C qui est connu mais non perçu, soit D qui n’est ni perçu, ni connu, mais simplement supposé, il est possible de faire comprendre que A est à B ce que C est à D. Le procédé analogique autorise donc de faire progresser la connaissance en supposant que la réalité intelligible que l’on cherche à atteindre (ici D qui n’est que supposée) ressemble à la réalité sensible qui nous est familière. Ce procédé permet de faire de la réalité sensible une image analogique de la réalité intelligible. Pourquoi une telle supposition ?

B - l’analogie est un isomorphisme entre l’image sensible et son modèle intelligible.

Platon part de l’axiome indémontrable suivant : il existe quatre niveaux de réalité (les images des choses, les choses, les images des idées et les idées), unis par une relation d’isomorphisme qui, littéralement, conserve la forme (ex: à l’idée de beauté, correspond une image particulière, la définition d’une belle poterie, à quoi correspond une chose particulière, une belle poterie, à quoi correspond une image particulière, une poterie plus ou moins bien imitée). A ces quatre niveaux de réalité correspondent quatre activités de l’âme : la croyance imaginaire (eikasia), la croyance certaine (aisthèsis), la connaissance indirecte (dianoia) et la connaissance directe (noèsis). Faisons à présent l’hypothèse que les deux premières activités (la croyance ou opinion ou doxa), sont liées aux deux autres (la connaissance ou science ou epistèmè) de telle sorte que “l’opinion est à la connaissance ce que l’image est à l’objet” (R.VI, 510a). De cela il est facile de déduire que les images des idées sont équipotents aux choses sensibles, ce qui veut dire que chaque concept scientifique (qui est lui-même une image d’Idée) sous lesquels nous classons les choses, correspond à une distinction réelle parmi les choses, de sorte que la vérité de nos connaissances réside dans l’accord formel entre les images intelligibles et les choses sensibles.

Ce qui implique que le savant peut atteindre l’idée comme connaissance absolue en se servant des trois niveaux intermédiaires d’entités (images des choses, choses, images des Idées) comme “de degrés et d’impulsions pour atteindre l’anhypothétique qui est le principe de tout”(République, VI, 511b). Autrement dit, il va remonter de degré en degré les trois niveaux intermédiaires pour atteindre le niveau absolu de l’Idée et ce, en faisant des hypothèses (ou suppositions) de la manière suivante : à partir de l’imitation de la belle poterie, il fait l’hypothèse qu’il doit exister un modèle sensible (la considération de l’imitation ne permet pas en effet de déduire le modèle dont elle est la copie), puis qu’il doit exister une définition conceptuelle, enfin qu’il doit exister une norme absolue de la beauté.

On voit donc l’extraordinaire pouvoir explicatif du procédé analogique qui mathématise le réel en partant d’axiomes, puis en progressant par déduction successive. Il y a donc une grande rationalité de ce procédé qui permet d’accroître la connaissance en partant d’axiomes, en faisant une hypothèse, puis en en déduisant toutes les conséquences nécessaires. Le raisonnement analogique est donc rationnel au sens où il autorise un usage rigoureux du langage explicatif dont les présupposés sont clairs pour tout le monde. Mais justement, ces présupposés (axiomes et hypothèses) sont-ils nécessaires ?


II - Les mathématiques permettent de construire des modèles du réel.

A - le raisonnement par analogie limite abusivement la recherche scientifique.

On sent bien qu’en énonçant des axiomes indémontrables et en faisant des hypothèses, on donne de la rigueur formelle au raisonnement, mais en revanche on ne progresse pas nécessairement beaucoup. En effet, le fait même de donner au raisonnement une base solide sous forme de propositions fondamentales (axiomes et hypothèses) et de règles d’inférence (la déduction) va permettre d’éviter la divagation superstitieuse de l’esprit en autorisant sans cesse le contrôle public de ce qui est dit. Mais à quoi aboutit-on de cette manière ? A des conclusions sérieuses, certes, mais qui sont nécessairement bornées par la nature même des axiomes. Car nous avons dit que, dans le raisonnement analogique, l’axiome fondamental est que l’inconnu (l’intelligible) conserve les relations du perçu (le sensible).

Or Descartes, se demandant quels sont les matériaux de notre connaissance spontanée du monde qui nous entoure, fait la constatation suivante : “nous devons considérer qu’il y a plusieurs autres choses que des images qui peuvent exciter notre pensée, comme par exemple les signes et les paroles, qui ne ressemblent en aucune façon aux choses qu’elles signifient”(Dioptrique, IV). Autrement dit, chacun peut faire l’expérience qu’une image peut nous donner un aperçu de ce qui est représenté en fonction de la ressemblance entre l’image et son modèle. Mais chacun sait qu’une idée peut nous en être donnée au moyen d’une description qui, elle, utilise des signes (les mots) qui ne ressemblent en rien à ce qui est décrit.

On doit alors en conclure que la recherche scientifique est bien trop modeste si elle ne se donne comme instrument de progression que le seul raisonnement analogique. D’abord parce qu’il n’y a aucune raison de croire que la seule relation entre ce qui est perçu et ce qui doit être connu est une relation de ressemblance analogique. Ensuite parce que, quand bien même ce serait le cas, l’analogie ne dit pas quelles sont ces relations qui sont supposées conservées. Comment donc peut-on conserver la rigueur de la déduction analogique en se passant de l’axiome de la ressemblance entre le connu et l’inconnu ?

B - la modélisation mathématique permet de rompre avec le mythe de la ressemblance entre l’intelligible et le sensible.

Si l’on veut faire progresser notre connaissance, “il faut rechercher ce que nous pouvons voir par intuition [c’est-à-dire par “la seule lumière de la raison”] avec clarté et évidence, ou ce que nous pouvons déduire avec certitude” (Règles pour la Direction de l’Esprit, III). On reconnaît en gros la formulation de ce que Platon mettait en pratique sans le nommer : l’exigence d’axiomes indiscutables, l’exigence d’une règle d’inférence. Mais, outre que Descartes décrit le procédé, il y ajoute trois nouvelles conditions : l’évidence (étymologiquement le fait de voir), la certitude, la disparition des hypothèses.

Or, quelle évidence intuitive, quelle connaissance absolument claire et indubitable avons-nous concernant tous les corps physiques ? Dans la II° Méditation, Descartes prend l’exemple suivant : prenons un morceau de cire qui a une couleur, une odeur, une forme, une texture, une sonorité, etc. qui sont autant de qualités sensibles ; que se passe-t-il si on le chauffe ? Réponse : “il ne demeure rien que quelque chose d’étendu, de flexible et de muable”. Autrement dit, la première évidence intuitive que nous allons avoir en analysant des corps physiques, c’est que, au-delà des apparences, ils ne sont qu’étendue (ils occupent un espace), flexibilité (cet espace est modifiable), et muabilité (les modifications sont des translations). La première évidence intuitive tirée de l’étude des corps est donc que ceux-ci ont une essence géométrique : étendue, flexibilité, muabilité, autrement dit tout corps est un espace modifiable par translation.

A partir de cette évidence première, qui constitue la prémisse absolue de tout raisonnement sur les corps physiques, quelle certitude déductive allons-nous inférer ? Du moment que l’expérience du morceau de cire est universalisable, toute réalité est désormais connaissable à partir des notions géométriques d’étendue, de flexibilité et de muabilité auxquelles on applique non plus des hypothèses (ou suppositions) mais d’autres connaissances déjà constituées : les théorèmes géométriques. C’est pourquoi Descartes a tendance à considérer le comportement de tout corps comme mécanique, c’est-à-dire comme une application des règles géométriques de la translation aux corps en mouvement : “je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose [...] les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus par les sens”(Principes de la Philosophie, IV, art.203). Donc comme tout corps est géométrisable, les lois des corps sont géométriques et celles du mouvement sont mécaniques : par exemple les lois qui régissent le fonctionnement d’un corps humain seront les mêmes que celles qui expliquent le mouvement d’une montre.

On voit donc que l’application des mathématiques à la recherche a pour but chez Descartes de se débarrasser de la nécessité pour la connaissance scientifique de ressembler à la perception spontanée. Si pour Platon le couple bien/idées ressemble au couple soleil/objets, pour Descartes en revanche, le couple corps/vie ne ressemble pas au couple montre/mécanisme. Ce qu’il y a de commun entre le mécanisme de la montre et la vie biologique, c’est une identité de principes géométriques (d’étendue, de fléxibilité et de muabilité) qui permettent de décrire le corps vivant comme le mouvement d’horlogerie. Descartes invente donc la modélisation mathématique, c’est-à-dire un procédé d’explication de la nouveauté faisant appel non pas au raisonnement analogique sur des images sensibles mais au raisonnement algébrique sur des équations mathématiques. Reste à savoir si les principes mathématiques sur lesquels se fondent l’évidence et la certitude scientifique appartiennent aux choses mêmes ou bien sont une exigence de la raison humaine.


III - Les mathématiques sont les conditions de possibilité du raisonnement scientifique.

A - les principes mathématiques concernent non les objets mais les relations entre objets.

Nous avons jusqu’à présent dégagé deux caractères fondamentaux des mathématiques : leur rationalité (les présupposés du raisonnement doivent être connus universellement) et leur évidence (les présupposés sont les principes absolus du raisonnement). Mais rien n’a été dit à propos de leur objectivité. Or les principes mathématiques rationnels et évidents portent-ils sur des objets, disons des objets mathématiques, différents de ces principes, au sens où les règles du jeu d’échecs s’appliquent à des objets différents des règles elles-mêmes ?

Il semblerait que ce soit le cas, car si les mathématiques “sont beaucoup plus certaines que toutes les autres sciences, c’est que leur objet, à elles seules, est si clair et si simple [...] qu’elles ne consistent entièrement que dans les conséquences à déduire par la voie du raisonnement”(Règles pour la Direction de l’Esprit, II). C’est-à-dire que l’évidence des principes mathématiques est telle qu’il garantit la certitude des déductions. Oui mais quel est cet objet, évident par lui-même ? La réponse de Descartes est que “seules toutes les choses où l’on étudie l’ordre et la mesure se rattachent à la mathématique, sans qu’il importe que cette mesure soit cherchée dans des nombres, des figures, des astres, des sons ou quelque autre objet””(Règles pour la Direction de l’Esprit, IV). Bref, l’évidence mathématique découle de son ordre et de sa mesure et non pas d’un objet extérieur à elle : l’ordre c’est-à-dire la relation que le raisonnement doit établir pour progresser de ce qui est connu vers ce qui ne l’est pas ; la mesure c’est-à-dire la relation uniquement quantitative que le raisonnement doit établir entre les propositions successives. On doit donc admettre que l’objet des mathématiques, ce sur quoi elles portent, n’est rien d’autre que des relations entre des objets plutôt que les objets eux-mêmes.

Certes, on pourrait objecter que ces relations, comme toute relation, unit des objets, fussent-ils des objets de pensée et non pas des objets réels. La géométrie s’occupe de relations d’ordre et de mesure entre des figures. Mais prenons le théorème de Pythagore : il concerne des triangles rectangles. Or un triangle rectangle n’existe nulle part s’il n’est pas construit par l’esprit à partir des axiomes de la géométrie euclidienne. Prenons un autre exemple : l’arithmétique qui intéresse les relations entre les nombres entiers. Mais qu’est-ce par exemple que le nombre un sinon ce qui est construit conformément à la définition ce qui est commun aux propositions “F(x) n’est définie que pour x=a”, “G(y) n’est définie que pour y=b”, etc. Dans les deux cas, on se rend compte que les mathématiques ont affaire à des objets qui n’existent pas indépendamment des principes (axiomes, définitions, hypothèses, etc.) qu’ils présupposent. Or l’objet mathématique est une construction rationnelle et évidente, certes, mais qui découle de l’application d’un certain nombre de principes qui ne doivent rien à l’expérience sensible de chacun d’entre nous puisqu’ils sont tout le temps présupposés. Mais comment de tels principes peuvent-ils faire progresser notre connaissance scientifique, autrement dit notre connaissance du monde sensible ?

B - les principes synthétiques a priori des mathématiques sont le fondement de la science.

Soit par exemple la loi chimique dite de la photosynthèse chlorophyllienne (découverte par Mayer en 1845), selon laquelle, en présence de la lumière solaire, six molécules d’eau s’allient à six molécules de gaz carbonique pour donner une molécule de cellulose plus six molécules d’oxygène (6H2O+6CO2=>C6H12O6+6O2). En quoi sa formulation mathématisée est-elle différente de sa formulation linguistique et en quoi correspond-elle à un ensemble de faits naturels réguliers ? Il est clair que c’est une loi que chacun a forcément expérimenté dans sa vie, soit en tant que scientifique, soit en tant qu’amateur de plante, soit en tant que simple vivant aérobie. On peut donc dire que les relations entre la lumière solaire, les plantes chlorophylliennes et les autres vivants obéissent à une grande régularité : en absence de lumière les plantes vertes dépérissent, et en l’absence de verdure l’accumulation de gaz carbonique et la raréfaction de l’oxygène créent des problèmes de santé. Mais constater la disparition régulière des plantes ou l’apparition régulière des pathologies respiratoires, ce n’est pas en énoncer les causes. Car les facteurs explicatifs des phénomènes constatés empiriquement peuvent être très nombreux. D’où la nécessité de procéder en faisant des hypothèses sur des aspects séparés des phénomènes, comme par exemple si c’est l’absence de lumière qui conduit à la mort de la plante, alors, en la privant de lumière, elle doit mourir. L’hypothèse conduit donc à une expérimentation pour tenter de la confirmer (provisoirement) : d’où la nécessité d’identifier précisément les différents corps qui participent à la réaction chimique, et de noter les rapports entre ces différents corps. Si l’expérimentation est concluante, si les différents aspects prévus par l’hypothèse possèdent bien les relations mathématiques qui ont été expérimentées, alors l’hypothèse sera réputée vérifiée, et l’expérimentation sera réputée reproductible. De même, si la reproductibilité des expérimentations semble, après modifications des aspects non pertinents, tendre vers l’infini, on aura une loi scientifique. Celle-ci rappellera dans sa formulation mathématique, les étapes du raisonnement concluant. L’exigence platonicienne de rationalité dans la formulation est donc satisfaite.

Mais on pourrait objecter justement que la rationalité existe même en l’absence de formulation mathématique, comme les analogies platoniciennes nous le montrent. Or on se rappelle que l’analogie de la ligne (Platon, République, VI) est formulée linguistiquement, bien qu’elle ait, comme nous l’avons montré, un fondement mathématique. C’est donc que ce fondement des raisonnements rigoureux (que ceux-ci soient des lois ou de simples hypothèses) est non seulement préalable à notre connaissance empirique du monde, mais aussi préalable à la formulation rigoureuse de cette connaissance. En ce sens l’utilisation des mathématiques nous permet de formuler la loi scientifique au moyen de principes “qui ajoutent au concept donné quelque chose qui n’y était pas contenu et, au moyen de jugements synthétiques a priori, nous avancer jusqu’au point où l’expérience même ne peut nous suivre”(Kant, C.R.P., III, 39).

Car en effet, une formulation mathématique apporte au concept de photosynthèse chlorophyllienne, par exemple, les principes suivants : égalité quantitative des deux termes de l’équation (équilibre de la réaction) ; importance qualitative des différents éléments chimiques (structure de la réaction) ; relation de transformation continue de l’eau et du gaz carbonique en cellulose et oxygène (relation de cause à effet) ; enfin distinction modale entre la l’hypothèse et la conclusion (possibilité et nécessité). Or, ni la quantité, ni la qualité, ni la relation, ni la modalité ne sont constatées empiriquement. Pourtant de tels principes (que Kant appelle concepts purs, ou catégories) nous paraissent évidents au sens de Descartes, c’est-à-dire qu’ils ne concernent que les aspects pertinents de la réalité étudiée. Ce sont donc les conditions de possibilité de toute activité scientifique. Et c’est cette évidence a priori des propositions de base de la science (ce que Kant appelle des jugements synthétiques a priori) qui constitue le fondement mathématique de l’activité scientifique. Donc, comme l’ont vu Platon et Descartes, les mathématiques ne sont donc pas une science mais plutôt l’ensemble des principes rationnels et évidents a priori qui sont le fondement de toute science. Mais en plus elles permettent d’isoler les aspects pertinents de la réalité, ce que ne permettait pas l’analogie platonicienne. Et ces aspects pertinents ne sont pas des objets mathématiques, comme le pensait Descartes, mais des relations sensibles, considérées a priori comme pertinentes. Voilà pourquoi “il n’y a de sciences proprement dites qu’autant qu’il s’y trouve de mathématiques”(Kant, Premiers Principes Métaphysiques ...).


Conclusion.

Nous avons donc vu que tout raisonnement scientifique s’appuie sur des suppositions a priori, dont la première semble être que le connu entretien avec l’inconnu une relation d’isomorphisme : leurs structures relationnelles sont identiques. Mais ne sachant ni pourquoi il doit en être ainsi, ni quelles relations sont conservées dans l’analogie, il semble plus judicieux de penser que le raisonnement scientifique est rigoureux en ce qu’il s’adresse à des objets purement mathématiques et non pas à des objets physiques. Pourtant, c’est bien notre univers physique que la science moderne connaît ; quant aux prétendus objets mathématiques, ils ne sont en fait que des relations entre objets. De sorte que la science nécessite l’utilisation du raisonnement mathématique en ce qu’il est seul capable de réduire a priori le réel à des aspects suffisamment pertinents pour qu’ils puissent être analysés rigoureusement et publiquement.