Voltaire, dans son
Dictionnaire Philosophique, écrit que “il n’y a
d’autres remèdes [au
fanatisme] que
l’esprit philosophique”. Il veut dire par là que l’esprit
humain est à la merci d’une maladie spécifique, la superstition,
qui l’aveugle et qui, dans les cas les plus graves, dégénère en
fanatisme, c’est-à-dire en intolérance à l’égard de ceux qui
ne partagent pas le même aveuglement superstitieux. Or, pour se
préserver des ravages de cette maladie, Voltaire considère que le
seul remède se trouve dans l’esprit philosophique, autrement dit
dans une vie de l’esprit selon la raison. C’est dire que Volaire,
entre autres, assigne à la philosophie une fonction thérapeutique à
l’activité philosophique. Mais, pour être riche de sens, une
telle analogie entre la situation d’un corps malade et celle d’une
pensée irrationnelle ne nous éclaire pas sur la spécificité
thérapeutique de la philosophie. Car après tout la psychiatrie
comme la psychanalyse se veulent également des activités curatives
pour l’esprit. En somme, quelles sont les finalités dernières
propres à la philosophie, bref, quels sont ses enjeux ?
La question de l’enjeu
est importante dans la mesure où les problèmes que la philosophie a
pour prétention de résoudre ne se posent pas tout seuls mais
n’apparaissent tels que par rapport à ce qui est en jeu,
c’est-à-dire, littéralement, ce qu’on a à gagner ou à perdre
en utilisant l’activité philosophique.
I - ce qui est en jeu, c’est
le devoir de vérité de la connaissance.
A - connaître suppose
un effort d’attention à ce qui ne m’est pas spontanément donné.
Pourquoi cherchons-nous à
connaître sinon parce que nous ressentons, en tant qu’êtres
humains, la nécessité de ne pas nous satisfaire de l’apparence
qui nous est spontanément fournie par nos sens. C’est parce que ce
que je perçois maintenant ne me suffit pas que je m’interroge sur
ce que je percevrai demain. C’est parce que ce que je perçois ici
ne me suffit pas que je m’interroge sur ce que percevrais ailleurs.
C’est parce que ce que je perçois moi ne me suffit pas que je
m’interroge sur ce que perçoit autrui.
Autrement dit, c’est
parce que ce qui est donné par les sens à moi, ici et maintenant ne
me satisfait pas entièrement que j’ai le désir de connaître,
c’est-à-dire d’explorer le réseau de relations souterraines de
mes perceptions. Connaître suppose donc le désir d’explorer le
temps, l’espace et l’autre. Il semble donc clair que ce qui
motive mon désir de connaître, c’est bien l’isolement où je me
trouve lorsque j’ai conscience d’être confiné dans mon
moi-ici-maintenant. Connaître apparaît comme un désir de faire un
effort pour rompre mon isolement. Ce que dit Platon dans l’allégorie
de la caverne (République, VII) lorsqu’il décrit la
condition humaine originelle comme celle d’un être enchaîné au
fond d’un trou et occupé à satisfaire ses seuls besoins
biologiques. De sorte que connaître est l’activité qui permet
d’échapper au strict déterminisme biologique du corps, bref ce
qui permet de sortir de son trou. Mais ce désir de connaître
n’est qu’un désir de l’esprit, disons d’une capacité
intellectuelle qui caractérise l’espèce humaine. Et il est clair
que ce désir intellectuel contrarie un besoin au moins aussi
fondamental du corps qui consiste à ne pas gaspiller inutilement ses
forces physiques. Et on débouche ainsi sur le paradoxe d’une
connaissance qui est dans le même temps désir intellectuel de
rompre ce que je considère comme mon isolement, et résistance
physique à accomplir ce que mon corps ressent comme un effort pour
satisfaire ce désir. D’où la question : ce désir intellectuel de
rompre mon isolement ne commence-t-il pas par un drame de la rupture
?
B - la connaissance met
à l’écart celui qui l’entreprend.
Le premier écart consiste
donc dans l’épreuve de la pénibilité que la connaissance impose.
Si l’on a le désir de connaître, il est nécessaire en effet de
prendre du temps, c’est-à-dire de remettre à plus tard la
satisfaction d’un certain nombre de besoins du corps (manger,
dormir, se reposer, se détendre, etc.). Ces besoins du corps ne sont
pas niés, mais ils se trouvent subordonnés au désir intellectuel
de savoir. D’où le sentiment d’un effort physique à accomplir
pour connaître : il manifeste un premier écart entre moi comme
corps et moi comme esprit.
Un deuxième écart
survient dès lors que, si je veux satisfaire mon désir intellectuel
de connaissance, je dois publiquement annoncer que je mets en doute
ce que mes concitoyens tiennent pour acquis. Connaître, en effet
suppose une insatisfaction à l’égard de ce qui se donne à croire
spontanément, sans effort. Or ce qui se donne à croire sans effort,
ce que je perçois spontanément, n’est pas seulement imposé à
mes sens par ma propre constitution physique, mais également à mon
intelligence par mon statut social (langage, mythes, croyances,
attitudes, etc.). D’où le sentiment d’un effort politique à
accomplir pour connaître : il y a cette fois un écart entre
moi-même et mes concitoyens.
Mais ce n’est pas tout.
Un troisième écart survient lorsque mon désir de connaissance se
heurte au problème de l’adéquation entre ce que mon esprit
perçoit de la réalité et cette réalité-même. Autrement dit mon
désir de connaître, dans sa quête éperdue pour saisir ce qui ne
m’est jamais donné, prend le risque de n’être jamais comblé
dans la mesure même où la réalité que je vise au-delà des
apparences se dérobera toujours d’une manière ou d’une autre.
En effet, si je me méfie par principe des apparences qui s’offrent
à moi, comment puis-je être sûr que ce que je vise au delà des
apparences n’est pas une apparence ? D’où le sentiment d’un
effort métaphysique à accomplir : il y a là un écart entre
moi-même et la réalité que je vise.
D’où la question :
comment résoudre la contradiction d’un désir de rompre
l’isolement qui, en fait, commence par isoler celui qui
l’entreprend ?
C - la connaissance doit
viser la vérité comme une limite indépassable.
Une première solution
consiste dans l’encyclopédisme, c’est-à-dire la croyance qu’il
est possible de savoir tout de manière définitive. Or cette
solution est illusoire parce que si seule une connaissance totale
peut me satisfaire, alors je ne serai jamais satisfait parce qu’alors
je devrais connaître le tout, la connaissance du tout, la
connaissance de la connaissance du tout, etc. à l’infini. La
connaissance encyclopédique comme connaissance effective de
l’infini, est contradictoire.
Une seconde solution
consiste dans le relativisme, c’est-à-dire dans la croyance
opposée qu’il est impossible de connaître quoi que ce soit de
certain, et donc que toute tentative pour réaliser l’union avec ce
qui n’est pas moi est vouée à l’échec. Or cette solution est
contradictoire aussi puisque si toute certitude est inaccessible,
alors une telle formule ne revêt elle-même aucune certitude.
L’absence de certitude est elle-même incertaine et donc une
contradiction dans les termes. Nous cherchons alors une
connaissance qui soit certaine sans être totale. C’est-à-dire que
l’on a besoin à la fois d’un moyen d’étendre la connaissance,
toujours fragmentée et donc insatisfaisante, et d’une valeur
absolue qui achève l’édifice toujours incomplet de la
connaissance. Or ce moyen c’est la philosophie et cette valeur
c’est la vérité. Autrement dit la philosophie n’est rien
d’autre que cette activité qui pose la vérité comme une limite
absolue à rechercher dans la connaissance, et non une borne réelle
à atteindre.
Dès lors, la connaissance
permet de rompre mon isolement si et seulement si elle s’accompagne
d’une activité annexe, la philosophie, qui me fait prendre
conscience que l’union que je vise est seulement possible à
condition de considérer la vérité non comme un objet à posséder
mais comme une tâche à réaliser. C’est pourquoi Aristote dit
dans la Métaphysique A,2 : “nous concevons le philosophe
comme celui qui peut tout savoir sans avoir pour autant la science
de chaque chose en particulier”. Mais ce devoir de recherche
d’une vérité absolue par la connaissance suffit-elle à combler
mon désir d’union ?
II - l’idéal de vérité
de la connaissance dépend de l’idéal de liberté de la
conscience.
A - connaître c’est
d’abord me rendre compte que je suis dépendant de mon corps.
Si en effet la connaissance
exige une prise de distance à l’égard de ce qui m’est donné
immédiatement on doit se demander dans quel sens ce qui m’est
immédiatement donné m’isole et détermine ainsi le désir de
dépassement dont nous avons parlé. Car après tout mes sensations
constituent bien l’unité élémentaire de ma connaissance : aussi
intellectuelle soit-elle, la connaissance présuppose toujours la
sensation comme processus neuro-chimique de codage de l’information
à propos de mon environnement, c’est-à-dire de ce qui n’est pas
moi. Pourquoi donc cette fonction sensible que l’évolution a
spontanément sélectionnée serait-il un facteur d’isolement pour
moi, alors qu’elle est apparemment la condition du rapprochement
pour les autres espèces vivantes ?
C’est que les
informations que nous envoie notre environnement sous forme de
sensations me placent devant un nouveau paradoxe. D’un côté elles
stimulent mon organisme, c’est-à-dire le sollicitent de telle
manière qu’il est incité à réagir selon un processus moteur
pré-établi par l’évolution de l’espèce à laquelle
j’appartiens. Donc en l’occurrence mes sensations me rapprochent
de mon espèce en me faisant participer à ma nature animale. Mais
d’un autre côté elles sont le signe de mon imperfection dans la
mesure où je me rends compte que je ne vois pas très loin, je ne
cours pas très vite, j’ai tout le temps faim, etc. Et donc, par
ailleurs, mes sensations font de moi un être conscient insatisfait
de se sentir isolé, c’est-à-dire navré d’être à la merci de
ses imperfections. Autrement dit, si j’ai le
désir de sortir de mon isolement, c’est bien parce que mon esprit
se rend compte qu’il est dépendant du fonctionnement d’un corps.
Or si l’intérêt du corps est de fonctionner selon un processus
spécifique immuable, l’intérêt de l’esprit est, nous l’avons
dit, de s’affranchir de cette dépendance spécifique qui nous
impose une place définitive dans l’ordre des choses. Bref, mon
esprit désire être libre de s’unir à autre chose qu’à mon
propre corps. C’est pourquoi le désir de connaître suppose un
désir plus fondamental, qui est de savoir comment faire pour me
libérer de la contrainte que m’impose le corps.
B- la conscience claire
de ce que je suis est donc la condition première de ma liberté.
Il est clair que si mon
corps enchaîne mon esprit en ce qu’il me rappelle en permanence
mon appartenance à une espèce donnée et en ce qu’il empêche
donc mon esprit de satisfaire son désir de connaissance, c’est
vers la connaissance de mon corps que mon esprit doit se tourner en
priorité. Il s’agit là d’examiner prioritairement quels sont
les obstacles que la condition naturelle de mon corps impose à
l’exercice intellectuel de la connaissance.
Mais le problème réside
bien entendu dans la difficulté pour mon esprit de connaître mon
corps. Car enfin de deux choses l’une : ou bien mon corps est un
banal objet de connaissance et alors il n’y aucune raison de
prétendre qu’il constitue un obstacle à la connaissance, ou bien
la dépendance de mon esprit à l’égard de mon corps interdit la
connaissance objective de celui-ci (de même que l’oeil permet de
voir mais ne se voit pas lui-même). Et dans ce cas on peut se
demander comment l’obstacle va pouvoir être surmonté. Autrement
dit le problème consiste à se demander de quelle manière le désir
intellectuel de connaître va pouvoir s’affranchir du besoin
corporel de vivre. Là encore il semble qu’une
aide extérieure soit requise sous la forme d’une activité qui
exerce la pensée, non pas certes à fonctionner en dehors du corps,
mais à douter, c’est-à-dire à mettre en questions les
informations que le corps fournit spontanément à l’esprit. Il
s’agit donc pour l’esprit qui désire connaître, d’être
constamment en éveil, sur ses gardes, afin de toujours considérer
comme problématiques les opinions que l’esprit ne peut pas manquer
de forger en combinant les sensations brutes d’origine naturelle et
les habitudes intellectuelles favorisées par mes pratiques
culturelles.
Et c’est précisément
dans la philosophie que consiste cette aide extérieure destinée à
maintenir la vigilance de l’esprit à l’égard de la facilité
spontanée qui consiste à aller toujours dans le sens du plus grand
confort du corps. C’est donc parce que le désir d’effort qu’a
l’esprit est nécessairement contrarié par le besoin de confort
qu’a le corps, que la libération de l’esprit passe par des
exercices (en grec askêsis en latin meditatio
signifient tous deux “exercice”) d’attention à soi-même. La
philosophie est donc cet exercice qui apprend à prendre soin de soi
comme composé problématique de corps et d’esprit afin de rendre
possible une connaissance vraie. Ce que dit Descartes dans la préface
des Principes de la philosophie : “c’est proprement
avoir les yeux fermés sans tâcher jamais de les ouvrir que de vivre
sans philosopher “. Mais cette liberté absolue d’une
conscience qui s’apparaît pourtant comme limitée par la nature du
corps suffit-elle à combler mon désir d’union ?
III - l’idéal de liberté
de la conscience dépend de l’idéal de justice dans l’action.
A - l’opposition entre
corps et esprit n’est qu’une manière commode de parler.
Rappelons-nous ce qui nous
donne à penser que, en nous il y a une différence de nature entre
le corps et l’esprit. C’est, avons-nous dit, que nous sentons au
plus profond de nous une divergence d’intérêts entre un certain
besoin de vivre dans le confort et un certain désir de faire effort
pour connaître. Or, avons-nous dit, si notre désir de connaître
pose problème, c’est qu’il contrarie notre besoin de vivre :
d’un côté j’éprouve l’envie de satisfaire mes besoins et
donc de me replier sur moi-même, de l’autre j’éprouve un désir
de renvoyer à plus tard la satisfaction de ces besoins pour prendre
le temps de connaître ce qui n’est pas moi. Il y a donc là toute
l’apparence d’une opposition d’intérêts entre désir de
l’esprit et besoin du corps.
Mais, avons-nous ajouté,
toute tentative pour satisfaire notre désir de connaître, passe
obligatoirement par des sensations. En faisant même la supposition
que fait Descartes dans sa deuxième Méditation Métaphysique,
à savoir que je n’ai pas de corps et que je ne suis donc qu’une
chose qui pense, je dois quand même reconnaître (avec l’aide de
la science moderne) que ce qui se passe dans mon cerveau lorsque je
pense, n’est pas d’une autre nature que ce qui s’y passe
lorsque j’éprouve un besoin corporel. Dans les deux cas en effet
c’est par le moyen du corps que j’éprouve la sensation de manque
engendrée par l’insuffisance. Dans les deux cas, c’est par le
moyen de l’esprit que j’en prends conscience et que je tâche de
le satisfaire. C’est pourquoi
l’opposition entre besoin et désir, entre corps et esprit ne va
pas de soi. Comme le dit Spinoza dans la troisième partie de
l’Ethique : “le désir est l’essence même de
l’homme [...] il est l’appétit avec conscience de
lui-même”. Ce qui signifie deux choses : premièrement que le
désir appartient à la nature même de l’homme, c’est-à-dire
que c’est le désir qui mobilise la totalité de ses comportements,
qu’ils soient corporels ou intellectuels ; deuxièmement qu’il
est vain de se demander si le désir manifeste l’intérêt plutôt
du corps ou plutôt de l’esprit puisque justement tout comportement
le présuppose. Mais alors, si tout désir manifeste à la fois un
besoin corporel et une conscience intellectuelle comme deux aspects
indissociables de ma nature, d’où vient que mon esprit se sente
isolé et contrarié par mon propre corps ?
B - ma conscience du
temps me montre la contradiction de certains désirs.
Si un animal n’a pas la
faculté de ressentir cette coupure entre le corps et l’esprit, cet
isolement de l’individu par rapport au monde c’est qu’il n’a
aucune conscience du temps et de l’espace. En effet, dans la mesure
où tout désir est l’expression d’une nature, il est aussi dans
l’ordre naturel des choses qu’il soit satisfait sans délai. Il
est naturel qu’un désir de manger me pousse à chercher de la
nourriture ou qu’un désir sexuel me pousse à m’accoupler.
Cependant il est tout aussi naturel que mon désir de manger ou de
m’accoupler soit différé par un désir plus impérieux de tenir
compte d’autrui comme étant le prolongement de moi-même. Car en
effet, si je forme avec autrui un même corps et un même esprit, il
est naturel que certains désirs de mon corps biologique d’origine
ne soient satisfaits qu’après que ceux du corps commun l’aient
été.
Autrement dit, ce qui fait
que je me sens isolé et qui motive donc mon désir d’union, ce
n’est pas tant le fait d’être, comme on le dit parfois,
prisonnier d’un corps, c’est plutôt le sentiment que, en
attendant un peu, mes désirs pourraient être mis en harmonie avec
ceux d’autrui, bref, avec les exigences d’un espace commun à moi
et à autrui. J’ai donc le sentiment d’avoir la possibilité
d’établir un ordre dans mes désirs, de telle sorte que ceux-ci ne
m’opposent plus ni à moi-même (par le malaise), ni à autrui (par
la violence), ni au monde commun (par l’ignorance). Or, cet ordre
qui me permet de hiérarchiser les désirs, les Grecs l’ont nommé logos, les Latins ratio, et nous raison. La raison n’est donc rien
d’autre que ce pouvoir de co-ordonner mes désirs, de renoncer à
leur satisfaction immédiate, quitte à en subir un désagrément
momentané, afin de conjuguer ma propre puissance d’agir avec celle
d’autrui et avec les autres forces de la nature. La raison n’est
donc rien d’autre que cet effort que je dois faire pour, avec le
moyen du temps et de l’espace, agir de telle sorte que j’atteigne
une plus grande perfection au delà de mon simple corps biologique.
Mais, comme tout ce qui
exige un effort, la raison nécessite une activité d’apprentissage
à la l’attention de moi-même et d’autrui dans un espace commun.
Et c’est en cela que consiste la philosophie dont l’enjeu est,
comme le dit Spinoza dans l’Ethique (IV, xviii) “que
les hommes cherchent sous la conduite de la Raison ce qui leur est
réellement utile [...]
et par conséquent soient justes”. On peut donc dire que la
philosophie est l’apprentissage même de la raison comprise comme
faculté de co-ordonner mes désirs afin de pouvoir agir avec
justesse, c’est-à-dire en accord avec autrui et dans un monde
commun.
conclusion.
Nous avons donc commencé
par voir que c’est parce que le désir de connaissance contenait un
paradoxe consistant à isoler celui qui cherche à savoir,
c’est-à-dire celui-là même qui cherche à rompre son isolement,
que la philosophie est nécessaire en tant qu’elle considère la
rupture de l’isolement par la recherche de la vérité comme une
tâche infinie, comme une limite indépassable.
Mais comment puis-je
connaître vraiment ce qui n’est pas moi si je ne commence pas par
faire l’inventaire de mon moi, afin de distinguer entre ce que je
maîtrise parfaitement et en quoi je puis avoir pleine confiance, et
ce qui échappe à mon contrôle conscient et qui est susceptible de
me couper du monde plus que de m’en rapprocher ? C’est en quoi
réside le deuxième enjeu de la philosophie comme exercice du doute
afin de me libérer des apparences trompeuses.
Cependant, encore une fois,
cette conscience d’un désir intellectuel de connaître s’opposant
à un désir corporel de vivre m’isole à la fois de mon propre
corps et du corps d’autrui. Et, là encore, il est nécessaire de
faire appel à une activité qui réconcilie le corps et l’esprit,
le moi et autrui, en montrant qu’une telle opposition d’intérêt
n’est qu’apparente. C’est donc le troisième enjeu de la
philosophie que de permettre la prise en compte rationnelle du
facteur temps afin d’agir avec justice, c’est-à-dire d’établir
une communauté d’intérêt entre l’esprit, le corps, autrui et
le monde.
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