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mercredi 2 septembre 1998

EN QUOI CONSISTE LA COMPREHENSION DU LANGAGE ?

On dit souvent de deux personnes qui se comprennent qu’elles parlent le même langage et d’une communication qui a du mal à s’établir que c’est un dialogue de sourds. De fait, le phénomène de la compréhension et celui de la communication verbale semblent être étroitement corrélés. Mais, si l’on admet qu’il existe des langages animaux et des langages informatiques doit-on dire également que les bêtes et les ordinateurs comprennent quelque chose ? Autrement dit, qu’est-ce qui fait que les humains sont capables de réagir à la communication verbale par la simple phrase “j’ai compris” et non pas par un comportement comme les animaux ou par un résultat comme les machines ?
Par ailleurs “comprendre” signifie étymologiquement “prendre ensemble”. Que mettons-nous donc ensemble lorsque nous avons compris ce qu’on nous dit ? Une phrase et une idée, un mot et un sens, une image et une réalité ? Bref, que sommes-nous associer au discours lorsqu’on nous parle ?
Le problème va donc être de tenter d’analyser l’essence de la compréhension du langage. L’enjeu de ce problème consiste à s’interroger sur le lien qui peut exister entre d’une part la certitude subjective qui naît de la compréhension psychologique du discours et d’autre part la vérité objective qui suit de l’adéquation du discours à la réalité.


I - Ce qui rend le langage compréhensible, c’est sa nature symbolique.

A - le symbole n’est ni un signal, ni une trace, ni un signe, ni un indice de la réalité.

Aristote montre dans le livre D de la Métaphysique que la relation du symbole linguistique à la chose réelle ne peut être ni complètement naturelle, ni complètement conventionnelle. En effet, si cette relation était purement naturelle, alors le symbole serait un échantillon représentatif de la réalité signifiée. Ce qui expliquerait qu’il soit saisi par son destinataire comme c’est le cas pour la “danse” de l’abeille ou pour le “chant” de la cigale. Mais cela exclurait aussi toute compréhension car le symbole nous mettrait en présence de la réalité concrète et il n’y aurait alors plus rien à comprendre. Or il semble que pour qu’il y ait compréhension, il faut que le symbole renvoie à la réalité signifiée, mais de telle manière que l’on puisse com-prendre (prendre ensemble) à la fois un aspect de la réalité présenté par le symbole et cette réalité toute entière. Dès lors un symbole ne peut être ni une trace, ni un signal.

Le symbole n’est pas une trace perceptive causée par la réalité car si tel était le cas le destinataire serait en présence d’un ou plusieurs aspects perceptifs de la chose signifiée. Celle-ci serait alors saisie par les fonctions sensorielles réceptrices mais elle ne serait jamais comprise puisque la relation à la réalité est une relation de causalité : la trace est un effet directement perceptible d’une réalité qui ne l’est pas. Le symbole n’est donc pas destiné à manifester la présence de la chose signifiée. Du coup, le symbole est différent du signal physique en ce que celui-ci est une image qui déclenche toujours la même réaction comportementale chez son destinataire. Alors que le symbole a ceci de particulier qu’il peut très bien ne pas être compris par son destinataire, ou bien n’être compris qu’après interprétation de la part du destinataire. Le symbole n’est donc pas destiné à déclencher une réaction à la chose signifiée.

D’un autre côté, si elle n’était que conventionnelle, alors la relation avec la réalité signifiée serait admise, certes, mais ne serait jamais comprise puisque alors le renvoi à la réalité serait abstrait, autrement dit coupé de son contexte naturel. Cela autoriserait alors des opérations mentales abstraites de type computationnel qui exigent la mémoire de toutes les relations de renvoi telles qu’elles ont été décidées par convention sans les comprendre. Ce qui explique l’utilité de l’ordinateur dans les opérations logiques : il admet les axiomes de départ et les règles de déduction, mais il ne comprend pas les mots et les chiffres. C’est donc que le symbole n’est ni un signe, ni un indice. Ce n’est pas un signe pour la raison que tout système de signes suppose un code qui associe le signe et la réalité. Or pour instituer un code il faut au préalable s’être mis d’accord sur sa signification avec un langage non codé, ce qui montre qu’une partie au moins des symboles n’est pas arbitrairement codé et donc pas conventionnel. Le symbole n’est donc pas destiné à être utilisé dans de simples calculs.

Enfin ce n’est pas non plus un indice dans la mesure où la relation entre l’indice et la réalité indiquée est hypothétique et doit donc être, le cas échéant, découverte : un indice est toujours une réalité qui n’a pour effet que d’indiquer qu’il y a peut-être une réalité autre à quoi cet indice peut être relié, mais sans qu’on sache jamais a priori ni si cela est le cas, ni bien entendu à quelle réalité il renvoie. Or l’utilisation d’un symbole présuppose l’existence d’une réalité signifiée. Le symbole n’est donc pas destiné à dévoiler une réalité cachée.

Mais si le rapport du symbole à ce qu’il signifie n’est ni purement naturel, ni purement conventionnel, quelle est donc sa nature ?

B- le symbole manifeste à la fois la présence et l’absence de la réalité signifiée.

Dans de l’Interprétation (I, 16 a 3), Aristote dit queles mots émis par la voix sont les symboles des états de l’âme. Ce qui veut dire que le symbole ne se rapporte directement qu’au seul contenu de l’esprit, et donc que la réalité à quoi il se rapporte n’est atteinte qu’indirectement.

En effet, le symbole qui, avons-nous dit, n’est ni une trace, ni un signal, ne présente pas directement la chose à laquelle il se rapporte. Pour le voyageur qui fait un récit, pour le peintre qui fait un tableau, une certaine réalité a laissé des traces perceptives. Et ce sont ces traces sensibles, ces événements psychiques que le symbole a pour fonction de re-présenter. Celui qui rapporte ce qu’il a vu rapporte en effet directement ce qu’il se souvient avoir vu : quand on fait un récit, l’emploi que l’on fait des symboles a à la fois pour cause passée et pour effet attendu des contenus perceptifs. C’est le contenu perceptif de la mémoire du locuteur qui est re-présenté par les symboles employés, lesquels ont pour destination de faire naître dans l’esprit de l’auditeur un contenu perceptif qui ressemble à celui du locuteur.

Du coup, comme le symbole n’est pas non plus un signe ou un indice, la réalité signifiée n’est pas absente de la signification du symbole. Du côté du r2cepteur du symbole, il y a la présupposition que le contenu mental représenté se réfère sincèrement à une réalité indépendante de l’esprit qui en a eu connaissance. Et du côté de l’émetteur du symbole, il y a l’affirmation (le plus souvent implicite) qu’il en est bien ainsi. Autrement dit, il apparaît que le symbole est signifiant à la fois en ce qu’il représente un contenu perceptif jadis présent à l’esprit qui utilise ce symbole, et qu’il se réfère à un objet maintenant absent de la perception et qui n’est donc accessible qu’à l’intelligence (objet intelligible) grâce à ce symbole. On peut donc dire que tout symbole possède une signification composée de deux relations :
- une relation de représentation pour la pensée d’un contenu perceptif, relation destinée à faire saisir la communication par les sens comme s’ils percevaient directement la réalité (ce que réalise la communication animale)
- une relation de référence à un contenu intelligible qui dépasse la perception, relation destinée à faire admettre la communication à une intelligence qu’il existe bien une réalité distincte du symbole mais qui n’est pas perceptible (préoccupation étrangère à la communication animale).

Cela dit, si tout symbole est destiné par sa représentation et sa référence à garantir la compréhension simultanée de la communication par les sens et par l’intelligence, quel peut bien être le lien entre la représentation et la référence ?


II - La représentation du symbole linguistique est supposée isomorphe au référent.

A - les référents des symboles sont des faits et non pas des choses.

Wittgenstein remarque dans le Tractatus que, avant d’avoir l’intention de signifier au moyen d’un symbole, nous faisons primitivement l’expérience du monde, et plus exactement d’un monde dans lequel
- les choses perçues ne sont pas isolées mais sont déjà liées naturellement les unes aux autres et culturellement aux sujets percevants par des relations
- les choses perçues ne sont pas perçues dans leur totalité par le sujet percevant mais uniquement dans certaines de leurs qualités accessibles à la perception.

Par exemple lorsque je perçois un arbre, cet arbre est en relation avec un environnement naturel (sol, climat, niche écologique, etc.), mais aussi avec l’environnement culturel du sujet percevant (éducation, valeur de telle essence, politique, etc.). Autrement dit, si je dois signifier cet arbre par un symbole compréhensible, il va bien falloir que celui-ci signifie non seulement l’arbre dans son ipséité mais obligatoirement un certain nombre de relations au centre desquelles il se trouve. De plus, ce que je perçois de cet arbre, ce sont certaines qualités sensibles particulières (sa couleur, sa taille, son odeur, etc.), qui sont autant d’aspects qui appartiennent à l’arbre comme objet, mais qui ne sont perçues par moi qu’en raison de ma constitution spécifique et particulière. Et ces qualités, en tant que constituants objectifs, vont également devoir être signifiées par mon symbole.

On voit donc que ce que va signifier un symbole n’est jamais un objet simple et abstrait de son contexte, mais un fait c’est-à-dire un objet complexe et concret doté de relations et de qualités. Autrement dit, la réalité primitive à laquelle renvoie nécessairement tout symbole, ce n’est pas une chose mais un état de choses : “le monde est la totalité des faits, non des choses (...) ce qui a lieu, le fait, est l’existence d’états de chose (Tractatus 1.1, 2). Il est donc clair que ce à quoi réfère primitivement un symbole, n’est jamais un objet simple, parfaitement défini, mais un objet complexe qui n’est défini qu’à partir de certaines de ses qualités et de ses relations. Or nous avons vu que le symbole doit être saisi, c’est-à-dire qu’il doit pouvoir faire naître une représentation précise des propriétés que nous voulons connaître ou faire connaître. Comment donc la référence à un objet complexe et global est-elle possible à partir d’une représentation toujours partielle ?

B - la représentation symbolique conserve la forme logique de la réalité.

Supposons que quelqu’un n’ait jamais vu Paris et que je veuille lui faire comprendre le symbole PARIS c’est-à-dire que je veuille faire naître dans son esprit une représentation de l’arbre qui ressemble à peu près à la mienne et qui soit supposée se rapporter à une réalité dans la nature. Je vais donc lui en faire une description : c’est-à-dire que, sachant que le référent du symbole PARIS est un objet complexe (un état de choses, un fait), je vais faire comme si la symbole PARIS était lui-même un symbole complexe que je vais devoir analyser en des symboles plus simples. Je vais donc dire que PARIS est la capitale de la France, qu’elle est traversée par la Seine, qu’elle comporte vingt arrondissements, tel et tel monument historique, etc.

Décrire un objet, c’est donc analyser les qualités et les relations de cet objet pour en faire ressortir quelques unes réputées pertinentes. Autrement dit, je ferai correspondre à un objet complexe (Paris) une description de quelques unes de ses qualités (historiques, humaines, artistiques, etc.) et de ses relations (capitale de la France, traversée par la Seine, etc.). Et comme ces qualités et ces relations sont elles-mêmes les référents de symboles simples, je substituerai donc à un symbole complexe une suite de symboles plus simples. Il revient donc au même de dire que je décris Paris ou que j’explique le symbole PARIS : dans les deux cas, je vise la compréhension de la part de mon interlocuteur qui doit, d’une part saisir sensiblement chaque nouveau symbole, et donc s’en faire une représentation perceptive, d’autre part admettre intellectuellement que ces représentations, bien que n’étant que des aspects du référent, renvoient pourtant à la totalité de celui-ci.

Or, pour que ma description en termes simples puisse être comprise par mon auditeur, il semble nécessaire d’admettre qu’il existe une structure commune (isomorphie) entre d’une part les qualités et les relations de la réalité complexe décrite, d’autre part le symbole complexe qu’on a utilisé ou, si l’on préfère, la description qu’on en a faite. “Au monde et à la langue [...] est commune la structure logique” (Tractatus 4.014). En effet, si une description simple d’un symbole complexe est possible, c’est parce que l’on présuppose que les symboles simples sont entre eux dans la même structure logique que les qualités et les relations réelles auxquelles ces symboles réfèrent. Dire par exemple “la Tour Eiffel est au milieu du Champs-de-Mars”, cela revient à présupposer que, dans ma proposition le symbole “Tour Eiffel” entretient la même relation avec le symbole “Champs-de-Mars” (relation “être au milieu de”) que les référents de ces symboles dans la réalité : c’est un peu comme si faisais un schéma où j’inscris un symbole “Tour Eiffel” au milieu d’un symbole “Champs-de-Mars”.

Et s’il est possible de représenter la réalité au moyen de symboles linguistiques, c’est parce que ce dernier est censé partager avec le référent (le fait réel) une même structure logique. Et c’est cette identité de structure qui est toujours présupposée lorsque l’on tente de faire une description de la réalité : c’est pourquoi il est possible que, soit par mes explications verbales, soit au moyen d’un plan schématique, un touriste peut retrouver son chemin dans la ville qu’il ne connaît pas. Autrement dit, lorsque je tente par une description de faire naître une représentation d’un fait qui ressemble à celle que j’ai, je suppose qu’autrui saisit des images que ma description tente d’induire dans son esprit et qu’il admet que les aspects de la réalité qu’il a saisis appartiennent effectivement à une structure réelle qu’il est invité à recomposer : la proposition est une image de la réalité(Tractatus 4.01). Mais, si c’est cette identité de structure avec la réalité qui rend possible la relation de représentation, alors comment expliquer que la communication puisse parfois échouer ?

C - la représentation formelle n’est jamais parfaitement adéquate à son référent réel.

Nous avons vu que la compréhensibilité des symboles était fondée sur la possibilité pour tout symbole d’être remplacé par une description de la réalité à laquelle il se réfère, étant entendu que les structures logiques de la description et de la réalité doivent être identiques. Mais alors, si ma description possède la même structure logique que la réalité décrite, qu’est-ce qui l’empêche d’être toujours fidèle à cette réalité ?

Supposons que je croie reconnaître d’après une description un de mes amis et que je dise : “cette personne est mon ami Pierre”, alors qu’en réalité il n’en est rien, cette personne n’étant pas mon ami. D’après ce que nous avons dit, pour que la description soit compréhensible, il faut qu’elle apparaisse comme le symbole complexe dont le référent est un objet complexe qui est à l’égard de moi dans la même relation d’amitié que celle qui est indiquée par la description. Mais puisque le référent et la représentation sont censés avoir la même structure, comment se fait-il que je puisse faire erreur sur le référent alors que je me suis fait une représentation conforme au symbole ? Comment est-il donc possible que la description ne soit pas adéquate à la réalité décrite ?

C’est que, dit Wittgenstein,pour connaître si la représentation est vraie ou fausse, nous devons la comparer à la réalité (Tractatus 2.223), ce qui signifie qu’il est impossible de savoir a priori si ce que représente un symbole est ou n’est pas adéquat à ce qu’il doit représenter. Bien au contraire il faut pour cela comparer la représentation que détermine la perception du symbole à la représentation que détermine la perception du référent du symbole. Car il est hors de question pour moi de pouvoir atteindre directement le référent qui est une réalité globale et intelligible si je n’en possède pas de représentation partielle et perceptive puisque nous avons dit que nous ne pouvons avoir accès qu’à des aspects de la réalité. Pour savoir si ma représentation est adéquate au référent, je ne peux donc pas comparer la première au second mais je dois comparer la première à une représentation du second : bref, je dois donc comparer deux représentations. Or toute représentation est nécessairement partielle puisqu’elle a précisément pour but de sélectionner des propriétés pertinentes de la réalité et non de donner la réalité toute entière.

Il faut donc admettre que la condition nécessaire pour comprendre la signification d’un symbole (saisir ce qu’il représente et admettre qu’il réfère à une réalité complexe), c’est de me faire une image plus ou moins détaillée du référent. C’est pourquoi Wittgenstein dit qu’une description peut seulement dire comment est une chose, non ce qu’elle est (Tractatus 3.221). Mais, dans la mesure où, aussi précise et détaillée que soit une description, celle-ci ne sera donc jamais qu’une représentation imagée, donc approximative, elle ne peut donc en aucun cas atteindre avec certitude un référent qui demeure un objet intelligible, par définition étranger à la représentation. Dès lors, comment est-il possible qu’une représentation symbolique soit suffisamment adéquate à son référent pour que la proposition dans laquelle elle figure puisse être vraie ? Autrement dit, qu’est-ce qui nous autorise à supposer que lorsque nous comprenons un symbole, ce n’est pas seulement sur la représentation mais aussi sur le référent que nous nous accordons?


III - Nous pouvons comprendre le sens d’une proposition sans comprendre la signification complète de ses constituants.

A - la représentation d’un référent est une proposition dont le sujet est le référent lui-même.

Nous avons vu que la signification d’un symbole linguistique, dans la mesure où elle est une entité perceptible possède la, propriété d’être saisie par le destinataire du symbole : ce qui est saisi est ainsi une certaine représentation sensible d’un fait réel (au sens où, en voyant une photo, on se représente un certain fait). Mais, dans la mesure où la signification est également une entité intelligible, elle possède la propriété d’être comprise, c’est-à-dire d’être mise en relation avec un référent dont tous les aspects sensibles ne peuvent pas être simultanément représentés. On doit donc se poser la question : puisque toute représentation est sensible et partielle, quel va être le critère de compréhension de la signification totale (représentation et référent) du symbole linguistique ? Autrement dit, à quelle condition la représentation d’un référent sera-t-elle suffisante pour que je puisse atteindre ce référent ?

Supposons que mon interlocuteur ait du mal à comprendre qui est Socrate, et supposons que je lui dise “Socrate est le maître de Platon”. Admettons que cette explication lui suffise. Qu’a-t-il compris au juste ? Apparemment sa compréhension s’est faite en deux moments :
- premièrement, il a admis sans discussion ni réflexion la substitution de la description “le maître de Platon” au nom “Socrate”, si l’on préfère, il a établi l’identité “Socrate = le maître de Platon”
- deuxièmement, il a déduit (par la transitivité de la relation d’identité) que la description lui fournissait une représentation suffisante pour pouvoir identifier le référent, ce que la simple évocation du nom ne lui permettait pas.

Ce qui s’est apparemment passé, c’est que j’ai permis à mon interlocuteur de se faire une représentation pertinente du référent en l’invitant à associer du connu (”le maître de Platon”) à de l’inconnu (“Socrate”) de la même manière que je l’aurais guidé vers un endroit inconnu en utilisant des repères géographiques déjà connus. Oui mais, dira-t-on, notre interlocuteur a certes bien saisi une représentation de notre symbole, mais en quoi l’a-t-il compris ?

La compréhension du symbole “Socrate” semble alors résider en ceci que mon interlocuteur est convaincu de connaître désormais les conditions d’identification du symbole. En lui disant “Socrate est le maître de Platon”, je l’ai convaincu (peu-être à tort) que, pour avoir affaire à Socrate, il n’y avait qu’à avoir affaire au maître de Platon. On voit donc clairement que ce qui constitue l’essence de la représentation d’un symbole n’est pas une vague image mentale subjective et contingente mais rien moins qu’une proposition dont le sujet est le référent du symbole : “Socrate est le maître de Platon”. En d’autres termes, comprendre la signification d’un symbole linguistique consiste à viser le référent à travers une représentation. Or celle-ci n’est pas, comme nous l’avons dit, un signal ou une trace de la réalité : c’est une proposition d’identité qui décrit le référent du symbole et dont le sujet est le référent lui-même. C’est pourquoi Wittgenstein précise que la proposition est la description d’un fait (Tractatus 4.023). Cela dit, puis-je être assuré que, ayant compris la signification d’un symbole, je suis nécessairement en relation avec une certaine réalité ? Puis-je être assuré de l’existence réelle du référent visé par la représentation que la proposition induit ?

B - le sens d’une proposition réside dans la possibilité de sa correspondance avec le réel.

Nous avons vu que comprendre la signification d’un symbole, c’est comprendre une proposition d’identité dont le référent du symbole est le sujet. Une telle condition semble nécessaire : il est clair que le symbole A n’a pour moi aucune signification si je ne suis pas capable de décrire quelques unes de ses qualités et de ses relations au moyen de propositions. Car si tel est le cas, A est pour moi un signal ou une trace, mais certainement pas un symbole. Mais, si cette condition de description propositionnelle est nécessaire à ma compréhension du symbole, est-elle suffisante pour autant ? Puis-je affirmer comprendre la signification de A si, par exemple, A n’existe pas mais je l’ignore ? L’enfant qui croit que le Père Noël existe comprend-il la signification du symbole “Père Noël” ?

Soient les propositions suivantes :
1 - La France est une terre d’accueil
2 - Don Juan est le meilleur opéra de Mozart
3 - Pi est le rapport de la circonférence d’un cercle à son diamètre
4 - L’actuel roi de France est chauve
5 - La Lune est le seul satellite naturel de la Terre.
Tout locuteur moyennement compétent dans notre langue est capable de comprendre ces cinq propositions. Pourtant, le seul cas où la compréhension du sens de la proposition s’accompagne de la compréhension de la signification de tous ses symboles est 5. Pourquoi ?

Simplement parce que seule 5 nous dit quelque chose à propos du monde extérieur à nous et indépendant de nous. Dit autrement, seule 5 est l’image d’un fait, est en correspondance avec un fait réel. Reprenons :
1 - ne permet pas de comprendre de quoi il est question ; s’agit-il du territoire géographique ? de la nation historique ? de l’Etat politique ? en quoi consiste la qualité d’accueil dont il est question ? ; bref la proposition est beaucoup trop vague, trop incomplète pour décrire le réel ; il est impossible de vérifier ce qu’elle propose ; on dira que 1 est un non-sens (ni vrai, ni faux)
2 - il existe là encore un symbole à la référence indéterminée : qu’entend-on par “meilleur” ? du coup cette proposition énonce non pas ce qui est en réalité puisqu’un symbole est sans référent, mais ce qui doit être valable pour tous ceux qui comprennent cette proposition (= “tout le monde devrait admettre que ...”) ; 2 est également un non-sens
3 - pourrait être la description d’une entité mathématique (le nombre pi) ; le problème c’est que cette proposition ne correspond à aucun fait, c’est-à-dire à aucun état de chose indépendant de nous ; le cercle et le diamètre son des entités qui sont postulées et construites par nous ; et le nombre pi est, par définition, le rapport du premier au second ; on dira que 2 est une tautologie (nécessaire, vrai par définition)
4 - est la représentation précise d’un fait possible ; elle propose les conditions qui permettraient de conclure à sa vérité ; mais ses conditions ne sont pas réunies ; on dira que 3 est fausse (elle n’est l’image d’aucun fait réel)
5 - est également la représentation d’un fait possible ; mais contrairement au cas précédent, ses conditions de vérité se trouvent vérifiées dans la réalité ; le fait possible qu’elle propose est un fait réel ; on dira que 4 est vraie (elle correspond à un fait réel).

Il est donc clair que, ce qui emporte notre compréhension d’une série de symboles linguistiques, n’est rien d’autre que la possibilité, au moyen de la proposition, de se faire une image (ou représentation) de la réalité. Or ce que l’image représente, c’est son sens (Tractatus 2.221). Donc, ce que nous comprenons, primitivement, c’est que ce qui nous est indiqué, peut avoir un sens, c’est-à-dire correspondre à un état de choses. Cela dit, nous avons vu qu’il existe des propositions que nous comprenons sans que celles-ci soient vraies. Est-ce à dire que de telles propositions constituent des échecs ou des tentatives de manipulation de la communication ?

C - seules les propositions des sciences de la nature ont un sens et des symboles pourvus d’une signification complète.

Nous avons vu que ce qui nous permet de comprendre le langage, ce n’est pas primitivement que ce qui nous est dit se rapporte fidèlement à la réalité, mais simplement que nous présumons que cela peut s’y rapporter. Ce qui entraîne, apparemment, deux conséquences :
- d’abord, puisqu’il est parfaitement possible de comprendre des propositions fausses ou tautologiques (3 et 4), comprendre une proposition, c’est savoir ce qui a lieu quand elle est vraie(Tractatus 4.024) ; ce qui signifie que la compréhension d’une proposition réside dans la représentation des conditions de vérité de cette proposition, indépendamment du fait que les symboles employés dans cette proposition aient une référence ou non
- ensuite, puisque les conditions de vérité de la proposition (ce que Wittgenstein appelle le sens) peuvent elles-mêmes se révéler indéterminées et donc rendre la proposition invérifiable (1 et 2), il appartient à la nature symbolique du langage de n’être pas nécessairement un ensemble de propositions destinées à décrire la réalité ; c’est le cas lorsque certains symboles peuvent avoir plusieurs représentations concurrentes (ex : “la France”) ou pas de représentation du tout (ex: “le meilleur”) ; de sorte que l’on peut comprendre une proposition ni vraie ni fausse (non-sens), qui ne décrit rien de réel.

Il appartient donc à l’essence du langage de permettre de comprendre le sens d’une proposition (ses conditions de vérité) avant même de comprendre la signification complète des symboles qui la constituent (représentation et référence). Ce phénomène de double niveau de compréhension du langage est une caractéristique fondamentale du langage qui permet de distinguer
- les sciences naturelles comme activités d’élaboration de propositions douées de sens ayant pour but de décrire le réel au moyen de symboles doués de référence, de sorte que la totalité des propositions vraies constitue la totalité des sciences de la nature (Tractatus 4.11)
- l’éthique, l’art et la religion comme activités de fabrication de non-sens en raison de la présence de symboles qui servent, non à se référer à des faits, mais à prescrire des valeurs (le bien, le juste, le beau, etc.) qui, par hypothèses, ne sont pas mais doivent être
- les mathématiques, la logique et la philosophie comme activités d’élaboration de tautologies, c’est-à-dire de propositions nécessairement vraies indépendamment des faits, de propositions qui se contentent de tirer les conclusions nécessaires qui découlent de la définition que l’on accorde ou non aux symboles qui composent les prémisses du raisonnement
- enfin l’information et la publicité comme activités portant sur des non-sens en raison de l’ambiguïté voulue des symboles employés afin d’assurer la plus large compréhension et donc la plus large adhésion possible auprès des destinataires des propositions.


Conclusion.

Le symbole linguistique vise à assurer une double fonction communicative : d’une part faire naître une représentation sensible dans l’esprit de l’utilisateur (le symbole n’est donc ni un signe ni un indice) ; d’autre part se référer à travers cette représentation, qui n’est pas la réalité elle-même, à un objet complet en soi mais hors d’atteinte de la sensibilité (le symbole n’est donc ni un signal, ni une trace).
Cela dit, pour justifier la possibilité de la compréhension de symboles qui sont les mêmes pour tous, il faut admettre que la représentation sensible n’est pas un phénomène particulier et privé mais bel et bien universel et public. Et pour cela il est nécessaire d’admettre que c’est le référent lui-même qui, par la structure formelle de ses qualités et de ses relations, détermine une représentation sensible isomorphe (de même structure) à la réalité.
De sorte que la compréhension du symbole linguistique consiste primitivement dans le fait de penser la possibilité d’un état de choses réel conforme à l’image figurée par la proposition. Pourtant, la compréhension du sens de la proposition n’entraîne pas automatiquement la compréhension de la représentation et de la référence de tous ses constituants. Seules les propositions des sciences de la nature permettent de réaliser cette double condition.
On peut donc dire que la certitude subjective d’avoir compris une proposition peut se faire sans qu’il y ait correspondance de cette proposition avec une quelconque réalité. Autrement dit, la communication verbale humaine n’a nullement le souci de vérité comme objectif essentiel.